Les œdèmes des membres
inférieurs représentent une cause fréquente de consultation. Ils
traduisent une augmentation du secteur interstitiel. * Ils
peuvent être généralisés, en rapport avec une hyperhydratation
extra-cellulaire, par rétention rénale de sodium. Cette
rétention rénale de sodium peut être secondaire à une atteinte
extra-rénale (insuffisance cardiaque, cirrhose hépatique) ou
secondaire à une atteinte rénale (néphropathie glomérulaire).
Lorsque le syndrome œdémateux est majeur, il peut s'étendre aux
séreuses et réaliser alors un tableau d'anasarque. * Les œdèmes
peuvent être localisés, traduisant alors un obstacle mécanique à
la circulation veineuse, lymphatique, ou secondaire à des
troubles locaux de la perméabilité vasculaire, correspondant
alors à un processus inflammatoire (infection, allergie). Il
faut insister sur l'importance de l'anamnèse et de l'examen
clinique permettant d'orienter les investigations
complémentaires.
Diagnostic positif :
INTERROGATOIRE :
Antécédents :
L'interrogatoire apprécie les antécédents du patient:
- cardiaques, rénaux ou hépatiques.
- antécédents de phlébite ou de maladie variqueuse.
- antécédents allergiques.
- la prise de médicaments.
Circonstances de survenue :
L'interrogatoire apprécie les circonstances de survenue:
- l'apparition rapide, prédominant aux membres inférieurs, mais
également au niveau de la face et des paupières, le matin, au
lever, évoque une origine rénale.
- l'aggravation par l'orthostatisme ou le chauffage par le sol
évoque une insuffisance veineuse.
- l'apparition de façon intermittente se voit dans les œdèmes
cycliques.
Recherche de signes associés :
L'interrogatoire apprécie l'existence ou non de signes associés:
- douleurs.
- dyspnée.
- fièvre.
- hématurie, prise de poids, HTA, oligurie.
- augmentation du volume abdominal.
EXAMEN CLINIQUE :
L'examen clinique doit être bilatéral et comparatif.
Il apprécie le caractère bilatéral, mou, blanc, indolore et prenant
le godet, entrant dans le cadre d'œdèmes généralisés ou bien
localisés et pouvant être alors associés à des douleurs, des
signes inflammatoires.
Il recherche l'existence de signes associés.
* Dans le cadre d'œdèmes généralisés rechercher:
- la présence d'un épanchement des séreuses (plèvre, péritoine,
péricarde).
- une défaillance cardiaque droite ou globale.
- des signes d'hypertension portale (splénomégalie, circulation
veineuse collatérale abdominale).
* Dans le cadre d'œdèmes localisés, rechercher:
- des douleurs, un signe de Homans, une circulation veineuse
collatérale orientant vers une phlébite.
- des signes inflammatoires, une tension locale évoquant une cause
infectieuse pouvant compliquer une plaie ou une piqûre
d'insecte.
Étiologies :
OEDEMES LOCALISES :
oedèmes d'origine veineuse :
* La thrombophlébite doit toujours être éliminée devant une grosse
jambe douloureuse associée ou non à un signe de Homans
évocateur.
- Un œdème bilatéral des membres inférieurs est observé en cas de
thrombose cave.
- La confirmation du diagnostic repose sur un examen par
écho-Doppler veineux, complété par une phlébocavographie.
* Insuffisance veineuse chronique: il existe souvent un facteur
favorisant comme l'orthostatisme ou le chauffage par le sol.
L'existence de varices associées et de troubles trophiques sera
recherchée (dermite ocre, hypodermite).
oedèmes d'origine lymphatique :
Il s'agit d'un œdème bilatéral, indolore, ferme, s'étendant à la
face dorsale du pied et des orteils.
Il peut s'agir d'un lymphœdème acquis, secondaire à un traumatisme,
une parasitose (filariose), une néoplasie, ou être congénital et
associé à d'autres anomalies congénitales (angiomes cutanés).
oedèmes infectieux :
* L'érysipèle de jambe secondaire à une infection cutanée à
streptocoque bêta-hémolytique du groupe A est caractérisé par
une grosse jambe douloureuse inflammatoire dans un contexte
fébrile: une porte d'entrée est retrouvée dans 75% des cas
(plaie, ulcère de jambe).
* La lymphangite aiguë:
- est caractérisée par un cordon inflammatoire le long d'un trajet
lymphatique et peut être associée à une adénopathie satellite.
- la recherche et le traitement d'une porte d'entrée (plaie,
intertrigo interdigito-plantaire) seront systématiquement
associés au traitement spécifique.
Autres causes :
- Hématomes musculaires.
- Rhabdomyolyse.
- Rupture d'un kyste poplité.
- Fistule artério-veineuse.
- Allergies: œdème de Quincke (atteinte de la face prédominante
avec signes respiratoires constituant une urgence vitale).
OEDEMES GENERALISES :
oedèmes par atteinte cardiaque :
* Au cours de l'insuffisance cardiaque, il existe une diminution du
flux sanguin rénal qui engendre une activation réflexe du
système rénine-angiotensine, permettant ainsi de préserver le
débit de filtration glomérulaire par vasoconstriction de
l'artériole efférente rénale.
* La mise en jeu du système rénine-angiotensine va provoquer un
hyperaldostéronisme secondaire contribuant à la rétention
hydrosodée.
* Cette rétention hydrosodée résulte également de la stimulation de
l'hormone antidiurétique (ADH) et d'une résistance rénale au
facteur atrial natriurétique secondaire, entre autres à la
réduction du flux sanguin et à une induction de l'endopeptidase
tubulaire.
* L'hyponatrémie peut être associée et traduire l'existence d'une
hyperhydratation intracellulaire, facteur de gravité: le tableau
clinique est celui d'une intoxication par l'eau avec nausées,
vomissements, voire des troubles neuropsychiques (syndrome
confusionnel, torpeur, convulsions), témoins d'un œdème cérébral
et mettant en jeu le pronostic vital.
* De plus, l'insuffisance cardiaque s'accompagne d'une augmentation
de la pression veineuse centrale, qui favorise le passage de
liquide du secteur vasculaire vers le secteur interstitiel
contribuant à la formation des œdèmes.
* La radiographie du thorax, appréciant la silhouette cardiaque et
la surcharge pulmonaire, est complétée par une échographie
cardiaque qui évaluera entre autres la fonction du ventricule
gauche et l'existence ou non d'un épanchement péricardique.
* Le traitement associe une restriction sodée, des diurétiques et
des vasodilatateurs (inhibiteurs de l'enzyme de conversion) ou
des cardiotoniques (digitaliques).
oedèmes par atteinte rénale :
On rencontre classiquement les œdèmes par atteinte rénale au cours
des néphropathies glomérulaires (syndrome néphrotique ou
syndrome néphritique aigu), mais également lors d'une
insuffisance rénale aiguë ou d'une insuffisance rénale chronique
décompensée.
* Au cours du syndrome néphrotique, il existe une protéinurie
importante (supérieure à 3 g/24 h), contribuant à l'installation
d'une hypoalbuminémie (inférieure à 30 g/l), responsable d'une
fuite liquidienne vers le milieu interstitiel et donc d'une
hypovolémie relative, provoquant alors une stimulation du
système rénine-angiotensine. Cette activation du système
rénine-angiotensine est, en grande partie, responsable de la
rétention sodée, surtout dans le syndrome néphrotique pur où le
débit de filtration glomérulaire est normal.
* Dans le syndrome néphritique aigu, la volémie est plutôt
augmentée et le système rénine-angiotensine est inhibé, par
contre le débit de filtration glomérulaire et la fraction
filtrée sont diminués, expliquant donc la rétention sodée.
* Au cours d'une insuffisance rénale aiguë, quelle que soit son
origine, il existe une inflation hydrosodée rapide pouvant
constituer une urgence vitale (œdème pulmonaire, hypertension
artérielle) imposant alors une prise en charge en unité de soins
intensifs.
* Au cours d'une insuffisance rénale chronique, des poussées
d'œdèmes peuvent être observées: il faut rechercher un écart de
régime, une mauvaise observance du traitement diurétique ou
encore la prise de médicaments potentiellement néphrotoxiques et
favorisant la rétention sodée (AINS).
oedèmes par atteinte hépatique :
* La cirrhose hépatique est à l'origine d'une hypertension portale
(bloc intrahépatique) et a pour conséquences le développement
d'une circulation veineuse collatérale et une asphyxie
progressive du tissu hépatique évoluant progressivement vers
l'insuffisance hépatocellulaire.
* Cela va avoir pour conséquences:
- une séquestration de liquide du lit vasculaire splanchnique,
secondaire à l'hypertension portale, entraînant alors une
diminution du volume sanguin périphérique circulant qui va
provoquer une réponse rénale avec rétention hydrosodée
(hyperaldostéronisme secondaire).
- l'hyperaldostéronisme est majoré par l'altération des fonctions
cellulaires hépatiques, qui entraîne une diminution de la
dégradation de l'aldostérone.
- une hypoalbuminémie, par diminution de la synthèse secondaire aux
perturbations de la fonction hépatique, qui provoque une
diminution de la pression oncotique favorisant l'extravasation
liquidienne vers le secteur interstitiel.
* Une décompensation œdémato-ascitique doit toujours faire
rechercher un facteur déclenchant (hémorragie digestive,
infection, prise de psychotropes, une thrombose du tronc porte
ou encore une hépatite alcoolique aiguë par exemple).
* Il faut associer au traitement symptomatique (restriction
hydrosodée, diurétiques) le traitement du facteur déclenchant.
oedèmes carentiels :
La dénutrition, et en particulier la carence protéique
(kwashiorkor), s'accompagne d'une hypoprotidémie et d'une
hypoalbuminémie à l'origine d'œdèmes par diminution de la
pression oncotique.
L'hypoalbuminémie peut être secondaire à une carence d'apport ou à
une malabsorption digestive (entéropathie exsudative).
oedèmes de la grossesse :
* Il peut s'agir d'œdèmes simples, fréquemment observés au cours
des grossesses normales, et qui sont en relation avec une
rétention hydrosodée physiologique, majorée aux membres
inférieurs par l'obstacle au retour veineux provoqué par le
contenu utérin. Cet obstacle au retour veineux est généralement
amélioré par le décubitus latéral gauche, et il faut proscrire
tout régime désodé ou traitement diurétique chez les femmes
enceintes.
* Il peut s'agir d'œdèmes d'apparition brutale au cours du
troisième trimestre de la grossesse, associés à une hypertension
artérielle et à une protéinurie, évocateurs d'une toxémie
gravidique et constituant une urgence obstétricale. L'équilibre
tensionnel est impératif chez ces patientes.
oedèmes cycliques idiopathiques :
Observés exclusivement chez les femmes de façon périodique (période
prémenstruelle), les œdèmes cycliques idiopathiques se
caractérisent par des variations de poids dans la journée.
Ils seraient en rapport avec une augmentation de la perméabilité
capillaire influencée par l'orthostatisme et des variations
hormonales.
Ces œdèmes sont habituellement entretenus par la stimulation du
système rénine-angiotensine-aldostérone résultant par exemple
d'une prise intermittente de diurétiques.
oedèmes d'origine endocrinienne :
Les œdèmes peuvent être observés au cours de nombreuses
endocrinopathies:
- l'hypothyroïdie, réalisant un myxœdème.
- l'hypercorticisme ou l'hyperminéralocorticisme.
- le diabète (vasoplégie, secondaire à la neuropathie diabétique).
oedèmes d'origine médicamenteuse :
De nombreux médicaments provoquent une rétention hydrosodée
primitive ou secondaire à une modification de la distribution
volémique (vasodilatateurs):
- corticoïdes.
- AINS.
- vasodilatateurs artériels (dihydralazine).
- les anticalciques (dihydropyridines surtout) sont en fait plutôt
natriurétiques, malgré la stimulation sympathique secondaire
qu'ils induisent, et les œdèmes semblent surtout dus à une
modification de la perméabilité capillaire induite par les
dihydropyridines.
- œstroprogestatifs.
L'arrêt des médicaments en cause permet la réversibilité de la
symptomatologie.
Conduite à tenir :
EXAMENS COMPLEMENTAIRES :
Les investigations complémentaires de première intention seront
orientées en fonction de l'anamnèse et de l'examen clinique,
dont les renseignements obtenus sont précieux et évitent de
s'égarer et de réaliser des examens souvent inutiles et coûteux.
oedèmes localisés :
Toujours éliminer une phlébite
* Le Doppler veineux visualise les troncs veineux tibiaux
postérieurs, poplités, fémoraux. Il étudie la perméabilité
veineuse et également la continence valvulaire (insuffisance
veineuse).
* La phlébocavographie permet d'affirmer l'existence d'un caillot
flottant, voire d'une thrombose cave.
oedèmes généralisés :
* Évaluer la fonction cardiaque:
- radiographie du thorax.
- électrocardiogramme.
- échocardiographie si nécessaire.
* Évaluer la fonction rénale:
- ionogramme sanguin: créatininémie, urée sanguine, clairance de la
créatinine.
- protéinurie des 24 heures.
- ionogramme urinaire des 24 heures (rapport Na/K).
- protidémie, albuminémie.
- échographie rénale.
TRAITEMENT DE PREMIÈRE INTENTION :
En cas d'œdèmes généralisés, le traitement symptomatique repose
sur:
- une restriction hydrosodée.
- un traitement diurétique (furosémide).
- l'hémodialyse peut être indiquée en cas d'insuffisance rénale
aiguë ou d'insuffisance rénale chronique décompensée.