L’hémogramme fait de façon systématique ou devant un
tableau clinique évoquant une anémie l’affirme sur un taux
d’hémoglobine inférieur à 13 g/dL chez l’homme, 12 g/dL
chez la femme et l’enfant de plus de 10 ans ; 11 g/dL chez
l’enfant de moins de 1 an, et de 10,5 g/dL chez la femme
enceinte durant le troisième trimestre.
Orientation diagnostique
:
La constatation d’une anémie diagnostiquée sur le chiffre
bas de l’hémoglobine justifie l’analyse de critères biologiques
caractéristiques de la lignée rouge :
– le taux des réticulocytes qui affirme le caractère central
ou périphérique de l’anémie ;
– le volume globulaire moyen (VGM) qui permet de séparer
les anémies microcytaires (VGM < 84 m3), des anémies
macrocytaires (VGM > 98 m3), des normocytaires (84 m3
< VGM < 98 m3).
La concentration corpusculaire moyenne en hémoglobine
(CCMH) permet de différencier l’hypochromie (CCMH <
32 %) de la normochromie (CCMH O 32 %).
Ainsi l’analyse de ces différentes constantes permettra de
séparer : les anémies microcytaires ou hypochromes ; les
anémies normocytaires/macrocytaires arégénératives ; les
anémies normocytaires/macrocytaires régénératives.
Anémies microcytaires
:
L’existence d’une microcytose traduit une anomalie de synthèse
de l’hémoblogine et dans la grande majorité des cas
est le reflet d’une anomalie d’utilisation du fer.
Ainsi le dosage du fer permettra de différencier : les anémies
microcytaires à fer bas (260 mg/100 mL chez la femme
et 270 mg/100 mL chez l’homme), des anémies microcytaires
à fer normal.
A - Anémies microcytaires hyposidérémiques :
Elles correspondent à deux situations : les anémies inflammatoires,
où le fer est stocké dans les macrophages sous
l’action des interleukines de l’inflammation IL6, TNF a;
les anémies par carence en fer.
1- Anémies inflammatoires
:
Leur diagnostic repose sur :le contexte clinique de la maladie
inflammatoire (collagénose, infection) ; le contexte biologique
de maladie inflammatoire : augmentation de la
vitesse de sédimentation, augmentation du fibrinogène, des
a 2-globulines, présence d’une thrombocytose ; le dosage
du fer bas avec une capacité de saturation de la sidérophiline
(CTS) basse (o 50 mmol/L) ; le dosage de la ferritine
normal ou élevé.
L’anémie n’est que le témoin de la maladie inflammatoire,
elle ne nécessite aucun traitement spécifique.
Elle nécessie
rarement des transfusions.
2- Anémie par carence martiale
:
• Biologiquement : elle associe un dosage du fer bas avec
une capacité de saturation de la sidérophiline augmentée
(> 60 mmol/L) et une ferritine basse : le dosage de la ferritine
est fiable et reproductible.
Il est le reflet exact de la
quantité de fer de l’organisme.
En cas d’association d’une
inflammation et d’une carence en fer, le taux de ferritine
augmente toujours pouvant marquer la carence en fer.
• Cliniquement : il faut rechercher une cause à la carence
en fer.
Cette recherche étiologique dépend de l’âge du
patient : chez la femme non ménopausée, il faut
rechercher en priorité une cause gynécologique ; chez
l’homme ou la femme ménopausée, il faut rechercher en
priorité une cause digestive, tumorale ou non tumorale ; on
recherchera en cas de négativité des investigations des
causes plus rares, et des facteurs favorisants.
– Causes plus rares : hémosidérinurie chronique des hémolyses
chroniques, parasitose (ankylostome), malabsorption (maladie coeliaque, absorption de terre), hémosidérose pulmonaire,
épistaxis récidivant (maladie de Rendu Osler),
maladie psychiatrique (anémie de Fergeol).
– Facteurs favorisants : troubles de l’hémostase (maladie
de Willebrand), dons de sang répétés.
3- Chez le nourrisson
:
La carence en fer est fréquente et est pratiquement toujours
due à une carence d’apport alimentaire.
La gémellité et la
carence en fer chez la mère sont des facteurs favorisants.
B - Anémies microcytaires normosidérémiques :
La normalité du fer sérique doit être contrôlée deux fois
avant de pouvoir affirmer la normalité du fer.
On doit évoquer deux pathologies : les thalassémies et les
anémies réfractaires.
1- Thalassémies
:
Non pas tant le tableau de la b-thalassémie majeure ou
maladie de Colley mais l’a ou la b-thalassémie mineure
ou hétérozygote.
• La b-thalassémie atteint le sujet du pourtour méditerranéen
et d’Asie du Sud-Est ; réalise au tableau de microcytose
isolée ou pseudo-polyglobulie microcytaire ; le
diagnostic repose sur électrophorèse de l’hémoglobine
objectivant une augmentation de l’hémoglobine A2 O
3,5 %.
• L’ a-thalassémie : atteint les sujets noirs et les sujets
d’Asie du Sud-Est ; réalise un tableau de microcytose isolée ou de pseudo-polyglobulie microcytaire ; l’électrophorèse
de l’hémoglobine est normale.
2- Anémie réfractaire
:
Il s’agit d’anémie réfractaire le plus souvent constitutionnelle
parfois acquise.
Le diagnostic repose sur la ponction sternale qui objective
des anomalies caractéristiques des érythroblastes.
Anémies normocytaires
ou macrocytaires non régénératives
:
Ce sont les plus fréquentes.
L’absence de régénération ou
l’insuffisance de régénération devant une anémie, se définit
par un chiffre de réticulocytes inférieur à 150 000/mm3.
Cette absence de régénération ne peut être affirmée que si
le phénomène ayant induit l’anémie évolue depuis plus
d’une semaine.
C’est le temps nécessaire pour que la moelle
produise un chiffre suffisant de réticulocytes.
Dans le doute,
on recontrôlera le chiffre des réticulocytes et l’on conduira
une double enquête étiologique : celle d’une anémie normocytaire
non régénérative et celle d’une anémie normocytaire
régénérative.
En dehors de cette circonstance, le caractère arégénératif
témoigne du caractère central de l’anémie.
Cette atteinte
centrale peut être secondaire à une pathologie extrahématologique
ou due à une pathologie médullaire.
A - Anémie normochrome,
macrocytaire non régénérative
due à une pathologie extramédullaire :
1- Anémie due à une insuffisance rénale
:
Due à l’absence de production d’érythropoïétine.
L’intensité
est proportionnelle à l’insuffisance rénale mesurée par
le taux sanguin de créatinine.
2- Anémie au cours
des insuffisances endocrines :
De nombreuses pathologies endocrines s’accompagnent
d’une anémie non régénérative.
Thyroïdienne (hypo- ou hyperthyroïdie), insuffisance surrénalienne,
hypogonadisme, hyperparathyroïdisme, hypopituitarisme.
3- Anémie et alcoolisme
:
L’intoxication alcoolique peut par de multiples mécanismes
entraîner une anémie non régénérative.
Sidération médullaire
au cours d’une intoxication aiguë, macrocytose due à
des anomalies des lipides membranaires érythroctaires, syndrome
hypersplénisme, carence vitaminique (B12, folates).
4- Syndrome inflammatoire débutant
:
Avant l’apparition de la microcytose, l’anémie inflammatoire
est normocytaire ; le contexte clinique et biologique
permet d’affirmer le diagnostic.
5- Hémodilution
:
Il faut la suspecter quand l’anémie apparaît dans un
contexte évocateur : insuffisance cardiaque gauche, splénomégalie,
présence d’un pic à l’électrophorèse des protides
au niveau des b2 ou a-globulines.
En dehors de ces circonstances, une exploration de la
moelle s’impose par une ponction sternale dans un premier
temps.
B - Anémie normochrome
due à une pathologie médullaire
:
La ponction permettra ainsi de différencier plusieurs
aspects cytologiques : l’absence de lignée rouge médullaire
ou érythroblastopénie ; des anomalies morphologiques des
cellules médullaires soit à type de mégaloblastose, soit à
type de dysmyélopoïèse.
Enfin, la ponction est peu riche
en cellules ou normale, imposant alors la biopsie médullaire.
1- Érythroblastopénie :
Elle réalise un tableau biologique assez caractéristique
puisque outre l’anémie, le taux des réticulocytes est nul et
que la lignée rouge de la moelle n’est pas représentée.
On
distingue les érythroblastopénies aiguës survenant au
décours d’une infection à parvovirus B19 ou après une prise
médicamenteuse ou lors de l’évolution d’une leucémie
lymphoïde chronique et les formes chroniques : chez
l’adulte, devant faire rechercher une tumeur bénigne thymique,
chez l’enfant, un syndrome de Blackfan-Diamond.
2- Mégaloblastose :
Elle réalise un aspect cytologique médullaire typique
témoignant d’une carence en acide folique ou en vitamine
B12.
Il convient après le dosage de ces vitamines et avant
tout traitement (ou transfusion) de rechercher en premier
lieu une carence en folates.
Elle est le plus souvent due à
une carence d’apport ou à un excès d’utilisation (grossesses
répétées, alcoolisme, médicaments antifoliques) ; moins
souvent, elle est due à une carence d’absorption (entéropathie
exsudative, chirurgie digestive extensive).
Si aucune cause n’est retrouvée, il faut rechercher une
carence en B12 dominée par la maladie de Biermer.
Son diagnostic
repose sur : un dosage vitaminique bas et une achlorhydrie histamino-résistante avec absence de facteur intrinsèque,
démontrée par son dosage dans le liquide gastrique
ou par un test de Schilling avec ou sans facteur intrinsèque.
S’il ne s’agit pas d’une maladie de Biermer, il faudra
rechercher une infection par le botriocéphale ou un syndrome
de malabsorption.
3- Syndromes myélodysplasiques
:
Ils touchent essentiellement les sujets âgés ; l’anémie normocytaire
ou macrocytaire non régénérative est le stigmate
biologique le plus fréquent.
Leur diagnostic est réalisé par la ponction sternale qui permet
en outre de préciser le pronostic.
En effet, les anémies
réfractaires sans blastes ont une durée de vie longue de plusieurs
années alors que les anémies réfractaires avec un
excès de blastes vont évoluer rapidement vers une leucémie
en quelques mois.
4- Moelle envahie
:
La ponction sternale permettra d’objectiver un envahissement
par des cellules tumorales hématopoïétiques (leucémie
aiguë, lymphome, myélome) ou extrahématopoïétiques
(métastases).
Le plus souvent, l’anémie s’associe à une myélémie ou à une érythroblastémie assez caractéristique.
5- Moelle pauvre ou normale
:
Devant ce résultat du myélogramme, il faut proposer une
biopsie médullaire. Seule, en effet, la biopsie permettra de
faire le diagnostic d’une aplasie médullaire devant une
moelle désertique, d’une myélofibrose en précisant son
importance, une lésion métastatique non vue au myélogramme
ou enfin un tableau de myélodysplasie à moelle
pauvre.
Anémie normocytaire
ou macrocytaire régénérative
:
Le caractère régénératif (réticulocytes O 150 000/mm3)
affirme la nature périphérique de l’anémie.
Il faut rechercher
en premier lieu un syndrome hémorragique, une hyperhémolyse, et en cas de négativité de ces deux causes,
il faut évoquer la réparation d’une insuffisance de l’érythropoïèse.
A - Syndrome hémorragique :
Il est souvent évident parfois, s’inscrivant dans un contexte
particulier (troubles de l’hémostase, prise d’anti-inflammatoires,
traitement anticoagulant), parfois plus difficile,
si l’hémorragie n’est pas extériorisée.
Il est donc important
de rechercher un contexte évocateur, des signes de
choc, des signes d’anémie aiguë (pâleur cutanéomuqueuse,
sensation de soif, vertiges, asthénie brutale).
B - Hyperhémolyse :
Si l’anémie s’accompagne de stigmates d’hémolyse, outre
la régénération, on note l’effondrement de l’haptoglobine
et l’augmentation de la bilirubine libre.
1- Hémolyses extracorpusculaires
:
Le globule rouge est normal, il est détruit par un agent ou
un mécanisme qui lui est extérieur. Pour en faire le diagnostic
en cas de difficultés, la durée de vie d’un globule
rouge allogénique compatible peut être d’un apport important.
Leur durée de vie diminuée confirme la nature extracorpusculaire
du phénomène.
Il faut évoquer une cause infectieuse, paludisme septicémies
à gram-négatif ; une intoxication par le plomb ; une
morsure de serpent, une valve cardiaque mécanique ; une microangiopathie thrombotique ;un effort physique important
(hémolyse du marathonien) ; une cause immunologique
avec mise en évidence anticorps anti-érythrocytaire,
par le test de Coombs.
Ainsi, le contexte clinique est évocateur.
En plus des signes
d’hémolyse, le contexte fébrile conduira à faire pratiquer
une goutte épaisse et des hémocultures. Une anémie mécanique
fera rechercher des schizocytes, dont la présence
confirme le mécanisme de l’hémolyse.
En cas de suspicion
d’hémolyse, la réalisation du test de Coombs permettra de
confirmer sa nature immunologique sans que ce dernier
puisse préciser le caractère auto-immun, allo-immun ou
immuno-allergique de l’hémolyse.
2- Hémolyse corpusculaire
:
Elle s’inscrit le plus souvent dans une histoire familiale
qu’il faut rechercher ; elle peut être due à des anomalies ;
• Membranes : la plus fréquente des anomalies est la maladie
de Minkowsky-Chauffard ou microsphérocytose héréditaire,
caractérisé par le caractère familial ; l’autohémolyse
augmentée, corrigée par adjonction de sucre fait le
diagnostic.
D’autres anomalies de la membrane (elliptocytose, acanthocytose)
peuvent donner le même tableau.
• Anomalies de l’hémoglobine : la drépanocytose homozygote
et parfois hétérozygote responsable d’hyperhémolyse.
Le diagnostic, outre l’enquête familiale, repose sur
l’électrophorèse de l’hémoglobine.
L’hémoglobine C et les hémoglobines instables sont les
deux autres causes d’hémoglobinopathie provoquant une hyperhémolyse.
• Anomalie enzymatique : de très nombreux déficits enzymatiques
peuvent provoquer une hyperhémolyse. Deux
résument la grande majorité : glucose 6 phosphate des
hydrogénases (G6PD) et pyruvate-kinase (PK).
Le déficit en G6PD, touchent essentiellement l’homme et
réalise des crises d’hémolyse au décours de la prise médicamenteuse
(antipaludique, sulfamide) ou de fièvres.
Leur diagnostic repose sur l’histoire familiale, la présence
de corps de Heintz sur le frottis sanguin et le dosage de
l’enzyme à distance de la crise hémolytique.
Le déficit en PK est plus rare touchant également l’homme
et la femme ; le diagnostic se fait par dosages enzymatiques
et par le test d’autohémolyse corrigé par adhénosine triphoshate.