Alcoolisme : intoxication aiguë et chronique Cours de
Médecine Légal
e
L’alcoolisme représente un problème de santé publique,
dont témoigne l’augmentation de la prévalence chez les
sujets adultes, mais aussi chez les jeunes.
Ainsi, une
enquête de prévalence, « un jour donné », menée récemment
en Auvergne, vient confirmer que 20 % des
patients hospitalisés, tous services confondus, présentent
une alcoolisation excessive, 23 % si l’on ne considère que
les services de court séjour.
Les données relatives aux
jeunes confortent ces chiffres : 20 % des 16-20 ans ont un
problème d’alcool, lequel n’est pas repéré dans la moitié
des cas.
Cette alcoolisation excessive vient confirmer
d'autres études.
Les maladies somatiques dues à l'alcool sont nombreuses.
Nous n'aborderons dans ce
travail que les manifestations neurologiques consécutives
à une intoxication alcoolique aiguë ou chronique.
Si les effets sur le cerveau ne sont pas tous élucidés, ces
complications entraînent des répercussions socioprofessionnelles
et économiques non négligeables.
Elles peuvent
se manifester à l’occasion d’intoxications aiguës ou
d’alcoolisations chroniques.
Enfin, un nombre important
de problèmes médicaux liés à une intoxication
aiguë apparaissent dans le contexte des urgences hospitalières, ce qui nécessite une prise en charge comparable
à celle motivée par n’importe quelle intoxication.
L’alcool traverse facilement la barrière hémato-encéphalique,
ce qui explique l’équilibre rapidement obtenu
entre concentrations sanguines et cérébrales.
Une
intoxication peut ainsi apparaître pour des taux sanguins
de 10 à 35 mmol/L.
L’alcool perturbe à la fois la fluidité
membranaire en se fixant sur les phospholipides de
membrane, et la neurotransmission par un dysfonctionnement
des canaux ioniques, des récepteurs et de la
régulation des neurotransmetteurs, principalement glutama-ergiques et gaba-ergiques.
Le premier, excitateur,
intervient dans la plasticité, la différenciation
neuronale et la mémoire.
Le récepteur N-méthyl-Daspartate
est particulièrement affecté par l’alcool,
entraînant une augmentation du nombre de récepteurs
ayant des conséquences neurotoxiques lors du sevrage.
L’altération du système gaba-ergique, neurotransmetteur
inhibiteur, par l’alcool ne lui permet plus de
moduler le système glutama-ergique, d’où une hyperactivité
cellulaire neurotoxique.
Nous évoquerons successivement les conséquences neurologiques
de l’intoxication alcoolique aiguë puis de
l’intoxication chronique.
Intoxication alcoolique aiguë
:
A - Ivresse banale :
D’abord responsable de manifestations infracliniques, la
consommation modérée d'alcool peut être à l'origine
d'un état euphorique avec désinhibition et excitation
(alcoolémie 1 à 2 g/L).
Si l'intoxication se poursuit
(alcoolémie supérieure à 2 g/L), les propos deviennent
incohérents et apparaissent alors une dysarthrie et des
troubles de la marche avec incoordination et titubation.
Les troubles sont liés à l'action de l'alcool sur la formation
réticulée, le cortex et le cervelet.
L'alcool est également,
par sa toxicité sur le système labyrinthique, responsable
de troubles de l'équilibre et de vertiges avec
troubles végétatifs.
Signalons que des troubles de l'attention et une augmentation
du temps de réaction apparaissent dès que l'alcoolémie
atteint 0,2 pour 1 000, expliquant les mesures de
prévention et de répression adaptées à la conduite automobile.
B - Ivresse pathologique :
Elle survient habituellement après une consommation
substantielle d'alcool mais l’importance des manifestations
est sans parallèle avec la dose ingérée.
Elle se
caractérise par une violence aiguë, un comportement
destructeur avec parfois des hallucinations visuelles et
auditives, voire un délire de jalousie ou mégalomaniaque.
Elle est suivie d'un sommeil profond et laisse
une amnésie de l'épisode.
Elle peut toutefois être responsable
d’actes médico-légaux et (ou) de tentatives de
suicide.
C - Encéphalopathie alcoolique aiguë :
L'absorption massive d'alcool provoque d'abord une
obnubilation et une stupeur.
Dans les cas graves survient
un coma aréactif avec mydriase, hypotonie avec aréflexie
et dépression respiratoire.
La dépression du système
végétatif entraîne une hypothermie et une hypotension.
Des crises convulsives sont possibles.
Le pronostic
vital peut être engagé du fait de la défaillance respiratoire,
d’un collapsus cardiovasculaire, de fausses routes ou de
troubles biologiques (cf. infra).
Il existe une bonne corrélation entre l'alcoolémie et la gravité du tableau clinique.
Les doses létales se situent habituellement entre 3
et 4 g/L chez l'adulte mais elles peuvent être beaucoup
plus élevées chez l'éthylique chronique.
Il convient systématiquement d'éliminer des troubles
métaboliques survenant après l'ingestion massive d'alcool
: hypoglycémie, favorisée par le jeûne, la dénutrition
et l'alcool, et qui freine la néoglucogenèse hépatique
; acidose alcoolique liée à l'accumulation de corps
cétoniques chez l'alcoolique chronique en période de
jeûne ; hyponatrémie chez les grands buveurs de bière.
Enfin, il faut toujours rechercher l’existence de pathologies
associées, plus fréquentes chez l'alcoolique, comme
un hématome sous-dural ou extradural, d’autant que la
chute n’est pas toujours rapportée.
D - Crises d'épilepsie :
Au cours d'une ingestion importante d’alcool, en particulier
chez le buveur occasionnel, une crise d’épilepsie
généralisée, en général unique, peut survenir.
Elle est
probablement liée à l’abaissement du seuil épileptogène
par l’alcool et ne récidive pas en dehors d’une nouvelle
intoxication. Elle ne justifie pas de traitement antiépileptique.
E - Traitement de l’intoxication
alcoolique aiguë
:
L’ivresse banale, de même que la stupeur ou l’obnubilation,
ne nécessite pas de traitement particulier si les
constantes vitales (pouls et pression artérielle) sont normales.
L’ivresse pathologique peut justifier l’utilisation d’une
contention et l’administration parentérale de diazépam
(Valium, 5 à 10 mg) ou d’halopéridol (Haldol, 5 à 10 mg),
à renouveler si nécessaire 30 à 40 min après.
Un coma lié à une intoxication alcoolique est une urgence
médicale imposant une prise en charge en réanimation
pour lutter notamment contre la dépression respiratoire.
Une hémodialyse devra être envisagée en cas d’alcoolémie
majeure, supérieure à 5 g/L.
Intoxication alcoolique chronique
:
L’absorption chronique d’alcool entraînerait une désorganisation
de la couche lipidique des membranes neuronales
et des protéines membranaires, la formation excessive
de radicaux libres lors du métabolisme de l’éthanol
et une interaction de l’acétaldéhyde formé en excès avec
les amino-acides (vitamines), les protéines du cytosquelette,
les protéines nucléaires, certains enzymes et neuropeptides.
A - Encéphalopathie de Gayet-Wernicke :
Apanage de l’alcoolique chronique dénutri, l’encéphalopathie
de Gayet-Wernicke apparaîtrait chez 50 patients
sur une population d’un million d’individus hospitalisés.
Outre les difficultés d’apport alimentaire sous-tendues
par les vomissements, l’anorexie ou une pathologie
intestinale et oesophagienne, elle est volontiers consécutive
à une alimentation parentérale inadéquate.
Les perfusions
de solutés glucidiques entraînent alors une chute
des dernières réserves de vitamine B1, ou thiamine, qui
intervient dans le métabolisme du glucose et de l’alcool.
Les lésions neuropathologiques intéressent les régions
autour des IIIe et IVe ventricules et de l’aqueduc de
Sylvius, les corps mamillaires, mais aussi le thalamus,
l’hypothalamus et le vermis cérébelleux.
Il existe une
perte neuronale, une atteinte myélinique, une prolifération
capillaire avec microhémorragies et une réaction
gliale dont l’importance varie selon la sévérité et l’ancienneté
de l’atteinte.
Le mode de survenue est le plus souvent progressif,
marqué sur plusieurs jours par l’association de troubles
oculomoteurs, de troubles psychiques et d’une ataxie
cérébelleuse.
Les tableaux d’installation plus aiguë sont
toujours consécutifs à une administration parentérale de
glucides.
• Les signes oculomoteurs, les plus évocateurs, sont
cependant les moins constants.
Il s’agit d’une paralysie
d’un ou des deux VIes nerfs crâniens (moteur oculaire
externe ou abducens), plus rarement une ophtalmoplégie
complexe respectant en général le composant intrinsèque
(absence de myosis ou mydriase), associée à un
nystagmus, volontiers multidirectionnel.
Cette symptomatologie
est fluctuante.
Le fond d’oeil est normal.
• Les troubles psychiques, quasi constants, se traduisent
le plus souvent par un état confusionnel.
Dans certains
cas, une agitation avec hallucinations zoopsiques fait
envisager, à tort, un delirium tremens.
Un état stuporeux
ou un coma sont rares à cette phase.
Des troubles de la
mémoire de fixation sont présents, mais d’appréciation
difficile compte tenu de la confusion.
• L’atteinte cérébelleuse, fréquente, se limite à une
ataxie statique, parfois sévère rendant la station debout
impossible et pouvant laisser d’importantes séquelles.
La plupart du temps il existe une augmentation du polygone
de sustentation perturbant la locomotion, la dysmétrie
et la dysarthrie étant plus rares.
Enfin, d’autres
signes neurologiques ont été décrits : hypertonie axiale
ou oppositionnelle aux membres ; troubles végétatifs à
type de tachycardie, de sudation et d’hypotension ; anomalies
de réponse des réflexes cutanés plantaires.
Le traitement de l’encéphalopathie de Gayet-Wernicke
constitue une urgence médicale.
Il ne faut pas retarder,
dans le doute, le traitement vitaminique, ce qui fait que
les arguments biologiques du diagnostic sont rarement
demandés (hyperpyruvicémie non spécifique, réduction
des taux sériques de vitamine B1 et de l’activité transcétolasique
des hématies).
Ce traitement repose sur
l’administration intraveineuse de thiamine (Bénerva,
500 mg/j) afin de restaurer les stocks de vitamine B1.
L’alimentation normale n’en apporte que 1 à 5 mg/j
lorsque les réserves sont normales.
S’il n’y a pas de
consensus sur la durée du traitement parentéral, celui-ci
est maintenu jusqu’à régression des troubles.
En général,
les troubles oculomoteurs s’amendent rapidement,
en quelques jours, alors que l’ataxie et les troubles psychiques
régressent plus lentement.
Cette thérapeutique
urgente a aussi pour but d’éviter l’apparition d’un syndrome
de Korsakoff.
Il faut rappeler la nécessité d’associer
chez l’alcoolique un apport de thiamine par voie
veineuse à toute administration parentérale de glucose.
B - Syndrome de Korsakoff :
Constituant la séquelle d’une encéphalopathie carentielle
de Gayet-Wernicke dans la plupart des cas, les lésions
sont de même nature mais prédominant sur les tubercules
mamillaires, le diencéphale et les noyaux dorsomédians du thalamus, de façon bilatérale et symétrique.
Il en résulte un dysfonctionnement du circuit hippocampo-
mamillo-thalamique, probablement responsable des
troubles de mémoire.
Le syndrome amnésique est l’élément symptomatique
prédominant.
Il comprend toujours, bien qu’à des degrés
variables, une amnésie antérograde et une amnésie
rétrograde.
L’amnésie antérograde est caractérisée par
l’impossibilité de retenir des informations nouvelles
entraînant une incapacité plus ou moins totale à
apprendre.
Fait essentiel, les sujets atteints sont incapables
de se rappeler ou de reconnaître des informations
qui leur ont été proposées telles qu’une série de mots ou
d’objets, après un délai de 1 ou 2 min pendant lesquelles
ils sont distraits par une autre tâche.
Les informations
acquises avant l’installation des troubles de la mémoire
sont également altérées.
Ce trouble de mémoire rétrograde
altère les capacités d’évocation du passé, surtout
lorsqu’on se rapproche de la période actuelle.
Ces troubles respectent les possibilités d’acquisition de
tâches motrices et l’ensemble des opérations mentales
lorsqu’elles ne font pas appel à la mémoire.
Les fausses
reconnaissances ou confabulations sont également
caractéristiques mais inconstantes : les patients identifient
des inconnus et leur attribuent des fonctions ou des
noms imaginaires, qui sont souvent induits par les questions
de l’examinateur.
Il existe enfin une anosognosie
des troubles.
Malgré la correction du déficit en thiamine, le pronostic
est sombre puisque moins de 20 % des sujets vont récupérer.
L’importance des troubles conduit le plus souvent
à une hospitalisation définitive en milieu institutionnel.
C - Maladie de Marchiafava-Bignami :
Elle est liée à une démyélinisation, avec ou sans nécrose,
intéressant la partie centrale du corps calleux et la commissure
antérieure, pouvant s’étendre à la substance
blanche du centre ovale.
Complication rare de l’alcoolisme
chronique sévère, son mécanisme reste inconnu.
Le début peut être aigu et comporter des troubles de
vigilance avec coma, un syndrome confusionnel, une
hypertonie, un mutisme akinétique, une dysarthrie, des
troubles de la marche et de la statique pouvant aller jusqu’à
une véritable astasie-abasie, des crises d’épilepsie.
Le tableau peut être plus progressif, de type démentiel
avec la présence de signes de dysconnexion interhémisphérique,
comme une apraxie unilatérale, une anomie
tactile, une pseudo-extinction sensitive ou une dysconnexion
auditive (pseudo-hémiacousie gauche).
Ces éléments
sont toutefois inconstants et variables, et leur
recherche est difficile.
Le diagnostic repose sur l’imagerie
par résonance magnétique (IRM) encéphalique qui
montre les lésions calleuses, nécrose et démyélinisation,
au mieux sur les coupes sagittales.
Le pronostic est habituellement défavorable en 3 à
4 ans, mais de rares améliorations cliniques et radiologiques
ont pu être observées.
D - Myélinolyse centropontine :
Complication non spécifique de l’alcoolisme, pouvant
apparaître dans les cas de dénutrition, cancer, hémopathie,
insuffisance hépatique ou rénale, elle correspond à
la présence de plages de démyélinisation du pied de la
protubérance, plus ou moins étendues en hauteur et en
largeur.
Les oligodendrocytes sont rares, alors que les
axones et corps cellulaires neuronaux semblent préservés.
Sa physiopathogénie est imparfaitement comprise,
même si l’hyponatrémie sévère (o 130 mmol/L) est un
facteur déterminant, soit par le biais d’un oedème cérébral,
soit par une correction trop rapide.
Il est possible
que d’autres facteurs soient mis en cause : carence en
vitamine B1 et anoxie cérébrale.
S’il peut exister des formes asymptomatiques, le tableau
clinique est habituellement dominé par un syndrome
pseudo-bulbaire avec dysarthrie, rires et pleurs spasmodiques,
troubles du contrôle sphinctérien, pouvant aboutir
à un véritable tableau de mutisme akinétique d’une part et
une atteinte des voies corticospinales bilatérales se traduisant
par un syndrome tétrapyramidal d’autre part.
L’installation est rapide, sur quelques jours.
Le scanner
cérébral et surtout l’imagerie par résonance magnétique
encéphalique mettent en évidence une lésion hypodense,
centropontine ne prenant pas le produit de contraste.
L’évolution est le plus souvent fatale en quelques
semaines malgré la vitaminothérapie et la rééquilibration hydroélectrolytique prudente.
Il faut rappeler que la
prévention de la myélinolyse centropontine repose sur
une correction progressive des hyponatrémies sévères.
Il
convient de ne pas dépasser 12 mmol/L les 24 premières
heures et 20 mmol/L les 48 premières heures.
E - Démence alcoolique :
Ce concept a été proposé pour rendre compte d’une détérioration
intellectuelle globale, sans caractères précis, survenant
au cours d’intoxication alcoolique chronique prolongée.
Bien qu’il n’y ait pas de parfaite corrélation avec
l’atrophie cérébrale, qui peut manquer ou exister en
dehors de tout trouble cognitif, il est admis que l’alcool
entraîne une dégradation intellectuelle intéressant les versants
mnésique et frontal.
Ceux-ci concernent essentiellement
la mémoire épisodique et les fonctions exécutives
comme l’élaboration de concepts ou de stratégies en rapport
avec un dysfonctionnement frontal.
Cette détérioration
intellectuelle serait proportionnelle à la quantité d’alcool
ingérée.
Elle peut régresser avec l’arrêt des boissons
alcoolisées, mais aussi évoluer vers une véritable démence.
Les facteurs étiologiques sont certainement multiples :
toxicité de l’alcool, dénutrition, carence vitaminique,
mais aussi facteurs traumatiques et vasculaires.
F - Épilepsie alcoolique :
On considère qu’environ un quart des épilepsies tardives
de l’adulte sont dues à l’alcool.
L’épilepsie alcoolique
touche des sujets sans antécédents épileptiques, buveurs depuis plusieurs années mais sans rapport avec un sevrage
ou un excès.
Essentiellement masculine, l’âge moyen
de survenue est 40 ans et l’intoxication est ancienne, le
plus souvent supérieure à 10 ans.
Dans la majorité des
cas, les crises sont généralisées, tonicocloniques, survenant
habituellement la nuit ou au petit matin.
Leur fréquence
est rare, unique jusqu’à 1 à
2 crises par an en moyenne.
Les états de mal sont exceptionnels.
La recherche d’une perturbation métabolique associée,
en particulier une hypoglycémie, doit être systématique,
comme la pratique systématique d’un examen tomodensitométrique
encéphalique, au décours de la première
crise, ou d’une imagerie par résonance magnétique, en
cas de crises partielles, pour déceler une lésion associée,
notamment une contusion cérébrale ou un accident vasculaire
cérébral.
En l’absence de lésion, l’électroencéphalogramme intercritique est normal ou retrouve une
activité microvoltée non spécifique.
La prise en charge obéit à 3 schémas :
– le malade est un épileptique connu, exploré et traité.
L’alcool a aggravé l’épilepsie, ce qui impose d’obtenir
l’abstinence complète avant d’envisager toute modification
de traitement ;
– il n’y a pas d’antécédent épileptique, mais les crises
sont survenues dans les suites immédiates d’un sevrage
(12 à 24 h). Cette situation, de loin la plus fréquente, ne
justifie pas l’instauration d’un traitement antiépileptique ;
– il n’y a ni antécédent épileptique, ni facteur déclenchant
des crises.
L’intoxication alcoolique chronique
semble seule en cause.
L’abstinence reste la règle, et
seule la persistance de crises malgré le sevrage doit faire
discuter un traitement antiépileptique.
Toutefois, l’observance
est souvent médiocre avec un risque accru
d’état de mal lors de l’arrêt du médicament.
De plus,
l’alcool modifie le métabolisme des antiépileptiques en
raccourcissant leur demi-vie.
G - Risques de survenue d’accident
vasculaire cérébral :
La relation entre la consommation d’alcool et la survenue
d’un accident vasculaire cérébral (AVC) ischémique
suivrait une courbe en forme de J.
On observe un « effet
protecteur » pour une consommation journalière modérée
de 1 à 2 verres usuels, soit 12 à 24 g d’alcool, puis
une augmentation du risque au-delà de cette dose quotidienne.
Outre cet effet délétère indépendant, l’intoxication
alcoolique chronique favorise le développement
d’une hypertension artérielle, d’une cardiomyopathie et
exerce un effet procoagulant.
Une augmentation linéaire
du risque d’accident vasculaire cérébral (AVC) hémorragique
en fonction de la quantité d’alcool consommée
est plus clairement établie, et ce indépendamment d’une
hypertension artérielle ou d’anomalies de la coagulation
éventuellement associées.
L’imprégnation alcoolique
aiguë serait également impliquée dans la genèse d’accidents
vasculaires cérébraux ischémiques ou hémorragiques,
en particulier chez le sujet jeune, par le biais de troubles du rythme cardiaque, notamment dans les pays
anglo-saxons et du Nord de l’Europe.
Le rôle de l’alcool
dans la survenue d’hémorragies sous-arachnoïdiennes
reste controversé. La rupture d’un anévrisme serait favorisée
par les traumatismes ou une manoeuvre de Valsalva
comme les vomissements.
H - Polyneuropathie alcoolique
:
L’alcool est, après le diabète, la deuxième cause de polyneuropathie dans les pays industrialisés.
Elle affecterait
plus de 10 % des alcooliques chroniques, mais il
faut souligner la fréquence des formes asymptomatiques.
Elle est habituellement secondaire à une carence
en thiamine, avec ou sans carence en folates associée,
mais aussi à la toxicité directe de l’alcool.
Elle touche
les fibres motrices, sensitives et végétatives.
La polyneuropathie chronique s’installe de façon insidieuse
et lentement progressive.
Elle prédomine aux
membres inférieurs, de manière distale et symétrique,
alors que les membres supérieurs ne sont atteints que
plus tardivement.
Elle se traduit au début par des paresthésies
à type de fourmillements, des crampes nocturnes
des mollets, une faiblesse motrice s’exprimant par une
fatigabilité anormale à la marche.
Après un certain
temps d’évolution, le patient se plaint de douleurs en
étau et surtout de brûlures avec paroxysmes en éclair,
voire une hyperpathie douloureuse diffuse, surtout nocturne.
Des troubles cutanés (dépilation, anhidrose,
ongles cassants) sont fréquemment associés.
L’examen clinique met en évidence une hypoesthésie,
symétrique « en chaussettes », concernant de façon
variable les différentes sensibilités, mais moins marquée
pour la sensibilité proprioceptive.
Il révèle une aréflexie
achilléenne, une amyotrophie et un déficit moteur prédominants
sur les muscles de la loge antéro-externe de jambe.
Les anomalies électromyographiques sont très précoces,
traduisant l’existence d’une atteinte sensitivo-motrice
axonale.
Celle-ci s’exprime avant tout par une chute de
l’amplitude des potentiels d’action sensitifs, intéressant
l’extrémité distale des deux membres inférieurs, puis
une diminution nette de l’amplitude des réponses
motrices, toutes deux proportionnelles à la perte axonale.
Les potentiels enregistrés à l’aiguille sont polyphasiques.
L’atteinte myélinique (réduction des vitesses de
conduction motrice et sensitive, augmentation des
latences des ondes tardives ou ondes F) est plus discrète.
Le liquide céphalo-rachidien n’est habituellement pas
étudié si le contexte clinique et les données électromyographiques
sont compatibles avec le diagnostic.
Il pourrait
montrer une discrète hyperprotéinorachie.
Le traitement associe l’administration parentérale de vitamines,
un régime riche en protéines, voire en cas de douleurs
importantes l’utilisation de tricycliques.
Celui-ci,
associé à l’arrêt de l’intoxication permet une récupération
clinique et électrophysiologique, s’étendant parfois
sur plusieurs mois.
D’autres formes cliniques ont été décrites.
Une polyneuropathie
aiguë, responsable d’une paraparésie flasque amyotrophiante, de troubles sensitifs intéressant toutes
les modalités et d’une aréflexie rapidement ascendante
en 24 h, peut exceptionnellement s’observer chez l’alcoolique
dénutri, volontiers à la suite d’un état infectieux.
Une forme ulcéro-mutilante comportant un déficit
thermo-algique sévère, des maux perforants plantaires
avec ostéolyse, arthropathies, a été individualisée sous
le nom de ses premiers auteurs, Bureau et Barrière.
Enfin à côté de certaines formes purement motrices, il
convient de signaler des formes végétatives, rarement
isolées, et comportant des troubles de sudation, une
hypotension orthostatique, une impuissance, des
troubles trophiques et digestifs, dont le pronostic est
plus réservé, notamment lorsque sont associés des
troubles du rythme cardiaque.
I - Myopathie alcoolique
:
L’atteinte des muscles squelettiques, si elle paraît assez
fréquente, reste le plus souvent asymptomatique.
Elle se
traduit par un déficit proximal prédominant aux deux
membres inférieurs et altérant la marche.
Le diagnostic
est posé par les tracés électromyographiques (potentiels
polyphasiques de faible amplitude, exagération de la
richesse du tracé) volontiers associés à des stigmates de
polyneuropathie, alors que les enzymes musculaires sont
souvent normaux.
La biopsie musculaire retrouve des
perturbations discrètes du calibre des fibres de type II.
La myopathie aiguë est une affection rare, survenant
surtout en cas d’ingestions massives d’alcool.
Le
tableau clinique comporte des myalgies et un déficit
moteur affectant les ceintures.
Les muscles sont tendus, oedématiés et douloureux à la palpation.
Les taux de créatine-phosphokinase sont très élevés et il existe une
myoglobinurie avec un risque de nécrose tubulaire
aiguë.
La biopsie de muscle montre une atteinte des
fibres de type I avec nécrose et infiltrats inflammatoires.
Il faut toujours rechercher une hypokaliémie et une cardiomyopathie
associées.
Dans les deux cas, formes
chronique et aiguë, le traitement associe une vitaminothérapie,
un régime riche en protéines et la correction
des troubles électrolytiques.
J - Dégénérescence cérébelleuse alcoolique :
La dégénérescence cérébelleuse alcoolique serait surtout
liée à une carence en thiamine plus qu’à une toxicité
directe de l’alcool.
Elle se manifeste par un syndrome
cérébelleux statique d’aggravation lente, caractérisé par
une ataxie avec élargissement du polygone de sustentation
et instabilité.
Les signes cérébelleux cinétiques sont
par contre discrets voire absents.
Le scanner cérébral et
l’imagerie par résonance magnétique encéphalique
retrouvent une atrophie cérébelleuse à prédominance vermienne.
Celle-ci peut régresser avec l’arrêt de l’alcool
et la supplémentation vitaminique, mais le plus
souvent les symptômes restent stables, notamment dans
les suites d’une encéphalopathie de Gayet-Wernicke.
K - Neuropathie optique :
Elle est liée à une atteinte du nerf optique d’origine carentielle
consécutive à une carence en vitamines du groupe B
(B1, mais aussi B2, B6 et B12).
Elle se traduit par une
baisse de l’acuité visuelle d’installation progressive sur
quelques jours ou semaines.
Une baisse de l’acuité
visuelle, une dyschromatopsie au vert et au rouge constituent
les premiers signes, puis apparaît un scotome central
plus tardif.
Le fond d’oeil peut montrer une pâleur en
rapport avec une atrophie papillaire.
Les anomalies sont
bilatérales mais souvent asymétriques, ce qui est confirmé
par les études des potentiels évoqués visuels montrant
un allongement de l’onde P100.
Sans traitement, elle
évolue vers une cécité définitive, alors que sous vitamines
et régime adapté, sous-tendant l’abstinence, elle régresse
le plus souvent, quoique imparfaitement.
L - Encéphalopathie hépatique
:
L’insuffisance hépatique chronique peut se compliquer
d’épisodes d’encéphalopathie hépatique.
On estime
qu’environ 15 % des alcooliques cirrhotiques présentent
cette complication.
Elle est favorisée par la prise de
sédatifs, un régime inadapté en protéines, une hémorragie
digestive, une infection ou un trouble métabolique.
Elle
résulte de la présence dans le système nerveux central de
produits « toxiques » qui ne sont plus métabolisés par le
foie.
L’ammoniaque doit être considéré comme le stigmate
de l’atteinte hépatique et non pas comme le produit
responsable.
On a mis en cause des acides aminés aromatiques
comme la phénylalanine dont l’excès perturberait
la synthèse des monoamines.
Elle se manifeste essentiellement par des troubles de la
vigilance et du comportement.
Les troubles de l’humeur
sont précoces (anxiété, irritabilité, état dépressif) avec
perturbation du sommeil.
Il existe par la suite une confusion
associée à une hyperactivité motrice ou au contraire
une apathie.
Progressivement, elle évolue vers une somnolence
puis une stupeur et enfin un coma.
L’astérixis ou
flapping tremor apparaît fréquemment au stade confusionnel.
Il est le signe le plus caractéristique de l’encéphalopathie
hépatique bien que non spécifique puisqu’il peut
être retrouvé dans d’autres encéphalopathies métaboliques.
Il se traduit par des contractions musculaires intermittentes,
brusques et irrégulières, visibles lorsque le
patient tend les bras avec les mains en extension et les
doigts écartés.
Il est composé de mouvements de flexionextension
des poignets et flexion-latéralisation des doigts,
qui disparaissent lors des gestes volontaires.
D’autres
signes neurologiques peuvent être notés comme une
rigidité extrapyramidale fluctuante, une exagération des
réflexes ostéotendineux avec un signe de Babinski, un
grasping, des crises d’épilepsie généralisées.
Au stade
ultime apparaissent des signes focaux et une attitude de
décérébration ou de décortication.
L’électroencéphalogramme est précocement perturbé.
Les ondes lentes bi- ou triphasiques, paroxystiques puis
permanentes, sont très évocatrices d’une encéphalopathie métabolique.
L’hyperammoniémie est constante,
habituellement supérieure à 200 µg/dL.
Son taux est
assez bien corrélé à la sévérité du tableau neurologique
et aux anomalies électroencéphalographiques.
L’évolution de l’encéphalopathie hépatique est variable.
Elle est souvent fatale en quelques jours ou semaines.
Ailleurs, les signes vont régresser complètement ou partiellement
puis fluctuer sur une période de plusieurs
semaines ou mois.
Dans certains cas, les troubles de
l’humeur et de la personnalité, les troubles intellectuels
se prolongent sur plusieurs années conduisant à un syndrome
démentiel modéré associé à des anomalies de la
posture et du mouvement (dysarthrie, ataxie, choréoathétose,
dyskinésies bucco-faciales).
Le traitement de l’encéphalopathie hépatique est basé sur
la vidange et la désinfection intestinale (lactulose et néomycine),
administré par sonde nasogastrique ou lavement
en cas de coma.
La posologie du lactulose (Duphalac) est
de 6 à 10 sachets/j, ou dans le cas de lavement, 20 sachets
dilués dans 1 L d’eau à garder 20 à 60 min et à renouveler
si nécessaire 12 h après.
Le traitement de relais comporte
1 à 2 sachets 3 fois/j par voie orale.
Un régime pauvre en
protéines sera associé. Un éventuel facteur favorisant
infectieux doit être corrigé.