Tumeurs malignes de l’oreille

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Introduction :

Parmi les tumeurs malignes de l’oreille, on distingue habituellement les tumeurs du pavillon, du CAE et de l’oreille moyenne, en raison de leurs différences sur les plans épidémiologique, histologique, diagnostique, pronostique et thérapeutique.

Tumeurs malignes de l'oreille (Suite)Ces différentes localisations seront traitées séparément.

Les tumeurs malignes du pavillon sont les plus fréquentes, représentées principalement par les tumeurs épithéliales cutanées.

Elles surviennent chez la personne âgée, et leur diagnostic clinique facile peut permettre un traitement précoce et un bon pronostic.

Les tumeurs malignes du CAE et de l’oreille moyenne sont rares, et sont représentées par les tumeurs épithéliales cutanées mais aussi glandulaires.

Leur pronostic est en général défavorable en raison du caractère tardif du diagnostic et des difficultés du traitement chirurgical.

Tumeurs malignes du pavillon :

A – Généralités :

Les tumeurs malignes du pavillon sont représentées principalement par les carcinomes basocellulaires (CBC), anciennement dénommés épithéliomas basocellulaires) et les carcinomes épidermoïdes (CE), ou épithéliomas spinocellulaires, plus rarement par les mélanomes malins et exceptionnellement par d’autres types de tumeurs malignes.

Le pavillon est particulièrement exposé aux radiations solaires, ce qui explique la fréquence des lésions précancéreuses (kératose actinique ou sénile) et des carcinomes à ce niveau.

L’homme de plus de 60 ans est le plus souvent touché.

B – Lésions précancéreuses :

Très fréquentes au niveau du pavillon, les lésions cutanées précancéreuses doivent être reconnues et traitées précocement.

L’exposition solaire est la cause principale, mais plusieurs facteurs de risque sont reconnus :

– physiques : il s’agit notamment des radiations ionisantes (rayons ultraviolets B : UVB), des cicatrices de brûlures anciennes, des microtraumatismes localisés répétés, des antécédents de PUVA-thérapie (thérapie utilisant les psoralènes et les UVA), de la présence d’une plaie chronique (ulcère chronique, lupus tuberculeux) ;

– chimiques : ils comprennent l’exposition aux produits dérivés de goudrons, aux hydrocarbures, à l’arsenic (arsenicisme chronique des viticulteurs utilisant des insecticides à base d’arsenic) ;

– immunologiques : une immunodépression ou un traitement immunosuppresseur (patients greffés) favorise les carcinomes, principalement les carcinomes spinocellulaires ;

– héréditaires : le xeroderma pigmentosum est un facteur de risque rare.

1- Kératoses actiniques :

* Clinique :

La kératose actinique ou kératose solaire survient chez presque tous les sujets âgés à peau claire ayant vécu et travaillé au soleil.

Du fait de l’âge des patients, elle est parfois appelée kératose sénile, mais du fait de l’exposition solaire plus intense, ces dernières années, ce type de lésion s’observe chez des patients plus jeunes.

Les régions découvertes sont touchées, et le pavillon, particulièrement exposé au soleil, est très fréquemment le siège de ces lésions.

Les patients présentent souvent les stigmates d’une importante exposition solaire à type d’atrophie et d’élastose cutanée.

Les lésions se présentent sous l’aspect de taches rugueuses, hyperkératosiques correspondant à un épaississement de la couche cornée de la peau.

Son caractère indolore est classique, tout comme la présence de lésions multifocales au niveau des régions exposées.

Son évolution lente aboutit à de véritables CE et plus rarement CBC.

Lorsque la lésion est brunâtre, le diagnostic différentiel est celui d’une verrue séborrhéique, qui ne dégénère jamais.

C’est alors l’examen anatomopathologique qui fera le diagnostic.

* Histologie :

L’examen histologique montre une hyperkératose parakératosique.

Il existe le plus souvent une élastose du derme, une atrophie épidermique et une hyperplasie des bourgeons interpapillaires associées.

Les kératinocytes sont le siège d’anomalies nucléaires.

2- Maladie de Bowen :

* Clinique :

L’atteinte élémentaire de la maladie de Bowen se présente sous la forme d’une lésion rouge sombre ou brunâtre.

Elle est bien limitée, discoïde, à tendance verruqueuse ou croûteuse.

Elle n’est ni douloureuse, ni prurigineuse, et son évolution est chronique durant plusieurs mois.

* Histologie :

La maladie de Bowen est un véritable CE in situ.

Les anomalies cellulaires restent intraépidermiques, bien limitées et la membrane basale est toujours intacte.

Outre les atypies cellulaires, comprenant une augmentation des cellules en mitose, une anisocaryose et une anisocytose, l’examen anatomopathologique met en évidence la présence de cellules à manteau, caractéristiques de cette maladie.

C – Carcinomes :

Les tumeurs malignes épithéliales sont les tumeurs les plus fréquentes au niveau du pavillon (90 à 95 %).

On distingue les CBC et les CE. Les CBC semblent plus fréquents que les CE au niveau du pavillon à l’inverse duCAE : 60 à 75 % des cas selon les études.

Les CBC ont une évolution essentiellement locale, alors que les CE peuvent donner des métastases ganglionnaires, tout particulièrement dans leur localisation au niveau de l’oreille externe où ils sont plus agressifs.

Comme pour les lésions kératosiques précancéreuses, l’homme est plus souvent atteint que la femme (trois fois plus environ), surtout au niveau du pavillon, moins exposé chez la femme qui porte habituellement les cheveux longs.

Les sujets à peau claire, exposés régulièrement au soleil, sont les plus touchés.

La tranche d’âge de prédilection est la sixième et septième décennies, mais ils peuvent se voir à partir de 30 ans, et exceptionnellement dans l’enfance pour les xeroderma pigmentosum.

1- Carcinomes épidermoïdes :

* Clinique :

Ils se développent le plus souvent sur des lésions kératosiques préexistantes mais aussi d’emblée sur peau saine, et ils possèdent alors un plus grand pouvoir métastatique.

Sur le pavillon, ils siègent le plus souvent en périphérie sur l’hélix (44 à 53 %), puis sur la face postérieure du pavillon (14 à 27 %), sur l’anthélix ou la fossette triangulaire (14 à 19 %), sur la conque, le lobule, le tragus (environ 5 % pour chacun).

Les signes qui doivent faire soupçonner la malignité devant une kératose d’apparition récente ou se transformant sont : l’étalement rapide et le boursouflement de la plaque qui prend un aspect mamelonné ; un bourgeonnement en surface, avec parfois des saillies villeuses engainées par les productions kératosiques ; une infiltration en profondeur avec induration ; une érosion ou une ulcération saignant au moindre contact et ne cicatrisant pas ; des signes inflammatoires donnant un halo rouge périphérique.

La lésion peut prendre un aspect ulcérovégétant, bourgeonnant ou superficiel simulant la maladie de Bowen.

Le diagnostic clinique est confirmé par une biopsie. L’examen clinique apprécie l’extension locale et recherche des métastases ganglionnaires périauriculaires, parotidiennes et jugulocarotidiennes.

Le recours à l’imagerie est inutile, à moins d’une extension particulière au CAE ou à la mastoïde.

* Histologie :

Il s’agit d’une prolifération, habituellement lobulaire, au-delà de la membrane basale, de cellules malignes présentant une différenciation épidermoïde caractérisée par la présence de cadres clairs épicellulaires segmentés par des desmosomes ou épines intercellulaires (spinocellulaires) et par une maturation kératinisante (parakératose, dyskératose, formations de type « globe corné »).

Selon le degré de maturation cornée de ces cellules, la tumeur est plus ou moins différenciée.

* Évolution :

Localement, l’évolution est en général lente.

Cependant, la faible épaisseur cutanée du pavillon permet un envahissement rapide du périchondre et du cartilage qui majore les signes inflammatoires et la douleur.

Les tumeurs de l’hélix restent longtemps localisées et sont plus facilement accessibles au traitement chirurgical que les tumeurs de la conque ou de la région du tragus, dont l’infiltration en profondeur importante rapproche leur pronostic des carcinomes du CAE.

De plus, les limites tumorales sont difficiles à évaluer, car il existe des prolongements tumoraux en profondeur, responsables de la fréquence particulière des récidives locales au niveau du pavillon (d’environ 15 %).

L’envahissement ganglionnaire est plus fréquent pour les CE du pavillon que dans toute autre localisation.

Le taux de métastases ganglionnaires lors du diagnostic est d’environ 10 %dans plusieurs études, et également d’environ 10 % au cours de la surveillance.

Les métastases sont principalement parotidiennes, jugulocarotidiennes hautes et moyennes, et plus rarement jugulocarotidiennes basses et sous-mentales.

Lorsqu’il existe des adénopathies jugulocarotidiennes, il existe toujours des adénopathies parotidiennes, ce qui justifie une parotidectomie superficielle systématique en plus de l’évidement ganglionnaire cervical chez les patients N+.

Les métastases à distance sont rares mais non exceptionnelles (1 à 5 %).

Compte tenu de l’âge important des patients qui décèdent souvent de pathologies intercurrentes, elles ne semblent pas modifier la survie.

La survenue d’un deuxième ou de plusieurs carcinomes cutanés est très fréquente chez ces patients à risques (27 %).

Les facteurs pronostiques péjoratifs principaux sont donc la taille et l’infiltration de la tumeur, sa localisation centrale (conque, racine de l’hélix, tragus) ainsi que la dissémination ganglionnaire, même si ces facteurs modifient peu la survie compte tenu de l’âge avancé des patients.

2- Carcinomes basocellulaires :

C’est le cancer le plus fréquent chez les individus à peau blanche.

Il est caractérisé par ses aspects cliniques polymorphes, sa localisation exclusivement cutanée excluant les muqueuses (contrairement au CE), son évolution essentiellement locale sans métastases.

Au niveau du pavillon, le CBC semble le plus fréquent, bien que certaines études soient contradictoires.

* Clinique :

L’aspect clinique du CBC est polymorphe, mais avec le plus souvent un signe pathognomonique : la perle translucide, de la taille d’une tête d’épingle ou d’une petite lentille, enchâssée dans l’épiderme.

On peut schématiquement distinguer quatre formes :

– les formes planes :

– CBC plan cicatriciel : le plus fréquent, son aspect est caractéristique avec une zone centrale atrophique cicatricielle entourée d’un chapelet périphérique de perles épithéliomateuses ;

– CBC sclérodermiforme : rare, mais d’évolution torpide, c’est une plaque indurée évoquant une cicatrice.

L’infiltration, très nette à la palpation, se perd de façon insidieuse dans la peau saine, avec une extension en périphérie très difficile à apprécier.

Les CBC sclérodermiformes infiltrent en profondeur les tissus adjacents, et peuvent envahir les structures de voisinage (articulation temporomandibulaire, CAE…).

On en rapproche les CBC irradiés récidivés ;

– CBC superficiels ou « pagetoïdes » : d’évolution très lente, il s’agit d’une plaque arrondie érythématosquameuse ou kératosique, uniforme, bien limitée, avec une bordure périphérique à peine surélevée constituée de microperles ;

– les formes saillantes :

– CBC nodulaire : très fréquents, c’est une grosse perle épithéliomateuse unique ou multiple, évoluant lentement vers l’ulcération. Son extension se fait vers la profondeur comme un iceberg ;

– CBC bourgeonnant : rare, papillomateux ou kératosique, parfois ulcéré, il ressemble aux CE ;

– les formes ulcérées : il peut s’agir soit de l’évolution ulcéreuse d’un autre type de CBC (plan cicatriciel, nodulaire, bourgeonnant), soit d’une ulcération à l’emporte-pièce d’emblée, ou « ulcus rodens », avec un pouvoir de destruction en profondeur très intense, pouvant détruire tout le pavillon ;

– les formes pigmentées : ou CBC tatoués, parfois très difficiles à distinguer d’un mélanome ou d’une verrue séborrhéique lorsqu’il manque les perles périphériques.

La localisation des CBC est plus fréquente dans la région prétragienne, ou à la face postérieure du pavillon.

Contrairement aux CE, les localisations périphériques sont plus rares.

* Histologie :

L’aspect histologique est celui d’une prolifération assez monomorphe de cellules ressemblant aux cellules de l’assise basale de l’épiderme, regroupées en lobules de taille variable en périphérie desquels les cellules adoptent une disposition palissadique.

* Évolution :

Elle est essentiellement locale.

Les CBC ne donnent pas de métastases ganglionnaires ou viscérales, sauf cas exceptionnel.

Bailin a décrit les modalités d’extension locale des CBC du pavillon, qui seraient liées au développement embryologique de l’oreille externe.

Les CBC préauriculaires s’étendent vers le tragus et la racine antérieure de l’hélix.

Lorsque le tragus est atteint, l’extension se fait en profondeur, entre le cartilage et la parotide ou vers le CAE plus tardivement.

Au niveau de l’hélix, l’extension se fait le long de l’hélix vers l’avant et vers l’arrière.

Au niveau de la conque, l’extension vers le CAE est plus rapide.

L’extension en profondeur est parfois difficile à évaluer cliniquement, avec des extensions tumorales sous une peau en apparence saine.

En particulier, les CBC sclérodermiforme ou les CBC irradiés récidivés peuvent s’étendre en profondeur de façon insidieuse.

Cela explique la fréquence des récidives locales des CBC du pavillon en l’absence d’analyse extemporanée des berges de résection : 16 à 25 %, selon les études.

D – Mélanomes :

1- Épidémiologie :

Ils représentent 4 % des cancers du pavillon.

Les mélanomes malins sont fréquents au niveau de la tête et du cou : 15 à 20 % de l’ensemble des mélanomes.

L’incidence est donc trois à quatre fois plus importante, à surface cutanée égale, au niveau de la tête et du cou que sur le reste du corps.

L’atteinte du pavillon représente de 7 à 12 % de l’ensemble des mélanomes de la tête et du cou.Au niveau de l’oreille, les mélanomes sont principalement localisés au niveau du pavillon et sont exceptionnels au niveau du CAE.

Les mélanomes du pavillon surviennent préférentiellement chez l’homme (60 à 75 %), alors qu’au niveau de la tête et du cou, ils sont sensiblement plus fréquents chez la femme (54 %).

L’âge de survenue est moins élevé que pour les carcinomes (56 ans) et l’adulte jeune ou même l’enfant peuvent être atteints.

2- Clinique :

Le mélanome malin peut se développer soit sur peau saine, soit sur une lésion préexistante (nævus ou mélanose circonscrite précancéreuse de Dubreuilh) (15 à 30 %des cas).

Au niveau du pavillon, le siège de la lésion est le plus souvent l’hélix (60 %), puis le lobule, le tragus et la région prétragienne, la conque et l’anthélix.

Le diagnostic est suspecté cliniquement devant une lésion pigmentée dont la triple irrégularité de teinte (polychromie), de contour (encoches, anfractuosités) et de surface (irrégularités) est caractéristique du mélanome malin.

Cette lésion peut être plane ou saillante, témoignant alors d’une croissance verticale.

Dans certains cas, la lésion est achromique, source d’erreurs diagnostiques, et il faut rechercher alors la plus minime pigmentation surtout en périphérie.

Cette lésion est longtemps indolore, et il ne faut pas attendre les critères classiques d’inflammation, de saignotement ou de douleur pour évoquer cliniquement la malignité.

Toute lésion suspecte devra être enlevée en totalité pour un examen anatomopathologique.

Dans près d’un tiers des cas, il existe des adénopathies satellites, rétroauriculaires, parotidiennes, sous-digastriques et jugulocarotidiennes hautes, parfois révélatrices (10 % des cas).

3- Histologie :

L’examen anatomopathologique permet de confirmer le diagnostic de mélanome malin, et de déterminer deux indices pronostiques capitaux : l’indice de Clark qui classe les mélanomes en fonction de l’infiltration des différentes couches histologiques de la peau, et surtout l’indice de Breslow qui correspond à la plus grande épaisseur de la lésion.

4- Évolution – pronostic :

L’évolution est marquée par l’extension locale, ganglionnaire et générale.

L’incidence des métastases ganglionnaires est importante (42 % au cours de l’évolution dans une série de 102 mélanomes de l’oreille externe) et directement corrélée au pronostic.

Cependant, l’évidement ganglionnaire « prophylactique » chez les patients N- n’améliore pas le pronostic.

Les facteurs pronostiques principaux sont l’indice de Clark et surtout l’indice de Breslow qui est considéré comme le meilleur indice pronostique, directement corrélé à la dissémination métastatique et à la survie.

La présence de métastases ganglionnaires ou viscérales aggrave bien sûr le pronostic.

Les femmes auraient un meilleur pronostic, mais l’âge ne semble pas influencer le pronostic.

Le type histologique est également un facteur pronostique : les mélanomes nodulaires sont plus péjoratifs que les mélanomes superficiels extensifs ou survenant sur mélanose de Dubreuilh.

D’autre part, les mélanomes de la tête et du cou ont un plus mauvais pronostic que ceux des membres en raison de la multiplicité du drainage lymphatique, et les mélanomes du pavillon et du scalp sont les plus sévères des mélanomes de la tête et du cou.

La survie chez les patients N- est de 95 %à 2 ans, 75 %à 5 ans, 60 %à 10 ans et, chez les patients N+, de 60 % à 2 ans, 12 % à 5 ans et 10 % à 10 ans.

Pour les tumeurs dont l’indice de Breslow est inférieur à 1,5 mm, la survie à 5 ans est de 95 %, et pour un indice de Breslow supérieur à 3 mm, la survie à 5 ans est de 55 %.

L’attitude thérapeutique sera donc adaptée en fonction des différents facteurs pronostiques.

D – Autres tumeurs malignes :

Tous les types histologiques de cancers cutanés peuvent se rencontrer au niveau du pavillon, mais ils restent exceptionnels.

1- Carcinomes annexiels :

Tumeurs malignes à différenciation sudorale, pilaire ou sébacée, elles sont principalement développées à l’entrée ou dans le CAE et exceptionnellement au niveau du pavillon.

2- Carcinomes à cellules de Merckel :

Il s’agit de carcinomes neuroendocrines cutanés rares, se développant principalement au niveau de la tête et du cou, pouvant donner des métastases.

Quelques cas ont été décrits au niveau du pavillon.

3- Sarcomes :

Exceptionnels et graves, plusieurs types de sarcomes peuvent se voir : chondrosarcomes, angiosarcomes, léiomyosarcomes….

4- Autres :

Les lymphomes malins non hodgkiniens ou les métastases de cancers sont exceptionnels au niveau du pavillon.

E – Diagnostic différentiel :

Le diagnostic différentiel clinique des tumeurs malignes du pavillon est plus théorique que pratique car, au moindre doute, la biopsie s’impose.

En présence de ces tumeurs cutanées, une consultation commune avec les dermatologues nous paraît indispensable.

1- Carcinomes :

Le diagnostic des CBC évolués est souvent facile avec leurs caractéristiques essentielles (fixité des lésions, bordure perlée, présence de télangiectasies), mais leurs aspects polymorphes font parfois discuter d’autres lésions :

– lésions malignes : CE ou annexiels, mélanomes (pour les CBC tatoués) ;

– lésions bénignes : nodule douloureux de l’hélix, trichoépithéliome (tumeur annexielle bénigne formant des petits nodules hémisphériques), kératoacanthome (souvent fissurés dans la zone rétroauriculaire), hyperplasie sébacée ;

– affections inflammatoires ou infectieuses : polychondrite atrophiante, lupus érythémateux.

Les CE sont en général évidents à un stade évolué.

La principale difficulté est de déceler la transformation maligne d’une kératose précancéreuse sur les arguments cliniques que nous avons vu.

Les CE ressemblent parfois à d’autres types de carcinomes, ou à des processus inflammatoires ou infectieux, végétants ou ulcéreux.

La chondrite du pavillon est rarement une complication révélatrice d’un cancer.

Le kératoacanthome est le diagnostic différentiel clinique et parfois histologique le plus difficile.

Il s’agit d’une tumeur d’origine pilaire, considérée comme une forme pseudocarcinomateuse.

L’homme âgé à peau claire est le plus souvent touché.

La lésion se constitue en 2 à 4 semaines et prend l’aspect d’un cratère rempli de kératine entouré d’une bordure rosée bien limitée avec des télangiectasies fines.

Cette lésion régresse spontanément en 2 à 4 mois, laissant une cicatrice irrégulière et inesthétique.

En pratique, l’exérèse de cette lésion en totalité est souvent indispensable pour affirmer le diagnostic anatomopathologique souvent difficile.

2- Mélanomes :

Il faut savoir différencier un mélanome malin pigmenté :

– d’une tumeur nævique bénigne : nævus nævocellulaire, nævus de Spitz, nævus bleu ;

– d’une tumeur épithéliale bénigne : verrue séborrhéique (lésion « posée » sur la peau sans aucune infiltration) ;

– d’une tumeur épithéliale maligne : CBC tatoué (présence de « perles » en périphérie) ;

– d’une tumeur conjonctive bénigne : histio-cyto-fibrome (pastille enchâssée dans la peau) ;

– de tumeurs vasculaires bénignes (angiome thrombosé) ou malignes (maladie de Kaposi).

Ce sont surtout les rares mélanomes malins achromiques qui sont source d’erreurs diagnostiques, évoquant cliniquement, tantôt des tumeurs épithéliales bénignes (verrues, papillomes), tantôt des tumeurs épithéliales malignes (CE), tantôt un botryomycome.

F – Traitement des tumeurs du pavillon :

Il existe plusieurs options thérapeutiques dans le traitement des tumeurs malignes du pavillon.

Le but du traitement est l’efficacité carcinologique avec un bon résultat esthétique.

Le choix de la méthode dépendra du type histologique de la tumeur, de son extension clinique, de l’état général et des possibilités de surveillance du patient.

1- Méthodes de traitement :

* Méthodes « dermatologiques » :

Ces méthodes simples peuvent être réalisées en consultation.

Elles sont réservées au traitement des lésions kératosiques précancéreuses ou des carcinomes très limités.

+ Chimiothérapie locale :

L’application locale répétée de fluorouracile (Efudixt) est essentiellement utilisée pour le traitement des kératoses précancéreuses, mais n’est pas efficace pour le traitement des carcinomes.

+ Cryothérapie :

Il s’agit d’une destruction des lésions par le froid (application d’azote liquide à l’aide d’un porte-coton), très utilisée pour les lésions de la face.

+ Électocoagulation-curetage :

Cette méthode consiste à enlever la lésion à la curette, en coagulant les berges et le fond de l’exérèse.

La cicatrisation dirigée est plus longue.

Le taux de récidive semble plus élevé qu’avec les autres techniques.

* Radiothérapie :

+ Curiethérapie :

La curiethérapie à l’iridium 192 est un traitement « conservateur » satisfaisant des carcinomes du pavillon de taille limitée.

Les fils d’iridium sont implantés dans la tumeur, sous anesthésie locale, dans des aiguilles hypodermiques ou plus rarement dans des tubes plastiques, permettant de délivrer 70 Gy localement.

Le succès carcinologique et le résultat esthétique sont directement corrélés à la taille de la tumeur.

Pour des carcinomes du pavillon de moins de 4 cmde diamètre, Mazeron et al ont obtenu un contrôle local dans 99 % des cas, avec un bon résultat esthétique dans 78 % des cas.

+ Radiothérapie externe :

Conventionnelle (200 keV, 40 à 50 Gy) ou mieux par électrons, elle est plutôt réservée aux tumeurs étendues, soit chez les patients inopérables, soit après chirurgie.

Le risque de chondrite et de nécrose du pavillon n’est pas négligeable.

La radiothérapie externe peut également être utilisée pour le traitement des aires ganglionnaires, seule ou associée à la chirurgie.

La radiothérapie de contact (ou contactothérapie) est réservée au traitement des tumeurs de moins de 1 cm peu infiltrantes.

* Traitement chirurgical :

+ Exérèse tumorale :

Selon la taille et l’histologie de la tumeur, les marges d’exérèse varient de 5 à 15 mm, et plus pour les mélanomes.

La difficulté d’apprécier cliniquement les limites tumorales des tumeurs malignes du pavillon, rend indispensable une analyse anatomopathologique des berges de résection.

Cette étude peut être différée ou extemporanée.

– Exérèse avec examen extemporané à la demande

L’exérèse de la lésion se fait à distance des berges (marges de sécurité variables selon la taille et le type histologique de la tumeur), et un examen extemporané d’une zone précise peut être demandé en cas de doute sur l’extension avant la reconstruction.

– Exérèse et réparation en deux temps

Lorsqu’un examen extemporané n’est pas possible (équipe non disponible) ou pour les grosses tumeurs, surtout si elles récidivent, la réparation chirurgicale peut être différée après un examen complet de la pièce opératoire.

– Examen anatomopathologique extemporané ou technique de Mohs

La technique, initialement décrite par Mohs, consiste à établir une cartographie quadrillée de la lésion, et à analyser de façon extemporanée chaque fragment cartographié en périphérie et profondeur.

L’exérèse est donc guidée de proche en proche jusqu’au tissu sain. Initialement, la technique de Mohs nécessitait la fixation chimique des tissus pour l’analyse, ce qui n’est plus nécessaire avec la congélation.

Cette technique a l’avantage d’une très bonne sécurité carcinologique, avec un sacrifice tissulaire minimal.

Les taux de récidive locale avec cette technique sont nettement plus faible (3 à 7 %selon les études), par rapport au taux de 16 à 25 % pour les autres techniques.

En revanche, elle nécessite une équipe entraînée et disponible, et le temps opératoire est considérablement augmenté.

Bumsted propose l’utilisation de cette technique pour les lésions récidivées ou les tumeurs de plus de 1 cm de diamètre.

+ Réparation :

Selon la taille et la localisation de la perte de substance, plusieurs techniques sont proposées.

– Bord périphérique du pavillon (hélix, anthélix)

L’exérèse tumorale est souvent cunéiforme, transfixiante, et la fermeture se fait par suture directe, facilitée par des excisions triangulaires de part et d’autre du sommet, dont l’orientation est variable le long de l’hélix.

La réparation peut se faire également par une technique d’enroulement de l’hélix de type plastie d’Antia et Buch.

Plus rarement, une greffe composée de l’oreille controlatérale pourra être utilisée ou un lambeau rétroauriculaire.

– Face externe de la conque

Lorsque la lésion est très superficielle (Bowen, CBC superficiel), l’exérèsegreffe est possible sur le périchondre conservé.

Sinon, l’exérèse, plus ou moins large en surface, doit emporter le cartilage en profondeur.

La réparation est assurée soit par un lambeau rétroauriculaire à pédicule postérieur passé par une incision transfixiante, soit par une greffe de peau totale.

– Face postérieure du pavillon

La laxité de la peau à ce niveau permet souvent une fermeture directe.

Pour les lésions plus importantes avec sacrifice cartilagineux, une résection cunéiforme est là aussi réalisée.

– Région prétragienne

La suture directe, après exérèse en fuseau est souvent possible après décollement sous-cutané.

Sinon, différents types de lambeaux sont utilisés (LLL, rotation, glissement).

– Lobule Pour les petites lésions, une résection cunéiforme avec suture directe est possible.

En cas d’amputation du lobule mordant sur la queue de l’hélix, on peut reconstruire par un lambeau cutané cervical replié sur lui-même (procédé de Préaux), ou par un lambeau rétroauriculaire à pédicule inférieur (procédé de Converse).

– Amputation du pavillon

La reconstruction se fait par une greffe ou un lambeau musculocutané comme pour les résections d’os temporal.

Une réhabilitation par épithèse ostéointégrée peut être réalisée à distance chez des patients en bon état général.

+ Chirurgie des aires ganglionnaires :

Le pavillon auriculaire est une région lymphophile avec un taux d’envahissement ganglionnaire histologique faible de l’ordre de 10 %.

Le drainage lymphatique du pavillon se fait vers les ganglions rétroauriculaires, parotidiens, jugulocarotidiens moyens et hauts.

L’évidement ganglionnaire, systématique en cas de ganglion palpable ou décelé au scanner, est donc jugulocarotidien sus-omohyoïdien, conservateur ou radical selon la taille des adénopathies (il ne semble pas nécessaire de réaliser un évidement sous-omohyoïdien).

Il est systématiquement associé à une parotidectomie, au minimum superficielle.

L’évidement prophylactique est rarement réalisé à moins d’une histologie particulière (Merckel).

2- Indications selon le type histologique :

* Lésions précancéreuses :

Le traitement doit être précoce.

L’application de fluorouracile, la cryothérapie, l’électrocoagulation-curetage sont les méthodes utilisées pour le traitement des kératoses.

L’exérèse chirurgicale peut être proposée, notamment pour la maladie de Bowen.

Le traitement de prévention primaire et secondaire repose sur la prévention de l’exposition solaire (port du chapeau, application de crèmes écran solaire).

* Carcinomes basocellulaires :

Pour les CBC de moins de 1 cm, la cryothérapie ou l’électrocoagulationcuretage sont possibles avec une surveillance régulière.

La curiethérapie donne de bons résultats sur les CBC de moins de 4 cm.

La chirurgie est le traitement le plus utilisé.

Les marges d’exérèse varient entre 5 et 10 mmselon la taille de la tumeur.

La technique de Mohs est idéale sur le plan carcinologique, surtout pour les formes sclérodermiformes ou récidivées, ou dans les localisations au niveau de la conque ou du tragus.

* Carcinomes épidermoïdes :

Le traitement est soit la chirurgie, soit la curiethérapie.

Les marges d’exérèse sont classiquement plus larges que pour les CBC (de 8 à 15 mm).

La radiothérapie externe est réalisée, seule lorsque le patient est inopérable, et associée à la chirurgie pour les grosses tumeurs infiltrantes.

Le traitement des aires ganglionnaires accompagné d’une parotidectomie est systématique en cas d’adénopathies palpables ; il est conseillé lorsque la tumeur fait plus de 4 cm ou envahit le cartilage.

* Mélanomes :

Le traitement est chirurgical.

Les marges d’exérèses sont d’au moins 15 mm.

Le traitement des aires ganglionnaires est systématique en cas d’adénopathies cliniquement palpables.

Cependant, il ne semble pas qu’un évidement ganglionnaire prophylactique améliore le pronostic.

Suite

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