L’un des fondements de l’analyse génétique repose sur l’analyse des produits de la
méiose. La ségrégation des gènes permet entre autres de les dénombrer, de les cartographier,
parfois même de préciser leur type d’interaction (exercices 3.5 à 3.8).
La ségrégation allélique à la méiose conduit à la formation de gamètes dont le
contenu génétique n’est pas directement déductible, sauf si on étudie des organismes
ayant une phase haploïde non réduite aux gamètes, comme les fougères ou les
champignons.
Chez les organismes diplobiontiques, où la phase haploïde est réduite aux
gamètes, le contenu génétique de ceux-ci est déduit de l’analyse qualitative (variété
des phénotypes) et quantitative (fréquence des divers phénotypes) des descendants
issus du croisement de l’organisme chez lequel on étudie la méiose et d’un autre
organisme dont les gamètes s’unissent à ceux du premier (croisement F1 × F1 ou test
cross, ou autres…).
On a tiré des observations cytologiques de la méiose et de l’analyse de ses conséquences
génétiques, notamment chez la drosophile, la théorie chromosomique de
l’hérédité, la notion de recombinaison génétique par brassage chromosomique
quand les gènes sont physiquement indépendants ou par crossing-over quand ils sont
physiquement liés, les notions de liaison génétique et de distance génétique quand
les gènes sont physiquement liés et suffisamment proches pour que leurs allèles
respectifs coségrègent, avec une certaine fréquence, à la méiose.
Le mécanisme de la méiose et ses conséquences génétiques, dont la recombinaison,
ont pu être précisés par l’étude génétique de champignons particuliers, les ascomycètes.
Chez ces champignons, les spores haploïdes résultant de la méiose,
restent enfermées dans un sac nommé asque. L’isolement d’un asque, puis des
quatre spores qu’il renferme permet alors d’entreprendre l’analyse isolée des quatre
produits d’une même méiose, la tétrade.
Cette analyse de tétrades revêt une grande importance.
Elle a d’abord permis de
« visualiser » directement ce que les études génétiques par croisement n’avaient fait
qu’imaginer sur le comportement des gènes durant le processus ségrégatif; et cette
validation expérimentale directe de la théorie est un point capital d’un point de vue
épistémologique.
L’analyse de tétrades a ensuite permis de découvrir ou de préciser
plusieurs phénomènes que l’analyse « en vrac » des gamètes, la seule possible chez
tous les autres organismes, ne permettait pas d’identifier ou de mesurer avec précision,
comme la pré ou la postréduction, la distance d’un gène à son centromère ou la
conversion génique.
Bien plus, l’analyse de tétrades, parce qu’elle permet d’identifier sans ambiguïté
les spores de génotype recombiné, permet d’établir leur phénotype, ce qui en fait un
outil d’analyse fonctionnelle largement utilisé dans l’analyse des révertants et des
suppresseurs.
On distingue deux types d’ascomycètes selon que la méiose y donne des tétrades
ordonnées ou inordonnées.
Dans le premier cas les plans successifs des métaphases
des méioses I et II restent parallèles entre eux et les spores qui en résultent restent
ordonnées selon un axe perpendiculaire à ces deux plans, de sorte qu’il est possible
d’identifier, de séparer puis d’étudier les spores issues de la méiose II, ce qui permet
alors d’identifier sans ambiguité les ségrégations alléliques survenues lors de la
méiose I.
Par ailleurs, chez certains ascomycètes, la méiose est suivie d’une mitose conduisant
à huit spores haploïdes, normalement identiques deux à deux, d’où une interprétation
encore plus fine de l’analyse de tétrades.
La
pré et la postréduction :
La méiose chez un hétérozygote A//a, porteur de deux allèles différents d’un même
gène, se traduit par une ségrégation 2/2, signifiant que deux des quatre gamètes sont
porteurs de l’allèle A et les deux autres de l’allèle a; la méiose, pour un
couple d’allèles, donne deux types de gamètes équifréquents.
La même étude, chez des ascomycètes à tétrades ordonnées, donne le même
résultat quant aux gamètes, mais permet de distinguer six types d’asques différents,
en fonction d’un événement survenu à la méiose, identifiable par l’analyse de
tétrades mais inaccessible dans l’analyse des gamètes en vrac.
Cet événement est l’absence ou la survenue d’un crossing-over entre le locus du
gène et son centromère qui, selon les cas, aboutira à des asques différents, mais
toujours à une ségrégation 2/2.
Il suffit, pour s’en rendre compte, d’entreprendre une analyse concrète de la
méiose pour un couple d’allèles, en se rappelant que les spores, par leur disposition ordonnée, permettent de reconstituer la disposition des plans métaphasiques des
deux étapes de la méiose et, par conséquent, le chemin ségrégatif des allèles.
Chez Neurospora crassa (moisissure rouge du pain), la dernière cellule haploïde
d’un thalle (de signe sexuel +) peut fusionner avec la cellule haploïde d’un autre
thalle (de signe sexuel); la cellule diploïde ainsi constituée entre immédiatement
en méiose, suivie d’une mitose supplémentaire qui double le nombre de spores;
celles-ci sont donc identiques deux à deux.
Les spores sont ordonnées du bas de
l’asque (en contact avec le reste du thalle haploïde) vers le haut de l’asque (extrémité
supérieure, non en contact avec le reste du thalle).
En croisant deux thalles, A issu d’une spore noire et a issu d’une spore blanche, on
génère une cellule diploïde, hétérozygote pour le couple d’allèles A//a du gène qui
gouverne la coloration des spores.
Il existe six dispositions métaphasiques à la méiose I, selon qu’un crossing-over
est survenu ou non entre le locus du gène et son centromère, et, dans ce premier cas,
selon la paire de chromatides impliquée (on supposera ici qu’il ne peut se produire
qu’un seul CO entre le locus du gène et le centromère).
• Les méioses sans crossing-over présentent deux dispositions possibles conduisant
à deux types d’asques différents (fig. 4.1), à la suite de la séparation des centromères à la méiose I, puis de leur disjonction à la méiose II, la mitose ne faisant que dupliquer
les spores.
Figure 4.1 Deux types d’asques issus d’une méiose sans crossing-over
entre le locus du gène et le centromère.
Dans ces deux méioses, il y a eu préréduction, les deux allèles A et a ont été séparés
dès la méiose I, ce qui se traduit par l’observation d’asques où les quatre spores du haut
sont identiques entre elles et les quatre spores du bas également (demi-asques homogènes).
Ces deux types d’asques sont effectivement observés avec des fréquences
égales; cette observation est la démonstration expérimentale de l’hypothèse inférée
depuis la naissance de la théorie chromosomique de l’hérédité, à savoir que la disposition
des paires de chromatides à la métaphase de la méiose I est aléatoire.
Si on désigne par p la probabilité d’avoir un crossing-over entre le gène et son
centromère, (1 – p) représente la probabilité de ne pas en avoir, c’est-à-dire la
fréquence des méioses sans crossing-over; la fréquence de chacun de ces deux types équifréquents de tétrades préréduites est égale à (1 – p)/2.
• Les méioses avec crossing-over présentent huit dispositions possibles, selon la
disposition aléatoire des centromères et selon la paire de chromatides impliquée,
conduisant à quatre types d’asques différents (fig. 4.2 à 4.5).
Figure 4.2 Crossing-over entre les chromatides 2-3.
Figure 4.3 Crossing-over entre les chromatiques 1-3.
Figure 4.4 Crossing-over entre les chromatides 2-4.
Figure 4.5 Crossing-over entre les chromatides 1-4.
Dans toutes ces méioses, il y a eu postréduction, les deux allèles A et a n’ont pas
été, du fait d’un crossing-over entre le locus du gène et son centromère, séparés dès
la méiose I, mais n’ont été disjoints qu’à l’issue de la méiose II, ce qui se traduit par
l’observation de demi-asques hétérogènes, avec deux spores noires et deux spores
blanches.
Il faut noter que si l’hétérogénéité des demi-asques est la conséquence de la postréduction (survenue d’un crossing-over), la disposition relative des spores
blanches et noires est la conséquence ou le reflet de la disposition aléatoire des
centromères et des deux chromatides impliquées par le crossing-over, lors de la
méiose I.
Il existe ainsi deux dispositions centromériques conduisant, à l’issue
d’un crossing-over, à des asques avec quatre spores centrales noires, mais dans un
cas le crossing-over affecte les chromatides 1 et 3, dans l’autre les chromatides 2
et 4.
Les quatre types d’asques sont observés et présentent des fréquences égales, ce
qui signifie clairement que chacun des quatre types de crossing-over est équifréquent
ou équiprobable, ce qui constitue une démonstration expérimentale d’une
autre hypothèse concernant la méiose, à savoir que les deux chromatides non-soeurs
affectées par un crossing-over sont désignées aléatoirement.
Si on désigne par p la probabilité d’avoir un crossing-over entre le gène et son
centromère, c’est-à-dire la fréquence des méioses avec crossing-over, la fréquence
de chacun de ces quatre types équifréquents de tétrades postréduites est égale
à p/4.
Conclusions : L’analyse de tétrades ordonnées a permis de « valider » expérimentalement
deux hypothèses sur la méiose :
– d’une part, l’équifréquence des deux types d’asques préréduits valide l’hypothèse
de la migration aléatoire, vers chacun des pôles, de chacun des deux centromères
d’une paire de chromatides homologues, lors de la méiose I; hypothèse qui fonde
la théorie de la recombinaison génétique par brassage chromosomique (pour les
gènes physiquement indépendants);
– d’autre part, l’équifréquence des quatre types d’asques postréduits valide
l’hypothèse selon laquelle les deux chromatides impliquées par un crossingover
sont désignées aléatoirement ; hypothèse qui fonde la théorie de la
recombinaison génétique par crossing-over (pour les gènes physiquement
liés).
Remarque. Les phénomènes de pré et de postréduction ne sont pas perceptibles
quand on étudie les gamètes « en vrac », mais existent dans toutes les
méioses de tous les organismes, et doivent être présents à l’esprit dans
certaines conditions particulières, notamment quand on s’intéresse aux ovules
produits chez les vertébrés (dont l’homme, notamment lors d’hypothétiques
diagnostics préconceptionnels !).
En effet la méiose s’y déroule au sein d’un ovocyte, avec l’émission de deux
globules polaires, après la méiose I, puis après la méiose II, de sorte que
l’ovocyte ne produit pas quatre gamètes mais un seul, l’ovule.
En conséquence, on peut avoir accès à l’étude de la pré et de la postréduction
dans des conditions exceptionnelles (exercice 4.5) ou même, aujourd’hui, dans
des conditions « banales », quand l’analyse moléculaire du premier globule
polaire est entreprise sur l’ovocyte prélevé avant fécondation in vitro.
Identifier,
chez une femme porteuse saine d’une mutation pathologique, la présence
de cette mutation dans l’ADN du premier globule polaire ne serait évidemment
pas une garantie que l’ovule contiendra l’allèle non pathologique; ce
serait le cas s’il y a eu préréduction, car les deux allèles mutés seraient dans le
premier globule polaire.
Ce ne serait pas le cas s’il y a eu postréduction,
puisque la méiose II aura à séparer les deux allèles fonctionnel et pathologique
qui demeurent dans la cellule fécondable, sans qu’on puisse savoir si la
fécondation aboutira à l’expulsion de l’allèle pathologique dans le deuxième
globule polaire, avec une chance sur deux, ou à celle de l’allèle fonctionnel,
avec un risque sur deux !