Mécanismes de résistance aux agents cytostatiques Cours
d'hématologie
Introduction
:
La chimiothérapie est, le plus souvent, la seule arme thérapeutique
de l’hématologiste pour combattre les hémopathies malignes, en
raison du caractère disséminé des leucémies, des myélomes et de la
plupart des lymphomes.
Heureusement, les tumeurs
hématologiques sont hautement sensibles à la chimiothérapie, ce qui
permet d’obtenir des rémissions fréquentes, mais les guérisons sont
rares.
La sensibilité des tumeurs malignes à la chimiothérapie est
très variable selon le type de cancer, et les mécanismes à l’origine de
ces différences sont mal connus.
Les adénocarcinomes (côlon,
bronches) sont peu chimiosensibles, alors que la majorité des
leucémies aiguës lymphoblastiques (LAL) de l’enfant sont
actuellement guéries par la chimiothérapie.
Dans ce type de leucémie, la biologie moléculaire a permis d’estimer
à 0,008 la fraction de cellules tumorales qui survivent par semaine
durant le début du traitement d’induction, ce qui correspond, en
partant d’une masse tumorale de 1012 cellules au diagnostic (1 kg de
tumeur), à ne laisser persister que 107 cellules tumorales (10 mg) au
15e jour de traitement.
Ces cellules seront cependant responsables
d’une rechute si aucun traitement n’est entrepris après la phase
d’induction.
Farber et al. ont été les premiers, en 1948, à décrire l’apparition
d’une résistance à la chimiothérapie dans les LAL, et c’est toujours
l’obstacle majeur à la guérison de la grande majorité des leucémies
actuellement.
Mécanismes de résistance
aux chimiothérapies :
A - HISTORIQUE :
Il y a 35 ans, Goldie et Coldman proposaient un modèle
mathématique pour expliquer l’apparition de clones malins
résistants dans une tumeur, qui postulait l’apparition statistiquement
probable de mutations donnant une moindre sensibilité à un ou
plusieurs agents cytostatiques.
Il peut s’agir d’une moindre
captation du cytostatique, d’un efflux actif de celui-ci, d’une
augmentation de son catabolisme, d’une diminution de
transformation d’un précurseur, d’une modification de la cible du
cytostatique, d’une augmentation des capacités de réparation des
dommages subis par la cellule, d’une résistance à l’apoptose
chimio-induite.
Depuis ces 20 dernières années, les modèles expérimentaux et
l’exploration des échantillons cliniques, surtout dans les leucémies,
ont permis d’identifier plusieurs causes de résistance aux
chimiothérapies.
La plus fréquemment observée est la résistance
multiple aux chimiothérapies ou « MDR » pour multi-drug resistance.
B - RÉSISTANCE MULTIPLE AUX CHIMIOTHÉRAPIES :
Il s’agit d’un phénomène mis en évidence par Biedler et Riehm, en
1970, dans des lignées tumorales : ils ont observé qu’en rendant ces
cellules résistantes à un cytostatique, celles-ci devenaient
simultanément résistantes à d’autres cytostatiques de mode d’action
et de structure totalement différents.
Cette résistance croisée, retrouvée depuis dans beaucoup de lignées
tumorales d’espèce et d’origine tissulaire différentes, s’observe vis-àvis
des anthracyclines, des alcaloïdes de la pervenche, des taxanes,
des épipodophyllotoxines.
Le seul lien entre ces différents
cytostatiques est leur origine naturelle : ils peuvent être considérés
comme des xénobiotiques.
Le phénotype MDR se caractérise par un efflux actif (adénosine
triphosphate [ATP]-dépendant) des cytostatiques, qui peut être aboli
par des substances variées, appelées « modulateurs ».
Plusieurs molécules de la même famille des transporteurs à cassettes ATP (« ABC » pour ATP-binding cassette), la P-glycoprotéine
(permeability glycoprotein), codée par le gène MDR1, les MRP
(multidrug resistance associated protein) et la BCRP (breast cancer
resistance protein), sont à l’origine de cet efflux.
Plus récemment, d’autres mécanismes de résistance à différents
cytostatiques non apparentés ont été décrits : l’augmentation des
capacités de réparation de l’acide désoxyribonucléique (ADN) lésé
par les cytostatiques, et la diminution de l’apoptose induite par
l’exposition de la cellule à la plupart des cytostatiques et aux
radiations ionisantes.
Jusqu’ici, peu de données clinicobiologiques sont disponibles
concernant ces autres mécanismes, et ce chapitre sera surtout
consacré aux protéines ABC.
Protéines transporteuses « ABC » :
Ces protéines transmembranaires sont spécialisées dans le transport
cellulaire énergie-dépendant.
Les gènes codant ces protéines sont
hautement conservés entre les espèces, de la bactérie à l’homme.
Le
rôle de ces protéines semble essentiellement la protection des
cellules et des organismes contre les xénobiotiques, substances
d’origine naturelle potentiellement toxiques. Plusieurs familles de
cytostatiques hydrophobes, extraits de plantes ou de microorganismes,
sont typiquement des xénobiotiques.
La
structure minimale d’une protéine ABC est composée d’un site de
liaison de l’ATP (ATP-binding cassette) de 200 à 250 acides aminés, et
de six domaines hydrophobes transmembranaires (comme la BCRP).
La structure habituellement rencontrée est un redoublement de cette
structure minimale (deux sites ATP et 12 sites transmembranaires :
comme la P-gp), et quelques membres de cette famille possèdent, en
plus, cinq domaines transmembranaires et une terminaison azotée
externe (comme MRP1).
Une nouvelle classification de cette famille, avec huit sous-groupes,
est adoptée depuis quelques années, et s’enrichit constamment de
nouveaux membres (consulter le site www.humanabc.org).
Les
membres responsables d’efflux de cytostatiques appartiennent à
plusieurs classes : la P-gp à la classe ABCB (ABCB1), les
MRP à ABCC (ABCC1-6), et BCRP à ABCG (ABCG2).
Leur
responsabilité dans l’efflux actif de cytostatiques est démontrée par
l’acquisition du phénotype MDR lorsque des cellules sont
transfectées par l’ADN complémentaire cyclique de ces gènes.
Ces
protéines confèrent toutes une résistance aux anthracyclines, mais
ont des spectres légèrement différents en ce qui concerne les autres
cytostatiques.
Le mécanisme exact de la liaison du cytostatique à la protéine et son
mode d’efflux ne sont pas connus.
Grâce à la mutagenèse dirigée,
on sait que, pour la P-gp, les domaines transmembranaires 5, 6, 11 et
12 sont cruciaux pour ce transport.
La présence d’un seul
polymorphisme allélique sur la P-gp (C3435T) ou sur BCRP
(T/G482A) est capable de modifier significativement l’efflux des
cytostatiques.
Les protéines ABC sont exprimées dans les tissus exposés aux xénobiotiques, comme le tube digestif et la muqueuse
bronchopulmonaire, et dans les organes chargés de débarrasser
l’organisme de ces substances, comme le foie et les reins.
La présence
de P-gp à la surface des cellules endothéliales vasculaires cérébrales
mérite attention : son inactivation chez la souris est responsable
d’une toxicité neurologique importante des vinca-alcaloïdes,
montrant son rôle dans la barrière hémoméningée.
A - P-GLYCOPROTÉINE :
La première et probablement la plus importante protéine ABC
décrite dans le modèle de résistance multiple (MDR) par Juliano et
Ling en 1976 est la P-gp, codée par le gène ABCB1 (MDR1).
Elle
est exprimée dans l’intestin, le foie et les tubules rénaux, les
capillaires de la barrière hémoméningée et testiculaire, et les cellules
hématopoïétiques les plus immatures (cellules souches).
Après plusieurs années de résultats contradictoires concernant le
taux d’expression et la valeur pronostique de cette P-gp dans les
tumeurs, plusieurs ateliers ont proposé un consensus technique,
conduisant à des résultats beaucoup plus homogènes.
Pour les
leucémies et les myélomes, il est recommandé d’utiliser la cytométrie de flux, permettant de faire une fenêtre sur les cellules leucémiques, et d’utiliser au moins deux techniques : un anticorps
reconnaissant un épitope externe et une sonde explorant la
fonctionnalité de la P-gp, et d’exprimer les résultats en ratio
anticorps/contrôle pour la protéine, et efflux + modulateur/efflux
pour la fonction.
Pour les lymphomes et les tumeurs solides, la
fonction de la P-gp est impossible à évaluer, et seule l’expression
par immunohistochimie est possible, en sachant qu’aucune
technique vraiment reproductible n’est reconnue.
B - P-GP DANS LES LEUCÉMIES AIGUËS MYÉLOBLASTIQUES
(LAM)
:
De nombreuses études ont rapporté une fréquence élevée de
l’expression de P-gp dans les LAM de l’adulte.
D’un tiers à la moitié
des LAM expriment la P-gp dans les publications des groupes
multicentriques portant sur un nombre important de LAM au
diagnostic, quelle que soit la technique utilisée, et la
proportion de cas « positifs » croît avec l’âge des patients.
Ce
phénotype est associé à d’autres critères de mauvais pronostic
comme des anomalies cytogénétiques (caryotype complexe, délétion
du chromosome 7), mais la fonction de la P-gp garde, en analyse
multivariée, une valeur pronostique péjorative indépendante du
caryotype.
En dehors de la leucémie promyélocytaire, constamment négative,
tous les autres types cytologiques peuvent exprimer la P-gp, et les
tests fonctionnels sont généralement corrélés avec l’expression, sauf
dans les monoblastes, qui expriment une protéine le plus souvent
non fonctionnelle.
La meilleure valeur pronostique est observée quand la fonction est
corrélée à la résistance à une chimiothérapie intensive ne comportant
pas de cytarabine à forte dose.
Peu d’études intéressent la LAM de l’enfant.
L’incidence globale des
cas P-gp (+) est inférieure à celle observée chez l’adulte (13 %-
30 %), et aucune des études n’a montré de corrélation avec le
pronostic.
C - P-GP DANS LA LEUCÉMIE AIGUË LYMPHOBLASTIQUE :
La composante pronostique majeure de survie à long terme dans la
LAL est la sensibilité aux glucocorticoïdes, in vitro comme in vivo.
Les mécanismes cellulaires de la résistance aux corticoïdes dans les
lymphoblastes ne sont pas connus avec certitude, mais la résistance
à l’apoptose cortico-induite pourrait jouer un rôle important.
La présence d’une P-gp fonctionnelle est rare dans la LAL de
l’enfant au diagnostic (< 10 %), même en rechute, sauf en cas de
résistance claire aux cytostatiques, ce qui peut se voir en fin
d’évolution de la maladie.
Le phénotype MDR n’est pas prédictif de
l’échec à l’induction, ni de la survie sans rechute, quelle que soit la
technique employée.
Dans la LAL de l’adulte, la fréquence des cas « positifs » peut être
estimée à 15 – 20 %, et aucune étude ne démontre une corrélation
entre fonction et échec du traitement.
La P-gp est retrouvée
surtout dans des sous-groupes, comme celui exprimant le phénotype
CD7+ CD4- CD8-, proche de la cellule souche, de mauvais pronostic.
Les leucémies-lymphomes T liés à human T-cell lymphoma virus
(HTLV)1 (ATL) sont fréquemment positifs pour la P-gp dès le
diagnostic, et tous le sont lors de la rechute.
Dans cette entité très
particulière, l’induction de P-gp pourrait être due à la protéine
« tax » de HTLV1, capable de se lier au promoteur de MDR1.
D - P-GP DANS LES LEUCÉMIES CHRONIQUES :
Plusieurs auteurs ont décrit une faible expression de P-gp dans les
cellules leucémiques de la majorité des patients atteints de leucémie
lymphoïde chronique (LLC), que ce soit avant ou après
chimiothérapie.
La P-gp est aussi détectée dans les lymphocytes B et
T normaux.
Son rôle dans l’évolution de la maladie et dans la
résistance aux chimiothérapies n’a pas été démontré.
Pendant la
phase chronique de la leucémie myéloïde chronique (LMC),
l’expression de la P-gp sur les cellules myéloïdes ne diffère pas de
ce qui se voit dans les cellules normales (faible expression d’une
P-gp non fonctionnelle, sauf dans les cellules CD34+ ).
Durant
l’acutisation, les blastes peuvent exprimer la P-gp, avec le même
facteur pronostique que dans les autres LAM.
In vitro, la protéine a
été rendue responsable de résistances à l’imatinib mésylate
(Glivect).
E - P-GP DANS LE MYÉLOME MULTIPLE
:
La présence d’une protéine fonctionnelle dans les plasmocytes du
myélome au diagnostic est rare, mais augmente au fur et à mesure
des traitements reçus, plus nettement après anthracyclines et vincaalcaloïdes
qu’après les alkylants.
La technique de référence est la cytométrie de flux, qui permet de trier la population plasmocytaire
avant de mesurer l’expression et la fonction de la protéine.
F - P-GP DANS LES LYMPHOMES NON HODGKINIENS :
La difficulté d’appréciation de l’expression des protéines ABC dans
les lymphomes, expliquant les résultats discordants publiés, est la
même que celle rencontrée dans les tumeurs solides :
l’immunohistochimie est peu reproductible, et les techniques de
reverse transcriptase-polymerase chain reaction (RT-PCR) posent le
double problème de l’hétérogénéité du ganglion et le risque de
mesurer un acide ribonucléique messager (ARNm) ne donnant pas
une protéine fonctionnelle.
Il n’y a pas de consensus sur l’importance de la P-gp dans le
pronostic des lymphomes, et actuellement tous les essais de
modulation dans cette indication ont été arrêtés.
G - PROTÉINES MRP
(« MULTIDRUG RESISTANCE-ASSOCIATED PROTEIN »,
OU ABCC)
:
Les treize membres de la famille MRP ou ABCC, dont quatre codent
des protéines inactives, ont une faible homologie avec la P-gp
(15 %), et ne sont capables d’effluer les cytostatiques qu’en présence
de glutathion.
Les protéines MRP (mais pas la P-gp) sont aussi des transporteurs
d’anions organiques, comme le méthotrexate, ou de cytostatiques
neutres liés au glutathion, comme le cisplatine (pour MRP2) et
l’arsenic (pour MRP1).
Les anthracyclines, les vinca-alcaloïdes, qui sont tous deux des bases
organiques faibles, sont cotransportés par MRP en présence de
glutathion libre.
MRP1 et 2 sont particulièrement impliquées dans le
transport des cytostatiques dans les cellules tumorales humaines.
Dans les leucémies, des anticorps monoclonaux des protéines MRP
peuvent être utilisés pour mesurer l’expression protéique, et un test
fonctionnel utilisant la calcéine AM comme sonde et des
modulateurs comme le MK571 ou le probénécide permet de mesurer
l’efflux de MRP1 et 3.
Des résultats discordants ont été publiés concernant l’incidence de
MRP1 dans les LAM, probablement en raison d’une expression
faible, mais fonctionnelle, de cette protéine : une expression
« basale » est retrouvée dans pratiquement tous les échantillons, et
seul un tiers des patients présente une augmentation significative.
Individuellement, la valeur pronostique de MRP1 n’est pas validée,
alors que la coexpression d’une P-gp et d’une
MRP1/3 fonctionnelles est corrélée à une diminution de la
chimiosensibilité dans les échantillons de LAM, et aggrave le
pronostic. Le rôle des autres protéines MRP est actuellement en
cours d’exploration.
Peu d’études explorent le rôle de MRP1 dans les hémopathies
lymphoïdes.
Un taux basal est là aussi retrouvé, avec une
augmentation parfois très nette après exposition aux cytostatiques.
H - BCRP (« BREAST CANCER RESISTANCE PROTEIN »)
OU ABCG2
:
Il s’agit d’une petite protéine, décrite simultanément par trois
groupes.
Isolée comme une protéine ABC spécifique du placenta
(ABC « P »), elle a aussi été retrouvée dans une lignée de tumeur
mammaire (MCF7) multirésistante n’exprimant ni P-gp ni MRP1
(BCRP), et dans une lignée de cancer du côlon résistante à la
mitoxantrone (MXR1).
Cette protéine, fonctionnelle à l’état de
dimère, efflue préférentiellement la mitoxantrone, mais aussi les
autres anthracyclines, le bisanthrène et le topotécan.
Elle est
exprimée par les cellules souches « totipotentes » qui effluent le
composé Hoescht 33342, dont c’est un substrat.
ABCG2, à la différence de P-gp et MRP, est exprimée seulement dans
une fraction minime, mais peut-être importante (cellule « souche »
leucémique ?) de la population tumorale.
Très peu d’études
explorent la fonction d’ABCG2, car les tests fonctionnels, utilisant la mitoxantrone comme sonde et la fumitrémorgine C comme
inhibiteur, sont d’introduction récente.
Le rôle réel de l’expression
de BCRP dans la résistance d’une sous-population de cellules
exprimant fortement cette protéine est en cours d’exploration.
Protéine LRP
(« lung resistance protein »)
:
La protéine LRP a été identifiée dans une lignée de cancer du
poumon résistant.
Son spectre de résistance est plus large que celui
des protéines ABC, et s’étend en particulier aux alkylants et aux sels
de platine.
Il ne s’agit pas d’une protéine de la famille ABC.
Elle est
l’homologue de la major vault protein du rat, composant majoritaire
d’une organelle « de voûte » intracytoplasmique, dont le rôle dans
le trafic cellulaire est probable.
Le rôle de cette LRP n’a pas été
démontré in vitro (transfections sans effet sur la résistance), et les
données cliniques sont discordantes dans la LAM (deux études où
LRP est prédictif de la réponse, deux où elle ne l’est pas).
Dans la LAL de l’enfant, une étude associe la présence de LRP (mais non de
P-gp) à la résistance in vitro à la daunorubicine.
Résistance à l’apoptose chimio-induite :
Les lésions induites par les agents cytostatiques, si elles sont
irréparables, ont pour conséquence l’enclenchement d’une mort
cellulaire programmée ou apoptose.
Les facteurs pouvant
diminuer cette apoptose chimio-induite vont augmenter la survie
cellulaire des cellules tumorales, et donc la résistance à tous les
agents cytostatiques.
A - RÔLE DE P53 :
La p53 est activée en réponse aux lésions de l’ADN, et arrête la
cellule en phase G1 (via p21), permettant soit la réparation de l’ADN
lésé, soit l’induction de l’apoptose si les lésions sont irréparables,
jouant ainsi son rôle de gardien de l’intégrité du génome.
En cas de
p53 non fonctionnelle (le plus souvent par mutation ou délétion), le
seuil de lésion de l’ADN conduisant à l’apoptose augmente,
responsable de survie cellulaire et d’aggravation des lésions
géniques transmises aux cellules tumorales filles.
Dans les tumeurs hématologiques, la p53 est le plus souvent
fonctionnelle au diagnostic, mais des mutations ont été décrites
au cours de l’évolution tumorale, surtout dans les pathologies
lymphoïdes (LLC, avec délétion du chromosome 17).
B - RÔLE DES INHIBITEURS DU CYCLE CELLULAIRE
:
Des altérations géniques des inhibiteurs de cycle de la famille INK4
(p15 et p16), qui contrôlent la progression des cellules de la phase
G1 à la phase S, sont fréquemment retrouvées dans les LAL (30 %),
plus particulièrement dans les types agressifs (LAL T prolifératives,
au cours des rechutes).
Un taux élevé de p27, inhibiteur universel des cyclines, dans les
lymphocytes tumoraux de LLC est corrélé à une résistance relative
à la fludarabine in vitro et une évolutivité plus rapide de la
maladie.
C - PROTÉINES DE LA FAMILLE BCL-2
:
En empêchant l’ouverture des pores mitochondriaux, bcl-2 et bcl-xL
jouent un rôle antiapoptotique important dans la cellule, qui est bien
démontré in vitro.
Les LAM de l’adulte exprimant fortement bcl-
2 et les LAL en rechute de l’enfant s’accompagnent d’une baisse
significative du ratio bax/bcl-2 (bax ayant un effet
proapoptotique).
Résistance à la cytarabine (Ara-C)
:
Traitement majeur des leucémies aiguës, l’étude de son mode
d’action et des mécanismes de résistance permet de montrer d’autres
aspects de défense cellulaire aux cytostatiques.
Les analogues des nucléotides sont pris en charge par des
transporteurs transmembranaires, puis doivent être phosphorylés
pour être actifs (incorporation dans l’ADN, inhibition des ADN
polymérases), et ne doivent pas être désaminés.
L’analogue entre en
compétition, pour sa phosphorylation et son incorporation dans
l’ADN, avec le nucléotide naturel, la cytidine.
Une baisse des
récepteurs, un défaut en cytidine kinase, une augmentation de la
désaminase, un taux accru de désoxycytidine triphosphate (dCTP)
participent donc à une moindre efficacité de l’Ara-C.
Une
5’-nucléotidase très fonctionnelle, capable de déphosphoryler l’Ara-
CMP, diminue l’accumulation d’Ara-CTP dans les blastes et est un
facteur pronostique indépendant dans les LAM de l’adulte.
Réversion du phénotype MDR :
A -
RÉVERSION DE L’EFFLUX DES CYTOSTATIQUES
DÛ AUX POMPES ABC
:
1- Chimiothérapies « alternes » :
L’utilisation de cytostatiques non efflués par les protéines ABC
représente une première possibilité.
Le succès des traitements par la cytarabine à fortes doses dans les LAM en échec pourrait être
expliqué par l’absence d’efflux de cet analogue des bases
pyrimidiques par la P-gp.
Les conditionnements pour greffe de cellules souches
hématopoïétiques, comprenant des alkylants à fortes doses et une
irradiation corporelle totale, sont également un moyen efficace
d’éradiquer les cellules tumorales MDR (+).
2- Inhibition de la P-gp :
Depuis l’observation d’un effondrement de la résistance de lignées
P-gp (+ ) en présence de vérapamil, les laboratoires ont ciblé les
produits capables de « moduler » l’efflux de la P-gp dans les lignées
de phénotype MDR.
La perspective de contrôler la
chimiorésistance en coadministrant ces produits avec les
cytostatiques chez des patients porteurs de tumeurs multirésistantes
a conduit à de nombreux essais de phases I et II.
Les modulateurs
utilisés ont d’abord été ceux déjà commercialisés pour d’autres
usages, comme le vérapamil, la niguldipine, l’amiodarone, la
ciclosporine, la quinine.
La plupart de ces médicaments agissent par
compétition avec les cytostatiques auprès de la P-gp, sans modifier
son expression.
B - ESSAIS CLINIQUES DE MODULATION DE LA P-GP :
De nombreux essais de phase I et de phase II, en hématologie
comme dans les tumeurs solides, ont permis de sélectionner la
quinine et la ciclosporine comme étant capables d’atteindre des
concentrations sériques inhibitrices de la P-gp, sans toxicité majeure
ou irréversible.
Des essais randomisés de phase III ont alors été
conduits, surtout dans la LAM de l’adulte, en raison du pronostic
très péjoratif de l’expression de la P-gp dans cette pathologie.
Parallèlement, les laboratoires pharmaceutiques ont développé des
produits spécifiquement ciblés pour leur pouvoir de modulation du
phénotype MDR.
Le premier en essai de phase III a été le PSC833,
de Novartis : il s’agit d’un dérivé de la ciclosporine D, 10 fois plus
reversant que la ciclosporine A, mais ni néphrotoxique ni
immunomodulateur.
En revanche, comme la ciclosporine A, il
entraîne un syndrome rétentionnel transitoire et une diminution très
importante de la clairance des cytostatiques coadministrés
dépendant de la P-gp, comme les anthracyclines, les vincaalcaloïdes,
l’étoposide (VP16) ou les taxanes.
Cette interaction est
moins prononcée pour la quinine, peut-être en raison de son absence
d’interaction avec les cytochromes P450.
Alors que les essais de phase III utilisant la ciclosporine A ou la
quinine ont simplement comparé un traitement ajoutant des doses
« réversantes » de modulateur à un schéma optimal classique de
traitement de LAM (anthracycline + cytarabine + /- VP16), les essais
avec le PSC833 ont comporté une baisse importante (de 30 % à 66 %)
des doses d’anthracycline et de VP16 lors de la coadministration
avec le modulateur, afin d’obtenir des concentrations sériques
équivalentes de cytostatique dans les deux groupes.
En dehors de l’essai du South Western Oncology Group utilisant la
ciclosporine avec la daunorubicine et la cytarabine à fortes doses
dans des LAM de mauvais pronostic, où la survie sans rechute est
significativement meilleure chez les patients recevant le
modulateur, les autres études utilisant la quinine ou le
PSC833 n’ont pas montré, dans la population globale, d’avantage
à utiliser un modulateur.
Deux essais avec le PSC833 ont même été
arrêtés prématurément chez des sujets âgés traités pour LAM, en
raison d’une trop grande mortalité chez ceux recevant le PSC833.
Une étude plus attentive de ces essais de phase III montre un
avantage significatif en termes d’obtention de rémission en faveur
de l’ajout du modulateur chez les patients ayant des blastes avec
une activité P-gp, alors que cet avantage n’est pas retrouvé chez les
autres.
Il est donc important de réserver les modulateurs de la P-gp
aux LAM avec P-gp fonctionnelle.
Les autres modulateurs de la P-gp en développement sont moins
avancés, et sont soit en phase II, soit en début de phase III.
Le
LY335979 est un dérivé quinoliné, le XR9576 un dérivé d’acide
anthranilique, tous deux efficaces par voie orale.
C - RÉVERSION DES AUTRES POMPES ABC
:
L’échec relatif des inhibiteurs de la P-gp dans les LAM et le rôle
pronostique d’autres pompes ABC ont amené les laboratoires à
développer des inhibiteurs de plusieurs pompes ABC : le GG120918,
un dérivé d’acridone carboxamide, inhibe à la fois la P-gp et la
BCRP, et le VX710, un dérivé de pipecolinate, est un modulateur de
P-gp, de MRP et de BCRP.
Ce dernier produit est actuellement en
phase II-III.
Restauration de l’apoptose
chimio-induite :
A -
INHIBITION DE BCL-2
:
L’inhibition de bcl-2 par un antisens augmente de façon très nette
l’apoptose chimio-induite in vitro.
Le G3139, un oligonucléotide de
18 bases complémentaire des premiers codons de bcl-2, est actuellement en phase III dans les LAM, en combinaison avec une
chimiothérapie classique.
Les essais de phase II ont montré une
inhibition complète de bcl-2 dans les blastes, sans toxicité
majeure.
B - INHIBITION DE LA FARNÉSYLATION DE RAS
:
Les protéines de la famille Ras sont activées en aval des
phosphorylations de tyrosine kinases (signaux de prolifération
envoyés par des récepteurs activés ou mutés), et vont à leur tour
activer une cascade de phosphorylation passant par Raf, MEK-1 et ERK. Pour être actif, Ras doit être farnésylé.
Plusieurs inhibiteurs
de la farnésylation ont été développés par les firmes
pharmaceutiques, pour bloquer les cascades de phosphorylation qui
sont, le plus souvent, des signaux de prolifération cellulaire.
Des
études de phases I et II ont été conduites dans des LAM résistantes
ou en rechute avec le Zarnestra (R115777), et d’autres produits sont
en développement (SCH66336, RPR130401). Une inhibition de la
phosphorylation d’ERK est observée in vivo dans les blastes, et
quelques réponses cliniques ont été observées.
Identification de nouveaux
mécanismes de résistance :
Nous avons vu qu’un seul mécanisme ne suffit pas à expliquer les
résistances aux cytostatiques observées.
Il s’agit de phénomènes
complexes, probablement induits par le stress d’une exposition sublétale de la cellule aux cytotoxiques.
Ceci plaide pour une
chimiothérapie très agressive d’emblée, pour limiter cette induction
de résistance.
Pour déterminer les gènes exprimés ou réprimés responsables de la
résistance aux cytostatiques, la technique des puces à ARN et la protéomique sont particulièrement intéressantes.
En se servant de
lignées au profil bien défini, ne différant que par l’acquisition d’une
résistance à tel ou tel cytostatique, il devient possible de sélectionner
une petite quantité de gènes dont l’expression change (une centaine
sur 20 000 testés) : il s’agit de gènes impliqués dans le cycle
cellulaire, les signaux de transduction et de transcription.
La
réalisation de « puces » dédiées devrait permettre de reconnaître une
« signature » de profil de résistance avant le traitement, conduisant,
si possible, à un traitement adapté.