Anémies dysérythropoïétiques congénitales Cours
d'hématologie
Introduction
:
Le terme de « kongenital dyserythropietische Anämie » ou anémie
dysérythropoïétique congénitale (CDA), fut créé par F Wendt et
H Heimpel en 1967.
Un an plus tard, les mêmes auteurs établirent
une classification partielle des CDA.
CDA désigne aujourd’hui
un groupe d’affections génétiques dans lesquelles l’érythropoïèse est
qualitativement et quantitativement anormale.
Nous verrons
principalement les CDA I et II, qui sont les moins rares et les mieux
connues, et ne ferons que mentionner les autres CDA.
Beaucoup
d’érythroblastes présentent des anomalies morphologiques, et ceux
d’entre eux qui néanmoins arrivent à maturité sont en nombre
insuffisant.
Les hématies correspondantes présentent elles-mêmes
des anomalies.
Les CDA associent donc un déficit de production des
globules rouges et une accélération de leur destruction, donc une
anémie d’origine centrale et périphérique à la fois, celle-ci étant
moindre toutefois que celle-là.
L’examen au microscope optique et
électronique de la moelle a longtemps été, et demeure dans une
large mesure, la pierre angulaire du diagnostic.
Cependant, des
anomalies morphologiques spécifiques, affectant les érythrocytes
eux-mêmes, permettent de reconnaître les CDA I et II de façon
moins invasive et avec une fiabilité comparable.
L’identification des
gènes responsables, attendue dans un futur proche, devrait ouvrir
encore une autre voie diagnostique.
La connaissance des protéines
défectueuses est le passage obligé de la compréhension des
désordres moléculaires sous-jacents.
Nul doute que de nouveaux
pans de l’érythropoïèse normale seront mis à jour à cette occasion.
Anémie dysérythropoïétique
congénitale de type I
:
A - MODE DE TRANSMISSION ET INCIDENCE :
La CDA I a une transmission autosomique récessive.
Son incidence
est faible mais, faute de répertoires internationaux solidement
établis, difficile à connaître avec précision.
Heimpel fait état de 77
familles.
Wickramasinghe mentionne 70 « cas sporadiques ».
En France, nous avons recruté 12 familles.
Un isolat génétique a été
trouvé parmi des bédouins vivant dans le désert du Néguev et
présentant un degré élevé de consanguinité, avec plus de
25 personnes atteintes.
Un cas de CDA I a été rapporté dans la
population polynésienne française, encore que l’allèle pathogène en
cause ait pu être introduit par les Européens (Roda et al, résultats
non publiés).
Beaucoup reste à faire pour établir la fréquence réelle
de la maladie et sa distribution au sein de différentes populations.
B - PHÉNOTYPE CLINIQUE ET BIOLOGIQUE COMMUN :
Nous prendrons pour type de description un cas de sévérité
moyenne, éventualité la plus fréquente.
L’âge de découverte se situe
dans la première décennie.
L’anémie est modérée et associée à un subictère intermittent, une splénomégalie et, parfois, une
hépatomégalie.
L’anémie reste au-dessus du seuil transfusionnel. Le
compte des réticulocytes est normal ou diminué.
Il existe une
tendance vers la macrocytose et une anisocytose prononcée :
elliptocytes, poïkilocytes avec de nombreux dacryocytes.
Les
anomalies morphologiques sont associées à une discrète réduction
de la protéine 4.1 lors de l’électrophorèse des protéines de la
membrane érythrocytaire.
Ce stigmate
biochimique est un phénomène secondaire, mais remarquable par
sa constance et donc de grande valeur diagnostique.
La bilirubinémie est augmentée et l’haptoglobinémie diminuée.
La ferritinémie est accrue. Une augmentation de l’hémoglobine A2 et
du rapport (a/non-a) de synthèse des chaînes de la globine in vitro
a été rapportée.
Il s’agit là encore de phénomènes secondaires.
L’évolution de la CDA I est marquée par des complications biliaires.
Il est utile, à cet égard, de rechercher, dans le promoteur du gène
codant la bilirubine UDP-glucuronosyltransférase 1, le
polymorphisme A(AT7)TAA, associé à la maladie de Gilbert.
Mais
c’est la surcharge martiale qui représente la menace principale.
Il
convient de rechercher des polymorphismes du gène HFE associés à
l’hémochromatose primitive.
En microscopie optique, la moelle présente une hyperplasie érythroïde et des érythroblastes morphologiquement anormaux.
Le
cytoplasme de ces derniers peut contenir des ponctuations
basophiles.
Leur noyau est parfois irrégulier ou caryorrhectique.
Un
nombre anormal d’érythroblastes possède deux noyaux, de taille
inégale, voire trois ou quatre.
Quelquefois, les noyaux de deux
érythroblastes séparés restent reliés par un filament plus ou moins
ténu et long de chromatine.
C’est un aspect très
caractéristique.
En microscopie électronique, la chromatine prend un
aspect spongieux, connu sous le nom de Swiss cheese.
L’enveloppe
nucléaire présente des invaginations, permettant l’intrusion dans la
région nucléaire de cytoplasme et d’organelles cytoplasmiques
(mitochondries chargées de fer, vacuoles autophagiques).
C - FORMES SÉVÈRES
:
Les formes sévères se manifestent dès la naissance, et parfois
pendant la vie intra-utérine.
Avant la naissance, des
transfusions intra-utérines peuvent s’avérer nécessaires.
Après la
naissance, les transfusions s’imposent parfois à un rythme
rapproché, faisant de la surcharge martiale un problème rapidement
préoccupant, qui domine le pronostic.
Dans certains cas, une
hypertension pulmonaire a été décrite chez le nouveau-né.
Shalev
et al ont suggéré que soit évoqué le diagnostic de CDA I en face
d’une hypertension pulmonaire chez le nouveau-né.
D - DYSMORPHOLOGIES :
Des dysmorphologies peuvent être associées aux manifestations
hématologiques, sans relation avec la gravité de celles-ci, au point
que les enfants sont parfois orientés d’abord vers des unités de
dysmorphologie.
On rencontre, selon des combinaisons variables
et à des degrés divers, une petite stature, une syndactylie des doigts
et/ou des orteils (impliquant, particulièrement, les troisième et
quatrième orteils), l’hypoplasie ou l’absence d’un ou plusieurs
ongles ou d’une ou plusieurs phalanges, l’existence d’un métatarsien
supplémentaire ou d’un pied bot.
On peut aussi observer des yeux
bleus en forme d’amande, un hypertélorisme, un micrognathisme,
une grande bouche avec une lèvre inférieure épaisse, de longues
oreilles et des cheveux blonds.
Cette liste n’est pas exhaustive.
On spécule sur le fait que des anomalies dysmorphologiques
analogues, quoique différentes, surviennent également dans
l’anémie de Blackfan-Diamond et l’anémie de Fanconi.
E - ASSOCIATION SINGULIÈRE :
Dans une famille française, un syndrome des gènes contigus a été
trouvé, qui associe une CDA I, une surdité et une azoospermie.
On suppose que la délétion au niveau de l’acide désoxyribonucléique
(ADN) génomique, non visible par les méthodes de la
cytogénétique, a emporté le gène responsable de la CDA I, ou s’est
produite à proximité.
F - GÉNÉTIQUE MOLÉCULAIRE :
Vingt-quatre personnes atteintes de CDA I, appartenant à quatre
grandes familles de bédouins, ainsi que les apparentés
sains, permirent, grâce à la méthode de cartographie de
l’homozygotie, de localiser le gène responsable de la CDA I en
15q15.2-15.3.
L’étude reposa sur 14 marqueurs couvrant un
intervalle de 12 centimorgans.
Des recombinaisons génétiques
rétrécirent l’intervalle d’intérêt à moins de 1 centimorgan, entre les
marqueurs D15S779 et D15S778. Utilisant quatre marqueurs, Hodges
et al ont haplotypé six patients anglais non apparentés et deux
patients libanais apparentés.
Ceux-ci présentaient le même haplotype, alors que ceux-là avaient des haplotypes tous différents.
G - TRAITEMENT :
Pendant longtemps, le traitement de la CDA I fut limité à des
mesures symptomatiques : transfusions, traitement chélateur du fer,
cholécystectomie.
La splénectomie a des résultats contrastés, ce
qui s’accorde avec la prédominance de la composante centrale de
l’anémie.
L’utilisation de l’érythropoïétine recombinante n’a pas
d’effet.
Après une découverte fortuite et une série d’essais
(Roda et al, résultats non publiés), l’utilisation de
l’interféron a s’est avérée utile pour réduire l’anémie dans les formes
graves.
En général, il fait disparaître, ou presque, les besoins
transfusionnels.
La posologie est mal établie.
Par exemple, Parez et
al utilisent 1 million d’unités trois fois par semaine dans un
traitement institué au cours de la deuxième année de vie.
Roda et al
(résultats non publiés) fixent la dose à 3 millions d’unités trois fois
par semaine dans une thérapeutique instituée lors de la quinzième
année.
Néanmoins, le traitement doit être réduit, eu égard aux
complications, notamment neurologiques, générées par
l’administration d’interféron a au long cours.
La diminution posologique se fait « à vue », sur la base des données hématologiques.
Anémie dysérythropoïétique
congénitale de type II :
Après la description princeps de l’anémie dysérythropoïétique
congénitale de type II (CDA II) par Heimpel et Wendt,
Crookston et al ajoutèrent deux éléments à la présentation
biologique de cette affection : la positivité du test d’hémolyse par
certains sérums en milieu acidifié, et l’agglutination par des sérums
anti-antigène i.
Le premier caractère confère à la maladie l’acronyme HEMPAS (hereditary erythroblastic multinuclearity with positive
acidified serum), qui aujourd’hui tombe en désuétude.
A - MODE DE TRANSMISSION ET INCIDENCE :
La CDA II a un mode de transmission récessif strict.
Son incidence
est faible mais, de nouveau, faute de répertoires internationaux
disponibles, difficile à connaître avec précision.
Seuls Iolascon et
al ont établi un registre documenté de façon systématique.
Il porte
sur 44 familles italiennes et 20 familles non italiennes (originaires
d’Europe [en dehors de l’Italie], d’Asie, d’Amérique du Nord et de Nouvelle-Zélande).
La fréquence inhabituellement élevée de la CDA
II en Italie du Sud semble refléter un effet fondateur, suivi par une
période d’endogamie, avant que ne surviennent les migrations vers
le nord du pays.
Néanmoins, il n’a pas été possible de reconnaître
un haplotype commun aux patients italiens, vraisemblablement à
cause de recombinaisons génétiques qui ont eu le temps de se
produire.
En France, l’incidence de la CDA II semble plus faible
encore que celle de la CDA I.
Nous avons identifié un cas dans la
population polynésienne (Roda et al, résultats non publiés), mais
nous ne pouvons exclure que l’allèle responsable ait été apporté par
les Européens.
B - PHÉNOTYPE CLINIQUE ET BIOLOGIQUE COMMUN :
La CDA II a une présentation clinique assez homogène, de gravité
modérée.
Cependant, un petit nombre de cas sont graves : nous les
envisageons à part.
Dans la forme commune, l’âge de la découverte
se situe en règle au cours de la première décennie.
L’anémie est
modérée et associée à un subictère intermittent, une splénomégalie,
et parfois une hépatomégalie.
L’anémie reste au-dessus du seuil
transfusionnel.
Le compte des réticulocytes est normal ou diminué.
La bilirubinémie est accrue et l’haptoglobinémie diminuée.
La ferritinémie est augmentée. L’électrophorèse des protéines de la
membrane érythrocytaire montre des anomalies flagrantes et
spécifiques, dont la recherche tend à remplacer la recherche d’une
lyse en milieu acidifié.
La première anomalie a trait à l’échangeur
des anions 1 (AE1, souvent appelé bande 3).
Cette glycoprotéine
présente un aspect rétréci et une migration accélérée vers l’anode,
témoin de son hypoglycosylation.
La deuxième anomalie
consiste en la présence, bien mise en évidence après western blot, de
protéines du réticulum endoplasmique : une glucose-regulated protein
(GRP 78) (74 kDa), une protein disulphide isomerase (59 kDa) et la
calréticuline (58 kDa).
Il s’agit de la traduction biochimique
de l’accolement de membranes à la membrane érythrocytaire,
comme nous le verrons plus loin.
En pratique, les deux anomalies
citées représentent une aide décisive au diagnostic.
L’évolution de la CDA II est marquée par des complications biliaires.
Il est utile, à cet égard, de rechercher dans le promoteur du gène
codant la bilirubine UDP-glucuronosyltransférase 1, le
polymorphisme A(AT7)TAA, associé à la maladie de Gilbert.
Les
patients présentant une maladie de Gilbert ont 4,75 plus de chances
de développer des complications biliaires que ceux qui en sont
dépourvus.
Mais c’est la surcharge martiale qui représente la
principale menace.
Fargion et al ont décrit un cas d’hémochromatose
primitive (homozygotie pour la mutation C282Y) chez une jeune
patiente, associée à une CDA II : la CDA II joue le rôle d’un
facteur aggravant de la surcharge martiale.
Il convient donc de
rechercher des polymorphismes du gène HFE, associés à
l’hémochromatose primitive.
Des tumeurs médiastinales
postérieures et des infections parvovirales ont été décrites,
mais avec une fréquence bien moindre que dans certaines anémies
hémolytiques.
En microscopie optique, la moelle présente une hyperplasie érythroïde (la proportion d’érythroblastes est augmentée de cinq à
dix fois).
Les érythroblastes matures sont sensiblement normaux,
mais 10 à 40 % d’érythroblastes matures (polychromatophiles et
acidophiles) sont bi- ou multinucléés.
Dans les érythroblastes
binucléés, les noyaux ont une taille à peu près équivalente.
Il existe
des cellules ressemblant à des cellules de Gaucher.
En microscopie
électronique, le caractère le plus marquant, et qui est hautement
spécifique, est l’accolement, le long de la face interne de la
membrane plasmique, de vésicules allongées.
Il s’agit de
vésicules du réticulum endoplasmique.
Leur copurification avec la
membrane érythrocytaire rend compte des protéines
supplémentaires apparaissant sur le profil électrophorétique des
protéines de cette dernière.
C - FORMES EXTRÊMES :
Il existe des formes sévères. Les manifestations sont flagrantes dès
la naissance et les transfusions doivent être mises en place aussitôt.
La surcharge martiale devient rapidement préoccupante. Une étude érythrocinétique est motivée dans de tels cas, afin de déterminer
l’importance de la séquestration splénique et d’envisager, le cas
échéant, une splénectomie.
À l’inverse, nous avons observé, dans une fratrie comportant trois
cas de CDA II avec un haplotype documenté, une personne
présentant le même haplotype que les membres atteints, mais
dépourvue de tout symptôme, y compris en microscopie
électronique et à l’électrophorèse des protéines de la membrane
érythrocytaire.
Nous n’avons pu identifier la nature du facteur
suppresseur mis en cause.
D - GÉNÉTIQUE MOLÉCULAIRE :
Le gène candidat de la CDA II se situe en 20q11.2.
Néanmoins, il
semblerait que 10 % des cas de CDA II ne soient pas reliés à ce
gène. Le dysfonctionnement moléculaire de la CDA II n’est pas
connu.
On a cru qu’il s’agissait d’un trouble de la glycosylation, au
vu de l’hypoglycosylation de l’échangeur des anions, mais aussi
de l’hyperglycosylation de certains glycolipides neutres.
Néanmoins, plusieurs gènes du métabolisme de glucides ont été
éliminés par analyse de liaison.
E - TRAITEMENT :
Le traitement de la CDA II reste symptomatique : transfusions dans
les cas graves, traitement des complications biliaires et de la
surcharge martiale.
Comme pour la CDA I, la question de la
splénectomie est en suspens, car l’anémie d’origine périphérique
cède le pas à l’anémie d’origine centrale.
Se fondant sur une étude
statistique, Iolascon et al montrèrent que la splénectomie
entraînait une élévation de l’hémoglobine et une diminution de la
bilirubinémie, toutes deux significatives.
Dans les formes graves, la
splénectomie est susceptible d’avoir un impact notable.
La
transplantation médullaire est envisagée en dernier recours.
Autres anémies dysérythropoïétiques
congénitales
:
A - ANÉMIE DYSÉRYTHROPOÏÉTIQUE CONGÉNITALE
DE TYPE III :
L’anémie dysérythropoïétique congénitale de type III, ou CDA III,
n’a été décrite que dans un nombre de familles inférieur à dix, et à notre connaissance, jamais en France.
Son intérêt provient du fait
qu’une famille suédoise très nombreuse en a permis une
caractérisation documentée.
La CDA III est cliniquement bien tolérée
et la splénomégalie inconstante.
L’anémie n’entraîne pas de besoins
transfusionnels.
Il n’y a pas de macrocytose.
Les données
biologiques de routine s’inscrivent dans la même mouvance que ce
qui a été présenté ci-dessus.
Toutefois, de façon originale, on observe
une augmentation de la thymidine kinase.
En microscopie optique, on constate une hyperplasie érythroïde
et des érythroblastes avec parfois un nombre spectaculaire de
noyaux (jusqu’à 12).
La microscopie électronique confirme la multinucléarité et montre des fissures dans l’hétérochromatine,
des vacuoles autophagiques et des mitochondries chargées de
fer.
La CDA III peut s’accompagner de troubles visuels, sous-tendus par
une dégénérescence maculaire et des traînées angioïdes, ainsi que
de myélome et de gammapathies monoclonales.
Le gène candidat de la CDA III a été localisé en 15q21-q25.
B - ANÉMIES DYSÉRYTHROPOÏÉTIQUES CONGÉNITALES
EN ATTENTE D’UNE MEILLEURE DÉFINITION
:
Enfin, nous ne faisons que mentionner les nombreux cas qui ont été
étiquetés anémies dysérythropoïétiques congénitales, mais dont
la classification est débutante et incertaine.
Il manque en particulier
toute donnée génétique.
Conclusion
:
Les anémies dysérythropoïétiques congénitales sont des maladies
génétiques rares.
Il est important de ne pas les confondre avec certaines
anémies hémolytiques constitutionnelles.
Si, dans l’ensemble, les
anémies dysérythropoïétiques congénitales présentent une gravité
modérée, il convient de prendre en charge, de façon régulière, la
surcharge en fer qui en représente la principale complication.
Mais il
existe des formes graves dont le traitement relève de services hautement
spécialisés.