Acceptation à long terme du traitement par pression positive continue

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Introduction :

Le syndrome d’apnées obstructives du sommeil (SAOS) est une affection fréquente dans la population générale, sa prévalence étant estimée à 2 à 4 % des sujets de 30 à 60 ans. Cette affection est responsable d’une augmentation du risque d’accidents de la circulation et d’accidents du travail en rapport avec la somnolence diurne.

Elle est également reconnue comme un facteur de risque indépendant pour les maladies cardiovasculaires. Le SAOS est une affection chronique qui ne s’améliore pas spontanément. Certaines études cliniques et épidémiologiques ont suggéré la possibilité d’une aggravation de l’index d’apnées-hypopnées (IAH) en l’absence de traitement.

Acceptation à long terme du traitement par pression positive continue

La pression positive continue (PPC) est le traitement de référence des patients atteints de SAOS modéré à sévère. Elle permet de diminuer la somnolence diurne, d’améliorer la qualité de vie et les fonctions cognitives et de diminuer la pression artérielle après quelques semaines d’utilisation régulière.

Il s’agit néanmoins d’un traitement contraignant associé à des effets secondaires locaux susceptibles d’entraver son utilisation régulière et prolongée. De nombreuses études se sont intéressées à l’acceptation et à l’observance journalière de la PPC avec cependant des durées de suivi dépassant rarement 3 ans.

En Europe, les premiers appareils de PPC ont été prescrits au début des années 1980. Certains patients sont donc potentiellement traités depuis près de 20 ans. Le CHU d’Angers fut un des premiers centres français à proposer le traitement par PPC aux patients atteints de SAOS. Tous les patients y ont été appareillés et suivis selon le même type de prestation. À partir de cette base de données rétrospective, il nous a semblé intéressant d’évaluer l’acceptation à long terme de la PPC chez les patients appareillés depuis plus de 10 ans.

Patients et méthode :

Patients :

La population était constituée de l’ensemble des patients appareillés par PPC dans l’unité de sommeil du département de Pneumologie du CHU d’Angers entre 1985 et 1993. Le diagnostic de SAOS était établi chez tous les patients par une polysomnographie comprenant l’enregistrement des stades de sommeil (électroencéphalogramme, électromyogramme mentonnier, électrooculogramme), des sons trachéaux, des mouvements thoraco-abdominaux (plethysmographie d’induction) et de la saturation oxyhémoglobinée. Les apnées obstructives étaient définies comme un arrêt complet du signal de son pendant au moins dix secondes avec persistance d’efforts respiratoires ; les hypopnées étaient définies comme une diminution de l’amplitude du signal de son pendant au moins 10 secondes accompagnée d’une désaturation d’au moins 4 %.

Tous les patients remplissaient un questionnaire standardisé permettant d’évaluer de façon subjective la somnolence diurne, les troubles du sommeil (ronflements, apnées constatées par le conjoint) et les antécédents cardio-vasculaires (hypertension artérielle, coronaropathies, cardiomyopathies, troubles du rythme). Tous les patients bénéficiaient d’explorations fonctionnelles respiratoires, la BPCO était définie sur des symptômes cliniques et un rapport de Tiffeneau < 70 %. La décision de traiter les patients était basée la présence d’un index d’apnées et hypopnées (IAH) supérieur ou égal à 10 par heure et d’au moins deux symptômes compatibles avec le diagnostic de SAOS.

La mise en route de la PPC comprenait 3 nuits d’hospitalisation dont une nuit de titration et deux nuits d’habituation. La titration était faite manuellement au cours d’une nuit de polysomnographie. La pression retenue était celle permettant la disparition des apnées, des hypopnées et des ronflements. Tous les patients étaient appareillés par une PPC en mode constant munie d’un compteur horaire permettant de déterminer l’observance journalière. Le suivi médical des patients sous PPC comprenait une consultation à 1 mois, 3 mois, 6 mois puis de façon annuelle.

En cas de problème intercurrent, les patients avaient la possibilité de contacter le technicien du prestataire et de solliciter une consultation médicale. L’observance journalière était relevée annuellement par le prestataire et communiquée au médecin. En cas d’observance inférieure à 2 heures, une consultation médicale était proposée pour régler d’éventuels problèmes techniques et motiver le patient. En l’absence d’amélioration de l’observance lors du contrôle suivant (en moyenne 1 à 3 mois après), les patients étaient désappareillés.

Méthodologie de l’étude :

Les dossiers médicaux des patients ont été analysés de façon rétrospective de manière à colliger les données suivantes : données anthropomorphiques, pathologies associées, données du questionnaire de sommeil, données polysomnographiques, pression de titration et motifs d’arrêt de la PPC. Les dates d’installation à domicile et d’arrêt de la PPC ainsi que les données d’observance ont été extraites de la base de données informatique du prestataire. La date d’évaluation était le 31 décembre 2003.

Analyse statistique :

L’analyse statistique a été effectuée à l’aide du logiciel STATA ™, version 8.0 (STATA corp., College Station, Texas, USA). Les variables étaient exprimées selon leur distribution en moyenne ± déviation standard (DS) ou en médiane (interquartile range [IQR]). Le test t de Student, le test de Mann-Whitney, l’analyse de la variance et le test de Kruskall-Wallis) ont été utilisés en fonction de leurs conditions d’applications pour comparer les patients décédés aux patients encore vivants à la date d’évaluation.

Pour l’étude de l’acceptation à long terme de la PPC, une méthode d’analyse de survie a été utilisée. Un patient était défini comme utilisateur si : 1) le dernier relevé d’observance datait de moins d’un an à la date de l’évaluation ou à la date du décès et 2) le patient était toujours appareillé à la date de ce relevé avec une observance journalière ≥ 2 heures. La durée de suivi était définie par le délai séparant mise en route de la PPC (considérée comme la date d’inclusion) et soit le dernier relevé d’observance soit le désappareillage. Les décès étaient censurés dans l’analyse statistique : un patient décédé mais encore appareillé lors du dernier relevé d’observance était considéré comme ayant accepté la PPC tout au long de son suivi.

L’évolution du pourcentage de patients demeurant sous PPC était représentée par une courbe selon la méthode de Kaplan-Meier. Un test du Logrank était utilisé pour comparer l’évolution du pourcentage d’utilisateurs de la PPC selon les différentes catégories des variables explicatives. L’analyse univariée permettait de sélectionner les variables significativement liées à l’utilisation à long terme de la PPC et utilisées ultérieurement dans l’analyse multivariée. Le seuil de signification choisi était : α’ < 0,25. Un modèle des risques proportionnels (modèle de Cox) était utilisé pour estimer l’effet des variables cliniques et biologiques selon une procédure pas à pas descendante. Le seuil de signification α était fixé à 0,05.

Résultats :

Au total, 139 patients consécutifs ont été appareillés par PPC entre janvier 1985 et décembre 1993. Deux patients n’ont pu être inclus dans l’étude car leurs dossiers médicaux n’étaient pas disponibles.

Les 137 patients inclus comprenaient 119 hommes (87 %) et 18 femmes (13 %) d’âge moyen 58 ± 12 ans. Soixante-cinq pourcents étaient fumeurs ou exfumeurs, 18 % étaient porteurs d’une BPCO, 58 % étaient hypertendus et 18 % avaient des antécédents cardiaques (cardiopathies, troubles du rythme, coronaropathies) au moment du diagnostic. L’indice de masse corporelle (IMC) était en moyenne de 34 ± 8 kg/m2. Une plainte de somnolence diurne excessive était notée à l’interrogatoire dans 94 % des cas. L’IAH était en moyenne de 56 ± 24. Le niveau de PPC déterminé à l’issue de la nuit de titration était en moyenne de 11 ± 2 cm d’eau.

La durée moyenne du suivi de l’ensemble de la population était de 9,2 ± 4,7 ans. A la date d’évaluation, 72 patients (53 %) étaient toujours sous PPC avec une durée médiane d’utilisation journalière de 7.5 heures (IQR : 6-9) à la dernière visite. Durant la période de suivi, 30 patients (22 %) sont décédés, 5 (4 %) ont déménagé et ont donc changé de prestataire et 30 (22 %) ont arrêté la PPC. Tous les patients décédés utilisaient leur PPC au moins 2 heures par jour lors du dernier contrôle réalisé en moyenne 197 ± 155 jours avant le décès. Les patients décédés et non décédés n’étaient pas différents en terme d’IMC ou d’IAH. En revanche, les patients décédés étaient plus âgés lors de la mise sous PPC que les non décédés (64 ± 9 vs. 56 ± 11 ans ; p = 0,0002).

Parmi les 30 patients ayant arrêté la PPC, les motifs d’arrêt étaient les suivants : 1/désintérêt du patient pour la PPC dans 13 cas (comprenant les désappareillages pour utilisation insuffisante) ; 2/intolérance à la PPC dans 7 cas ; 3/amaigrissement (de 11 à 50 kg) dans 4 cas ; 4/traitement chirurgical dans 6 cas, comprenant 2 uvulo-pharyngo-palatoplasties, une turbinectomie et 3 trachéotomies (dont 2 en post-opératoire et 1 réanimation). Dix pour cent des arrêts de traitement étaient survenus dans les 6 premiers mois, 30 % dans la première année et 67 % dans les 3 premières années.

Quatre-vingt-deux pour cent (intervalle de confiance à 95 % [IC] = 75-88 %) des patients demeuraient sous PPC à 5 ans, 77 % ([IC] = 69-84 %) à 10 ans et 61 % ([IC] = 40-77 %) à 15 ans. L’analyse univariée ne montrait aucune relation entre l’utilisation à long terme de la PPC d’une part et les données anthropomorphiques (âge sexe, IMC) ou les co-morbidités (tabac, BPCO, HTA, maladies cardiovasculaires) d’autre part. Par contre, les facteurs prédictifs d’une meilleure acceptation à long terme de la PPC étaient un IAH plus élevé (risque relatif d’abandon [RR] = 0,35 ([IC] = 0,17-0,72) pour un IAH ≥ 30 versus < 30, p = 0,004), une SaO2 moyenne plus basse (RR = 1,12 ([IC] = 1,03- 1,23) pour chaque augmentation de 1% de la SaO2 moyenne, p = 0,009) et un niveau de PPC plus élevé (RR = 0.42 ([IC] = 0,21-0,84) pour une PPC > 10 versus ≤ 10, p = 0,014).

En analyse multivariée, les deux facteurs prédictifs d’une meilleure acceptation à long terme de la PPC étaient l’IAH ≥ 30 ([RR] = 0,38 ([IC] = 0,18-0,77), p = 0,008) et la PPC > 10 ([RR] = 0,45 ([IC] = 0,22-0,90), p = 0,025). L’analyse en sous groupes de sévérité montrait que 58 % (95 % CI = 36-75 %) des patients ayant un IAH < 30 demeuraient sous PPC à 10 ans contre 82 % (95 % CI = 72-87 %) des patients ayant un IAH ≥ 30.

Discussion :

À partir d’une cohorte rétrospective de 137 patients appareillés entre 1985 et 1993 au CHU d’Angers nous avons pu évaluer le taux d’utilisation à long terme de la PPC à 82 % à 5 ans, 77 % à dix ans et 61 % à 15 ans. La probabilité de demeurer observant à la PPC à long terme était plus élevée chez les patients porteurs de SAOS sévères (IAH≥ 30) que dans formes modérées de la maladie.

La PPC est un traitement chronique souvent jugé contraignant par les patients et leur entourage. Dès lors, le risque de refus initial et surtout d’abandon à long terme constitue une des principales limites du traitement par PPC. Selon les études, le taux de refus initial de la PPC varie de 5 à 50 %.

La méthodologie de notre étude ne permettait pas d’évaluer ce paramètre puisque les patients étaient sélectionnés à partir de leur date d’appareillage à domicile par le prestataire.

Tous nos patients avaient donc accepté le traitement par PPC à l’issue de la titration. Les principales études précédemment publiées sur l’acceptation à long terme du traitement par PPC ont des suivis moyens ne dépassant pas 3 ans. Dans une étude portant sur 1 211 patients avec une médiane de suivi de 22 mois, Mc Ardle et coll. ont rapporté 20 % d’abandon de traitement, 3,5 % de décès et une probabilité de demeurer sous PPC à 5 ans de 68 %. Une étude portant sur 248 patients appareillés entre 1990 et 1995 et suivis en moyenne 39 mois, estimait à 70 % la probabilité d’être utilisateur à 6 ans.

Les meilleurs résultats en terme d’acceptation à long terme de la PPC ont été obtenus par Krieger et coll. avec respectivement 90 % et 85 % d’utilisateurs à 3 et 7 ans dans une étude portant sur 728 patients suivis en moyenne 40 mois. L’ancienneté de la prise en charge du SAOS par PPC au CHU d’Angers nous a permis de sélectionner 137 patients chez qui la prescription remontait à au moins 10 ans. La durée de suivi était en moyenne de 9 ans permettant d’estimer la probabilité de demeurer sous PPC à 77 % à 10 ans et 61 % à 15 ans. À notre connaissance il s’agit de la première étude renseignant sur l’acceptation du traitement par PPC à 10 ans et au-delà. Il est habituel de considérer que les abandons de PPC surviennent majoritairement au cours des premiers mois de traitement.

En fait, notre étude, montre qu’une proportion importante des désappareillages survient plus tardivement puisque 30 % seulement ont été observés au cours de la première année et près de 70 % dans les 3 premières années.

Audelà, les arrêts de traitement étaient majoritairement le fait des décès dont les causes n’ont pu être rétrospectivement analysées et dont la fréquence peut s’expliquer par la durée de suivi, l’age des patients à la mise sous PPC et la fréquence des co-morbidités. Ces résultats comme d’autres précédemment publiés soulignent l’intérêt de suivre de façon prolongée les patients traités par PPC.

Nous n’avons pas observé de corrélation entre l’acceptation à long terme de la PPC et les caractéristiques anthropomorphiques ou l’existence de co-morbidités vasculaires ou respiratoires. En particulier, notre étude comme celle de Pelletier-Fleury et coll. démontre l’absence d’influence de l’age à la mise sous PPC sur la probabilité de demeurer utilisateur à long terme de la PPC. En revanche, l’influence de l’IAH initial sur l’acceptation à long terme de la PPC ressort très nettement de l’analyse multivariée avec un taux d’acceptation à 10 ans de 82 % chez les patients ayant un IAH ≥ 30 contre 58 % chez ceux dont l’IAH initial était < 30. Chez les patients ayant un IAH < 30, le risque plus élevé d’abandon de la PPC concerne principalement les premiers mois de traitement qui constituent donc une période cruciale en terme d’éducation et d’accompagnement thérapeutique. La majorité de nos patients présentaient une plainte de somnolence diurne au moment du diagnostic.

A cette époque l’échelle de somnolence d’Epworth n’était pas encore utilisée de façon systématique. En l’absence de quantification de la somnolence diurne il n’a pas été possible d’établir de corrélation entre ce paramètre et l’acceptation à long terme de la PPC.

Nous n’avons pas d’explication univoque concernant la corrélation observée entre le niveau de PPC efficace et le taux d’acceptation à long terme. Bien que les données publiées sur le sujet soient contradictoires, il est habituel de considérer au contraire qu’une pression élevée est susceptible d’augmenter les effets secondaires locaux de la PPC et de s’opposer à son utilisation régulière et prolongée. Mc Ardle et coll. avaient néanmoins observé une corrélation identique en analyse univariée mais celle-ci disparaissait en analyse multivariée.

Les auteurs avaient considéré que le lien entre l’IAH et le niveau de PPC était responsable d’un biais statistique. Certains patients de notre étude ont été traités avec les premiers appareils de PPC disponibles en France. Il est possible que la capacité de ces appareils à délivrer de façon constante la pression prescrite ait été moins bonne qu’avec les appareils actuels.

D’autre part, la procédure de titration utilisée à l’époque ne prenait pas en compte les micro-éveils et les phénomènes de limitation de débit. Il est possible que les patients traités avec une pression basse (< 10) aient été sous-traités avec persistance d’évènements respiratoires anormaux et donc de symptômes.

Ces facteurs ont pu contribuer à un meilleur contrôle de la maladie et donc à une meilleure acceptation du traitement chez les patients traités avec une pression plus élevée.

Nous rapportons une durée médiane de fonctionnement de la PPC de 7,5 heures par jours chez les patients toujours sous traitement à la date de l’évaluation. Si l’on tient compte de la différence de 10 % habituellement admise entre la durée de fonctionnement de l’appareil et le temps réellement passé à la pression prescrite, l’observance effective chez nos patients se situe dans la partie haute de la fourchette de 4 à 7 heures/jours établie par les principales études antérieures. L’ancienneté de l’appareillage chez nos patients peut contribuer à expliquer la valeur élevée d’observance constatée par le fait d’une élimination au cours du temps des patients non compliants ou d’une adaptation progressive au traitement.

En conclusion, la PPC est un traitement généralement accepté au long cours en particulier chez les patients porteurs de SAOS sévères avec une probabilité de poursuivre le traitement de plus de 80 % à 10 ans et une observance journalière très satisfaisante. Les abandons de traitement sont plus fréquents dans le SAOS modéré et peuvent survenir tout au long des cinq premières années justifiant un suivi régulier et prolongé.

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