Il s'agit d'une lésion provoquée
par la pression, le frottement ou le choc d'un corps mousse ou
contondant et s'accompagnant ou non de plaie.
MECANISMES :
Deux mécanismes sont retrouvés à l'origine des lésions.
Choc direct :
* Le plus souvent, il s'agit d'un traumatisme direct appuyé
antéropostérieur, le rein étant écrasé contre les muscles de la
paroi lombaire et le squelette costo-vertébral.
* Plus rarement, le rein peut être lacéré par une esquille osseuse
lors d'une fracture costale.
Lésions de décélération :
* C'est le mécanisme le plus souvent à l'origine des lésions du
pédicule rénal.
* Lors d'une décélération brutale, le rein "projectile" exerce une
traction sur son pédicule pouvant conduire à son arrachement.
FRÉQUENCE :
Les accidents du trafic routier sont responsables d'environ 50% des
traumatismes du rein. Ils surviennent également au cours de
chutes, d'accidents du travail, de sports violents (ski,
rugby...).
Ces circonstances de survenue expliquent l'atteinte plus fréquente
chez l'homme (80% des cas) et en particulier entre 15 et 30 ans.
Le rein droit et le rein gauche sont lésés en proportion
équivalente. Les lésions bilatérales, très graves, sont peu
fréquentes (2%).
LESIONS ANATOMIQUES ELEMENTAIRES :
Le parenchyme rénal est entouré d'une enveloppe fibreuse, la
capsule rénale.
La loge rénale quant à elle est délimitée par un dédoublement du
fascia péritonéal et contient la graisse périrénale.
Lésions de la capsule et du fascia de la loge rénale :
* Tant que la capsule résiste, il se produit un hématome
sous-capsulaire, voire une fracture du rein mais sans
déplacement, les lignes de fissuration étant contenues.
* La déchirure de la capsule permet un écartement des fragments
pouvant aboutir à un arrachement des vaisseaux. Le saignement
s'étend dans la graisse périrénale et ne s'arrête que par un
phénomène de tamponnade.
* A un stade de plus, le fascia périrénal cède et l'hémorragie peut
se répandre dans l'espace rétropéritonéal, voire dans la cavité
péritonéale à travers une brèche du péritoine.
Lésions du parenchyme :
Les lésions du parenchyme vont de la simple contusion avec hématome
à la fissure et, à un stade de plus, à la fracture avec
déplacement.
Dans ce dernier cas, selon que les artères résistent ou non, les
fragments vont rester correctement vascularisés ou se nécroser.
Lésions du pédicule vasculaire :
Le pédicule rénal représente le moyen de fixité essentiel du rein.
L'atteinte du tronc principal de l'artère siège en règle générale à
2cm de l'implantation aortique de l'artère rénale.
Il peut s'agir d'une rupture de l'intima, couche la moins élastique
de la paroi artérielle. Cette rupture sous-intimale est
responsable d'une ischémie segmentaire auto-aggravée par la
poursuite de la dissection et/ou par des phénomènes de thrombose
secondaire.
Les ruptures complètes sont plus rares.
TYPES ANATOMOCLINIQUES :
Selon Chatelain, on distingue quatre types de lésions anatomiques
(voir "Classification des traumatismes du rein").
* Type I: contusion simple qui est une lésion parenchymateuse
respectant la capsule du rein:
- il n'y a pas d'épanchement périrénal, ni de diffusion d'urine
dans les espaces cellulaires.
- il peut exister un hématome sous-capsulaire.
- si la fissure rénale intéresse un calice, elle donne lieu à une
hématurie.
* Type II: la capsule rompue est rompue:
- il s'agit de fractures limitées avec silhouette rénale respectée
sans déplacement.
- l'épanchement peut contenir du sang et de l'urine en cas
d'atteinte calicielle.
* Type III: fracture grave du rein avec déformation de la
silhouette du rein, écart interfragmentaire et
dévascularisation. Il existe toujours un uro-hématome important
du fait des lésions des voies excrétrices.
* Le type IV correspond aux atteintes pédiculaires:
- la rupture complète de l'artère rénale conduit à l'hémorragie
cataclysmique ou à la plaie sèche par rétraction des extrémités.
- la rupture sous-adventitielle entraîne une thrombose progressive
et rapide du vaisseau.
- les lésions veineuses peuvent évoluer vers la thrombose ou très
rarement vers la fistule artério-veineuse.
ÉVOLUTION DES LESIONS :
L'évolution spontanée des lésions que sont l'hématome intrarénal ou
périrénal, les extravasations d'urine et les fragments de
parenchyme nécrosé est un sujet à controverse selon les équipes.
* Précocement, l'uro-hématome peut s'organiser en une gangue
rétractile responsable:
- au niveau du bassinet, d'une hydronéphrose.
- au niveau du pédicule artériel, d'une atrophie rénale
progressive.
- au niveau du parenchyme, d'une ischémie avec risque d'HTA.
* Mais l'évolution spontanée peut être plus favorable avec
résorption d'un hématome non infecté, rapprochement et
cicatrisation des foyers de fracture après résorption de
l'hématome interfragmentaire. Les portions parenchymateuses
nécrosées n'apparaissent pas très hypertensiogènes, au contraire
du parenchyme ischémique non nécrosé.
C'est l'appréciation du risque évolutif qui va guider les
indications thérapeutiques en fonction d'un bilan radiologique
et clinique précis.
Diagnostic :
TABLEAU CLINIQUE :
Le contexte est celui de l'urgence: patient surveillé en milieu
spécialisé.
Etat hémodynamique :
D'emblée, il faut apprécier l'état hémodynamique et rechercher des
signes de choc (cliniques: pouls, TA, marbrures des extrémités
et biologiques: numération, hématocrite...).
En pratique, c'est l'état hémodynamique qui guide la conduite à
tenir.
Anamnèse :
L'anamnèse précisera:
- les circonstances de l'accident.
- les antécédents personnels.
- l'heure de la dernière miction.
Évoquer une lésion rénale :
Trois signes doivent faire évoquer une lésion rénale: l'hématurie,
la douleur lombaire et l'empâtement de la fosse lombaire.
* L'hématurie est typiquement franche, macroscopique et totale:
- son importance n'est cependant pas proportionnelle à la gravité
des lésions et il faut savoir en particulier que l'hématurie
peut être absente dans les lésions pédiculaires.
- il est de bonne règle devant toute contusion abdominale de faire
uriner le patient à la recherche d'une hématurie macroscopique
ou microscopique à l'aide de bandelettes.
* La douleur siège au niveau d'une fosse lombaire. Elle peut être
très intense en cas de fracture de côte.
* L'empâtement d'une fosse lombaire témoigne d'un hématome
rétro-péritonéal et est accompagné d'une défense locale, d'une
ecchymose.
Rechercher des lésions associées :
L'examen clinique recherchera systématiquement des lésions
associées abdominales, pelviennes, thoraciques,
cranio-rachidiennes ou de l'appareil locomoteur.
EXAMENS COMPLEMENTAIRES :
Urographie intraveineuse :
A réaliser d'urgence :
Réalisée immédiatement en urgence, l'urographie intraveineuse (UIV)
apporte des renseignements sur le rein traumatisé, mais
également sur la présence et la valeur fonctionnelle du rein
controlatéral.
Pour obtenir le maximum d'informations, l'UIV doit être réalisée
chez un patient déchoqué, avec des clichés précoces et tardifs
et des coupes tomographiques.
Quand les circonstances amènent à réaliser uneUIV dans des
conditions plus difficiles (urographie préopératoire), la
fiabilité de cet examen pour le bilan des lésions diminue.
Données recueillies :
* Le cliché sans préparation permet l'étude du squelette (fracture
de côte, d'apophyse transverse...) et des partiesmolles
(disparition du bord externe du psoas, témoin d'un hématome
rétropérinéal).
* Les néphrographies précoces et le temps vasculaire assurent
l'existence d'un rein controlatéral sain et apportent une bonne
précision sur la gravité des lésions.
* Les clichés de sécrétion permettent:
- de situer l'emplacement des calices parfois déplacés par un
hématome intrarénal.
- de suivre une fuite d'urine de son origine à sa répartition dans
l'atmosphère périnéale.
- de juger de la perméabilité pyélo-urétérale.
Tomodensitométrie :
Pouvant être réalisée de façon rapide et non invasive, la TDM est
souvent couplée à l'UIV.
Elle précise:
- l'importance des épanchements sanguins et urinaux et leur
évolution.
- le siège et l'étendue des lignes de fracture.
- le volume des fragments parenchymateux dévascularisés qui ne
prennent pas le produit de contraste.
Échographie :
L'échographie apporte des renseignements sur les contours du rein,
l'état du parenchyme et précise l'existence d'un épanchement
rétropérinéal.
De plus, elle recherche un épanchement intra-abdominal et une
contusion viscérale associée.
Elle constitue un élément de référence dans la surveillance
ultérieure.
Artériographie :
* L'artériographie est indiquée en cas de:
- rein non fonctionnel à l'UIV.
- hématurie massive.
- traumatisme sur rein pathologique lorsque les renseignements du
scanner sont insuffisants.
- bilan de lésion viscérale associée si l'état du patient le
permet.
* Elle est d'abord globale, visualisant l'aorte et ses branches,
puis sélective rénale.
* En cas de lésion artérielle pédiculaire on observe:
- une image d'obstruction complète de l'artère: rupture complète,
ou thrombose secondaire à une rupture partielle.
- une image d'obstruction incomplète avec aspect en "diabolo",
secondaire à une rupture intimale ou sous-adventitielle avec
risque de thrombose.
AU TOTAL :
Après l'UIV on peut schématiser quatre éventualités.
Rein muet :
Le rein muet est muet et il faut éliminer en urgence une lésion de
l'artère rénale; l'artériographie en urgence s'impose.
La seule chance de préserver le rein est en effet une intervention
vasculaire réparatrice immédiate.
Rein sécrétant très altéré :
Le rein sécrète mais sa morphologie est très altérée
* l'intervention peut être différée, sauf indication hémorragique
(choc persistant, hématome rétropéritonéal croissant).
* un bilan précis des lésions doit être établi et pour cela deux
examens entrent en compétition: l'artériographie et,
actuellement, de plus en plus le scanner.
Anomalies urographiques peu importantes :
L'UIV montre des anomalies peu importantes, telle une extravasation
du produit de contraste mais une conservation de la silhouette
générale du rein.Une surveillance clinique et échographique est
de règle.
UIV normale et hématome à l'échographie :
L'UIV est normale, l'échographie montre un hématome
sous-capsulaire: une simple surveillance clinique et
échographique s'impose.
Formes cliniques :
Formes symptomatiques :
* Formes très graves: l'hémorragie suraiguë entraîne le décès avant
toute tentative thérapeutique ou impose l'intervention d'extrême
urgence devant un tableau grave réagissant mal aux manœuvres de
réanimation.
* Formes paucisymptomatiques révélées:
- soit d'emblée, par des signes évoquant le traumatisme rénal et
devant faire pratiquer uneUIV et une échographie.
- soit tardivement, par des séquelles qu'il faudra rattacher au
traumatisme et qui poseront un problème médico-légal.
Formes selon l'âge :
Les formes selon l'âge sont les suivantes:
- chez le jeune enfant où les associations lésionnelles sont plus
fréquentes (25% des cas), on prône l'abstention opératoire et la
chirurgie très conservatrice.
- chez le nouveau-né où la rupture du rein par traumatisme
obstétrical est rare et prend le masque trompeur d'une masse
abdominale palpable ou d'un syndrome d'hémorragie interne.
Traumatisme bilatéral :
Un traumatisme bilatéral est suspecté lors d'une anurie chez un
polytraumatisé.
Le bilan radiologique préopératoire doit être extrêmement précis
afin de pousser au maximum la chirurgie conservatrice.
Cette attitude est la même pour les traumatismes sur rein unique.
Traumatisme sur rein pathologique :
Certaines malformations (hydronéphrose, polykystose, ectopie)
exposent plus aux lésions traumatiques.
De la même manière, un rein tumoral hypervascularisé est lui aussi
prédisposé aux traumatismes.
L'artériographie et le scanner apportent alors une aide précieuse.
Polytraumatisés :
Chez les polytraumatisés, les lésions viscérales associées peuvent
imposer une chirurgie en urgence alors même que le diagnostic ou
le bilan de l'atteinte rénale n'a pas été réalisé.
C'est l'UIV sur table opératoire qui dictera la conduite à tenir.
Formes évolutives :
Bien que l'évolution soit souvent favorable, des séquelles sont
possibles:
* hydronéphrose post-traumatique provoquée par l'englobement de la
voie excrétrice dans une gangue fibroscléreuse, produite par la
mauvaise résorption de l'uro-hématome.
* faux kyste uro-hématique dont la paroi adhère intimement au
parenchyme rénal. L'infection de cette poche est possible.
* atrophie rénale totale ou partielle, soit d'origine vasculaire,
soit liée à un enserrement du rein dans une gangue scléreuse.
* HTA par sténose de l'artère rénale ou liée à la présence de
parenchyme rénal mal vascularisé en bordure des traits de
fracture.
* anévrisme artériel post-traumatique.
A part :
Il faut considérer à part un traumatisme iatrogène lors d'une
lithotritie extracorporelle ou de chirurgie percutanée.
Trois types d'anomalies peuvent être observés:
- une contusion parenchymateuse focale.
- un hématome sous-capsulaire.
- une collection liquidienne périnéale.
En règle générale, aucun traitement n'est nécessaire.
Conduite à tenir :
SURVEILLANCE MEDICALE :
* On instaure une surveillance médicale:
- de l'état clinique: pouls, tension, soif, agitation, froideur des
extrémités.
- biologique: après groupe sanguin et bilan préopératoire avec
bilan d'hémostase. Surveillance de la numération formule
sanguine, de l'hématocrite et de la diurèse.
* Une voie d'abord veineuse est mise en place.
Les données de la surveillance médicale permettent de conduire la
réanimation.
TRAITEMENT CHIRURGICAL :
Si le traitement chirurgical des formes extrêmes est largement
accepté, celui des formes intermédiaires reste discuté.
Indications :
Lésions de type I :
Dans les lésions de type I, l'abstention chirurgicale est de règle:
* la surveillance clinique, biologique et échographique doit
rechercher et prévenir les complications de l'hématome
sous-capsulaire.
* une surveillance à distance est requise bien que les séquelles
soient exceptionnelles.
Lésions de type IV :
Dans les lésions de type IV, l'intervention en urgence est
impérative pour tenter une intervention de revascularisation
dans la mesure du possible, sinon pour réaliser une
néphrectomie.
Lésions de types II et III :
Dans les lésions de types II et III, l'intervention n'est pas
systématique, le pourcentage des interventions variant d'une
équipe à l'autre.
* Si l'état de choc a pu être jugulé sans difficulté et s'il ne se
produit pas, la tendance actuelle va vers l'abstention
opératoire.
* Il faut essayer de ne pas opérer ces traumatismes en urgence mais
plutôt vers le 8expe jour après un nouveau bilan.
Principes opératoires :
* Les principes opératoires sont les suivants:
- contrôle premier du pédicule rénal avant l'ouverture de la loge
rénale.
- évacuation de l'uro-hématome.
- ablation des fragments de rein détruits.
- hémostase du parenchyme.
- reconstruction de la voie excrétrice.
- drainage des cavités et de la loge rénale.
* Parfois, on est cependant contraint à réaliser une néphrectomie.
Conclusion :
Le bilan du traumatisme du rein réalisé d'urgence doit être précis
afin de moduler les indications thérapeutiques.
Quel que soit le choix thérapeutique il est important de surveiller
un ancien traumatisé du rein pendant plusieurs années.