Dysembryogénèses et tumeurs dysembryoplasiques

0
5582

Généralités :

Il s’agit de l’étude des malformations constitutionnelles : celles des individus dont la conformation s’écarte de celle qui est habituelle à son espèce ou à son sexe.

C’est la conséquence d’un trouble plus ou moins profond de l’embryogénèse (= dysembryogénèse ou dysgénèse).

On y ajoutera l’étude des tumeurs nées de ces anomalies.

Ces affections s’opposent aux maladies acquises.

A – Caractères des dysembryogénèses :

Définitif : anomalie spontanément irréversible (ce qui élimine les déformations)

Dysembryogénèses et tumeurs dysembryoplasiques

Gravité variable : certains sont bénignes, d’autres léthales Les anomalies sont souvent associées, multiples

Evolution : parfois fixées, parfois évolutives, soit sous une forme tumorale, soit sous une forme métabolique.

Cette évolution peut les révéler cliniquement plus ou moins tard au cours de la vie.

B – Classification :

Les malformations affectent diverses parties de l’individu :

• Morphodysplasie externe : anomalie de la conformation externe du sujet

• Morphodysplasie interne (macro ou microscopique) : anomalies de nombre, de formes, de structures d’un ou de plusieurs organes

• Histiodysplasie : altération de la qualité d’un tissu (dans son ensemble ou localisée) avec possibilité de dérèglement physiologique par exemple par perturbation d’un système enzymatique.

• Les malformations peuvent affecter divers « feuillets embryologiques » isolément ou en association.

C – Fréquence :

Difficile à apprécier car souvent ce sont des anomalies bénignes latentes ; fréquence variable avec les espèces.

En 1962, on a pu chiffrer à 1,8% la responsabilité des dysgénèses dans les décès survenus pendant la première année de la vie.

1.4 Modalités de manifestations des dysgénèses

• Anomalie congénitale manifestée dès la naissance.

Si elle est importante, le sujet, non viable, est un monstre (tératologie)

• Anomalie constitutionnelle (terme plus large) : elle se manifeste cliniquement après une durée variable et peut ne pas s’extérioriser cliniquement

• Anomalie familiale : rencontrée dans une fratrie, chez plusieurs sujets nés des mêmes parents

• Anomalie héréditaire : retrouvée identique chez les parents et les enfants.

Ces termes ne sont pas synonymes.

Rappelons qu’une « dysplasie » est aussi un trouble de la maturation d’un tissu : renouvellement rapide.

Etiologie :

Les gamètes (ovule + spermatozoïde) –> oeuf –> embryon –> foetus –> nouveauné.

La cause de la dysgénèse peut siéger aux diverses étapes précédant la naissance.

A – Dysgénèse précoce liée à des facteurs anormaux présents dans l’oeuf :

Détermination endozygotique.

Il peut s’agir d’anomalie de la fécondation ou des gamètes.

• Transmission d’un gamète normal (héréditaire)

• Accident dans la formation d’un gamète (surtout l’ovule de vie beaucoup plus longue) ou mutation

On distingue les gènes pathologiques et les anomalies plus globales des chromosomes (exemples : aberrations chromosomiques : étude de la caryotype)

B – Dysgénèse due à une maladie de l’embryon, dont on observera les séquelles :

Embryopathie acquise, à détermination péristatique, post-gamétique.

L’agent pathogène frappe l’embryon par l’intermédiaire de l’organisme maternel.

L’embryon est fragile, surtout du 15ème jour à la fin du 3ème mois de la vie instantanée pendant la période d’organogénèse.

La date de l’agression compte plus que la nature de l’agresseur : notion de « calendrier embryologique »:

• Période d’axation (12 jours) : « oeuf »

• Période d’organogénèse (2 mois) : « embryon »

• Période de croissance (terme) : foetus » Diverses possibilités peuvent se rencontrer :

1- L’arrêt du développement entraîne une agénésie :

• Si celle-ci frappe un groupement cellulaire qui possède un pouvoir inducteur, on aura une suite d’agénésies en cascade.

• Si l’agénésie laisse un hiatus, un vide, on parle de dysraphie (exemple : bec de lièvre).

• Si l’agénésie ne sépare pas deux ébauches parées et symétriques, persiste une fusion anormale.

2- Au contraire, l’arrêt d’une régression normale d’un groupe cellulaire laisse persister un vestige :

C – Les agents tératogènes sont nombreux :

1- Agents mécaniques : exiguité utérine par exemple

2- Agents physiques et chimiques :

• Température anormale (surtout si l’oeuf est « libre » : incidents de couvaison)

• Radiations ionisantes (trois premiers mois)

• Toxiques : alcool, éther, Co

• Médicaments « cytostatiques » utilisés dans le traitement des cancers. Une étude expérimentale anormale de tératologie est nécessaire pour tous les médicaments.

3- Facteurs immunologiques :

La mère peut s’immuniser contre les antigènes foetaux (exemple : facteur Rhésus)

4- Maladies infectieuses : viroses (rubéole)

– toxoplasmose

5- Troubles métaboliques et endocriniens : anoxie-hormonothérapie-diabète

Vestiges :

A – Définition :

Persistance chez l’enfant ou l’adulte de structures n’ayant une existence normale que chez le foetus ou l’embryon.

Dus à un défaut de régression : c’est un anachronisme.

Très souvent latents cliniquement.

B – Les deux variétés de vestiges :

1- Reliquats embryonnaires : latents, sans incidence pathologique

2- Vestiges transformés :

Diverses modalités pathologiques peuvent les révéler cliniquement :

• Formation d’un kyste : par sécrétion des cellules bordantes du vestige (tractus thyréoglosse).

• Inflammation : l’infection des restes paradentaires de Malassez : kystes radiculodentaires.

• Cancérisation : d’autant plus fréquente et redoutable qu’elle porte sur des formations demeurées à un stade évolutif plus précoce (tumeurs des blastèmes). exemples : tumeur rénale de WILMS du jeune enfant.

C – Classification :

Très nombreux, on peut les classer en 4 catégories :

• Vestiges de canaux : transformés en kystes parfois fistulisés.

• Vestiges de poche : branchiaux (cou) ou sinus paravertébraux coccygien (kyste pilonidal).

• Vestiges de bourgeons pleins

– bourgeons épidermiques

– épithélioma baso-cellulaire cutané

– chorde dorsale

– chordome (tumeur à malignité locale)

• Cancers des blastèmes embryonnaires : lésion qui a persisté parce qu’elle était tumorale d’emblée (ex : rétinoblastome).

Les hétérotopies dysgénétiques ou chorista :

A – Définition :

Localisation anormale du tissu ou d’organe de structure normale (mal position, ectopie).

A différencier

• des organes surnuméraires

• des ptoses acquises par insuffisance de fixation

• des interprétations des épithéliums

• des greffes tissulaires (hétérotopies acquises)

La topographie abérrante peut altérer progressivement la structure et la fonction tissulaires (anomalie de la spermatogénèse des testicules ectopiques).

B – Mécanismes de formation :

• Blocage de la migration cellulaire (testicule ectopique)

• Division d’un organe en formation = étranglement, décrochage, entraînement

• Hétéroplasie : différenciation anormale d’un organe en cours de développement

C – Evolution :

• Souvent latente : hétérotopie dysgénétique assimilée

• Lésions réactionnelles du tissu hôte : elles peuvent se comporter comme un corps étranger.

• Pathologie propre au tissu en situation anormale : ulcère du diverticule de Meckel dû à une hétérotopie de tissu gastrique.

• Cancérisation possible : parfois plus fréquente que pour le tissu normalement placé (testicule ectopique)

D – Exemples :

Très nombreux

• kystes épidermiques intradermiques (loupes du cuir chevelu)

• thyroïdes aberrantes (cou, thorax), rates ectopiques

• pancréas aberrants (parfois hémorragiques ou sténosants)

• endométriose : chorista ou acquise ?

Les hamartomes (Albrecht, 1904) :

A – Définition :

Structure anormale d’un tissu normalement situé.

Mélange sans ordre de tissus indigènes, avec excès d’un ou plusieurs constituants.

Erreur du développement tissulaire par vice ou absence d’organisation.

B – Caractères généraux :

Souvent volumineux, visibles, réalisant par eux-mêmes une « tumeur macroscopique » (non proliférante), ils peuvent donner naissance à des cancers (hamartoblastomes).

Les tissus sont toujours adultes et différenciés (différents avec les vestiges).

Caractère héréditaire fréquent avec révélation tardive.

Intéressant souvent les dérivés ectodermiques et du mésoderme (ectomésenchyme).

C – Classification :

3 catégories :

1- Hamartome solitaire :

Anomalie isolée due à un trouble tardif de l’induction locale dans le développement de la région (hémangiome ou lymphangiome cutané, naevus mélanique, hamartochrondrome pulmonaire).

2- Hamartome monosystémique :

Caractère hérédo-familial certain.

Il s’agit soit de lésions multiples de même structure (polypose colique familiale, maladie de RENDU-OSLER, maladie exostosante), soit des lésions polymorphes plurifocales mais dont tous les éléments ont la même origine embryoplasique (neurofibromatose de Recklinghausen : taches « café au lait », neurofibromes, méningiomes, neuronaevi ; dysembryoplasie de la crête neurale donnant mélanoblastes et cellules de la gaine de Schwann).

3- Hamartomes polysystémiques :

Plusieurs variétés tissulaires sans parenté embryologique sont touchées.

Action d’un agent tératogène précoce agissant sur les divers feuillets.

Exemple : sclérose tubéreuse de BOURNEVILLE : phacome rétinien, adénomes sébacés de la face de PRINGLE, angiomyolipomes rénaux, rhabdomyomes cardiaques N.B. : vestiges, hétérotopies dysgénétiques et hamartome sont regroupés sous le nom de dysembryoplasies.

Les tératomes :

A – Définition :

Tissu de localisation et de structure anormales.

Malformation presque toujours volumineuse, composée de tissus multiples, étrangers à la région qui les environne et ne provenant pas d’elle.

Ils peuvent conserver des caractères foetaux ou embryonnaires : ils sont donc à la fois hamartome, choristome et parfois vestige.

Ils peuvent évoluer sur un mode cancéreux après une phase latente ou d’emblée (tératocarcinome).

Il faut alors les différencier des mésenchymomes : tumeur des tissus mésenchymateux où une différenciation aberrante est apparue.

B – Macroscopie et topographie :

1- Aspect macroscopique :

Tératomes kystiques : parfois très volumineux, grossissement par sécrétion dans la formation, de mucus par exemple ; souvent bénins.

Exemple : « kyste dermoïde » de l’ovaire Tératomes solides : évoluant souvent sur un mode cancéreux.

2- Localisation :

a- Tératomes gonadiques : ovariens bénins, testiculaires malins

b- Tératomes extragonadiques :

• Tératomes axiaux externes : rares, évidents dès la naissance, adhérents à une extrêmité de l’axe vertébral, en continuité avec les téguments : cou, pharynx (épignates qui sortent par la bouche ou le nez), du cordon ombilical, sacroccygiens (énormes).

• Tératomes axiaux internes : médians ou paramédians : épiphysaires, médiastinaux, rétropéritonéaux.

C – Constitution microscopique :

Très souvent grande hétérogénéité tissulaire (tératomes complexes).

Parfois, quelques composants disparaissent (tératomes simplifiés).

La maturation tissulaire est parfois plus ou moins avancée : tératome immature et tératome mature « adulte » (ou tératome coétan).

Parfois, tératome mixte mature et immature.

Etude analytique des tissus rencontrés (souvent associés) :

– Formations blastuléennes : boutons embryonnaires

– Formations plus différenciées : mésenchyme, neuro-épithélium, trophoblaste (secrète des prolans)

– Formation foetoïde plus ou moins achevée (membres…)

– Formations adultes organoïdes ou histioïdes

Il n’y a pas de tissu gonadique dans les tératomes extragonadiques.

D – Evolution générale des tératomes :

1- Tératomes bénins :

Toujours formés de tissus adultes matures.

Cette maturation lente explique le volume important de ces formations, bien tolérées longtemps par l’organisme.

La régression de certains tissus —> tératomes simplifiés.

2- Tératomes malins :

Deux possibités :

• L’une est rare : cancérisation d’un tissu adulte d’un tératome mature

• Le tératome immature a presque toujours un pronostic malin.

La malignité peut alors être totale (formations blastuléènnes) ou partielle, limitée à l’un des constituants cellulaires.

E – Interprétation des tératomes :

1- Les tératomes congénitaux : c’est un « jumeau inorganisé » :

Soit individu régressé et inclus dans l’hôte soit ébauche soustraite dès le début de la vie embryonnaire à l’inducteur primaire, sur un oeuf unique : c’est une anomalie de la ligne primitive de l’embryon (WILLIS).

2- Les tératomes gonadiques et axiaux internes non congénitaux :

Ils se développent à partir d’une cellule multipotente : leur développement est calqué sur celui de l’oeuf, avec passage accéléré par les stades de pseudo-oeuf, de tératome immature et de tératome mature.

A chaque stade peut survenir une cancérisation qui empêche la maturation de se produire.

C’est le seul cas où l’on puisse trouver des boutons embryonnaires.

D’où vient cette cellule multipatente, ce pseudo-oeuf ? Deux théories explicatives sont proposées : théorie de RIBBERT : la cellule multipotente dérive de l’oeuf du porteur (comme pour les tératomes congénitaux) et se développe après une période de latence inactive.

Le tératome apparait donc comme « un jumeau inorganisé ». théorie de PEYRON : la cellule multipotente provient de la gonade, c’est une cellule germinale, qui, par pathogénèse, va se multiplier.

Le tératome apparait ici comme le « fils monstrueux » de son porteur.

Les tumeurs dysembryoplasiques :

Il faut bien distinguer deux entités tout à fait différentes :

A – Dysembryoplasies volumineuses :

Elles constituent par elles-mêmes une « tumeur » au sens purement macroscopique du terme, une formation anormale dans l’organisme, sans qu’il s’agisse d’une « prolifération cellulaire autonome », sens qui doit être réservé actuellement au terme tumeur.

Par exemple, l’hamartochondrome pulmonaire, le kyste pleuropéricardique.

Certaines formations peuvent augmenter de volume, sans pour cela devenir des tumeurs vraies : un tératome kystique de l’ovaire grossit par sécrétion de mucus par exemple dans une cavité revêtue d’un épithélium glandulaire, sans qu’il n’y ait aucune multiplication cellulaire.

B – Proliférations néoplasiques (tumeur vraie) développées à partir d’une dysembryoplasie :

Ce sont les vraies tumeurs dysembryoplasiques que nous allons passer en revue.

1- Cancérisation des vestiges :

D’autant plus fréquentes et redoutables qu’elles dérivent d’une formation demeurée à un stade évolutif plus précoce.

L’âge du vestige détermine aussi la morphologie du cancer qui en dérive : un vestige très précoce donnera un cancer très polymorphe ; un vestige tardif donnera un cancer proche de celui qu’aurait formé le tissu normal adulte qui en dérive.

a- Les tumeurs (cancers) des blastèmes embryonnaires :

Il s’agit ici de cancérisation survenue chez l’embryon, donnant naissance à une tumeur présente dès la naissance : le blastème cancérisé a persisté parce qu’il est tumoral, dans l’organisme qui seul a poursuivi sa maturation.

Ce sont des cancers d’évolution rapide, se dévoilant chez le jeune enfant, polymorphes vu les potentialités évolutives des blastèmes embryonnaires.

Tumeurs du blastème rénal (néphroblastome, Wilms, adénocarcinome embryonnaire) : prolifération élaborant des néphrons caricaturaux et aussi du conjonctif (cartilage, os, muscle lisse ou strié) et formation épidermoïde et nerveuse.

Un élément peut devenir majoritaire (tumeur de Wilms à forme de rhabdomyosarcome) hépatoblastome tumeur des blastèmes neurogènes : rétinoblastome, médullo-blastome (cervelet), sympathoblastome (surrénale et ganglions) tumeurs myogènes des blastèmes embryonnaires : rhabdo-myosarcome alvéolaire juvénile ou sarcome rhabdopoïétique dit botryoïde : aspect de grappes polypeuses translucides.

b- Les vestiges secondairement cancérisés crâniopharyngiome : tumeur à malignité locale née de vestiges du canal pharyngohypophysaire adénocarcinome papillaire de la voûte vésicale nés des vestiges de épithélioma basocellulaire cutané : origine vestigiale ou annexielle discutée adamantimomes : à partir des vestiges paradentaires de la mandibule chordome : reliquats de la chorde dorsale cancérisée (cellules physaliphores).

2- Cancérisation des hétérotopies dysgénétiques :

Peuvent entraîner la formation de tumeurs identiques à celles des tissus en situation normale.

Exemple : le testicule ectopique se cancérerise plus souvent que le testicule en position normale.

Le cancer est parfois bilatéral.

3- Cancéristion des hamartomes :

Leur volume important réalise une « tumeur » au sens purement macroscopique.

Le type cellulaire prépondérant peut proliférer sous forme autonome réalisant un hamartoblastome. mélanoblastome épithélioma développé sur naevus sébacé : trichoépithéliome schwannome malin de la maladie de Recklinghausen épithélioma sur polypose colique familiale : de règle épithélioma rénal à cellules claires du rein dans la maladie de Bourneville.

4- Cancérisation des tératomes (dysembryomes) :

• Tératomes embryonnaires (immatures) : tissu blastuléen et embryonnaire.

Les formes blastuléennes sont de malignité totale. Les formes embryonnaires sont à malignité partielle.

A signaler le choriocarcinome (trophoblastome), l’épithélioma ectoblastique.

• Tératomes adultes (matures) : cancérisation possible, au même titre qu celle des tissus « adultes » du porteur (malignité « partielle »), d’une seule lignée cellulaire).

• Tératomes mixtes : leur évolution est identique à celle des tératomes embryonnaires.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.