Troubles de l’élocution

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Introduction :

L’élocution est définie comme la manière de s’exprimer oralement.

Elle recouvre tous les aspects moteurs de l’expression verbale, c’est-à-dire de la parole, et se distingue du code linguistique, c’est-à-dire du langage.

Troubles de l’élocutionUn trouble de l’élocution n’est donc pas un trouble du langage.

Il est la production imparfaite d’un langage intact.

L’anomalie concerne la mise en oeuvre du code, c’est-à-dire une ou plusieurs des composantes motrices de la parole.

Ainsi, les troubles de l’élocution ne dépendent pas d’une lésion de l’hémisphère du langage.

Lorsqu’ils sont acquis, ils sont causés par une lésion d’une des structures, corticale ou périphérique, intervenant dans la commande motrice : muscles des organes phonatoires, jonction neuromusculaire, neurone moteur périphérique ou central, aires motrices et prémotrices, systèmes de contrôle des noyaux gris et du cervelet.

Élocution normale :

L’élocution est un substantif, définie par les dictionnaires comme la manière de s’exprimer oralement, d’articuler et d’enchaîner les phrases.

On ne connaît pas, en langue française, de verbe correspondant qui pourrait, strictement, délimiter le domaine de l’élocution.

Le terme de locuteur est vague et « élocuter » n’est pour l’instant pas entré dans la langue.

Cependant, l’élocution, si elle est l’exécution d’un mouvement nécessitant la mise en action de certaines régions du cerveau concevant et contrôlant l’acte moteur, demande également une programmation, fait intervenir un certain automatisme, et surtout est une réalisation individuelle, matérialisation de la personnalité.

Il existe en effet une identité de l’élocution dont on dit qu’elle est propre à chacun et que, de même que les empreintes digitales ou la physionomie de l’écriture, elle peut servir à l’établissement d’un contrôle officiel.

Toutefois, cette identité paraît en grande partie liée à la voix, qui se situe dans une certaine mesure, au-delà de l’élocution, et dépend sans doute des structures les plus archaïques du cerveau, celles où naissent émotions, motivations, joies et peines et aussi névroses.

Le but finalisé le plus spécifique de l’élocution est la production d’un message compréhensible par l’audition.

Il est donc l’expression d’un phonème qui est la codification d’un modèle parlé.

L’élocution est ainsi le propre de l’homme, résultat d’une adaptation phylogénétique, liée elle-même à la station verticale (permettant au voile du palais de se séparer de l’épiglotte, à la langue d’augmenter sa mobilité), et aussi à la libération du membre supérieur dans la vie arboricole (permettant de grimper, mais en même temps nécessitant un blocage des muscles de la ceinture scapulaire et une occlusion glottique à l’origine d’une apnée inspiratoire).

A – DÉVELOPPEMENT DE LA PAROLE :

Le développement de la parole s’appuie à la fois sur la maturation des structures de tractus aérodigestif supérieur dont la taille et la situation se modifient considérablement de la naissance à l’adolescence, sur celui du système perceptif visuel et auditif, et sur la mise en place d’une organisation anatomofonctionnelle du cerveau pour le langage, fondée sur la dominance hémisphérique gauche pour le langage et la notion de spécialisation corticale.

Dès la phase prélinguistique, le très jeune enfant est capable de discriminer des phonèmes à partir de différences acoustiques assez fines, et avant même que ne se mettent en place les caractéristiques phonologiques de son expression orale durant la phase linguistique, l’enfant de 6 mois est capable, à l’instar de l’adulte, de « filtrer » les distinctions phonologiques non pertinentes pour la langue parlée autour de lui.

Les compétences de traitement précoce au niveau phonologique, ainsi que le caractère stéréotypé du développement prélinguistique, des vocalisations au babillage, et ultérieurement du développement linguistique qui, lorsqu’il se déroule normalement, se met toujours en place entre 18 et 30 mois, témoignent du caractère « inné » de l’aptitude de l’enfant à articuler.

Mais ce potentiel génétique doit nécessairement être activé par les interactions avec un environnement linguistique, en particulier par le « dialogue » mère enfant.

Très tôt, l’attention de l’enfant est orientée vers certains des attributs non linguistiques de la parole : tonalité, intensité de la voix, que la mère manipule avec exagération quand elle s’adresse à lui.

C’est au moment de la mise en place de son système phonologique que l’enfant commence à accéder à la valeur représentative de la parole.

La neurolinguistique moderne s’est attardée sur la hiérarchie des unités linguistiques de la langue orale : du trait, produit élémentaire de l’appareil buccophonatoire, au phonème résultant de la réalisation d’un groupe de traits ; du phonème au monème, signe minimal du langage, et du monème au syntagme, séquence de monèmes.

Le développement de l’aspect segmentaire de la parole a fait l’objet de nombreuses études et les transformations phonologiques opérées par l’enfant sont bien connues (duplications et omissions de syllabes, remplacement des fricatives par les occlusives, nasalisation…).

En revanche, peu de travaux ont été consacrés aux développements des aspects suprasegmentaux de la parole, telle que la prosodie, auxquels certains prêtent cependant un rôle déterminant dans le traitement linguistique.

B – FACTEURS DE L’ÉLOCUTION :

L’élocution dépend de trois facteurs :

– la soufflerie pulmonaire, essentiellement le temps expiratoire, alimente et contrôle l’émission sonore.

Ceci se fait surtout grâce à la sangle musculaire abdominale qui refoule les viscères contre le diaphragme ;

– le larynx, organe vibrant, qui détermine la hauteur du son fondamental par l’intermédiaire de la myoélasticité des cordes vocales, attachées en avant au cartilage thyroïde, en arrière aux deux cartilages aryténoïdes qui pivotent grâce à un jeu musculaire élaboré (cricothyroïdiens tenseurs des cordes vocales, cricoaryténoïdiens latéraux constricteurs de la glotte, cricoaryténoïdiens postérieurs dilatateurs de la glotte, interaryténoïdiens constricteurs).

La contraction de ces muscles est commandée par le nerf laryngé inférieur, né du pneumogastrique, tandis que le nerf laryngé supérieur assure la tension des cordes vocales ;

– les résonateurs, qui sont les cavités supralaryngées du son laryngé, donc l’articulation proprement dite.

Les parois sont, pour les unes fixes (paroi postérieure du pharynx, maxillaire supérieur, fosses nasales), pour les autres mobiles (cavité buccale, voile du palais, langue, lèvres).

Elles sont tapissées d’une couche muqueuse jouant également un rôle dans l’émission des sons. SONS Les sons produits lors de l’élocution sont de deux types : vocaliques ou consonantiques.

Les sons vocaliques nécessitent une activité laryngée fournissant essentiellement les voyelles.

Celles-ci sont classées selon l’ouverture, dépendant de la position de la langue (ouverte ou fermée), selon la zone d’articulation (antérieure ou postérieure), selon la forme des lèvres (arrondie ou non arrondie).

Si, lors de la production de certaines voyelles, le voile du palais s’abaisse, une portion de l’air s’échappe par les fosses nasales, définissant les voyelles « nasales » (bon) par rapport aux voyelles « orales » (bord).

Les sons consonantiques sont les bruits réalisés dans l’articulation des organes sus-glottiques.

Par exemple, les gutturales (u k, u g) sont formées dans la gorge et le palais mou, les linguales (l, t), les labiales (m, b, p) dans la cavité buccale.

Les consonnes se différencient des voyelles par la présence d’un obstacle modifiant le libre écoulement de l’air.

L’obstacle est soit total (occlusives « k »), soit resserrement partiel, (constrictives « s » ou fricatives [f, v, z]), soit central, l’air s’échappant sur les côtés de la langue (latérales « loc »), soit occlusion buccale combinée à une fuite d’air par le nez (nasales « n »), soit battement de la pointe de la langue (battues « t »), soit antérieur bilabial (b, v) ou postérieur uvulaire (r).

D’autres critères complètent la classification : lèvres, langue, dents, palais, ou encore sonores avec vibrations (b, d, v, z, n) ou sourds sans vibrations (f, p, s, t).

Au total, et de façon schématique, les voyelles sont porteuses de la qualité esthétique du message, de l’intonation, de la mélodie, tandis que les consonnes dégagent plutôt le contenu sémantique.

Les unes et les autres sont sous-tendues par des ondes sonores complexes du domaine de la phonétique, analysant les divers indices acoustiques.

C – VOIX :

Au-delà de l’élocution proprement dite, se situe la voix, spécifique à chaque individu et définissant son identité.

La voix est la résultante de facteurs multiples, les uns purement physiques comme l’accent, le ton, l’intonation, les autres tenant à la personnalité propre, d’autres encore à l’état émotionnel ou motivationnel.

La voix touche ainsi à quelque chose d’indicible.

Elle est en partie épurée de sens, indépendante de la parole, mal objectivale, quasi immatérielle. Cependant, elle dépend aussi de l’état du corps, devient rauque ou s’enroue dans certaines circonstances (ce qui curieusement concerne l’auditeur qui « se racle la gorge »).

Il est également banal de remarquer que les traits vocaux sont aussitôt reconnus au téléphone après de longues absences, que le nouveau-né de 2 jours se tourne aussitôt vers la voix de sa mère, ce qui pose la question de la perception foetale, qu’à partir de l’enregistrement de voix écoutées par des centaines de sujets, la reconstitution des caractères du personnage est parfaitement cohérente pour la plupart.

D – STRUCTURES NERVEUSES :

Les structures nerveuses déterminant l’élocution sont étagées dans le système nerveux.

L’innervation des muscles est complexe.

Les muscles des lèvres et les muscles jugaux (en particulier le muscle buccinateur, dont la contraction entraîne la commissure labiale vers l’arrière) sont innervés par le nerf facial.

La musculature palatale, en particulier le muscle constricteur supérieur du voile du palais, dépend du nerf glossopharyngien.

Le pharynx et le larynx sont respectivement innervés par le nerf pharyngien, le nerf laryngé supérieur et le nerf récurrent, branches du nerf pneumogastrique, tandis que la musculature linguale est sous le contrôle du grand hypoglosse.

La commande de la contraction de ces muscles s’inscrit dans les processus habituels de l’acte moteur : la conception du message a été transmise au cerveau moteur.

L’aire motrice supplémentaire et les aires prémotrices initient le mouvement.

L’ordre est transmis à l’aire de Broca après avoir été programmée.

La coordination des mouvements de la bouche et de la langue intervenant dans l’expression de la parole dépend de la programmation des séquences.

L’insula aurait une action de processeur dans l’initiation des mouvements de l’articulation de la parole.

Les noyaux gris, le cervelet sont des centres de contrôle.

Plus particulièrement, l’apprentissage qui aboutit peu à peu à l’automatisation est déterminé par le cervelet, sous le contrôle d’une sorte de comparateur qui détecte les erreurs d’exécution.

Il est enfin évident que la fonction d’élocution est dépendante de structures cérébrales archaïques, des formations limbiques intervenant dans la motivation, l’émotion, aussi bien que des structures préfrontales modifiant le programme moteur élocutoire.

Enfin, dans un modèle sériel de psychologie cognitive, le module phonétique, articulatoire, se situe en aval du module phonologique.

Il est connecté à une boucle de contrôle audiophonatoire externe qui, par rétroaction inconsciente, apporte une correction éventuelle au module lexical ou phonologique.

Il va de soi que seuls sont étudiés ici les troubles de la phonation et de l’articulation, les considérations n’ayant pour but que de replacer l’élocution dans un cadre moteur général.

E – MÉTHODES D’EXPLORATION :

Les méthodes d’examen de l’élocution dépendent du degré de spécialisation du centre dans lequel ils sont analysés, au minimum simple examen clinique de l’élocution spontanée, de la répétition, de la lecture, du chant d’une voyelle ou d’une mélodie, avec essentiellement enregistrement sur bande magnétique enregistrant le débit, la prosodie, la tenue du son, les intonations, la hauteur, le timbre, l’intensité.

De nombreuses techniques modernes ont été proposées pour l’exploration fonctionnelle de l’élocution.

L’analyse des vibrations laryngées utilise diverses formes : endoscopie avec enregistrement cinématographique du tracé oscilloscopique, radiocinématographie avec enregistrement sonore et magnétoscopie, strobocinématographie.

Les procédés électroniques comportent l’électromyographie, la glottographie, la transillumination glottique, l’ultrasonographie, la photokinétographie, la cinédensigraphie.

Ces méthodes ont l’inconvénient de n’étudier chacune qu’un paramètre.

La laryngofibroscopie par voix nasale, combinée à l’observation de la vibration des cordes vocales en oscilloscopie est une méthode plus globale.

Les méthodes d’étude phonétique se sont également perfectionnées.

À la kymographie et à la palatographie se sont substitués la radiocinématographie, la tonagraphie et même les synthétiseurs de la parole.

On utilise également des détecteurs de mélodie et intensimètre logarithmique, ainsi que des systèmes de synthèse.

Une grille d’évaluation clinique de la dysarthrie paraît utilisable en pratique.

Elle comporte plusieurs temps.

Le premier évalue les fonctions responsables de la parole (respiration, larynx, muscles buccolinguaux, etc) et donne un score fonctionnel.

Le second temps mesure l’intelligibilité (de mots, de phrases, de conversation) et donne un score d’intelligibilité.

Les résultats sont comparés à ceux d’un groupe témoin.

La perte d’intelligibilité qui crée le handicap est le paramètre évolutif le plus important.

Troubles congénitaux :

Même s’ils sont exceptionnels, les troubles congénitaux de l’élocution d’origine neurologique, qui sont le plus souvent en relation avec une atteinte paralytique, sont quelquefois diagnostiqués tardivement, notamment dans leurs formes incomplètes.

Il va de soi que leur diagnostic présuppose l’absence de malformation vélopalatine, labiale, linguale ou laryngée susceptible d’altérer l’élocution.

En outre, les troubles de l’élocution peuvent s’intégrer à un tableau plus complexe, avec plusieurs niveaux de handicap, dans le cas de patients atteints d’infirmité motrice d’origine cérébrale, sujet dont nous ne traitons pas dans cet article.

A – AGÉNÉSIES CONGÉNITALES DES DERNIERS NERFS CRÂNIENS :

L’agénésie des derniers nerfs crâniens est rare, parfois rapidement fatale, portant dans certains cas sur le IX, le X et le XI.

Dans ces cas, des troubles du fonctionnement laryngé surviennent : stridor congénital, paralysie des cordes vocales. Des formes familiales de stridor congénital, de transmission autosomique dominante ou liées à l’X, ont été signalées.

B – PARALYSIES PSEUDOBULBAIRES CONGÉNITALES :

Des micropolygyries congénitales siègent dans les régions du cortex operculaire et insulaire, quelquefois étendues aux régions frontales inférieures et aux régions pariétales. L’origine pourrait correspondre, soit à un trouble de la migration neuronale entre la 12e et la 16e semaine de vie intra-utérine, soit à une lésion ischémique aux environs de la 20e semaine de la gestation.

Ces lésions entraînent des formes plus ou moins complètes de paralysies pseudobulbaires congénitales isolées. Dans les formes les plus sévères, l’examen révèle une motricité volontaire affaiblie de la protrusion des lèvres et de l’étirement des commissures labiales, des mouvements de la langue, de la contraction vélaire, une diminution du réflexe nauséeux et une déperdition d’air par le nez.

Il existe alors souvent une incontinence salivaire témoignant d’un trouble de la déglutition plus ou moins contrôlé, à documenter à l’aide d’une étude radiocinématographique de la motricité pharyngée.

L’atteinte de la parole correspond le plus souvent à une dysarthrie paralytique touchant la motricité linguale et/ou vélaire, à la différence près qu’existe une dissociation automaticovolontaire, se manifestant également dans la conservation des mimiques émotionnelles.

Dans les formes les plus complètes, on constate l’absence de tout langage articulé intelligible, avec une atteinte vélaire isolée, éventuellement confirmée par des mesures des débits respectifs de l’air buccal et de l’air nasal (Dispositif EVAt, Testont).

Cette forme peut également être à l’origine d’une intelligibilité très déficiente.

L’imagerie cérébrale par résonance magnétique nucléaire confirme les micropolygyries corticales.

Troubles développementaux :

Il n’est pas exceptionnel que des adultes consultent pour un trouble de l’élocution présent depuis l’enfance ou l’adolescence.

Il est important de savoir repérer un trouble d’origine développementale, afin de le différencier de troubles acquis, car les moyens médicaux à mettre en oeuvre dans ces deux cadres sont très différents.

Il faut en particulier veiller à préciser le caractère évolutif des troubles et ne pas confondre l’aggravation objective d’une anomalie élocutoire avec l’aggravation de son vécu par un patient, chez lequel, quoique présente et stable depuis l’enfance, elle interfère de manière de plus en plus négative dans sa communication du fait de l’évolution de son statut social ou professionnel.

A – TROUBLES DE L’ÉLOCUTION DANS LES SURDITÉS :

Chez l’adulte ou l’enfant affecté d’une surdité sévère ou profonde présente dès les stades initiaux des vocalisations et du babillage, durant la période prélinguistique (avant 10 mois), l’élocution est profondément altérée, tant au niveau de l’articulation verbale, du fait de l’absence de rétroaction auditive, qu’au niveau du rythme et des autres caractéristiques temporelles de la parole.

En règle générale, il paraît souhaitable, devant tout trouble de l’élocution ancien, de procéder à une anamnèse précise, à la recherche de cause postnatale de surdités (infections, traitements…) et de manière systématique à la réalisation d’un audiogramme.

B – TROUBLES SPÉCIFIQUES DU DÉVELOPPEMENT DE LA PAROLE :

Le terme de trouble spécifique du développement de la parole et du langage est actuellement préféré à celui de dysphasie du développement, pour désigner toute apparition retardée et tout développement ralenti de la parole et du langage qui ne peuvent être mis en relation avec un déficit sensoriel (auditif), avec des troubles moteurs des organes de la parole, avec une déficience mentale, avec des troubles psychopathologiques, avec une déprivation socioaffective grave, avec une lésion ou une dysfonction cérébrale évidente.

La classification de ces troubles repose d’une part sur leur gravité (simple retard d’acquisition ou véritable dysphasie), et d’autre part sur leurs caractéristiques sémiologiques.

Ainsi, identifie-t-on notamment des troubles affectant de manière isolée l’expression verbale en différenciant le retard de parole du retard de langage.

Le retard de parole correspond à un trouble de la réalisation articulatoire et à un trouble de la programmation phonologique qui se manifeste par une parole fluente, mais difficilement intelligible, alors que la compréhension est normale.

Le retard de langage correspond à un trouble phono-logicosyntaxique dont les manifestations affectent à la fois la fluence verbale, mais aussi l’utilisation de la syntaxe et la compréhension.

La pathogénie de ces troubles, dont la prévalence est nettement plus élevée chez les garçons, reste discutée.

Des désordres neurobiologiques de la maturation cérébrale, voire des déficits structurels, sont évoqués sur la base de résultats de travaux faisant état d’une possible transmission génétique, d’une atténuation des asymétries morphologiques cérébrales typiques comme celle du planum temporale (à l’instar de la dyslexie) ou d’éventuelles modifications hormonales durant la vie foetale.

C – BÉGAIEMENT :

Le bégaiement affectant 1 % de la population est une anomalie de l’émission des sons, syllabes ou mots, qui correspond, selon la définition du diagnostic and statistical manual of mental disorders (DSM) IV, à une perturbation de la fluence normale et du rythme de la parole, caractérisée par une ou plusieurs des manifestations suivantes :

– répétitions de sons et de syllabes ;

– prolongation de sons ;

– interjections ;

– interruptions de mots (par exemple, pauses dans le cours d’un mot) ;

– blocages audibles ou silencieux (pauses dans le cours du discours, comblées par autre chose ou laissées vacantes) ;

– circonlocutions ;

– tension physique excessive accompagnant la production de certains mots ;

– répétitions de mots monosyllabiques.

Cette perturbation de la fluence interfère avec la réussite scolaire ou professionnelle, ou avec la communication sociale.

Le bégaiement est tantôt clonique : répétition plus ou moins longue du premier phonème, tantôt tonique : arrêt de l’émission, accompagné d’efforts, de syncinésies, de réactions émotionnelles.

Une désorganisation des synergies de la phonation est fréquente : mouvements désordonnés du diaphragme, début de phonation en fin d’expiration déclenchant une apnée, tremblement des muscles buccophonatoires.

Le bégaiement disparaît lors de la lecture à haute voix et surtout du chant.

Fondamentalement, le bégaiement essentiel semble correspondre à une anomalie de la fluence touchant trois fois plus souvent le garçon que la fille et dont l’installation se fait le plus souvent entre 2 et 5 ans, mais peut survenir jusqu’à la puberté. Une amélioration apparaît souvent à la puberté ; sinon, le bégaiement devient chronique.

Des facteurs constitutionnels ont été évoqués : une transmission génétique de type polygénique et un retard de développement de l’hémisphère gauche durant la vie foetale.

Une étude du débit sanguin cérébral par caméra à positons montre des variations par rapport aux témoins dont le débit de l’hémisphère gauche augmente pendant la parole.

Au cours du bégaiement, la latéralisation gauche disparaît, devient hémisphérique droite ou bilatérale.

De plus, survient une hyperactivité préfrontale tandis que les régions post-rolandiques restent plutôt silencieuses.

L’activation hémisphérique droite serait due à un mécanisme de compensation et le silence post-rolandique serait l’origine d’une mauvaise intégration sensorielle, en particulier dans le décodage auditif.

Enfin, le débit augmente du côté gauche dans le putamen, le thalamus ventral et le cingulum.

Une activation augmentée dans le cortex prémoteur de l’hémisphère droit et du cervelet du côté non dominant est mise en évidence.

L’activation est également diminuée dans l’aire auditive primaire, ce qui suggère également une mauvaise information sensorielle.

Ces diverses études du débit cérébral indiquent une dysfonction complexe et étendue, et non plus une simple différence de latéralité comme il était naguère suggéré.

Comme dans tout trouble de l’élocution, le bilan est étayé par un examen de la fluence aux plans quantitatif et qualitatif réalisé par une orthophoniste, sans négliger l’examen du langage, de la mémoire auditive à court terme et des aptitudes cognitives non verbales.

Il faut différencier le bégaiement essentiel d’origine développementale du bégaiement acquis, ou pseudobégaiement, qui survient le plus souvent lors d’une période de récupération après un épisode aphasique d’origine vasculaire ou traumatique.

Ce type de bégaiement diffère du bégaiement habituel car la répétition, les prolongations et les blocages ne se limitent pas à la première syllabe du mot et surviennent à tout instant. En outre, il porte aussi bien sur les substantifs que les mots grammaticaux et persiste pendant la lecture, la répétition et le chant.

Il ne s’accompagne pas de gestes grimaçants, ni de mouvements associés, et est généralement transitoire, marquant une étape dans la récupération du déficit aphasique.

Dans la plupart des cas de bégaiement essentiel, une approche thérapeutique plus ou moins spécifique est proposée en fonction de l’intensité du trouble, de son ressenti et de l’existence de troubles psychologiques associés.

Troubles acquis :

A – TROUBLES DE LA PHONATION OU DYSPHONIES :

La phonation, production de sons vocaux, est essentiellement sous la dépendance du larynx et plus particulièrement des cordes vocales dont la vibration au cours de l’expiration produit le son.

Cette fonction particulière est étroitement liée à la longueur et à la masse de la portion membraneuse des cordes vocales. Elle varie en fonction de leur tension, déterminée par la contraction des muscles laryngés extrinsèques.

La force de pression de l’air à l’intérieur de la trachée, créant une pression sous-glottique, sépare les bords des cordes vocales et provoque des séries de vibrations. Puis les sons produits avec un timbre et une hauteur variables sont modulés par leur passage dans le rhinopharynx et la cavité buccale qui forment une caisse de résonance. Un trouble de la phonation est une dysphonie et au maximum une aphonie.

Les dysphonies comportent aussi bien une altération de l’émission des sons non articulés que des mots. Une cause locale, non neurologique, en est parfois l’origine.

Enfin, une dysphonie est parfois associée à une dysarthrie.

Les modifications de la voix sont variées : aphonie totale, chuchotement, voix éteinte (avec baisse de la tonalité, extinction de voix par défaut de mise en jeu de la musculature et dyspneumie), voix monotone ou monocorde par perte de l’accent tonique du mot et syllabes prononcées avec la même tonalité (perte de la chanson du langage ou dysprosodie), voix rauque avec timbre rugueux des sons par atteinte laryngée incomplète, voix bitonale par paralysie d’une corde vocale, voix nasonnée par atteinte vélopalatine.

1- Atteintes laryngées :

Les atteintes laryngées sont au premier plan, d’abord celles du domaine de la laryngologie (laryngites, nodules des cordes vocales, polypes, cancers des cordes vocales et au maximum voix des laryngectomisés).

Les paralysies laryngées sont parfois à l’origine d’une aphonie, d’une voix chuchotée avec stridor inspiratoire. La voix peut devenir grave ou bitonale.

En cas de paralysie unilatérale d’une corde vocale, la voix est rauque, parfois nasale.

La prononciation des consonnes est suivie par un échappement d’air par les fosses nasales. Parfois, le trouble de la phonation est moins prononcé en position couchée.

Chez l’adolescent, la phonation se modifie. Parfois, une voix de fausset persiste, interprétée comme un retard de masculinisation de larynx chez le garçon avec des cordes vocales trop courtes.

Le spasme de la glotte s’observe au cours du tétanos et de grandes crises tétaniques.

2- Atteintes de la musculature respiratoire :

Elles sont d’ordre paralytique au cours de la poliomyélite antérieure aiguë ou dans les formes hautes de la polyradiculonévrite de Guillain-Barré.

Un trouble du débit aérien survient, avec impossibilité de maintenir le son du fait de la dyspneumie. Inversement, la dysphonie spasmodique, d’origine vraisemblablement extrapyramidale, est due à des contractions de l’ensemble de la musculature avec de grandes difficultés phonatoires.

La voix est étranglée, heurtée, bégayante, produite avec effort, tandis que le chuchotement est normal.

L’émotion augmente la dysphonie qui parfois régresse de façon imprévue.

La laryngoscopie montre un spasme en adduction des cordes vocales.

Ce trouble, naguère considéré comme névrotique, correspond à une dystonie focale, soit isolée, soit associée à d’autres phénomènes dystoniques, blépharospasme ou crampe des écrivains.

L’utilisation de toxine botulique est parfois justifiée.

Des troubles du rythme respiratoire s’observent dans les syndromes extrapyramidaux au cours desquels les patients tentent de prononcer des phrases pendant l’inspiration.

La dysphonie hystérique se traduit par une voix éteinte ou disparue, par un chuchotement ou par un enrouement.

La toux est normale, traduisant le maintien de la contracture glottique.

Enfin, dans les états de stupeur, persiste un simple chuchotement.

3- Dysphonies buccopharyngées :

Le timbre de la voix, qui devient nasonnée, se modifie au cours des paralysies du voile du palais.

Dans ces cas, une impossibilité de maintenir le son est parfois secondaire à la déperdition d’air.

Les paralysies de la langue et des lèvres altèrent surtout la prononciation des consonnes (linguales : la ; labiales : ba, be ; gutturales : gu, gr).

Certaines malformations palatales ou maxillofaciales sont à l’origine de déformations mécaniques du mot sans que ce dernier soit altéré.

Le sigmatisme interdental de l’enfant est caractérisé par une mauvaise position de la langue trop près des incisives à l’origine du zézaiement, du zozotement.

Le sigmatisme latéral (schlintement ou jouyment) est dû à un écoulement d’air latéral. Dans le sigmatisme, les consonnes sont électivement altérées, surtout les constrictives (ch, f, j, s, v, z).

Parmi les autres défauts de prononciation chez l’enfant, les substitutions de consonnes créent une confusion apparente avec des variantes nombreuses.

Le défaut de voyelles nasales par absence d’abaissement du voile porte surtout sur « an » et « on ».

La division palatine, avec ou sans bec de lièvre, entraîne un nasonnement associé à un souffle guttural.

B – TROUBLES DE LA PROSODIE :

Selon la définition du dictionnaire Larousset, la prosodie est « une partie de la phonétique qui étudie l’intonation, l’accentuation, les tons, le rythme, les pauses et la durée des phonèmes ».

La prosodie varie éminemment en fonction de la langue maternelle du locuteur et traduit à la fois des éléments linguistiques et émotionnels.

Les troubles de la prosodie peuvent être abordés à travers une étude systématique des paramètres acoustiques (intensité, hauteur, timbre, durée), et des outils informatisés d’évaluation quantitative sont disponibles.

Trois types de désordres prosodiques ont été identifiés :

– l’aprosodie ou perte de la prosodie, telle qu’on la rencontre dans la maladie de Parkinson ;

– la dysprosodie, correspondant à une prosodie conservée mais normale ;

– l’hyperprosodie, correspondant à une prosodie exagérée. Par la suite, on a cherché à distinguer les troubles de la prosodie émotionnelle et ceux de la prosodie linguistique.

Les lésions de l’hémisphère droit ont été rapportées comme particulièrement susceptibles d’entraîner une altération des composantes affectives du langage.

La classification anatomofonctionnelle des aprosodies, distinguant des aprosodies expressives, des aprosodies de réception et des aprosodies globales par similitude avec la taxonomie des aphasies, est très critiquée et ne semble pas se confirmer.

Même si l’hémisphère droit joue probablement un rôle critique dans le contrôle des affects, il existe aussi des troubles de la prosodie après une lésion hémisphérique gauche (on a d’ailleurs proposé d’utiliser le terme de dysmélodie pour caractériser la perturbation de la ligne mélodique générée par une lésion hémisphérique droite).

L’expression de la prosodie linguistique peut également être perturbée après une lésion hémisphérique gauche, en particulier chez les aphasiques au niveau de l’accentuation lexicale (ou d’un segment de phrase) et après une lésion hémisphérique droite de topographie antérieure au niveau du contour intonatif.

Les troubles prosodiques sont décrits dans de multiples affections : dépression, maladie de Parkinson, traumatismes cranioencéphaliques graves, accidents vasculaires cérébraux, et leur pathogénie est probablement hétérogène.

On distingue parfois la dysprosodie qui concernerait des aspects élaborés du traitement de la parole et serait assimilable à un trouble cognitif, et la dysmélodie qui désignerait un trouble élémentaire dans la production motrice d’une ligne mélodique.

Des lésions antérieures de l’hémisphère droit seraient susceptibles d’entraîner une « hypomélodie » se manifestant par un aplatissement de la ligne mélodique de la parole.

Au contraire, des lésions postérieures de l’hémisphère droit affecteraient la capacité à décoder les émotions contenues dans une production orale, réalisant une agnosie auditive affective.

C – TROUBLES DE L’ARTICULATION OU DYSARTHRIES :

Le terme de dysarthrie est employé au sens large pour désigner tout trouble de la réalisation motrice de la parole en relation avec une atteinte du système nerveux central ou périphérique.

Ce trouble, qui peut être causé par une faiblesse musculaire buccophonatoire, par une lenteur des mouvements, un défaut de coordination ou une altération du tonus musculaire, porte, selon les cas, sur l’articulation du mot, sur le rythme, sur le débit, sur la régularité de l’expression.

Il peut correspondre à un déficit sélectif (affectant un seul processus moteur) ou à un déficit composite, correspondant à l’altération de plusieurs processus moteurs impliqués dans l’articulation, la respiration, la phonation, la prosodie…

Le terme de dysarthrie ne concerne que les dysfonctions neurogènes de la parole, et sont exclus de son champ les dyslalies, les troubles secondaires à des malformations palatales ou à des malocclusions. Les causes des dysarthries sont multiples et relèvent d’atteintes topographiques diverses.

Il faut ici noter qu’il existe une différence entre l’usage anglo-saxon du terme de dysarthrie, qui ne contient aucun présupposé topographique puisqu’il peut désigner un trouble de l’articulation d’origine corticale comme un trouble d’origine souscorticale, et la tradition francophone, qui oppose l’anarthrie, trouble arthrique secondaire à une lésion corticale de l’hémisphère gauche et les dysarthries, causées par des lésions hémisphériques souscorticales ou des lésions du tronc cérébral et du cervelet.

Dans la terminologie d’origine anglo-saxonne, le terme d’anarthrie est utilisé dans les cas les plus sévères où l’articulation est absente et la perte de la fonction motrice complète.

Les dysarthries ont été l’objet de différentes classifications selon l’âge d’installation, l’étiologie, le ou les processus perturbé(s), ou les structures nerveuses touchées.

La classification la plus utilisée est celle qui combine des critères sémiologiques et physiopathologiques.

Les dysarthries partagent cependant des traits cardinaux communs qui les opposent aux anarthries corticales : le trouble est permanent et uniforme, il n’obéit pas au principe de la dissociation automaticovolontaire et le patient en est toujours conscient.

1- Dysarthries flasques :

Les dysarthries paralytiques ou dysarthries flasques sont le plus souvent liées à une atteinte du motoneurone périphérique responsable d’une paralysie des organes phonateurs.

Dans les formes les plus complètes, les deux traits sémiologiques dominants, hypotonie et faiblesse musculaires, se retrouvent dans les différents groupes musculaires impliqués dans la phonation :

– faiblesse de contraction des muscles respiratoires ;

– hypotonie laryngée à l’origine d’une voix essoufflée, avec des inspirations audibles et l’émission de phrases courtes ;

– faiblesse des muscles élévateurs du palais et des muscles constricteurs du pharynx donnant lieu à un hypernasonnement et à une émission nasale d’air ;

– faiblesse des musculatures faciale et linguale altérant l’articulation précise des consonnes, en particulier des bilabiales (p, b) et des consonnes impliquant un mouvement fin de l’apex lingual (s, z), altération des voyelles avec arrondissement des lèvres (u, y).

Des troubles articulatoires modérés s’observent parfois au cours de paralysie unilatérale de la VIIe paire (atteinte labiale) ou de la XIIe paire (atteinte linguale) des nerfs crâniens.

Mais les tableaux sévères et durables sont toujours en relation avec une atteinte bilatérale.

Dans les paralysies labiales, par exemple au cours du syndrome de Guillain-Barré avec diplégie faciale, l’expression vocale est bredouillée.

Les consonnes labiales « p » et « b » deviennent « f » et « v ».

En cas de paralysie du voile du palais, la voix devient nasonnée, au cours de la diphtérie, de la poliomyélite antérieure aiguë, de la sclérose latérale amyotrophique. Dans les formes avancées de paralysie bulbaire, la langue est inerte, atrophique, ravinée, animée de fasciculations.

Les lèvres sont lâches et tremblantes.

La voix est monotone par paralysie des cordes vocales.

L’élocution devient progressivement indistincte, avec difficultés d’expression des consonnes vibratoires (r) puis des linguales et des labiales.

La sclérose latérale amyotrophique comporte, associés à une paralysie pseudobulbaire, les éléments d’une paralysie bulbaire.

Parfois, le début est marqué par un simple nasonnement, considéré souvent comme hystérique.

La voix devient rapidement mal articulée.

Le trouble est majoré par des difficultés expiratoires.

L’élocution est bientôt inaudible.

La forme bulbaire pure, dite paralysie de Duchenne, est marquée au début par des troubles articulatoires précoces portant sur les linguales, les labiales, les dentales, les palatales ; peu à peu la voix devient inintelligible.

La myasthénie retentit sur l’élocution.

La voix s’éteint progressivement et devient nasonnée puis inintelligible lors des accès de fatigabilité.

Puis elle redevient normale et le trouble est parfois considéré comme fonctionnel ou en relation avec une laryngite si le diagnostic n’est pas évoqué.

2- Dysarthries spastiques :

Les dysarthries spastiques sont en relation avec une atteinte suprabulbaire.

À l’opposé des dysarthries flasques, leur caractéristique dominante est une augmentation du tonus entraînant :

– un rétrécissement de l’ouverture laryngée (véritable « sténose phonatoire ») : parole laborieuse avec des distorsions faciales, des accélérations paroxystiques, l’émission de phrases courtes, une voix rauque, étranglée, faible, avec des cassures tonales ;

– une accélération du rythme respiratoire, des inspirations profondes difficiles, des mouvements antagonistes des musculatures diaphragmatiques, abdominales et thoraciques, des mouvements involontaires de la musculature thoracique, toutes ces modifications respiratoires se manifestant par : une incapacité à produire plus de deux syllabes dans une expiration, des difficultés à maintenir la pression de l’air pour la vocalisation qui est faible et discontinue.

S’y associe une faiblesse de la musculature palatopharyngée et linguale se manifestant par un ralentissement global des contractions participant à la résonance et à l’articulation : les consonnes déformées (disparition des fricatives, les sourdes deviennent sonores…), distorsion des voyelles et hypernasonnement, réduction des variations tonales et d’intensité.

Les dysarthries spastiques sont causées par des lésions d’origine dégénérative, vasculaire ou traumatique siégeant à l’étage cortico-sous-cortical.

* Dysarthrie corticale : syndrome de Foix-Chavany-Marie

Dans ce cas, il s’agit généralement d’une perte soudaine de la parole, associée à une paralysie bilatérale des muscles sous le contrôle des Ve, VIIe, IXe, Xe et XIIe paires crâniennes.

Le patient est éveillé, est en mesure de comprendre le langage oral et écrit, mais est incapable d’articuler.

Si la dissociation automaticovolontaire n’est pas observée pour le trouble élocutoire, elle caractérise cependant la diplégie faciale qui s’atténue nettement dans l’expression des émotions, ainsi que la déglutition dont le temps automatique est conservé.

Les lésions sont surtout bilatérales, le plus souvent bi-operculaires, associent quelquefois une lésion operculaire et une lésion putaminale controlatérale, sont exceptionnellement unilatérales bien que l’existence d’un syndrome operculaire unilatéral soit très contestée.

En dehors des accidents vasculaires et d’une origine congénitale, des syndromes de Foix-Chavany-Marie ont été décrits après des lésions infectieuses ou dégénératives, et quelquefois de manière réversible chez des enfants atteints d’une épilepsie rolandique bénigne.

Une dysarthrie spastique d’évolution lentement progressive a pu révéler une sclérose latérale primitive avec, à l’autopsie, la mise en évidence d’une atrophie bilatérale des gyri précentraux, mais cette affection exceptionnelle s’accompagne habituellement d’une paraparésie ou d’une tétraparésie spastique.

* Atteinte du motoneurone central et syndrome pseudobulbaire :

Au cours de la sclérose latérale amyotrophique, la dysarthrie paralytique s’associe à une dysarthrie spastique de type pseudobulbaire.

Le trouble de l’élocution se complique d’une palilalie.

Le rire et le pleurer spasmodique sont au premier plan.

La dysarthrie spastique, liée à une lésion du faisceau pyramidal, est au maximum présente au cours du syndrome pseudobulbaire d’origine souvent vasculaire.

Il n’est pas rare qu’une lésion ancienne du faisceau pyramidal, sans trouble de l’élocution, soit passé inaperçue du fait que les muscles bulbaires ont une innervation bilatérale.

Si un nouvel accident vasculaire porte sur le second faisceau pyramidal, le patient devient aussitôt dysphonique, anarthrique ou dysartrique avec dysphagie, paralysie faciale, paralysie linguale, mais sans atrophie ni fasciculations.

La voix est à la fois assourdie, saccadée, dysphonique, rauque et désagréable.

Plusieurs facteurs s’associent.

La parésie entraîne une voix nasonnée, la spasmodicité un débit explosif et rapide, la difficulté d’élocution aboutit parfois à un accès de pleurer spasmodique.

Les réflexes médians, mentonniers, sont vifs. Le réflexe vélopalatin est diminué ou augmente : le contrôle émotionnel est désinhibé, avec rire et pleurer spasmodique.

* Dysarthries lacunaires :

+ Syndrome dysarthrie-main maladroite de Miller-Fischer :

Il associe à une dysarthrie une dysphagie, une parésie faciale et une maladresse de la main.

La lésion est une lacune qui se situe sur le pied de la protubérance, à la limite du tiers et des deux tiers inférieurs.

Dans d’autres cas, la lacune siège dans la partie supérieure du genou de la capsule interne, atteignant la portion corticobulbaire du faisceau pyramidal.

La survenue d’une dysarthrie isolée a été décrite après des lésions lacunaires siégeant au niveau de la capsule interne ou de la corona radiata.

Certaines ont trouvé dans ces cas une hypoperfusion frontale prédominant dans les régions médiofrontales et operculaires antérieures en scintigraphie cérébrale.

D’autres soutiennent que cette dysarthrie est en relation avec une monoparésie isolée de la langue par lésion des fibres corticolinguales.

3- Dysarthries dyskinétiques :

Ces dysarthries, dont la plus fréquente est la dysarthrie parkinsonienne, sont en relation avec des lésions du système extrapyramidal.

* Dysarthrie hypokinétique :

Au cours des syndromes parkinsoniens, l’hypokinésie concerne les différents groupes musculaires impliqués dans l’articulation verbale : les muscles respiratoires, d’où l’altération de la sonorité vocale ; les muscles laryngés, d’où l’hypophonie et la réduction des variations tonales et d’intensité ; les muscles palatopharyngés et buccaux, d’où le ralentissement du débit et l’imprécision articulatoire.

La voix est lente et monotone, devient sourde, perd son volume et ses inflexions.

Le débit peut cependant varier avec des blocages, des silences, des émissions vocaliques discontinues, et quelquefois des décélérations segmentaires du débit, réalisant une véritable festination de la parole (tachyphémie).

L’élocution est inintelligible et marquée par des phénomènes de répétition : répétition itérative de la première syllabe du mot et réitération involontaire du ou des derniers mots d’une phrase avec une intensité décroissante, constituant la classique palilalie aphone.

Parfois, l’élocution est impossible pendant la marche et s’améliore en position assise ou couchée.

La dysarthrie hypokinétique de la maladie de Wilson est souvent révélatrice.

La parole lente, monotone, de faible intensité, s’étouffe en fin de phrase.

Elle se distingue de la maladie de Parkinson par l’absence d’accélération et par sa survenue chez un sujet jeune associée à un faciès figé et grimaçant.

* Dysarthrie hyperkinétique rapide :

À l’inverse, l’élocution devient hyperkinétique et rapide au cours des chorées.

Le verbe est fort, forcé, rauque, irrégulier, mal coordonné avec la respiration.

Se produisent des interruptions soudaines, des surimpositions.

L’élocution devient hoquetée et grimaçante, avec des variations excessives d’intensité sur un fond monotone. Les tics se manifestent parfois par des vocalisations, des grognements, des raclements de gorge et même, dans la maladie des tics, une coprolalie.

* Dysarthrie hyperkinétique lente :

Elle s’observe au cours de l’athétose, des dystonies et dans la paralysie supranucléaire progressive.

La voix est étranglée, stridente, l’élocution est sourde, lente, laborieuse, mal coordonnée avec la respiration, accompagnée d’accès dystoniques de la face et des membres.

La dysarthrie bredouillante est enfin un signe initial traditionnel de la paralysie générale.

4- Dysarthrie ataxique :

Caractéristique d’une atteinte du cervelet, elle s’observe dans diverses circonstances : sclérose en plaques, syndromes cérébelleux de causes variées, séquelles d’encéphalopathie anoxique, chaleur excessive.

Les anomalies principales sont la lenteur d’élocution, le bredouillement, la monotonie, la séparation anormale des mots, l’incoordination entre l’élocution et la respiration avec tantôt une insuffisance de souffle, tantôt un excès à l’origine d’une voix explosive.

La répétition rapide de phonèmes induit des irrégularités tonales et d’intensité.

La voix est tremblée et un « pseudobégaiement » peut se constituer.

La dysarthrie scandée (scanning dysarthria) est caractérisée par la séparation de mots cassés en syllabes, comme la récitation d’une poésie scandée.

L’origine est cérébelleuse, avec des lésions mésencéphaliques portant sur le brachium conjunctivum.

Les myoclonies du voile du palais ou myoclonies palato-pharyngolaryngées survenant dans la seconde partie de la vie provoquent des interruptions phonatoires rythmiques, surtout pour les voyelles.

5- Dysarthries mixtes :

Dans certaines affections comme la sclérose en plaques, la dysarthrie peut être mixte, associant par exemple une composante spastique et une composante cérébelleuse.

D – ANARTHRIE PURE OU SYNDROME DE DÉSINTÉGRATION PHONÉTIQUE :

Ces deux termes, ou celui d’apraxie de la parole, désignent en fait une perturbation exceptionnelle de la fonction élocutoire, à son niveau le plus élevé, en dehors de toute atteinte des organes phonateurs.

Alajouanine distinguait trois formes d’anarthrie : l’anarthrie paralytique, l’anarthrie dystonique, l’anarthrie apraxique, selon le niveau de désorganisation du système moteur.

Sur le plan sémiologique, ce sont les caractéristiques des transformations phonétiques qui dominent le tableau de l’anarthrie.

– Ces transformations sont variables chez le même malade au même moment de l’évolution de sa maladie.

– Elles obéissent au principe de la dissociation automaticovolontaire : elles sont d’autant plus intenses que la situation correspond à une production volontaire et propositionnelle (répétition, lecture à voix haute, narration…) et diminuent en intensité, voire deviennent à peine perceptibles, dans le langage automatique (jurons, prières, énumération des jours de la semaine…).

– Elles sont marquées par une simplification de la réalisation motrice articulatoire.

– Les patients ont en général conscience du caractère anormal de leur production, mais selon les circonstances étiologiques, paraissent cependant peu affectés.

La compréhension du langage est parfaitement conservée, ainsi que son expression écrite.

Une apraxie buccofaciale est généralement constatée.

L’anarthrie peut être constatée après une lésion d’origine vasculaire, le plus souvent dans les suites d’une aphasie de Broca, quelquefois d’emblée après des lésions limitées à la moitié inférieure du cortex moteur précentral de l’hémisphère gauche ou à la région operculaire de la troisième circonvolution frontale de l’hémisphère gauche.

Certains auteurs regroupent l’ensemble de ces perturbations isolées (sans agrammatisme, sans trouble de la compréhension) de l’organisation des aspects articulatoires sous le terme d’aphémie.

Les méthodes d’imagerie fonctionnelle mettent en évidence, dans ces cas d’anarthrie pure, des infarctus localisés à l’insula, ne l’atteignant pas en totalité mais localisés à une région limitée de siège précentral dans l’insula, ce qui permet d’évoquer la spécialisation de cette aire dans la planification des mouvements articulatoires.

Parmi les fonctions mal connues de l’insula (fonctions sensorielles olfactogustatives, fonctions motrices gastro-intestinales et respiratoires, fonctions sur les mouvements globaux du corps comprenant la face et du corps), s’inscrirait ainsi l’action de processeur signalée plus haut.

L’anarthrie peut également s’installer progressivement dans un contexte dégénératif.

Rapportée à des lésions corticales affectant les deux gyri frontaux inférieurs, avec assez souvent une prédominance sur l’hémisphère gauche, cette dysarthrie progressive représenterait une entité nosologique en soi, une variante d’aphasie progressive primaire et pour Broussole et al, une forme clinique de dégénérescence frontale.

Ce trouble, d’installation insidieuse et d’aggravation progressive, possède initialement toutes les caractéristiques cliniques de l’anarthrie : tendance à la substitution phonétique ou à la simplification, dissociation automaticovolontaire, association à une apraxie buccofaciale, absence de syndrome pseudobulbaire…

L’évolution est marquée par une inintelligibilité progressive de la parole, associée à un appauvrissement du langage, avec omission de mots grammaticaux, évoquant un style télégraphique. Ultérieurement, des troubles comportementaux et des troubles cognitifs de type frontal apparaîtront, accompagnant la dégradation de la parole jusqu’à un mutisme complet.

Dans ces cas, les troubles de la parole résulteraient d’un trouble de la motricité complexe, et plus spécifiquement d’une atteinte sélective progressive du cortex prémoteur.

E – APRAXIE BUCCOFACIALE :

L’apraxie buccofaciale est la difficulté à réaliser certains gestes impliquant la musculature de la face et de la bouche, difficulté qui ne peut être rapportée à un déficit élémentaire de la motricité ou de la sensibilité.

Elle est mise en évidence dans la réalisation de mouvements bucco-linguo-faciaux sans finalité linguistique : siffler, souffler, gonfler les joues, faire un baiser, claquer la langue…

À l’instar de l’anarthrie à laquelle elle est souvent associée, des gestes non réalisés sur commande verbale de l’examinateur sont correctement effectués de manière automatique (souffler une allumette, embrasser un familier…).

En outre, certaines formes d’apraxie n’apparaissent que lors de la réalisation de séquences de deux ou trois gestes effectués alternativement (souffler-claquer la langue…).

Elles témoignent alors d’une dysfonction prémotrice plus générale affectant la réalisation d’autres séquences motrices.

Aux frontières des troubles de l’élocution : les mutismes

Le mutisme est souvent observé de manière isolée après une lésion neurologique.

Habituellement, il s’inscrit dans un contexte clinique général d’akinésie, réalisant un tableau de mutisme akinétique, après des lésions bilatérales touchant la substance grise périaqueducale, les thalami ou les parties antérieures des gyri cingulaires.

Dans les cas de lésion cingulaire unilatérale, en particulier hémisphérique gauche, l’akinésie est absente, quelquefois remplacée par une hypokinésie, et le mutisme est transitoire.

Le mutisme initial rencontré dans les tableaux d’aphasie globale après un accident ischémique sylvien gauche étendu a été rapporté à l’effet de l’oedème sur les circonvolutions cingulaires.

Une autre hypothèse serait celle d’un effet de diaschisis de la lésion hémisphérique gauche sur les régions homologues de l’hémisphère droit.

Certaines des techniques de démutisation utilisées dans ces cas (utilisation de comptines, de chansons enfantines ou populaires) cherchent à mobiliser les capacités expressives de l’hémisphère droit en utilisant ses compétences musicales.

Un autre exemple de mutisme par diaschisis est fourni par les suites de la neurochirurgie tumorale chez l’enfant.

En effet, on connaît de nombreux cas d’enfants devenus mutiques dans les suites immédiates d’une résection chirurgicale d’une tumeur intracrânienne, le plus souvent de topographie cérébelleuse.

Ce mutisme sans akinésie semble toujours transitoire, mais sa durée peut être variable, de quelques jours à quelques mois, et sa disparition suivie de troubles arthriques.

Le mécanisme est une inhibition à distance des structures frontomésiales.

À la lisière du mutisme, des cas de balbutiements ont été rapportés à la suite d’accidents vasculaires cérébraux. Un mutisme peut survenir dans le contexte d’une affection mentale : mutisme associé à une réduction générale de l’activité, dans le cadre de mélancolies sévères, ou au contraire, pur et sans interférence apparente dans la vie d’un sujet dans une névrose hystérique.

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