Le rôle du radiologue face à une déminéralisation et une
ostéoporose chez l’enfant est triple.
Il importe :
– de pouvoir affirmer l’ostéoporose ;
– de quantifier le degré de déminéralisation ;
– d’approcher le diagnostic étiologique.
Pendant très longtemps, l’affirmation de l’ostéoporose est restée
difficile puisqu’elle reposait uniquement sur les clichés standards.
Or, on sait qu’il faut une perte de 30 à 40 % de la masse osseuse
pour qu’apparaissent des signes radiologiques.
Avant d’envisager les gammes étiologiques, nous considérons
l’apport des méthodes actuelles d’étude du contenu minéral osseux.
En effet, les indications de ces mesures sont en pleine expansion
actuellement :
– affirmation d’une ostéoporose, notamment devant une fragilité
osseuse ;
– surveillance de maladies ou de traitements à risque pour le
métabolisme osseux ;
– exploration de nouvelles pathologies, notamment
environnementales, compte tenu des modifications alimentaires et
du mode de vie (pathologies de la nutrition, pathologies du sport etc).
Les méthodes actuellement proposées, au-delà de la radiologie
conventionnelle, sont l’absorption biphotonique (DEXA), la mesure
du contenu minéral osseux au scanner, la mesure par ultrasons et
l’étude en imagerie par résonance magnétique (IRM).
La méthode idéale de détermination du contenu minéral osseux
devrait réunir :
– une technique sans risque et indolore ;
– une facilité d’exécution sans sédation, quel que soit l’âge de
l’enfant ;
– une grande fiabilité et une bonne reproductibilité ;
– une possibilité d’apprécier le contenu minéral osseux à la fois du
squelette axial et du squelette périphérique, tout en permettant
d’apprécier aussi l’os spongieux et l’os cortical.
Cette méthode devrait aussi intégrer et prendre en compte la taille
de l’os examiné, ne pas être sous la dépendance du volume corporel
et de la masse des parties molles, et finalement cette méthode
devrait être peu coûteuse.
En fait, aucune des méthodes disponibles ne réunit toutes ces qualités, qu’il s’agisse de la DEXA, de la mesure
du contenu minéral osseux au scanner ou des études basées sur des
ultrasons.
Techniques de mesure
du contenu minéral osseux :
A - ABSORPTION BIPHOTONIQUE
:
Cette méthode, d’abord mise au point chez l’adulte, est maintenant
couramment utilisée en pédiatrie. Elle est basée sur les différentes
absorptions tissulaires de deux faisceaux de photons à énergies
différentes.
On peut ainsi nettement faire la différence entre tissu
minéralisé et tissu non minéralisé, mais l’évaluation est beaucoup
plus difficile chez le nouveau-né du fait de sa faible minéralisation
et de la faible quantité de tissu mou adjacent à l’os.
Plus la zone à
examiner est petite, plus la mesure tend à être imprécise.
La
calibration des tissus de référence varie selon les fabricants, ainsi
que la fiabilité des appareils.
Ceci explique aussi l’absence de
concordance des résultats entre les différents systèmes de mesure
publiés.
Les résultats sont exprimés en général en termes de densité minérale
osseuse, en grammes par centimètres carrés, ce qui correspond à la
quantité d’hydroxyapatite par unité de surface d’os.
Plus rarement,
on trouve des résultats en contenu minéral osseux en grammes, ce
qui correspond à la quantité totale de l’hydroxyapatite présente dans
l’os étudié.
La mesure dépend du diamètre antéropostérieur de l’os étudié, ce
qui complique les choses pour les petits os comme les vertèbres.
Il faut aussi tenir compte de la relation qui existe entre densité
minérale et hauteur du patient.
Ceci est particulièrement vrai chez
l’enfant dont les caractères morphologiques se modifient pendant la
croissance.
Par exemple, jusqu’à l’âge de la puberté, la croissance
longitudinale se fait surtout aux dépens du segment inférieur alors
qu’à partir de la puberté cette croissance va porter essentiellement
sur le segment supérieur.
La poussée de croissance précède
l’accroissement du capital calcique qui survient à la fin de la puberté
et qui est plus marqué dans le segment supérieur que dans le
segment inférieur.
Cet asynchronisme entre minéralisation et
croissance longitudinale explique les controverses concernant l’âge
précis d’acquisition de la masse osseuse selon que l’on examine tel
ou tel os.
D’autre part, toute affection qui va interférer avec le
métabolisme osseux a un impact préférentiel, soit sur la croissance,
soit sur la minéralisation, selon le moment de survenue par rapport
à la puberté.
À titre d’exemple, les modifications de forme, de longueur et
d’angulation des os gênent la reproductibilité dans le temps pour
deux examens séparés de quelques années.
Quoiqu’il en soit, la méthode de DEXA garde toute sa valeur pour
l’étude du squelette.
C’est un outil irremplaçable d’appréciation,
notamment des variations lors d’un traitement hormonal ou des
modifications nutritionnelles ou autres.
La durée moyenne d’examen est de 2 à 3 minutes pour le corps
entier et nécessite une immobilisation parfaite de l’enfant, ce qui est
parfois difficile à obtenir chez un tout-petit.
L’irradiation délivrée est très faible, de l’ordre de quelques microSieverts.
La précision de la méthode est de l’ordre de 1 à 5%
chez le petit enfant.
B - MESURE DU CONTENU MINÉRAL OSSEUX PAR SCANNER
:
Le scanner permet d’obtenir une image tridimensionnelle qui n’est
pas gênée par les structures sus-jacentes.
En fait, les données
fournies par l’image de scanner représentent les valeurs
d’atténuation du faisceau de rayons X de l’objet examiné.
Les
mesures en scanner peuvent être obtenues en n’importe quel point
du squelette à condition de disposer d’un fantôme externe de
référence pour la calibration et du logiciel adapté.
Les mesures les
plus courantes se font aux vertèbres ainsi qu’au fémur.
Le scanner
permet une étude de la densité de l’os spongieux et de l’os compact.
La densité de l’os spongieux est le reflet à la fois de l’os minéralisé
et du tissu ostéoïde, mais aussi de la quantité de moelle par pixel.
Compte tenu de la faible quantité de moelle jaune chez l’enfant au
rachis, le scanner permet des mesures d’une grande précision,
supérieure à celle obtenue chez l’adulte.
En outre, il n’y a pas
d’interférence en rapport avec de possibles calcifications aortiques à
cet âge.
L’irradiation délivrée dépend de la technique utilisée mais reste très
faible.
La dose totale d’irradiation délivrée au corps entier atteint
environ 40 à 90 µSv, ce qui correspond à des valeurs inférieures à
n’importe quelle procédure habituelle de scanner ou de radiographie
standard.
On peut donc considérer que la méthode est tout à fait
applicable chez l’enfant.
C - MESURES AUX ULTRASONS
:
Cette technique a suscité l’intérêt de par son faible coût, sa
maniabilité et l’absence de radiation ionisante.
Malheureusement, les
valeurs obtenues dépendent de nombreuses caractéristiques de
structure et semblent plus liées à la largeur de l’os qu’à n’importe
quel autre paramètre osseux.
Elle reflète davantage les modifications
de la taille du squelette qui suivent la croissance.
On mesure la
vitesse de transmission en divisant la largeur de la région examinée
par le temps de transit.
Les valeurs s’expriment en mètres par
seconde.
Le coefficient d’atténuation ultrasonore se définit par la
pente d’atténuation versus la fréquence et s’exprime en décibels par
mégaHertz.
Les mesures se font au calcanéum, à la rotule et aux
phalanges du pouce, mais les corrélations avec les autres techniques
sont très pauvres, ce qui fait que la méthode ultrasonore n’a pas
encore acquis sa place en routine clinique.
D - MESURE EN IMAGERIE PAR RÉSONANCE MAGNÉTIQUE
:
Les travaux en IRM n’ont pas permis encore de déboucher sur des
méthodes d’utilisation clinique de routine. Il s’agit essentiellement
de méthodes de recherche.
Critères de choix d’une méthode
Les deux techniques qui s’imposent, DEXA et scanner, ne sont pas
concurrentielles mais parfaitement complémentaires.
Le choix
s’appuie sur la disponibilité et l’accessibilité de machine, l’existence
de valeurs de référence fiables pour l’âge, la pathologie examinée et
les questions posées.
Envisage-t-on plutôt une pathologie du
squelette axial ou périphérique ?
L’atteinte porte-t-elle plutôt sur l’os
spongieux ou sur l’os cortical ?
Au-delà des polémiques qui entourent chaque technique, on peut
néanmoins dégager quelques impressions.
Chaque mesure doit faire
référence à la technique utilisée.
Les valeurs mesurées en différentes parties du squelette augmentent
de la première enfance jusqu’à l’âge adulte.
Ces valeurs augmentent
rapidement autour de l’âge de la puberté et l’essentiel du capital
osseux s’acquiert entre la puberté et la fin de la troisième décennie.
L’« acquisition calcique » survient un peu plus tôt chez la fille que
chez le garçon (12 à 13 ans contre 14 à 16 ans).
On note une
augmentation de densité importante de l’os spongieux au moment
de la puberté chez l’enfant normal, avec un pic à la fin de la
croissance et au moment de la fusion épiphysaire.
Les différences
entre les sexes tiennent plus à la taille des os qu’à la densité ellemême
de l’os spongieux.
Il a aussi été rapporté des différences de
valeurs entre enfants noirs et enfants blancs, ces derniers disposant
d’une masse calcique un peu plus importante.
Ces données sont
néanmoins à vérifier et à prendre avec prudence.
Ostéoporose chez l’enfant
:
L’ostéoporose est découverte chez l’enfant dans les circonstances
suivantes :
– avant tout fracture inexpliquée ou fracture survenant pour un
traumatisme considéré comme minime ;
– découverte par hasard sur un examen fait pour toute autre raison ;
– surveillance d’une maladie connue comportant un risque
d’ostéoporose ou surveillance d’un traitement susceptible d’induire
une ostéoporose.
Avant d’envisager toutes les étiologies de l’ostéoporose, il importe
de répondre à deux questions :
– l’enfant est-il immobilisé, quelle qu’en soit la raison ?
– quel est son état nutritionnel ?
L’encadré de la page 5 résume les principales causes d’ostéoporose
chez l’enfant.
Grandes étiologies
:
En matière de pathologie congénitale, les progrès de la génétique
permettent de mieux démembrer ces ostéoporoses familiales qui
débordent largement du seul cadre de l’ostéogenèse imparfaite.
A - OSTÉOGENÈSE IMPARFAITE
:
Elle reste la cause principale de déminéralisation constitutionnelle
chez l’enfant.
Plusieurs types d’ostéoporose peuvent se voir en
fonction du mode de transmission et de présentation.
On connaît de
mieux en mieux les formes « partielles » de la maladie confirmées
par la densitométrie osseuse, notamment dans les familles à risques.
De telles ostéogenèses imparfaites sont souvent découvertes lors de
traumatismes minimes.
En outre, la mesure du contenu minéral
osseux permet de suivre l’efficacité des traitements actuellement
proposés (Arédia et médicaments voisins).
B - OSTÉOPOROSE DU SYNDROME DE TURNER
:
Elle est très fréquente.
Elle s’accompagne d’un risque majeur de
fractures, notamment après 45 ans. Ceci justifie un traitement
hormonal substitutif précoce et prolongé.
C - OSTÉOPOROSE JUVÉNILE IDIOPATHIQUE
:
C’est un diagnostic que l’on ne retient qu’après avoir éliminé les
autres étiologies habituelles, notamment les hémopathies.
Il s’agit le
plus souvent d’enfants entre 9 et 15 ans qui présentent des
lombalgies ou des fractures métaphysaires au genou.
Radiologiquement, l’ostéoporose se localise d’abord dans ces régions
sous la forme de bandes claires assez larges posant donc le problème
d’une hémopathie.
La densitométrie confirme la déminéralisation
sévère. Les lésions le plus souvent disparaissent spontanément en
plusieurs années ou plus rapidement sous l’effet du traitement
calcique.
À l’heure actuelle, aucune étiologie ni trait génétique n’ont pu être
identifiés.
La découverte de cette affection contre-indique
l’utilisation des corticoïdes.
On a identifié récemment une autre cause d’ostéoporose congénitale
connue le terme IMAGe : ce syndrome associe une insuffisance
surrénale congénitale, une dysplasie métaphysaire et une
ostéoporose d’installation très précoce.
D - OSTÉOPOROSES NUTRITIONNELLES
:
Toutes les maladies comportant une malnutrition entraînent une
déminéralisation très sévère : kwarchiorkor, grandes carences, grêles
courts etc.
L’ostéoporose se voit aussi couramment associée aux
malabsorptions type maladies coeliaques ou maldigestions
représentées en particulier par la mucoviscidose.
Le défaut
d’absorption des vitamines liposolubles (A, D, E, K) dans ces
maladies explique le risque d’association à l’ostéoporose de signes
de rachitisme.
Les maladies inflammatoires chroniques
(Crohn, colite ulcéreuse) peuvent, en l’absence de traitement
correctif, entraîner une ostéoporose importante.
On retrouve aussi
ces anomalies dans les maladies hépatobiliaires.
L’ostéoporose est de plus en plus rapportée dans les troubles de
l’alimentation avec, aux deux extrêmes, l’anorexie mentale mais
aussi certaines formes d’obésité chez le garçon.
La conjonction de
facteurs génétiques et de déséquilibres alimentaires favorise ce
défaut de minéralisation.
Il faut noter que la minéralisation osseuse chez l’enfant diabétique
bien équilibré est le plus souvent normale.
On en rapproche les ostéoporoses d’origine rénale, souvent par tubulopathie.
Celles-ci peuvent s’accompagner chez le jeune enfant
d’un tableau combiné d’une déminéralisation majeure et de signes
d’un rachitisme majeur.
E - OSTÉOPOROSES ENDOCRIENNES
:
Celles-ci sont assez rares chez l’enfant, hormis les ostéoporoses
iatrogènes de la corticothérapie.
En effet, syndrome de Cushing et hyperparathyroïdisme sont rares chez l’enfant.
Nous avons cité plus
haut l’ostéoporose qui accompagne des formes congénitales
d’insuffisance surrénale (IMAGe).
Enfin, l’ostéoporose fait partie du tableau du syndrome de Turner
, beaucoup plus rarement du syndrome de Klinefelter chez le
garçon.
F - OSTÉOPOROSES HÉMATOLOGIQUES
:
La déminéralisation est un signe fréquent, parfois révélateur d’une
hémopathie maligne de type leucose aiguë.
Elle peut être
isolée ou associée de manière variable aux autres signes osseux de
la maladie : bandes claires métaphysaires, lacunes osseuses, appositions périostées et plus rarement zones d’ostéocondensation
Cette augmentation de transparence osseuse peut aussi se retrouver
dans les anémies hémolytiques, surtout la thalassémie.
Dans
cette affection, la transparence osseuse est augmentée, les corticales
sont amincies du fait de l’hyperplasie médullaire et les signes sont
souvent associés à des aspects de striations métaphysaires induites
par le traitement au Desféral.
G - OSTÉOPOROSES D’IMMOBILISATION
:
Ces ostéoporoses peuvent être localisées si l’immobilisation porte
sur un membre (classique déminéralisation postfracturaire
d’installation rapide en quelques jours, habituellement réversible dès
la remise en fonction du membre).
Elles peuvent être aussi
généralisées dans toutes les affections entraînant une immobilisation,
au premier rang desquelles les désordres neuromusculaires.
Cette
déminéralisation d’immobilisation peut être aggravée aussi par les
traitements comme certains antiépileptiques (dérivés des
barbituriques, hydantoïnes).
Il semble que la perte de capital osseux
porte autant sur l’os cortical que sur l’os spongieux, ce qui conduit à
faire des mesures plus étendues sur ces deux secteurs, à la fois sur
le squelette axial et périphérique, lorsqu’on pratique des mesures
du capital osseux.
H - OSTÉOPOROSES IATROGÈNES
:
Celles-ci sont dominées chez l’enfant par la corticothérapie et les
premiers signes de déminéralisation peuvent survenir pour des
doses de 0,2 mg/kg pour peu que le traitement soit institué pour
quelques semaines.
La déminéralisation va surtout frapper le squelette axial et aboutir à
des tassements vertébraux multiples.
Les autres ostéoporoses iatrogènes sont beaucoup plus rares chez
l’enfant, exceptionnellement à l’héparine, parfois aux anticonvulsivants.
On a rapporté des ostéoporoses secondaires au méthotrexate à haute dose.
Les ostéoporoses iatrogènes viennent souvent se superposer aux
ostéoporoses liées à la maladie de fond elle-même.
C’est l’exemple des ostéoporoses des arthrites juvéniles inflammatoires où se
combinent l’effet de la corticothérapie, l’immobilisation et les
conséquences du phénomène inflammatoire proprement dit.
I - OSTÉOPOROSES D’ÉTIOLOGIES DIVERSES
:
Enfin, il a été rapporté récemment une ostéoporose très particulière
connue sous le nom de « sport de haut niveau », qui associe chez
des jeunes athlètes de sexe féminin une aménorrhée, une
ostéoporose, des troubles de la nutrition et surtout une anorexie
nerveuse.
Conclusion
:
L’étude de l’ostéoporose reste chez l’enfant un domaine en pleine
mutation, tant dans le bilan génétique des différentes étiologies que
dans les conséquences des modifications alimentaires et dans l’effet des
traitements hormonaux ou autres.
Ces thèmes ont pris un nouvel essor
depuis l’avènement des méthodes de mesure du contenu minéral osseux,
dominées par le DEXA et la tomodensitométrie.
Cette détermination a une signification pronostique essentielle.
D’autre
part, les problèmes d’alimentation à venir, notamment dans les pays du
tiers-monde, risquent d’être à l’origine de complications squelettiques
sévères qu’il faudra savoir prévenir et prendre en charge.