Algodystrophie

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Définition :

L’algodystrophie, affection polymorphe d’une région articulaire, associe douleur et troubles trophiques.

D’origine neurovégétative, elle touche la fonction microcirculatoire, et tous les tissus de la peau à l’os peuvent être concernés (téguments, aponévroses, tendons, capsule, synoviale) sauf le cartilage qui n’est pas vascularisé.

L’évolution, sur des semaines, des mois, ou exceptionnellement des années, se fait vers la guérison en général sans séquelles ; elle est raccourcie par le traitement.

Physiopathologie :

Dans une région articulaire, un stimulus déterminé comme un traumatisme, ou indéterminé, provoque après un temps de latence variable une perturbation neurovégétative anormalement intense avec désadaptation microcirculatoire locale.

Algodystrophie

Cette réponse est disproportionnée, durable, étendue mais réversible.

Les conséquences tissulaires évoluent en trois stades : le premier (vasoconstriction artériolaire, ouvertures d’anastomoses artérioveineuses, vasodilatation et stase capillaire) entraîne hyperhémie, oedème et acidose locaux ; c’est la « phase chaude » de la maladie, d’allure clinique pseudo-inflammatoire, mais sans aucune histologie inflammatoire.

Le deuxième associe épaississement artériel et fibrose : c’est la « phase froide », d’allure ischémique, précédant le retour à la normale ou rarement les séquelles rétractiles et fibrosantes du troisième stade.

L’absence ou l’inversion, ou le télescopage, de certaines phases est possible, et des crises vasomotrices peuvent faire alterner de brefs épisodes de phase chaude ou froide.

La douleur et la stase entretiennent la maladie, véritable cercle vicieux, en agissant comme un nouveau stimulus local nociceptif.

Étiologie :

L’algodystrophie, touchant les deux sexes et tous les âges y compris l’enfant, est le plus souvent secondaire, en particulier à un traumatisme direct ou indirect, local ou non, orthopédique (fracture, luxation, entorses, simple contusion locale) ou chirurgical (chirurgie orthopédique réglée ou après traumatisme, rarement viscérale ou vasculaire). Immobilisation plâtrée et rééducation intempestives et douloureuses révèlent ou provoquent la maladie.

Les causes non traumatiques intéressent l’appareil locomoteur (arthrites septiques ou non, hémiplégie, radiculalgies, névrome de Morton), plus rarement les appareils cardiovasculaire (infarctus du myocarde, artériopathie, thrombophlébites), pleuropulmonaire, endocrinien et métabolique, les médicaments (isoniazide, barbituriques), exceptionnellement la grossesse (algodystrophie de hanche).

Des facteurs de terrain sont fréquents : troubles psychologiques, diabète sucré, mais peut-être pas l’hypertriglycéridémie considérée pourtant, par certains, comme un facteur favorisant possible.

Étude clinique :

Après un début progressif ou brutal, sont réunis des signes articulaires, vasomoteurs et trophiques.

La douleur, de tout type, souvent nocturne, limite ou interdit l’usage du membre et augmente avec les mouvements.

Raideur articulaire et impotence fonctionnelle peuvent se compliquer précocement de rétractions capsuloligamentaires ou tendinoaponévrotiques parfois inaugurales et préoccupantes (extenseurs des doigts, aponévrose plantaire).

Un épanchement articulaire est fréquent. Parmi les troubles vasomoteurs et trophiques, l’oedème est inconstant, mou ou ferme, rougeâtre ou pâle.

L’hyperthermie puis l’hypothermie locales sont franches, la seconde fréquente d’emblée chez l’enfant ou l’adolescent.

L’hypersudation localisée est très fréquente.

L’hyperesthésie cutanée concerne la moitié des cas, très évocatrice du diagnostic en l’absence d’autres signes locaux.

Rougeur ou pâleur et érythrocyanose de déclivité sont permanentes, ou réalisent de brèves crises vasomotrices douloureuses.

Les anomalies phanériennes, rares mais évocatrices, réversibles après guérison, sont localisées à la région articulaire intéressée : ongles cassants, hypertrichose ou hypopilosité inexpliquées.

Les trois phases classiques de la maladie regroupent ces symptômes.

Le tableau de « phase chaude » a une allure clinique inflammatoire (douleur articulaire, oedème, rougeur, hyperthermie) sans jamais de signes biologiques inflammatoires.

En phase ischémique « phase froide », la peau est froide, dépilée, atrophique ou oedématiée, cyanosée.

La rétraction des parties molles, pure, prédominante ou discrète est de mauvais pronostic fonctionnel si elle se fixe (équinisme, rétractions des fléchisseurs de la main), complication tardive et globalement rare.

Le syndrome « épaule-main » est volontiers sévère surtout à la main avec rétraction des doigts rapidement, et assez fréquemment irréductible, mais atteinte rétractile de l’épaule de bien meilleur pronostic.

Au membre inférieur, il s’agit le plus souvent du pied avec risque de rétraction du tendon calcanéen ou de l’aponévrose plantaire. L’atteinte du genou est plus rare avec prise globale ou limitée (condyle, plateau tibial).

L’algodystrophie de hanche est encore plus rare, avec impotence fonctionnelle contrastant avec une mobilité passive relativement conservée et un excellent pronostic.

Examens paracliniques :

Il n’y a aucun syndrome biologique inflammatoire. Le liquide synovial est paucicellulaire (inférieur à 1 000/mm3) et aseptique.

La ponction-biopsie synoviale, exceptionnellement utile, noterait l’absence de cellules inflammatoires et, aux stades initiaux, une congestion vasculaire pure parfois pseudoangiomateuse, puis ultérieurement une fibrose progressive.

Les radiographies comparatives, avec incidences adaptées, seront répétées après quelques semaines, du fait du retard radiologique sur les signes cliniques.

Elles restent normales tout au long de l’évolution, dans 70 % des cas de l’enfant et dans 20 % de ceux de l’adulte.

La déminéralisation sous-chondrale est le signe dominant, homogène ou hétérogène, mouchetée ou non, micro- ou macrolacunaire, localisée ou diffuse, sur les articulations concernées voire adjacentes ou régionales, même si elles ne sont pas cliniquement touchées.

Chez l’enfant, une bande claire barrant la métaphyse peut la souligner.

Une simple ostéoporose d’immobilisation après traumatisme, sans algodystrophie, donne les mêmes images.

Enfin, les berges articulaires ne sont jamais pincées ni érodées, ni condensées.

Les parties molles, épaissies au début, sont parfois anormalement fines ensuite.

Dans 95 % des cas la scintigraphie osseuse au MDP-99mTc est anormale aux temps précoces (angioscintigraphie, temps osseux précoce) ou surtout osseux tardifs, bien avant les signes radiologiques, intérêt majeur pour le diagnostic précoce.

Elle n’a aucune spécificité. Les anomalies du temps tardif persistent pendant toute l’évolution, et après guérison clinique, alors que celles des temps précoces se corrigent.

L’hyperfixation par rapport au côté opposé est habituelle, locale, locorégionale ou étendue aux articulations sus- et sous-jacentes, mêmes muettes cliniquement.

Après un traumatisme, l’hyperfixation n’évoque vraiment une algodystrophie que si son territoire dépasse celui du trauma responsable d’une hyperfixation localisée, ou bien si elle est locorégionale.

Une hypofixation est retrouvée dans 70 % des cas de l’enfant, et presque jamais chez l’adulte ; elle se distingue de l’hypofixation d’un pied en décharge complète par béquillage, devenu froid et cyanotique, qui disparaît à la remise en charge, à la différence de celle de l’algodystrophie.

L’imagerie par résonance magnétique (IRM) est moins utile dans le diagnostic d’algodystrophie à quelques exceptions près : schématiquement, en « phase chaude » elle donne de façon étendue un hyposignal en T1, rehaussable par le gadolinium, et un hypersignal en T2 qui, sur la hanche par exemple, intéressent le col, la tête fémorale et le cotyle, permettant d’écarter une ostéonécrose aseptique.

Dans le même temps, en général, la scintigraphie osseuse est elle-même évocatrice dans les mêmes territoires.

En « phase froide », les résultats sont contradictoires, l’IRM serait décevante, mais il semble que les formes avec hypofixation concernant le pied ne s’accompagnent d’aucune anomalie en IRM.

L’intérêt principal de l’IRM nous paraît être le diagnostic d’une fracture de contrainte associée à l’algodystrophie (sous forme d’un trait en hyposignal intense en T1 et hypersignal en T2, en pleine zone d’algodystrophie), que cette fracture soit la cause ou la conséquence de l’algodystrophie.

Les explorations fonctionnelles de la microcirculation n’ont pas d’intérêt diagnostique, mais uniquement physiopathologique, sauf dans quelques cas de diagnostic difficile.

Diagnostic :

Il est permis par un faisceau d’arguments cliniques, biologiques (absence de syndrome inflammatoire), radiographiques (déminéralisation sans atteinte des interlignes), isotopiques (hyperou hypofixation), évolutifs (guérison sans séquelles ou presque), en particulier dans les nombreux tableaux cliniques rencontrés où des critères de diagnostic sont nécessaires.

Les formes pseudo-inflammatoires font discuter une arthrite septique, inflammatoire ou microcristalline, mais l’absence de syndrome biologique inflammatoire redresse le diagnostic.

Les formes vasculaires, exceptionnelles, chaudes ou froides, simulent ou accompagnent une thrombophlébite, diagnostic à éliminer en priorité par l’échodoppler, ou une ischémie des membres, parfois aiguë où le doppler artériel, et très exceptionnellement l’artériographie, révéleraient un réseau distal grêle sans anomalie proximale.

Les manifestations artérielles aiguës sont réversibles spontanément ou après traitement.

L’algodystrophie peut exceptionnellement compliquer la chirurgie de revascularisation d’une artériopathie oblitérante.

La forme migratrice locale est la récidive apparente d’un épisode guéri, mais la scintigraphie signe l’extinction du foyer initial et l’apparition d’un nouveau foyer immédiatement voisin. Les exceptionnelles formes plurifocales extensives (membres, rachis, thorax) fond discuter une étiologie néoplasique.

Les formes partielles (un doigt et son métacarpien, par exemple) ou parcellaires (plateau tibial, condyle, cuboïde, sésamoïde, etc) avec hyperfixation intense puis déminéralisation localisées font discuter une tumeur comme un ostéome ostéoïde, ou une ostéonécrose aseptique, ou encore une fracture de fatigue, en particulier au pied.

Chez l’enfant, les formes froides ischémiques d’emblée et l’hypofixation isotopique sont fréquentes, sans signes radiologiques, ou bien avec aspect de bandes claires métaphysaires.

Un pied douloureux, d’aspect normal, évoque un syndrome conversif, mais la scintigraphie redresse le diagnostic avant l’apparition des signes radiologiques.

Évolution traitée :

Favorable et raccourcie par le traitement, elle conduit à la guérison, parfois avec séquelles douloureuses, trophiques ou rétractiles.

Le syndrome « épaule-main » dure 1 à 3 ans, l’épaule guérissant plus vite que la main où de graves séquelles sont fréquentes malgré le traitement.

L’atteinte du pied dure environ 1 an et guérit avec de rares séquelles.

Au genou, l’évolution est de 6 à 9 mois, et à la hanche de 3 à 4 mois sans séquelles en général.

Le traitement physique lutte contre la stase et la douleur : pendant les 15 premiers jours, mise en décharge du membre atteint, l’extrémité distale plus haute que la proximale pour faciliter le retour veineux (écharpe au membre supérieur, décubitus avec pieds de lit surélevés pour le membre inférieur pour lequel on autorise des déplacements limités avec cannes anglaises et appui progressif stimulant la semelle veineuse plantaire).

La mobilisation passive est proscrite et la mobilité active développée par le patient dans la limite de la non-douleur.

Les attelles de posture prévenant les attitudes vicieuses, le drainage lymphatique à distance de la région atteinte, la balnéothérapie ou les bains écossais sont utiles, dès le début du traitement, s’ils sont tolérés.

Parmi les médicaments généraux à visée vasomotrice, la calcitonine injectable est administrée à doses équivalant à 160 UI/j de calcitonine de porc pendant 15 à 20 jours, avec 65 % de résultats positifs quels que soient le tableau clinique et la durée évolutive avant traitement.

Nausées, vomissements et flush font interrompre le traitement dans 8 % des cas, et sont prévenus par les antiémétiques et l’injection vespérale tardive.

Bêtabloqueurs et griséofulvine sont rarement utilisés mais antalgiques, anxiolytiques et antidépresseurs sont un appoint voire un atout essentiel.

Parmi les traitements locaux et locorégionaux, les infiltrations intraarticulaires ou intracanalaires de corticoïdes ont un effet antalgique, vasomoteur et antifibrosant.

Les blocs sympathiques régionaux à la guanéthidine en centres spécialisés (1 à 3 blocs hebdomadaires sans dépasser 6 en général) nécessitent désormais l’autorisation préalable de l’Agence nationale du médicament avant sa délivrance par le fabricant.

Le risque est la douleur lors du maintien du garrot artériel, et une hypotension artérielle ou des céphalées à son lâchage.

En l’absence de contre-indications (artériopathie, coronaropathie, troubles du rythme, troubles veineux, comitialité), les résultats favorables concernent 70 à 80 % des cas. Le buflomédil remplaçant la guanéthidine serait aussi efficace, ainsi qu’en injections intra-artérielles régionales.

En pratique, à la phase d’attaque (1er-20e jour), mise en décharge et prévention des attitudes vicieuses sont impératives, en laissant un appui partiel et prudent au sol en cas d’atteinte du pied.

La calcitonine est toujours choisie en première intention. Un relais (21e-60e jour) est souvent nécessaire par les bêtabloqueurs ou la griséofulvine dans les formes discrètes, et les blocs sympathiques régionaux dans les formes importantes ou graves.

La rééducation en piscine est souhaitable à ce stade, ainsi que le béquillage avec progressivement pas appuyé ou l’usage du membre intéressé.

À la main, le résultat est plus lent et la flexion-extension des doigts peut rester insuffisante pour les mouvements fins, quand ce n’est pas pire.

À la phase d’entretien (après le 60e jour) la balnéothérapie, l’autorééducation dans la limite de la non-douleur et la kinésithérapie, active et passive, prudentes sont nécessaires, voire la rééducation en milieu marin ou la crénothérapie.

Le soutien psychologique est régulièrement nécessaire, en particulier chez l’enfant, à toutes les phases du traitement.

La reprise des activités familiales puis sociales sera progressive.

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