Accidents des traitements anticoagulants oraux Cours de
réanimation - urgences
Introduction
:
Les antivitamines K (AVK) sont des
anticoagulants oraux utilisés depuis plus
d’un demi-siècle dans la prévention et le
traitement des accidents thromboemboliques.
Bien que leur efficacité
soit largement reconnue, leur maniement en
apparence facile reste encore délicat compte
tenu des nombreuses interactions
médicamenteuses, des variations
interindividuelles liées au régime
alimentaire et à la compliance plus ou moins
effective du patient.
Chez un patient traité,
la prise d’AVK expose à deux risques
principaux :
– l’hémorragie liée à un surdosage ;
– la thrombose liée à un sous-dosage.
Ceci souligne l’importance de la surveillance
biologique et de l’équilibre de l’hypocoagulation
induite par un tel traitement.
Hémorragies
:
A - INCIDENCE
:
En France, plus de 600 000 personnes sont
sous traitement AVK, soit près de 1 % de la population.
Dans les deux tiers des cas, il
s’agit d’une pathologie cardiaque
(valvulopathies, troubles du rythme,
syndromes coronariens) et dans un tiers des
cas, de la prise en charge d’une maladie
thromboembolique veineuse.
Les accidents hémorragiques imputables aux AVK représentent la première cause
d’accident iatrogène responsable de près de
20 000 hospitalisations/an en France avec
une incidence d’épisodes hémorragiques
graves de 4,9/100 patients-année et
d’accidents mortels de 0,8/100 patientsannée.
Aux États-Unis, sur plus de 2 millions de
sujets traités, la mortalité par accidents
hémorragiques est estimée à 1 %.
Une étude rétrospective sur 530 patients montre
une incidence de 2,7 % de décès par
hémorragie par année de traitement.
Cette
fréquence est bien plus élevée que celle
observée dans les travaux plus récents.
Ainsi, dans l’étude italienne ISCOAT, les
auteurs rapportent une incidence
hémorragique bien plus faible que celle de
la littérature (0,25 % patients-année
d’accident fatal, 1,1 % patients-année
d’accident majeur et 6,2 % patients-année
d’accident mineur) pour une efficacité
antithrombotique comparable (3,6 %
patients-année de récidive).
L’international normalized ratio (INR) moyen recherché a
permis de définir deux groupes de patients :
INR inférieur à 2,8 dans le groupe faible
intensité (n = 1 381 ; 1,8 > INR £ 2,8) et INR supérieur à 2,8 dans le groupe forte intensité
(n = 630 ; 2,8 > INR < 4,5).
Les accidents
hémorragiques sont significativement plus
fréquents dans le groupe à INR supérieur à
2,9 (p < 0,05).
Ils sont le plus souvent
mineurs (épistaxis, gingivorragies,
hémorragies urogénitales), survenant dans
plus de 30 % des cas au cours des trois
premiers mois et ils ont valeur d’alerte.
On
ne parle d’accident hémorragique majeur
qu’en cas de localisation intracrânienne ou rétropéritonéale, l’origine principale des
saignements étant digestive, ou d’événement
nécessitant une transfusion globulaire.
Dans une revue récente de la littérature, il
apparaît que l’incidence annuelle des
accidents hémorragiques fatals varie de 0 à
4,8 % et celle des hémorragies majeures de
2,4 à 8,1 % alors que les hémorragies
mineures sont rapportées chez près de 15 %
des patients.
B - FACTEURS DE RISQUE
:
Les facteurs de risque hémorragiques sous AVK
sont de mieux en mieux identifiés.
L’âge est le facteur le plus
important avec une augmentation du risque
d’hémorragie majeur de près de 50 % par
décennie au-delà de 40 ans.
Compte tenu
des modifications pharmacocinétiques et de
la diminution de la clairance des AVK, les
doses nécessaires chez les sujets de plus de
75 ans sont réduites de moitié par rapport à
celles des patients de 35 ans.
Il apparaît
que le risque hémorragique annuel des
sujets de plus de 75 ans passe de 1,6 % avec
un INR à 1, à 5 % en cas d’INR à 2,5 et à
50 % avec un INR à 4.
Le risque individuel
hémorragique doit donc être systématiquement
évalué lors de la mise en route du
traitement.
Dans l’étude ISCOAT, l’incidence
accrue liée à l’âge et à l’intensité du
traitement était confirmée :
Une récente étude prospective sur
360 patients ayant une fibrillation auriculaire
a montré que les paramètres les plus
importants restent le grand âge (> 65 ans), le
diabète et la polythérapie (plus de trois
médicaments) qui reflètent en réalité une
comorbidité plus complexe.
Les complications sont plus fréquentes chez
les patients peu compliants et ayant
bénéficié d’une éducation insuffisante vis-àvis
de la surveillance du traitement.
Sur 2 à 3 millions de patients traités par AVK au long cours, 25 à 210 000 accidents
hémorragiques majeurs sont répertoriés ;
5 à 10 000 épisodes d’hémorragie
intra cérébrale (HIC) surviennent
annuellement aux États-Unis et ce risque ne
semble pas lié uniquement à l’âge ou à
l’intensité de l’hypocoagulation.
Ainsi,
dans une très récente étude cas-contrôle, il a
été confirmé que la leucoaraïose associée à
l’antécédent d’accident vasculaire cérébral
est un facteur de risque indépendant d’HIC
avec un risque 13 fois supérieur.
Un autre
facteur a également été proposé : le genotype
APOE comme marqueur de l’angiopathie
amyloïde cérébrale.
C - ÉVALUATION DU RISQUE
HÉMORRAGIQUE
:
L’appréciation du risque hémorragique n’est
pas la même selon l’indication et l’intensité
du traitement anticoagulant, le type
d’affection et la gravité des hémorragies.
L’estimation de ce risque nécessite une
évaluation correcte du bénéfice
thérapeutique.
Dans cette optique, la
standardisation de l’évaluation du risque
hémorragique est proposée sous la forme
d’un index de sévérité hémorragique.
Véritable algorithme basé sur des critères
quantitatifs non subjectifs, le caractère aigu
ou chronique de l’hémorragie et les
conséquences de l’accident, cet index
apparaît reproductible.
Ainsi, il est de 2 %
pour les accidents hémorragiques majeurs.
L’incidence est différente selon l’intensité ou
l’indication du traitement, le terrain et le
type d’accident.
L’intensité du traitement
anticoagulant est un élément prépondérant
et il existe une zone frontière avec un INR
compris entre 2 et 2,5.
La période initiale du
traitement anticoagulant (1 à 3 mois) est
particulièrement sensible avec une incidence
élevée d’accidents hémorragiques.
L’application de la règle des « 4 D » des
auteurs anglo-saxons permet de minimiser
ce risque : « dose » utilisée, médicaments
associés (drugs), maladies associées ou
intercurrentes ( d i s e a s e ) , variables
« démographiques » (âge, sexe), sans omettre
la compliance au traitement ni l’activité
physique du patient qui peut favoriser les
accidents hémorragiques post-traumatiques.
La qualité de la surveillance clinique et
biologique permet de réduire la fréquence
des accidents hémorragiques.
Il faut sensibiliser le patient sur la prise de
médicament en vente libre tels que l’aspirine
et les autres anti-inflammatoires non
stéroïdiens qui sont particulièrement
dangereux en association avec la warfarine.
Il faut suspecter un risque hémorragique
accru devant l’apparition d’un saignement,
même s’il semble mineur :
– rectorragies ou présence de sang rouge
dans les selles, melena ;
– vomissements ou crachats sanglants ;
– saignement prolongé d’une plaie minime.
D’autres signes fonctionnels peuvent faire
suspecter un saignement occulte :
– asthénie croissante ;
– essoufflement ou dyspnée à l’effort ;
– pâleur inhabituelle ;
– céphalées résistantes aux antalgiques
classiques ;
– malaise inexpliqué.
D - CORRECTION D’UN SURDOSAGE
EN ANTIVITAMINES K :
En cas d’hypocoagulation trop importante,
l’arrêt transitoire de l’AVK s’impose mais
devant le risque hémorragique majeur en cas
d’INR supérieur à 6, il est recommandé
d’administrer de la vitamine K per os ou
par voie parentérale.
Une étude récente
randomisée a comparé l’efficacité de ces deux voies d’administration chez des
patients asymptomatiques ayant un INR
compris entre 4,5 et 10 recevant alors 1 mg
de vitamine K per os (n = 26) ou souscutané
(n = 25).
Il a été montré que la voie
orale sublinguale est plus efficace que la voie
sous-cutanée avec une correction rapide de
l’INR le jour même de la substitution
vitaminique.
Dans une récente étude, il apparaît que les
recommandations des conférences de
consensus nord-américaines concernant
l’utilisation de la vitamine K orale en cas de
surdosage en AVK et les modalités de prise
en charge des patients à risque
hémorragique élevé ne sont pas suivies en
pratique par près de la moitié des centres
interrogés.
Cela souligne l’hétérogénéité
encore importante de la prise en charge des
patients dans ce contexte, liée en partie au
grade peu élevé (2C) des recommandations
des conférences d’experts.
En cas d’INR particulièrement élevé et de
difficultés pour le patient d’appliquer les
recommandations thérapeutiques,
l’hospitalisation est nécessaire.
En cas de risque vital, la correction par
l’apport de concentrés en facteurs vitamine K-dépendants est préconisée (Prothrombine,
Proconvertine, facteur Stuart, facteur antihémophilique B : PPSB, Kaskadilt 20 à
30 UI/kg).
La perfusion de plasma frais
congelé sécurisé (150 mL/10 kg) ou de
facteur VII activé (NovoSevent) a été aussi
rapportée dans certains cas.
En contexte chirurgical, l’attitude pratique à
recommander doit prendre en compte à la
fois le risque thrombotique inhérent à l’acte
et/ou lié au terrain et le risque
hémorragique per- et postopératoire :
– maintien de l’INR entre 2 et 3 et assurance
de l’hémostase locale sous contrôle de la vue
pour des interventions du type extraction
dentaire, biopsie cutanéomuqueuse,
ponction sternale... ;
– arrêt du traitement AVK 2 ou 3 jours pour
assurer un INR inférieur à 1,5 et relais
possible sous couvert d’une héparinothérapie
pour la prophylaxie antithrombotique
en postopératoire immédiat en cas de
chirurgie abdominale ou orthopédique ;
– arrêt du traitement AVK avec un relais
par héparine arrêté en préopératoire (12 à 24
heures) mais repris en postopératoire en cas
de chirurgie lourde associée à des
antécédents thrombotiques récents.
E - SURVEILLANCE DES TRAITEMENTS
PAR LES ANTIVITAMINES K
:
Pour la surveillance adéquate d’un
traitement par AVK, il importe de bien
connaître les modalités thérapeutiques
(posologie, nombre de prises, observance,
prise médicamenteuse associée...).
La
surveillance biologique du traitement doit
se faire à l’aide de l’INR, rapport du temps
de coagulation du malade sur le temps du
témoin élevé à la puissance de l’indice de
sensibilité international du réactif (ISI).
Une
hiérarchisation des zones thérapeutiques en fonction du contexte
clinique a été adoptée de façon consensuelle.
L’hypocoagulabilité souhaitée se définit maintenant selon un
schéma simple.
Le développement
de cliniques des traitements
anticoagulants dans les pays européens
(Hollande, Italie, Espagne, Grande-Bretagne) et aux États-Unis, assurant la prise
en charge complète du traitement, du
prélèvement au rendu d’INR et au conseil
thérapeutique, devrait autoriser la
diminution d’un facteur 3 à 4 de la
morbidité et de la mortalité liées à
l’utilisation des traitements par AVK et une
économie de 1 600 dollars/année/patient.
Bien que cela représente une économie
potentielle de 1 milliard d’euros par an en
France, ce système est difficilement
applicable.
Il s’agit en fait d’un véritable
partenariat avec le médecin traitant, avec
une structure de conseil pour l’ajustement
des posologies par exemple.
Ces cliniques
constituent surtout une structure
d’éducation pour le patient, d’expertise pour
les traitements antithrombotiques,
permettant la réalisation d’enquêtes
épidémiologiques. L’éducation du patient
reste en effet un objectif primordial.
Trois
études épidémiologiques mises en place par
l’AFSSAPS en 2000 auprès de
195 pharmacies d’officine et de 436
laboratoires d’analyses biologiques ont
permis de révéler la méconnaissance du
traitement par les patients.
Ainsi, 98 % des
patients connaissent la nécessité de la
surveillance biologique et 76 % des patients
ont lu la notice du médicament utilisé.
Mais
seulement 52 % connaissent les risques dus
à un surdosage ou à un traitement
insuffisant, 60 % ne connaissent pas les
signes de surdosage et 11 % des patients
interrogés savent qu’il faut signaler leur
traitement au médecin, au dentiste ou à leur
biologiste.
Alors que 48 % des biologistes
ignorent l’indication des AVK pour leurs
patients, il apparaît que près de la moitié
des patients sont en dehors de la zone
thérapeutique.
Nécrose cutanée
:
La nécrose cutanée est une complication rare
des AVK avec une fréquence d’environ
0,1 %.
Elle survient chez des patients entre
le troisième et le septième jour de traitement
et elle est généralement localisée dans les
régions graisseuses (seins, cuisses, fesses).
Ces lésions sont dues à un état
d’hypercoagulabilité provoquée par la
diminution plus rapide des taux de
protéines C et S, les autres facteurs vitamines K-dépendants à demi-vie plus longue
(facteurs IX, X et II) étant moins abaissés.
Cet accident est donc à redouter en cas de
déficit homozygote en ces inhibiteurs
physiologiques de la coagulation.
Il peut
survenir également chez les sujets
déficitaires en antithrombine, présentant un
lupus érythémateux disséminé ou en dehors
de tout contexte clinique reconnu.
Il
convient donc, chez ces patients, d’utiliser
un AVK de longue durée d’action à doses
progressivement croissantes et de prolonger
le relais de l’héparinothérapie pendant 10 jours jusqu’à l’obtention d’une
hypocoagulation stable en rapport avec
l’indication établie.
Foetopathies
:
Un risque d’embryopathie associée aux AVK, capables de traverser le placenta, est
maximum à la 6-12e semaine de grossesse,
contre-indiquant ainsi leur usage au début
de grossesse.
Différentes malformations sont
décrites : agénésie nasale, atteinte des
épiphyses, encéphalopathie, hémorragie
foetale...
Ce risque tératogène diminue avec
le terme de la grossesse, pouvant autoriser
dans de rares cas l’usage des AVK de la 16e
à la 30e semaine de grossesse.
Les doses
utilisées sont alors généralement plus faibles.
Du fait du risque hémorragique en fin de
grossesse, ce traitement reste aussi proscrit
au moins 6 semaines avant l’accouchement.
Un relais par une héparine standard ou une HBPM est généralement pratiqué dans ce
contexte.
Autres accidents
:
Des accidents immunoallergiques (rash
cutané, leucopénie, agranulocytose, hépatite
cytolytique, insuffisance rénale aiguë) sont
parfois observés avec la phénylindanedione
et la fluindione.
La survenue entre la
quatrième et la sixième semaine d’un
épisode fébrile associé à une éruption
cutanée prurigineuse et extensive impose
l’arrêt immédiat du traitement et un bilan hépato-hémato-rénal complet.
De rares cas
de troubles digestifs (nausées, vomissements)
ont été décrits avec les dérivés coumariniques.
Conclusion
:
L’utilisation actuelle des AVK montre la
nécessité de l’adaptation du traitement au cas
par cas.
De plus, le respect des indications,
indissociable d’une véritable éducation du
patient (carnet de surveillance), permet une
optimisation du rapport bénéfice/risque.
Il
semblerait que cette meilleure prise en charge
de la surveillance des traitements par AVK
réduise significativement la mortalité
imputable à ce traitement avec des données
plus récentes de l’ordre de 0,2 % et non de 1 %.
L’avenir d’un contrôle de la coagulation par
le patient lui-même à l’aide d’appareils
automatiques (home-tests) utilisant le sang
capillaire ou veineux reste encore incertain.
Dans cette attente, il faut organiser une
surveillance biologique d’accès facile aux
patients en évitant la nécessité de rendez-vous
et les attentes prolongées lors du prélèvement
sanguin.
Cette simplification a été réalisée
dans les centres spécialisés.
Elle existe
pratiquement de fait dans les grandes villes, en
médecine libérale et dans de rares centres
hospitaliers.