Le syndrome néphritique aigu est
caractérisé par l’apparition brutale et simultanée d’anomalies
biologiques et cliniques (œdèmes, protéinurie, hématurie,
hypertension artérielle, oligurie, insuffisance rénale
inconstante) traduisant une atteinte glomérulaire. Il témoigne
d’une atteinte inflammatoire brutale glomérulaire, conséquences
de dépôts immuns et d’une prolifération cellulaire, le plus
souvent endocapillaire. Il peut révéler plusieurs types de
néphropathies glomérulaires, dont les plus typiques sont la
glomérulonéphrite postinfectieuse et la glomérulonéphrite
membrano-proliférative.
Diagnostic positif :
Le syndrome néphritique aigu est de diagnostic facile.
CIRCONSTANCES D'APPARITION :
C'est l'apparition brusque et à peu près simultanée de tous les
éléments du syndrome glomérulaire.
Parfois l'apparition du syndrome néphritique aigu a été précédée
d'un épisode infectieux.
- Il est usuel en ce cas qu'un intervalle libre d'une quinzaine de
jours sépare cet épisode du début des signes rénaux.
- C'est parfois la classique angine streptococcique.
- Mais, dans d'autres cas, l'infection est de localisation autre,
staphylococcie cutanée par exemple, enfin il peut très bien
s'agir d'une infection virale.
Quoi qu'il en soit, la précession d'un épisode fébrile n'est
absolument pas constante.
CLINIQUE :
L'apparition des signes est brusque, avec:
* oligurie, urines concentrées, souvent hématuriques ("bouillon
sale").
* œdèmes:
- infiltrant le matin les paupières, le soir les chevilles.
- puis devenant rapidement diffus, pouvant même s'étendre aux
séreuses.
- l'œdème pulmonaire est très rare mais possible.
* ce syndrome œdémateux est accompagné, bien sûr, d'une prise de
poids de plusieurs kilogrammes.
* l'hypertension artérielle est variable, souvent modérée, mais
elle peut occuper le devant de la scène, constituant alors le
premier élément du pronostic à court terme.
BIOLOGIE :
Ce syndrome très caractéristique fait découvrir des anomalies
biologiques.
Protéinurie et hématurie :
* La protéinurie est habituellement abondante, de plusieurs grammes
par 24 heures.
- Un syndrome néphrotique transitoire peut même survenir.
- Cette protéinurie est non sélective à l'électrophorèse.
* L'hématurie:
- si elle est patente cliniquement, elle est authentifiée par la
présence d'innombrables hématies dans le sédiment urinaire.
- elle est en tout cas constante au moins en microscopie, le
sédiment urinaire contenant plus de 10exp5 hématies parml (ou
par min si un compte d'Addis est réalisé).
- la constatation de cylindres hématiques est habituelle.
* La fonction rénale est:
- parfois normale.
- souvent modérément altérée, la créatinine plasmatique étant de
l'ordre de 100 à 150µmol/l.
- dans des cas plus rares, il existe une véritable insuffisance
rénale aiguë.
Examens à visée immunologique :
Il est très utile devant ce tableau de pratiquer quelques examens à
visée immunologique:
* le complément total et son composant C3 sont habituellement
effondrés.
* la présence d'une cryoglobuline et/ou d'immuns complexes
circulants est fréquente.
Nous reviendrons plus loin sur l'importance de ces constatations.
* Si infection il y a eu, toute trace a souvent disparu.Un témoin
indirect peut en être recherché par des stigmates immunologiques
tels que les ASLO et les antistreptodornases. Cette recherche
est traditionnelle, mais d'un intérêt pratique moyen.
Diagnostic
différentiel :
Devant ce tableau absolument caricatural de néphropathie
glomérulaire, on ne peut généralement se poser aucun problème
sérieux de diagnostic différentiel.
Diagnostic
étiologique :
Celui-ci comporte deux étapes, l'une clinique, l'autre
histologique.
ÉTAPE CLINIQUE :
Il est essentiel de rechercher des signes extra-rénaux, plaidant
alors en faveur d'une néphropathie glomérulaire secondaire.
* C'est surtout la recherche soigneuse d'une splénomégalie, d'un
purpura, d'adénopathies, d'un souffle cardiaque, d'une atteinte
pulmonaire, etc., bref de tout symptôme d'une atteinte organique
autre que rénale, indiquant que la maladie rénale n'est pas
isolée (primitive), mais qu'elle s'intègre dans le cadre d'une
atteinte pluriviscérale (secondaire).
* A vrai dire, le syndrome néphritique aigu n'est pas un mode
d'expression très fréquent des néphropathies glomérulaires
secondaires. Négliger cette recherche n'en serait pas moins
inexcusable. Parmi celles qui peuvent s'accompagner d'un
syndrome néphritique aigu, citons surtout:
- les infections à pyogènes, surtout aiguës et septicémiques, les
endocardites, aiguës plus souvent que subaiguës dans ce
contexte, mais aussi bien d'autres infections suppurées de
localisations et de germes divers;
- le lupus érythémateux disséminé, dont les néphropathies
prolifératives diffuses peuvent se révéler sur ce mode.
- certaines vascularites nécrosantes (panartérite noueuse, maladie
de Wegener).
* L'existence de signes extra-rénaux peut conduire à rechercher
certains stigmates immunologiques (anticorps antinucléaires en
cas de suspicion de lupus, anticorps anticytoplasme des
polynucléaires en cas de suspicion de vascularite nécrosante,
anticorps antimembrane basale glomérulaire).
ÉTAPE HISTOLOGIQUE :
L'étude de la pièce histologique est l'étape essentielle.
Bien qu'il soit licite de s'en abstenir dans certains cas, ainsi
que nous le reverrons, la ponction-biopsie rénale apporte le
seul élément de certitude diagnostique; or, ce diagnostic tient
sous sa dépendance le pronostic de la maladie et son éventuel
traitement.
Il s'agit toujours de néphropathies glomérulaires, prolifératives,
le plus souvent diffuses. Dans le cadre des GN primitives, trois
aspects principaux peuvent être en cause.
Prolifération endocapillaire pure :
L'archétype en est assurément la prolifération endocapillaire pure
(dite "GNA").
* La lésion est une hypercellularité considérable du glomérule,
faite essentiellement de cellules mésangiales:
- cette prolifération est diffuse à tous les glomérules, où elle
prédomine dans les régions centrolobulaires;
- de nombreux polynucléaires peuvent être présents, ils proviennent
du sang circulant, et font qualifier la prolifération
d'exsudative.
* Des dépôts intermembrano-épithéliaux, éosinophiles, appelés
"humps", sont généralement bien visibles et fixent le sérum
anti-C3 en immunofluorescence.
* Certains éléments négatifs sont en revanche essentiels:
- il n'y a pas de dépôts endomembraneux ni dans la membrane.
- et il n'y a aucune prolifération extra-capillaire.
* (Note: vous trouverez parfois des descriptions un peu moins
tranchées. De grâce, laissez les subtilités aux spécialistes de
l'histopathologie rénale et tenez-vous-en à des données très
claires.)
GN membranoproliférative :
La GN membranoproliférative a un aspect un peu différent.
* Elle partage avec la précédente la prolifération endocapillaire
diffuse et l'éventuel caractère exsudatif.
* Ce qui la caractérise est la présence:
- de dépôts sous-endothéliaux (type I) donnant à la membrane un
aspect de "double contour".
- ou de dépôts denses au sein de la membrane elle-même (type II)
qui prend un aspect irrégulier et rubané.
GN endocapillaires et GN extra-capillaires :
Les GN endocapillaires et extra-capillaires associent à la
prolifération endocapillaire, avec ou sans dépôts, une
prolifération des cellules épithéliales, partant de la capsule
de Bowman et formant des "croissants épithéliaux" dans un
pourcentage variable de glomérules.
Atteintes rares :
Mentionnons enfin deux éventualités très rares dans un contexte de
syndrome néphritique aigu:
* les GN extra-capillaires, avec ou sans anticorps antimembrane
basale glomérulaire;.
* et les GN prolifératives segmentaires et focales avec dépôts
mésangiaux d'IgA.
ASPECTS EVOLUTIFS :
L'évolution à court terme du syndrome néphritique aigu est
pratiquement toujours régressive, spontanément, en quelques
jours, au maximum en 1 à 2 semaines.
Mais cette évolution immédiate ne préjuge en rien du pronostic à
moyen terme qui dépend essentiellement de l'histologie.
GN proliférative endocapillaire pure :
* La GNA est d'un pronostic extrêmement favorable.
- Cependant que le syndrome néphritique aigu commence à s'effacer,
le complément revient rapidement à la normale et les autres
signes immunologiques éventuels disparaissent.
- Après quelques jours, la pression artérielle est revenue à la
normale, les œdèmes fondent cependant que la diurèse est
abondante et claire.
- La protéinurie diminue rapidement et disparaît en quelques
semaines tout au plus.
- S'il existait une insuffisance rénale, elle régresse rapidement
et complètement.
- Une hématurie microscopique peut persister quelques mois avant de
s'effacer complètement.
- A ce stade une biopsie rénale de contrôle, si elle était
pratiquée, montrerait la disparition de toute lésion rénale.
* Cette guérison clinique, biologique et histologique est en règle
générale définitive.
* Exceptionnellement, peut survenir une évolution vers une
glomérulonéphrite endocapillaire et extra-capillaire sur un mode
subaigu, dans les premières semaines. La possibilité, même
exceptionnelle, d'une telle évolution justifie la surveillance
soigneuse de ces patients.
GN membranoproliférative :
* L'évolution de la GN membranoproliférative est bien différente.
- Certes le syndrome néphritique aigu s'estompe comme dans une GNA.
- Mais le complément reste bas s'il l'était (c'est surtout le cas
dans le type II), la protéinurie régresse peu ou en tout cas
incomplètement.
- Un syndrome néphrotique s'installe souvent progressivement dans
les mois qui suivent, l'hématurie microscopique persiste.
* Cette néphropathie a en fait une évolution chronique, parfois
émaillée de récidives du syndrome néphritique aigu.
- Des rémissions cliniques complètes sont possibles, mais rares et
toujours transitoires.
- Après un délai variable, mais presque toujours de plusieurs
années, s'installe une insuffisance rénale chronique
progressive. Sa fréquence a beaucoup diminué.
Autres types :
* Les GN endocapillaires et extra-capillaires ont une évolution du
même type, mais schématiquement d'autant plus sévère et rapide
que le pourcentage de croissants épithéliaux est plus élevé.
* Quant aux GN secondaires, leur évolution est très largement
fonction du traitement efficace et rapide de la maladie causale.
INDICATIONS DE LA BIOPSIE RENALE :
* Ainsi qu'on l'a vu précédemment, l'évolution dépend
essentiellement du type de lésions glomérulaires en cause.
Autant dire que la biopsie rénale est l'argument décisif du
diagnostic. Sa réalisation est pratiquement systématique devant
tout syndrome néphritique aigu de l'adulte.
* L'attitude est quelque peu différente chez l'enfant. En effet, à
cet âge, la GNA est de loin le substratum le plus fréquent de ce
syndrome, et la pratique systématique de la biopsie rénale peut
paraître quelque peu abusive:
* il est donc usuel de s'abstenir dans un premier temps, du moins
si le syndrome est cliniquement indiscutable.
* la biopsie rénale sera réalisée essentiellement dans deux cas:
- si le complément ne remonte pas.
- si l'évolution régressive est incomplète ou tarde à se
manifester.
* une telle évolution atypique met en effet en doute le pari
histologique initial. Bien souvent c'est alors une GN
membranoproliférative qui sera découverte à l'histologie.
Formes cliniques
particulières :
Formes paucisymptomatiques :
Il est des formes paucisymptomatiques, voire totalement
asymptomatiques de la GNA, qui ont été essentiellement
constatées lors d'épidémies dans un contexte infectieux.
Formes atypiques :
Certaines formes atypiques sont caractérisées par l'absence de
protéinurie et d'hématurie, le tableau étant entièrement occupé
par les œdèmes et l'hypertension.
Formes avec insuffisance rénale oligoanurique :
Signalons enfin les rares formes avec insuffisance rénale
oligoanurique:
* elles peuvent même nécessiter le recours à une épuration
extra-rénale.
* elles posent un problème d'urgence diagnostique. En effet, si
elles révèlent une GN extra-capillaire (souvent dite "subaiguë
maligne"), des mesures thérapeutiques d'urgence s'imposent pour
tenter d'éviter ou au moins de ralentir la destruction des
reins.
* si, en revanche, il s'agit d'une GNA, la guérison surviendra dans
les mêmes délais et les mêmes conditions qu'en l'absence
d'insuffisance rénale.
* la biopsie rénale est donc indispensable et doit être faite le
plus tôt possible.
Traitement
symptomatique :
Il n'est guère de mesures thérapeutiques particulières à prendre au
cours d'un syndrome néphritique aigu.
* Certes:
- si le syndrome œdémateux est important, une restriction sodée
assez stricte s'impose.
- si l'hypertension est menaçante, elle doit impérativement être
traitée.
* Compte tenu de son mécanisme, le traitement de choix est une
déplétion du volume extra-cellulaire par un diurétique puissant
(furosémide par exemple).
* Ce n'est qu'en cas de résistance de l'hypertension à une
déplétion efficace qu'un autre traitement antihypertenseur doit
être associé.
* Un traitement antibiotique ne saurait être instauré que s'il
existe une preuve manifeste d'une infection bactérienne causale
et encore évolutive. Il doit alors être adapté au germe mis en
évidence. Autrement, il est tout à fait inutile.
* Une fois passée la phase aiguë, le retour à une activité normale
peut généralement être très rapide (reprise scolaire vers 4
semaines chez l'enfant). Il convient cependant de dépister
d'éventuels foyers infectieux latents, surtout ORL, et d'en
assurer la cure.