L’anesthésie pour la chirurgie ophtalmologique s’adresse aussi bien à des
enfants qu’à des adultes.
Chez l’adulte, la chirurgie de la cataracte, du
glaucome et du décollement de rétine représente la majorité des actes.
La
chirurgie ophtalmologique est essentiellement une chirurgie programmée,
parfois semi-urgente, ce qui facilite la consultation d’anesthésie à distance de
l’acte.
L’anesthésie en ophtalmologie est le plus souvent de mise en oeuvre
simple et ne nécessite pas le recours à des techniques anesthésiques ou de
monitorage complexes.
Cependant, une connaissance précise de l’anatomie
et de la physiologie oculaires est un prérequis indispensable pour la réalisation
en toute sécurité de l’anesthésie locorégionale oculaire et pour comprendre
les impératifs des techniques chirurgicales.
Les nombreuses innovations
technologiques de la chirurgie ophtalmologique, telles la phacoémulsification
et le perfectionnement des instruments et des adjuvants endo-oculaires,
influencent directement l’anesthésie.
Il était habituel d’affirmer que
l’anesthésie devait assurer l’akinésie, l’analgésie et la normotonie oculaire.
De ces trois impératifs, l’analgésie est le plus indispensable, les deux autres
dépendent beaucoup de la technique chirurgicale.
L’anesthésie péribulbaire
est utilisée presque systématiquement pour les interventions du segment
antérieur, et de plus en plus souvent pour les actes du segment postérieur.
Les
suites postopératoires sont le plus souvent simples, les complications les plus
fréquentes étant les nausées, les vomissements et les douleurs.
Les
complications liées aux antécédents du patient sont devenues rares depuis
l’utilisation quasi systématique de l’anesthésie locale, et ce d’autant plus que
l’acte n’interfère pas avec les grandes fonctions vitales de l’organisme.
La
chirurgie ambulatoire est la règle pour la chirurgie de la cataracte et pour les
actes simples.
Bases anatomiques
:
A - Orbites
:
Chacune des orbites a la forme d’une pyramide quadrangulaire dont les parois
interne et externe forment un angle aigu d’environ 45°.
Le grand axe de
l’orbite forme avec l’axe visuel un angle d’environ 23°.
Le volume
orbitaire est de 26 mL en moyenne chez la femme et de 28 à 30 mL chez
l’homme, avec des variations interindividuelles importantes.
Le volume
moyen du globe est de 6,5 mL.
La distance du rebord orbitaire inférieur au
canal optique est de 42 à 54 mm.
La paroi supérieure, ou toit de l’orbite, comporte en avant et en dehors, la
fossette lacrymale, et en avant et en dedans, la petite fossette trochléaire dans
laquelle s’attache la poulie du muscle grand oblique.
L’échancrure ou
trou sus-orbitaire se situe à la jonction du tiers interne et des deux tiers
externes du bord supérieur.
Le plancher de l’orbite comporte des zones de passage pour les nerfs dentaires
et le nerf maxillaire supérieur.
Le canal nasolacrymal, long de 12 mm, débute
en avant et en dedans sur le plancher et passe verticalement vers la fosse
nasale où il s’abouche au niveau du méat inférieur.
La partie postérieure de l’orbite comporte trois orifices qui permettent le
passage des nerfs et des vaisseaux de l’oeil et de ses annexes.
Le nerf optique
pénètre dans l’orbite par le trou ou canal optique.
Dans la fente sphénoïdale
(ou orbitaire supérieure) passent les veines ophtalmiques et les branches du
nerf ophtalmique.
Par la fente sphénomaxillaire ou orbitaire inférieure passe
le nerf maxillaire supérieur.
Le sommet de l’orbite répond à l’extrémité interne de la fente sphénoïdale où
s’insère le tendon de Zinn.
B - OEil ou globe oculaire
:
L’oeil est irrégulièrement sphérique, car sa partie antérieure, constituée par la
cornée, proémine sous la forme d’un segment de sphère de plus petit rayon
que le reste du globe oculaire.
L’équateur est le cercle perpendiculaire à l’axe
de l’oeil, situé à égale distance des deux pôles.
Le diamètre antéropostérieur
ou longueur axiale, déterminé par l’échographie oculaire en modeAou B, est
la distance allant du bord antérieur de la cornée à la face interne de la rétine.
Elle est en moyenne de 23 mm.
Elle doit être prise en compte pour la
réalisation des anesthésies périoculaires.
La paroi du globe est constituée par trois membranes concentriques, qui sont
du dehors vers le dedans, la sclérotique (ou sclère) et la cornée, le tractus uvéal
(choroïde, iris et corps ciliaire) et la rétine.
Le contenu du globe, appelé milieux transparents de l’oeil, comprend le
cristallin, placé en arrière de l’iris, l’humeur aqueuse, remplissant l’espace
situé en avant du cristallin jusqu’à la cornée, et le corps vitré, situé en arrière
du cristallin jusqu’à la rétine.
Le segment antérieur est formé par la cornée, le
cristallin, l’angle iridocornéen et le corps ciliaire.
Le segment postérieur est
formé de la sclère, de la choroïde, de la rétine et du corps vitré.
Le limbe sclérocornéen est la zone par laquelle la sclère et les constituants de
l’angle iridocornéen s’unissent à la périphérie de la cornée.
À la partie
profonde de cette zone se trouvent le système trabéculaire et le canal de
Schlemm qui est un canal veineux annulaire encerclant la cornée.
La choroïde (uvée postérieure), membrane essentiellement constituée par des
vaisseaux, est située dans les deux tiers postérieurs du globe oculaire.
En
avant, la choroïde se continue avec le corps ciliaire.
Sa limite antérieure est
indiquée par une ligne circulaire, appelée ora serrata, située à 6 ou 7mm
environ en arrière de la cornée.
L’iris et le corps ciliaire constituent l’uvée
antérieure.
L’iris est placé comme un diaphragme vertical, circulaire, en avant
du cristallin.
Son centre est percé par la pupille.
En avant, il est séparé de la
cornée par l’angle iridocornéen et en arrière, du vitré par l’angle iridociliaire
(chambre postérieure).
Deux muscles lisses animent la pupille. Le sphincter
de l’iris entoure comme un bandeau circulaire l’orifice pupillaire.
Il est
innervé par le parasympathique (récepteurs muscariniques de type M3).
Le dilatateur de la pupille est plat, étalé devant l’épithélium pigmentaire ; il
est innervé par le sympathique (récepteurs adrénergiques alpha).
Le corps ciliaire est uni au cristallin par la zonule (ou ligament suspenseur du
cristallin) et par sa base à la racine de l’iris.
Il comporte des fibres musculaires
lisses formant le muscle ciliaire, responsable de l’accommodation.
Le corps
ciliaire porte sur sa face interne les procès ciliaires constitués par des pelotons
vasculaires.
C - Milieux transparents de l’oeil :
Ils comprennent le cristallin, l’humeur aqueuse et le corps vitré.
Le cristallin est une lentille biconvexe dont l’épaisseur est de 4 à 4,5 mmet de
diamètre 10 mm.
Le cristallin est essentiellement constitué par une masse
épithéliale qui est enveloppée par une capsule.
L’humeur aqueuse est un liquide incolore qui remplit l’espace compris entre
la cornée et le cristallin.
L’iris divise cet espace en deux chambres, antérieure
et postérieure, qui communiquent par la pupille.
Le corps vitré est un liquide visqueux qui remplit toute la partie de la cavité
oculaire située en arrière du cristallin.
Le vitré est entouré de la membrane
hyaloïde.
D - Muscles de l’orbite :
La cavité orbitaire contient sept muscles destinés à mouvoir le globe oculaire
et la paupière supérieure.
Ces muscles sont : le releveur de la paupière
supérieure, les muscles droit supérieur, droit inférieur, droit externe et droit
interne, le muscle grand oblique et le muscle petit oblique.
Les quatre muscles droits s’étendent du sommet de l’orbite à l’hémisphère
antérieur du globe oculaire. Ils naissent du sommet de l’orbite d’un tendon
commun, le tendon de Zinn qui s’insère sur le sphénoïde.
Les bandelettes
tendineuses des muscles droits circonscrivent deux orifices qui livrent
passage aux nerfs et aux vaisseaux.
Par l’orifice interne passent le nerf optique
et l’artère ophtalmique.
Le deuxième orifice est appelé anneau de Zinn, dans
lequel passent les nerfs nasociliaire, moteur oculaire commun (III), moteur
oculaire externe (ou abducens) (VI) et la racine sympathique du ganglion
ophtalmique ou ganglion ciliaire.
Les muscles droits en s’élargissant vers l’avant s’insèrent sur la sclérotique,
en arrière du limbe.
Les quatre muscles droits dessinent en arrière du globe un
cône à sommet postérieur, qui présente des intervalles intermusculaires dont
la largeur augmente d’arrière en avant.
Ce cône musculaire, dont la base
répond à l’hémisphère postérieur du globe, est rempli d’une masse graisseuse
dans laquelle cheminent de nombreux éléments vasculaires et nerveux.
L’axe
même du cône est représenté par le nerf optique.
Les gaines musculaires se continuent en avant avec la capsule de Tenon.
Elles
sont reliées entre elles par les membranes intermusculaires (ou ailerons
musculaires) très minces en arrière, bien individualisées en avant.
E - Aponévrose orbitaire ou aponévrose de Tenon
:
Le nom d’aponévrose orbitaire ou d’aponévrose deTenon inclut la capsule de
Tenon qui recouvre la portion scléroticale du globe de l’oeil, les gaines
musculaires qui enveloppent les muscles de la cavité orbitaire et les
expansions aponévrotiques antérieures qui relient la capsule de Tenon et les
gaines musculaires à la conjonctive, aux paupières et au rebord orbitaire.
La
capsule deTenon est une membrane fibreuse en forme de cupule, qui recouvre
toute la portion scléroticale du globe oculaire.
Elle doit être considérée
comme une expansion des gaines musculaires avec lesquelles elle est en
continuité.
En avant, la capsule de Tenon fusionne avec la conjonctive et
s’arrête autour de la circonférence de la cornée.
La face interne de la capsule
de Tenon est séparée de la sclérotique par un espace rempli par un tissu
celluleux lâche, appelé espace de Tenon ou espace sous-ténonien.
Cet espace
est virtuel, mais il peut être décollé et injecté, notamment par des
anesthésiques locaux.
En arrière, la capsule de Tenon s’attache autour du
canal optique. Les septa ou fascias qui divisent l’orbite sont des bandes
radiaires s’étendant entre le globe, la capsule de Tenon et l’orbite.
Ils
délimitent schématiquement quatre quadrants, un pour chaque muscle
droit.
Contenant du tissu cellulograisseux, ces compartiments varient
de volume et de compliance selon les sujets.
Ils ont un rôle important dans la
diffusion des anesthésiques locaux lors des anesthésies périoculaires.
Ils ne
sont pas étanches et les anesthésiques locaux diffusent assez aisément d’un
compartiment vers l’autre.
La limite antérieure de l’orbite est le septum orbitaire, lame fibreuse qui relie
le rebord orbitaire au bord périphérique du tarse palpébral.
F - Paupières, muscle releveur de la paupière
supérieure et orbiculaire des paupières :
Le muscle releveur de la paupière supérieure s’étend du sommet de l’orbite à
la paupière supérieure.
Les paupières supérieure et inférieure sont séparées l’une de l’autre par la
fente ou orifice palpébral.
Les extrémités des paupières se réunissent pour
former les commissures ou canthus externe et interne.
La peau recouvrant les
caroncules est appelée repli canthal interne et externe.
Le sillon ou pli
palpébral sépare la partie orbitaire de la partie oculaire de la paupière.
La face postérieure des paupières est constituée par la conjonctive.
De la face
postérieure des paupières, la conjonctive se réfléchit sur la face antérieure du
globe oculaire en formant le cul-de-sac oculoconjonctival ou fornix.
La
portion oculaire de la paupière comporte une lame cartilagineuse appelée
tarse.
Les extrémités du tarse supérieur et inférieur s’unissent par deux
bandelettes fibreuses, l’une interne, l’autre externe, appelées ligaments
palpébraux.
Le ligament palpébral interne forme le tendon direct du muscle
orbiculaire.
L’orbiculaire des paupières est un muscle large, plat et mince, formé de fibres
concentriques disposées autour de la fente palpébrale.
Il comporte une partie
palpébrale et une partie orbitaire.
G - Voies lacrymales :
Les voies lacrymales commencent sur le bord libre des paupières aux points
lacrymaux.
Les conduits ou canalicules lacrymaux font suite aux points
lacrymaux et s’abouchent au sac lacrymal par le canal d’union.
Le sac
lacrymal, situé dans la gouttière lacrymale, se continue par le canal lacrymonasal qui s’abouche dans le méat inférieur de la fosse nasale.
H - Innervation oculaire :
Les nerfs crâniens II à VII innervent l’oeil et ses annexes et assurent la vue, la
motricité, la sensibilité et le contrôle nerveux végétatif.
1- Nerf optique
:
Le nerf optique est entouré par une extension extracrânienne des espaces
sous-arachnoïdiens.
Il a environ 5 cmde long. Dans l’orbite, le nerf optique a
un trajet sinueux pour permettre les mouvements du globe, sans
compromettre sa fonction.
2-
Nerfs des muscles extrinsèques :
Les nerfs moteurs des muscles droits et du petit oblique ont un trajet intraconique.
Au contraire, le nerf trochléaire ou pathétique (IV) est à
l’extérieur du cône, et pénètre le corps musculaire du grand oblique au niveau
de sa face supérolatérale.
Cette différence anatomique explique que lors d’un
bloc rétrobulbaire avec un volume faible d’anesthésique local, le grand
oblique ne soit pas bloqué, ou de façon retardée.
3- Nerf trijumeau
:
Le nerf trijumeau, surtout par sa branche ophtalmique, est le nerf sensitif de
l’oeil et de ses annexes.
Avant son entrée dans l’orbite, le nerf
ophtalmique se divise en trois : les nerfs nasal ou nasociliaire, lacrymal et
frontal.
4- Ganglion ciliaire :
Le ganglion ciliaire ou ophtalmique est situé à 1 cm de la pointe de l’orbite et
à 1,5 cm en arrière du pôle postérieur du globe.
Il se place entre le nerf optique
et l’artère ophtalmique en dedans et le muscle droit externe en dehors.
C’est
un ganglion périphérique du système parasympathique.
De sa partie
antérieure émergent huit à dix branches appelées nerfs ciliaires courts.
Sa
partie postérieure reçoit trois racines : motrice ou parasympathique, sensitive
et sympathique.
La racine parasympathique provient du III par l’intermédiaire
du nerf du petit oblique ; les fibres sont préganglionnaires et font relais dans
le ganglion ciliaire.
La racine sensitive provient du nerf nasociliaire et
transmet la sensibilité du globe.
La racine sympathique contient des fibres postganglionnaires provenant du ganglion cervical supérieur qui cheminent
dans le plexus entourant la carotide interne.
Ils traversent le ganglion ciliaire
sans faire relais et atteignent le globe par les nerfs ciliaires courts.
5- Nerf facial
:
Le nerf temporal et le nerf zygomatique, branches terminales du nerf facial,
innervent la peau du front, les muscles du sourcil et l’orbiculaire des
paupières.
6- Innervation sympathique et parasympathique :
Le parasympathique intervient dans l’accommodation, le myosis et la
sécrétion lacrymale.
La stimulation sympathique entraîne une mydriase.
I - Vascularisation :
Les vaisseaux intraorbitaires présentent des variations individuelles
importantes, surtout pour les artères, le trajet des veines étant plus constant.
Schématiquement, les artères sont situées dans le cône musculaire près du
sommet de l’orbite et dans la partie supérieure de l’orbite en avant.
Les veines
sont localisées en périphérie et en dehors du cône musculaire.
Au
contraire d’autres organes, les veines n’accompagnent pas les artères au
niveau de l’orbite.
Pour la pratique de l’anesthésie locorégionale, il est
important de retenir que la vascularisation est dense dans la partie postérieure
de l’orbite, alors qu’elle l’est moins en avant et en dehors ; à ce niveau les
vaisseaux sont internes.
1- Artères :
L’artère ophtalmique, branche de la carotide interne, pénètre dans l’orbite
avec le nerf optique par le canal optique.
Elle croise la face externe du nerf
optique à 5 ou 10 mm en avant du trou optique, puis elle longe la face
supérieure de ce nerf jusqu’à la base de l’orbite.
Dans 20 % des cas, l’artère
ophtalmique est en dessous du nerf optique.
L’artère centrale de la rétine est
une branche de l’artère ophtalmique ; elle perce le manchon dure-mérien du
nerf optique, habituellement à 1,25 cm du pôle postérieur du globe.
2- Veines
:
La veine ophtalmique supérieure, la plus importante, et dont le trajet est
relativement constant, émerge de la partie interne de la paupière supérieure.
Après un trajet intraconique, elle se draine dans le sinus caverneux comme la
veine centrale de la rétine.
La veine ophtalmique inférieure quitte l’orbite par
la partie inférieure de la fente sphénoïdale.
Physiologie de la pression intraoculaire
:
La pression intraoculaire (PIO) est définie comme la pression exercée par le
contenu du globe sur sa paroi.
La PIO normale varie de 10 à 20 mmHg, avec
des variations diurnes de 2 à 3 mmHg.
Cette valeur de PIO maintient la forme
du globe et les propriétés optiques des surfaces de réfraction.
Une
augmentation permanente de la PIO, comme c’est le cas lors du glaucome,
compromet la vision par ischémie du nerf optique.
La PIO est mesurée par
diverses techniques, la tonométrie à aplanissement (tonomètre de Goldmann
ou de Perkins) étant le plus couramment utilisée.
La PIO dépend de trois
facteurs :
– le volume et la compliance des structures intraoculaires liquidiennes,
essentiellement humeur aqueuse, corps vitré et volume sanguin choroïdien ;
– la compliance de la sclère ;
– la pression extrinsèque exercée sur les parois du globe par les muscles
oculaires et l’orbiculaire des paupières.
Dans les conditions physiologiques, le rôle essentiel de régulation de la PIO
est joué par l’humeur aqueuse et sa circulation.
A - Formation et drainage de l’humeur aqueuse
:
L’humeur aqueuse est un liquide pratiquement dépourvu de protéines.
Son
volume moyen est de 0,30 mL.
Elle est formée par ultrafiltration plasmatique
(20 %) et par sécrétion active (80 %) au niveau de l’épithélium ciliaire.
La sécrétion s’effectue au niveau des cellules épithéliales des procès ciliaires qui
contiennent des enzymes, cytochrome oxydase et anhydrase carbonique, qui
assurent le transport actif des ions à travers la barrière hématoaqueuse.
L’humeur aqueuse, formée au niveau de la chambre postérieure, passe par la
pupille vers la chambre antérieure et par un flux centrifuge atteint l’angle iridocornéen où elle traverse le maillage trabéculaire pour pénétrer le canal
de Schlemm.
Après passage dans le canal de Schlemm, l’humeur
aqueuse est reprise par des veines qui se drainent dans les veines épisclérales.
L’équilibre entre sécrétion et absorption est complexe et influencé par de
nombreux facteurs.
Il peut être rompu par des facteurs mécaniques,
hormonaux, nerveux et médicamenteux.
Le blocage mécanique de l’angle iridocornéen par la racine de l’iris induit un glaucome aigu.
Celui-ci peut être
déclenché par une dilatation de la pupille qui refoule l’iris vers l’avant.
Les
agents parasympathomimétiques, comme la pilocarpine et l’ésérine,
diminuent la PIO par un effet mécanique (myosis) sur la racine de l’iris et
peut-être par une action sur le trabéculum.
Les bêtabloquants administrés en
collyre diminuent la PIO en agissant à la fois sur les vaisseaux des procès
ciliaires et sur le muscle ciliaire.
L’acétazolamide (Diamoxt), par voie
générale, et le dorzolamide (Trusoptt) en collyre, diminuent la sécrétion de
l’humeur aqueuse par blocage de l’anhydrase carbonique.
B - Variations de la pression intraoculaire :
1- Facteurs physiologiques :
Dans les variations de la PIO, les facteurs qui modifient le volume
intraoculaire sont prépondérants.
Le corps vitré est un gel aqueux
dont les modifications de volume sur une période courte sont faibles.
Les
facteurs les plus importants sont l’humeur aqueuse et le volume sanguin
choroïdien.
Le rôle de l’humeur aqueuse a été évoqué ci-dessus.
Le volume
sanguin choroïdien varie surtout avec la pression veineuse centrale.
L’influence de la pression artérielle est faible car le débit sanguin de l’artère
ophtalmique bénéficie d’une autorégulation.
Ainsi, chez le chat, des
variations de la pression artérielle entre 25 et 215 mmHg ne modifient que
peu le volume sanguin choroïdien et donc la PIO.
L’influence de la
pression veineuse centrale est plus nette.
Son augmentation entraîne une
congestion des veines choroïdiennes et une réduction du drainage par les
veines épisclérales dont le résultat est une augmentation de la PIO.
L’hypercapnie, en dilatant les veines choroïdiennes, augmente la PIO.
L’hypoxémie augmente la PIO, mais a un effet moindre que l’hypercapnie.
Cependant, les variations de PaCO2 et de PaO2 habituellement observées en
anesthésie n’ont qu’un effet modéré sur la PIO.
Le clignement des paupières
et la fermeture forcée des paupières peuvent élever la PIO jusqu’à 70 mmHg.
2- Facteurs chirurgicaux et anesthésiques :
Les traités classiques ont insisté sur la prévention des facteurs qui, au cours
de l’anesthésie et de la chirurgie, augmentaient la PIO.
L’augmentation de la PIO doit surtout être évitée lors de la chirurgie à globe ouvert, dont la
fréquence se réduit avec la généralisation de la phacoémulsification pour la
chirurgie de la cataracte.
En effet, par définition, la notion de PIO ne
s’applique que si le globe est fermé.
Lors de l’ouverture chirurgicale ou
traumatique du globe, la PIO s’équilibre avec la pression atmosphérique.
Dans ce cas, lorsque le volume du contenu intraoculaire augmente, une
extrusion du contenu oculaire (prolapsus de l’iris et du cristallin, issue de
vitré) par l’incision chirurgicale ou la plaie peut se produire.
La forme la plus
grave de cette complication peropératoire est l’hémorragie expulsive, qui est
une hémorragie sous-choroïdienne dont la poussée vers l’avant entraîne une
expulsion du contenu oculaire à travers l’incision sclérale.
3-
Facteurs chirurgicaux :
De nombreux facteurs chirurgicaux peuvent augmenter la PIO et ces
variations sont souvent nettement plus importantes que celles induites par
l’anesthésie.
L’irrigation intraoculaire avec un soluté électrolytique élève la PIO, la variation dépendant de la hauteur de la colonne de perfusion.
Ainsi,
lors de la phacoémulsification, la PIO moyenne est de 30 mmHg.
Dans la
chirurgie du segment postérieur, les manipulations du globe induisent des
augmentations importantes de la PIO.
En période postopératoire, les
reliquats de substances viscoélastiques dans la chambre antérieure par
blocage du trabéculum ou la présence de gaz expansifs (SF6, C2F6, C3F8) au
niveau du vitré sont des facteurs d’augmentation de la PIO.
4- Facteurs anesthésiques :
L’anesthésie peut influencer la PIO par des facteurs directs (médicaments
anesthésiques) ou indirects (intubation, ventilation).
Chez les patients à PIO
normale et chez ceux à PIO élevée, à l’exception de la kétamine, tous les
anesthésiques intraveineux et par inhalation diminuent la
PIO.
La diminution de la PIO est en moyenne de 20 à 30 %,
soit 3 à 6 mmHg.
Cette réduction de la PIO est due, soit à un effet direct
(réduction de la sécrétion ou augmentation de la réabsorption de l’humeur
aqueuse, diminution du volume sanguin choroïdien), soit à un effet indirect
par action sur des facteurs aussi divers que le tonus des muscles extrinsèques,
le tonus sympathique et la vasomotricité, la pression veineuse centrale, le
sommeil anesthésique et l’influence du système nerveux central sur la PIO.
Pour la plupart des anesthésiques, les effets indirects sont prépondérants.
Cependant, il est possible que les mécanismes de réduction de la PIO soient
légèrement différents selon les médicaments.
Par exemple, il a été montré que
l’halothane réduisait le débit sanguin choroïdien, et que le propofol diminuait
la production d’humeur aqueuse.
L’importance de la diminution de la PIO
est en partie liée à la profondeur de l’anesthésie.
La kétamine augmente la
PIO. Cependant, cette augmentation est modérée et la PIO se normalise avant
le début de l’acte opératoire.
La kétamine n’a plus d’indications en dehors de
l’anesthésie de l’enfant qui doit subir un examen ophtalmologique.
Les morphiniques ne modifient pas ou diminuent légèrement la PIO.
Les
curares non dépolarisants diminuent la PIO. La succinylcholine augmente la
PIO, en moyenne de 8 mmHg et cette augmentation dure de 5 à 10 minutes.
L’antagonisation des curares ne modifie pas la PIO.
Dans la
pratique clinique, l’effet des médicaments de l’anesthésie sur la PIO n’est pas
un critère essentiel dans leur choix.
En effet, les mesures des variations de la PIO sont faites chez des patients à PIO normale et la diminution de quelques
mmHg de la PIO n’a aucune incidence sur les conditions opératoires.
La laryngoscopie et l’intubation trachéale augmentent la PIO pendant
quelques minutes.
Cette augmentation est moindre lors de la mise en place
d’un masque laryngé.
Par l’intermédiaire d’une variation de la pression
veineuse centrale, la position modifie la PIO.
Celle-ci augmente en position
de Trendelenburg et diminue en proclive.
L’injection de l’anesthésique local lors d’un bloc rétrobulbaire ou
péribulbaire augmente la PIO, des valeurs supérieures à 40 mmHg pouvant
être mesurées.
La PIO se normalise en quelques minutes par diffusion de
l’anesthésique local.
Cette diffusion est favorisée par l’application d’une
compression oculaire.
En période postopératoire, des augmentations transitoires de la PIO,
atteignant 40 mmHg, sont observées lors des efforts de toux, et lors des
nausées et des vomissements.
Ces variations n’ont aucun effet néfaste pour
l’oeil intact car elles sont amorties par les changements du volume de l’humeur
aqueuse.
Réflexe oculocardiaque
:
Le réflexe oculocardiaque (ROC) a été décrit en 1908 parAschner et Dagnini.
Il désigne la bradycardie et les signes cliniques associés survenant lors de la
stimulation des structures intraorbitaires.
Ce réflexe est surtout
déclenché par la traction sur les muscles oculaires extrinsèques, par la
compression du globe, et par l’augmentation de la pression intraorbitaire.
Le
ROC s’apparente à d’autres réflexes à point de départ céphalique, comme le
réflexe oculorespiratoire, le réflexe blépharocardiaque (déclenché par une
traction sur les muscles palpébraux), le réflexe trigéminovagal et le réflexe de
plongée (diving reflex).
L’arc réflexe du ROC comporte les voies nerveuses suivantes :
récepteurs périphériques de type mécanorécepteurs et stretch récepteurs
situés au niveau du contenu orbitaire, fibres afférentes qui empruntent les
nerfs ciliaires courts et longs, le ganglion ciliaire, la branche ophtalmique du
nerf trijumeau, le ganglion de Gasser, et qui se terminent au niveau du noyau
sensitif du trijumeau.
À partir de ce noyau, des fibres internucléaires de la
substance réticulée se projettent sur le noyau moteur du pneumogastrique.
Les
fibres efférentes cheminent par le nerf vague et atteignent les récepteurs muscariniques des organes périphériques comme le coeur.
La durée du ROC dépendrait en partie du type de facteur déclenchant.
Ainsi,
si le ROC est lié à la traction sur les muscles extrinsèques, sa durée est brève.
S’il est dû à la stimulation de structures intraorbitaires, il peut être plus
prolongé.
Le ROC est un réflexe épuisable, puisque la répétition des
stimulations s’accompagne d’une atténuation des réponses induites.
Le ROC est surtout observé lors de la chirurgie du strabisme et de la chirurgie vitréorétinienne.
Une traction douce et progressive sur les muscles
extrinsèques réduit sa fréquence de survenue.
Le ROC peut aussi être
déclenché par la stimulation d’une orbite vide, par la constitution d’un
hématome rétro-orbitaire ou par l’hypertension intraorbitaire induite par une
anesthésie rétro- ou péribulbaire, surtout si l’injection est rapide.
D’une
manière générale, le ROC peut être noté lors de toute augmentation de la
pression intraorbitaire ou intraoculaire.
Ainsi, en phase
postopératoire, une augmentation de la PIO peut déclencher le ROC.
Il est
aussi favorisé par le jeune âge, l’anxiété, l’hypercapnie et un traitement par
bêtabloquants.
Les médicaments anesthésiques qui entraînent une
bradycardie favorisent le ROC.
Ainsi, il est plus fréquent avec un protocole
anesthésique associant propofol, morphinique et vécuronium.
Sa
fréquence est réduite par le bloc rétro- ou péribulbaire.
Le contact de l’oeil
avec une solution froide peut déclencher le ROC.
Le ROC n’est pas plus
fréquent chez des patients ayant constitutionnellement un tonus vagal
augmenté.
Le ROC se traduit par une bradycardie sinusale transitoire.
Le rythme
cardiaque est inférieur à 50, voire 30 b×min–1 ; une asystole transitoire peut
s’observer.
La bradycardie est maximale environ 5 secondes après le début
de la traction musculaire.
En principe, il y a toujours un échappement vagal,
et un arrêt cardiaque qui persiste doit faire rechercher une autre cause.
Si la
traction musculaire est maintenue, la fréquence cardiaque peut se réaccélérer.
À l’arrêt brusque de la traction, la fréquence cardiaque augmente encore.
Le
ROC pourrait donc comporter une phase cholinergique initiale et une phase
adrénergique secondaire de contre-réaction, qui correspondrait à
l’échappement vagal.
D’autres troubles du rythme peuvent s’observer, tels
des extrasystoles, un bigéminisme, un rythme jonctionnel ou un bloc
auriculoventriculaire.
Les autres symptômes, malaise, nausées et
vomissements, douleurs abdominales, vasoconstriction, sudation et hypersialorrhée sont moins fréquents.
Une prémédication comportant des médicaments vagolytiques ne prévient
pas complètement le ROC.
L’atropine est partiellement efficace par voie
intramusculaire, mais il faut des doses qui accélèrent la fréquence cardiaque,
soit 10 à 15 μg×kg–1.
À ces doses, les effets secondaires de l’atropine étant
fréquents, une prémédication systématique par l’atropine dans le but de
prévenir le ROC n’est pas recommandée.
L’atropine est plus efficace que le glycopyrrolate.
L’effet préventif de l’atropine est plus constant si
l’injection est intraveineuse.
L’effet de l’atropine est maximal 80 secondes
après son injection.
Cependant, le ROC étant de survenue variable et n’ayant
pas de caractère de gravité, il ne justifie pas une injection systématique
d’atropine avant le début de la stimulation chirurgicale.
La fréquence duROC
peut être réduite par différents moyens. Le plus simple est la douceur des
manipulations chirurgicales.
Lorsque la fréquence cardiaque est inférieure à
40-45 b×min–1, et que la bradycardie persiste malgré l’arrêt des manipulations
chirurgicales, l’injection intraveineuse de 10 à 15 μg×kg–1 d’atropine est
justifiée. Lorsque l’atropine est injectée à l’acmé du ROC elle peut,
paradoxalement, déclencher des troubles du rythme cardiaque.
Lors de la
chirurgie du strabisme chez l’enfant, l’injection sous-conjonctivale de
lidocaïne, notamment à proximité du muscle droit interne, prévient le
ROC.
Le réflexe oculorespiratoire est un autre réflexe déclenché par la stimulation
oculaire et qui se traduit par une bradypnée, un rythme ventilatoire irrégulier,
et parfois une apnée.
Ce réflexe a les mêmes voies afférentes que le ROC,
mais le stimulus est projeté sur les centres respiratoires (centre pneumotaxique et centres bulbaires) et les voies efférentes empruntent le nerf
phrénique et les autres nerfs des muscles respiratoires.