Ce chapitre a une valeur historique et pédagogique, il est destiné à montrer :
– la progressivité de l’émergence des concepts fondamentaux de la génétique,
même formelle;
– l’importance de la démarche a priori de Mendel qui forge, même imparfaitement,
les principaux concepts de l’analyse génétique;
– le caractère ad hoc de sa théorie, et, par là même, sa faible valeur explicative, en
l’absence d’une base matérielle, la ploïdie et la méiose, qui viendra seulement à la
fin du siècle;
– l’ambiguïté de certains termes de la génétique formelle, comme « caractère », en
montrant l’articulation entre les concepts introduits par Mendel et l’évolution plus
ou moins importante de ces concepts, lors du développement de la génétique au
début du siècle (passage de caractère à gène et allèles ou relation génotype/phénotype).
La
loi de pureté des gamètes :
Les travaux de Mendel sont caractérisés par le fait qu’ils constituent une réinterprétation
théorique de faits antérieurement connus, pour ce qui concerne le pois Pisum sativum, décrits notamment par les hybrideurs anglais Seton et Goss.
Ils avaient observé la dominance du caractère jaune sur le vert chez les « hybrides »
issus de croisements entre souches pures jaunes et vertes, puis l’hétérogénéité des
descendants, issus par autofécondation des hybrides, avec des graines jaunes
« pures » donnant des plantes exclusivement à pois jaunes, ou des graines vertes
« pures » donnant des plantes exclusivement à pois verts, ou des graines jaunes
encore « hybrides » puisqu’elles donnaient des plantes présentant de nouveau un
mélange de pois jaunes et verts.
L’approche « phénoménologique » de Seton et Goss est réinterprétée par Mendel
, sur la base d’une conception factorielle et combinatoire de l’hérédité
et d’un principe, la « loi de pureté des gamètes », fondé sur l’interprétation quantitative
des observations, à travers une combinatoire simple dans le croisement des
gamètes.
Pour Mendel un pois est jaune parce qu’un facteur J en est la cause; de la même
façon, un pois est vert parce qu’un facteur v en est la cause.
Il ne s’occupe nullement
de savoir ce que sont ces facteurs ni quel est leur mode d’action, il ne s’intéresse
qu’à leur comportement au cours des générations.
Il constate simplement, sans l’expliquer, que les pois hybrides sont jaunes, que le
« caractère » jaune est donc « dominant » et que le « caractère » vert est dit
« récessif » (chez Mendel, le terme de caractère est ambigu parce qu’il recouvre
tantôt ce qui sera plus tard appelé allèle, comme dans les tableaux de croisement des
gamètes, tantôt ce qui sera appelé phénotype, le résultat observable de l’effet joint de
deux allèles pour chaque gène considéré).
Il constate aussi que l’hybride, bien que jaune comme l’un des deux parents, doit
contenir les deux facteurs parentaux J et v, puisque des pois verts réapparaissent
dans la descendance.
C’est parce qu’a priori Mendel conçoit l’hérédité comme factorielle, et le
comportement de ces facteurs comme le résultat d’une combinatoire, qu’il émet la
loi de pureté des gamètes qui rend si bien compte, et des fréquences des caractères
chez les descendants F2 de l’hybride F1 (3/4 de pois jaunes et 1/4 de pois verts), et
des fréquences relatives de 1/3 de pois jaunes purs ou 2/3 de pois jaunes encore
hybrides.
Il est intéressant de noter que Mendel, après avoir noté les descendants F2 comme
dans notre tableau, c’est-à-dire 1/4 de J/J + 1/2 de J/v + 1/4 de v/v, simplifie immédiatement
cette notation en écrivant 1/4 de J + 1/2 de J/v + 1/4 de v, montrant bien
l’absence totale, à l’époque, du concept de ploïdie (gamètes haploïdes et zygotes
diploïdes).
C’est pourquoi la loi de pureté des gamètes de Mendel semble si « gratuite », si
peu réelle aux biologistes de l’époque, alors qu’elle prendra toute sa signification
quand la découverte de la mitose et de la méiose lui donneront une base cytologique
objective, expliquant le comportement des facteurs héréditaires par celui des chromosomes
qui leur servent de support.