Tics et syndrome de Gilles de La Tourette

0
2020

Phénoménologie clinique :

A – Définitions :

Le mot « tic » apparaît en France au début du XVIIe siècle et pourrait être une onomatopée ou un dérivé de ticchio, caprice en italien.

Tics et syndrome de Gilles de La TouretteL’inventaire sémiologique des tics apparaît très riche avec Boissier de Sauvages qui en collige 19 où l’on retrouve, pêle-mêle, le trismus du tétanos, le bruxisme, le tic douloureux de la névralgie du trijumeau…

C’est Trousseau, au XIXe siècle, qui sera le premier à restreindre leur description en des termes proches des définitions actuelles, avant qu’en 1885 Georges, Albert, Édouard, Brutus, Gilles de La Tourette ne décrive, à propos de neuf observations, la maladie qui porte maintenant son nom.

Les tics sont des mouvements brusques et rapides (tics moteurs) ou des sons (tics vocaux) se répétant de façon discontinue et arythmique mais identiques à eux-mêmes, ce qui leur confère un aspect stéréotypé.

Ils reproduisent souvent l’esquisse d’un geste à fonction connue, mais de manière immotivée et intempestive.

La multiplicité des tics est telle que leur étude analytique exhaustive est illusoire ; conceptuellement, on distingue des tics simples et complexes.

Les tics moteurs simples consistent en mouvements brefs, soudains, isolés, et mettent en jeu un ou plusieurs muscles synergiques.

Au niveau de la face, où ils prédominent habituellement, il s’agira de clignements uni- ou bilatéraux des paupières, plissements du front, moues, mâchonnements.

Les tics de la tête et du cou engendrent des mouvements divers, brusques, parfois en salves : hochements, acquiescements, dénégation.

Moins fréquemment, il s’agira de haussements d’épaules, de secousses des membres supérieurs ou des muscles thoracoabdominaux.

Lorsque la musculature respiratoire et phonatoire est entreprise, surviennent les tics vocaux simples : aspiration, crachotements, toux, reniflements, émission d’un son ou d’un bruit isolé, d’un cri (aboiements, grognements…).

Bien que réputés brusques et rapides, les tics moteurs simples peuvent parfois apparaître plus lents, plus soutenus, toniques, et sont alors appelés « tics dystoniques ».

Les tics moteurs complexes, qui mettent en jeu plusieurs groupes musculaires en liaison fonctionnelle, consistent en mouvements plus coordonnés et compliqués qui pourraient apparaître comme volontaires mais qui, inopportuns, dépourvus d’intentionnalité et d’utilité, ne sont que des caricatures de gestes.

Il peut s’agir de mouvements de dénégation, d’assentiment, de frapper les mains entre elles ou sur les cuisses, de rejet d’une mèche de cheveux, de sauts, de flexions du tronc lors de la marche.

D’autres fois, il s’agit d’échopraxie (imitation des gestes réalisés par d’autres) ou de copropraxie qui désigne l’exécution de gestes obscènes.

Les tics vocaux complexes ont un contenu linguistique et consistent en mots ou phrases ébauchés, incomplets ou tout à fait intelligibles, parfois obscènes (coprolalie plus souvent à connotation sexuelle que profane) ou reprenant à l’identique les propos d’un tiers (écholalie) ou les siens de façon répétitive (palilalie).

La production des tics est donnée comme irrésistible par les tiqueurs qui peuvent toutefois en suspendre la survenue par un effort de volonté.

Ce contrôle volontaire, efficace pendant quelques minutes à quelques heures, se fait souvent au prix d’une exacerbation secondaire de la symptomatologie.

Mais au-delà, force est de constater que les tics ne sont pas toujours, au sens propre, des mouvements purement involontaires.

Ainsi, bon nombre de tiqueurs décrivent une tension psychique croissante qui s’apaise lors de la réalisation du tic ; ainsi peut-on dire que le tiqueur laisse son tic se produire, voire qu’il le fait.

À titre d’exemple, dans l’étude de Leckman et al en 1993, 92% des patients souffrant d’une maladie de Gilles de La Tourette disaient ressentir leurs tics comme partiellement ou totalement volontaires ; 95 % avaient remarqué une sensation (un avertissement physique ou mental) qu’ils décrivent comme une impulsion, un besoin de faire un tic.

Les tics sont une réponse totalement ou partiellement « volontaire » à ces « besoins prémonitoires ».

Un médecin, Bliss, en 1980, a décrit sa propre expérience : « Chaque mouvement était précédé d’une sensation et correspondait à une capitulation volontaire pour soulager cette sensation. »

Ces besoins prémonitoires sont plus souvent ressentis comme une expérience physique plutôt que mentale et se rapprochent ou se superposent aux tics sensoriels de Kurlan et al.

Il s’agit de sensations somatiques inconfortables tels que pressions, tiraillements, chaleur localisée à des régions spécifiques du corps comme la face, les épaules ou la nuque.

Les patients tentent alors d’éliminer ces sensations inconfortables par des mouvements (souvent décrits comme volontaires) de tension ou d’étirement musculaire, indice d’un tic dystonique.

L’apaisement est toutefois momentané et les mouvements doivent être répétés.

Certains patients produisent, de la même façon, des vocalisations en réponse à des stimuli sensoriels inconfortables pharyngolaryngés.

Ont été également décrits des tics « extracorporels », différents des tics sensoriels en ce qu’ils n’impliquent pas le corps du patient mais peuvent être perçus dans les objets inanimés.

Les tics sont étroitement dépendants de l’état psychoémotionnel du sujet.

L’anxiété, la colère, le bruit, la présence de tiers, le fait d’être observé les exacerbent, alors que le repos, les activités non anxiogènes exigeant des efforts de concentration les atténuent.

Ils peuvent persister pendant le sommeil.

Dans le syndrome de Gilles de La Tourette, les tics, moteurs et vocaux, sont régulièrement associés à des troubles du comportement.

Ainsi, la moitié des patients présente un trouble obsessionnelcompulsif (TOC), comme cela avait été clairement énoncé par Meige et Feindel en 1901 : « La fréquence avec laquelle les obsessions, les compulsions et les tics sont associés ne peut être une simple coïncidence…

L’obsession est irrésistible, de même que le tic… comme l’un pense, l’autre tique. »

Les obsessions sont des pensées, impulsions ou représentations récurrentes et persistantes ressenties comme inopportunes, inappropriées ou envahissantes, et engendrant anxiété et détresse (par exemple : peurs de la contamination, de la saleté, des maladies, besoin intense d’ordre et de symétrie…).

Les compulsions sont des comportements répétitifs (par exemple : se laver les mains, vérifier, mettre en ordre…) ou des actes mentaux répétitifs (par exemple : compter, répéter des mots en silence…) que le patient développe pour faire face à ses obsessions.

Cinquante à 60 % des patients se présentent, enfin, avec des signes plaidant pour un trouble déficit de l’attention/hyperactivité se manifestant par de l’inattention, des troubles de la concentration, de la distractibilité, de l’impulsivité et de l’hyperactivité.

B – Diagnostic :

Les tics peuvent être primaires ou secondaires et, en ce cas, reliés à des conditions neurologiques variées et associés à d’autres désordres du mouvement (inspiré de Jankovic, 1993).

Parmi les premiers, plusieurs entités sont individualisées.

Selon le Diagnostic and statistical manual of mental disorders (DSM IV), le syndrome de Gilles de la Tourette (SGT) est défini par les critères suivants : présence de tics moteurs multiples, présence d’un ou de plusieurs tics vocaux, âge de début avant 18 ans, durée de plus de 1 an.

Le tic moteur ou vocal chronique (TMVC) diffère du SGT en ce que les tics, uniques ou multiples, peuvent être moteurs ou vocaux, mais pas les deux en même temps.

Le tic transitoire diffère des catégories précédentes par sa durée inférieure à 1 an.

Enfin, le tic chronique simple ne comporte qu’un seul type de tic, qui peut être moteur ou vocal.

Ces différentes catégories sont, le plus souvent, considérées comme les variantes cliniques d’un même defect génétique et il pourrait exister un continuum allant du tic simple rapidement réversible de l’enfant au syndrome de Gilles de La Tourette.

Les tics seront donc envisagés, dans ce chapitre, de façon holistique, en prenant le syndrome de Gilles de La Tourette comme source d’information et de référence, avec la réserve que la recherche neurobiologique pourrait, dans le futur, nous imposer un démembrement.

Syndrome de Gilles de La Tourette :

A – Historique :

En 1885, Georges Gilles de La Tourette publie un mémoire intitulé

Étude sur une affection nerveuse caractérisée par de l’incoordination motrice accompagnée d’écholalie et de coprolalie et isole ainsi un nouveau syndrome qui porte désormais son nom. Parmi ses neuf observations figurait celle de la marquise de D… examinée par Itard en 1825 alors qu’elle était âgée de 26 ans.

Itard avait observé, chez sa malade, des mouvements continuels et désordonnés qui étaient apparus à l’âge de 7 ans et, parmi ces mouvements, « ceux imprimés aux organes de la voix et de la parole sont les seuls dignes de notre attention comme présentant un phénomène des plus rares…

Ainsi, au milieu d’une conversation… elle interrompt ce qu’elle dit par des cris bizarres et par des mots plus extraordinaires et qui font un contraste déplorable avec son aspect et ses manières distinguées, les mots sont la plupart des jugements grossiers, des épithètes obscènes… l’expression toute crue d’un jugement ou d’une opinion peu favorable à quelques-unes des personnes présentes de la société ».

Que disait-elle ?

La réponse est apportée par Gilles de La Tourette : « En dernière analyse, les journaux politiques ont annoncé sa mort survenue vers le mois de juillet ou août 1884 (à l’âge de 85 ans) et certains ont offert à leurs lecteurs un régal de mots obscènes qu’elle prononçait et qui étaient en particulier “merde et foutu cochon” ».

Itard avait aussi noté que la marquise de D… n’avait aucun délire, aucun trouble des facultés mentales.

Le terme de « tic », utilisé par Trousseau (…) sera repris par Guinon (…) dans une publication, « Sur la maladie des tics convulsifs », ou, à propos de quatre nouvelles observations, il conteste le terme d’incoordination motrice et le remplace par celui de tic, insistant sur l’aspect « systématique », stéréotypé, du mouvement.Après cette période très riche du point de vue sémiologique et pendant laquelle l’affection est reliée à une tare héréditaire, apparaît une dimension nouvelle.

La maladie des tics, affection d’expression musculaire prévalente, ne doit pas faire oublier l’organisation mentale de ces patients.

Les conceptions psychogénétiques vont alors abonder avec Freud, Meige et Feindel, Margaret Mahler. Pendant plus de 50 ans toutefois, l’intérêt pour ce syndrome ne sera guère stimulé, jusqu’à la communication de Seignot, en 1961, de « Un cas de maladie des tics de Gilles de La Tourette guéri par le R/1695 », c’est-à-dire l’halopéridol.

C’est le début de l’ère des neuroleptiques et des conceptions neuropharmacologiques.

Les théories organogénétiques du syndrome vont alors réapparaître et, à la suite de A et E Shapiro de NewYork, de très nombreuses recherches vont se développer, tant sur le plan clinique qu’étiopathogénique.

B – Entité clinique :

Trois fois plus fréquente chez les garçons, l’affection débute habituellement entre 2 et 15 ans (moyenne 7,5 ans) par l’un ou l’autre des signes que nous avons mentionnés précédemment.

Le symptôme inaugural, comme tout le syndrome lui-même, est excessivement variable d’un patient à l’autre.

Cependant, si la coprolalie (6,2 % des cas) ou les vocalisations (19,3 % des cas) peuvent débuter l’affection, en règle générale, l’attention des parents ou des éducateurs est d’abord attirée par l’apparition d’un ou plusieurs tics musculaires simples et, par la suite, plus complexes.

Les phénomènes vocaux s’inscrivent en règle un peu plus tard (1 à 3 ans en moyenne) et peuvent aussi présenter cette évolution vers la complexité : d’abord simples bruits inarticulés, ils peuvent secondairement se formuler en interjections coprolaliques.

D’une importance particulière pour le diagnostic est le cours évolutif de la maladie : fluctuants et insidieux, les symptômes vont et viennent, augmentent, diminuent et changent.

Quoiqu’il puisse exister des périodes variables, parfois longues, de rémissions ou d’exacerbations, l’affection évolue selon un mode chronique et dure toute la vie.

On conçoit aisément que dans les formes modérées ou sévères, malgré l’absence de déficit intellectuel, l’intégration et la réussite scolaires puis socioprofessionnelle soient considérablement entravées, voire impossibles.

Une dépression secondaire est fréquente.

Des séquelles physiques sont parfois le lot de certains patients dont les tics violents et répétés peuvent entraîner, par compression, des neuro-, radiculo- ou myélopathies, des problèmes articulaires notamment cervicaux, une cécité par décollement de la rétine ou, plus rarement, les conséquences d’automutilations telles que morsures et head banging.

C – Comorbidité :

Près de la moitié des malades ont des anomalies, le plus souvent discrètes, mais indiscutables, à l’examen neurologique : difficultés des mouvements alternatifs rapides, asymétrie des réflexes tendineux, signe de Babinski isolé ou encore phénomènes dystoniques lents, distincts des tics proprement dits.

Comme souligné antérieurement, le SGT est souvent associé à des comportements obsessionnels-compulsifs et au syndrome d’hyperactivité avec troubles de l’attention.

Des corrélations entre les différentes variétés de tics et ces perturbations psychopathologiques ont été proposées.

Ainsi, il y aurait une relation entre les troubles du comportement et l’hyperactivité d’une part, les tics moteurs et vocaux complexes et les mouvements « agressifs » d’autre part.

Les comportements obsessionnels du SGT seraient associés, quant à eux, à du perfectionnisme, des comportements antisociaux et des difficultés d’apprentissage.

Un intérêt particulier se fait d’ailleurs jour pour cerner les problèmes cognitifs et comportementaux de ces patients. Ainsi, présentent-ils des anomalies dans le shifting de l’attention, l’inhibition des réponses inappropriées lorsque le paradigme expérimental est modifié ou la mise en séquence des mouvements.

D – Explorations complémentaires :

Il ne faut pas en attendre d’argument péremptoire pour étayer un diagnostic qui reste avant tout clinique.

Leur intérêt réside essentiellement dans l’apport d’éléments susceptibles d’aider à la définition physiopathologique du syndrome.

1- Électrophysiologie :

Les tics simples s’inscrivent en électromyographie sous la forme de bouffées arythmiques, brèves, le plus souvent d’environ 100 ms.

Les bouffées peuvent être synchrones ou asynchrones sur les couples agonistes-antagonistes, ce qui, dans le premier cas, peut traduire la perte ou un déficit de l’innervation réciproque normale.

Les tics musculaires complexes ont des formules électrophysiologiques variables.

Le plus souvent, il s’agit d’activités électromyographiques (EMG) de longue durée, soutenues, prolongeant une bouffée abrupte qui débute le mouvement. Une cocontraction agonisteantagoniste peut être présente.

Dans d’autres cas de mouvements complexes rapides, l’activation réciproque des muscles antagonistes peut être préservée, réalisant le schéma d’un mouvement balistique normal.

L’électroencéphalogramme (EEG) montre des anomalies dans 40 à 50 %des cas, mais celles-ci manquent de spécificité pour aider au diagnostic ou à la définition neurophysiologique du syndrome.

Les enregistrements polygraphiques montrent des perturbations de la séquence normale du sommeil : pourcentage accru des stades 3-4, éveils plus fréquents, diminution du sommeil REM, événements paroxystiques pendant le stade 4 rappelant le pavor nocturnus et surtout, à la différence des autres hyperkinésies, la persistance des tics pendant tous les stades du sommeil, ce qui plaide pour le caractère involontaire des tics.

Un autre argument en ce sens est fourni par l’enregistrement cortical du potentiel prémoteur (bereitschaftspotential) survenant normalement 500 à 800 ms avant un mouvement volontaire.

Dans le SGT, aucun potentiel prémoteur n’est détecté avant les tics simples, alors qu’il est présent lorsque les mêmes sujets miment volontairement leur tic.

Ces constatations plaident pour une origine sous-corticale des tics, ou tout au moins l’utilisation de voies différentes de celles desservant le mouvement volontaire normal.

Elles ont toutefois été controversées par les études similaires de Shibasaki et al(1981) ou encore Karp et al (1995) pour qui des potentiels prémoteurs (toutefois parfois altérés) précèdent bien les tics.

2- Imageries morphologique et fonctionnelle :

Les examens tomodensitométriques ou en résonance magnétique nucléaire (IRM) ne décèlent aucune anomalie dans les conditions techniques habituelles.

En IRM quantitative, il a toutefois été démontré une taille significativement plus grande du corps calleux dans le SGTque chez les sujets contrôles.

Par la même technique, la morphologie cérébrale a été étudiée chez des jumeaux homozygotes discordants pour la sévérité du syndrome : il a été constaté une diminution du volume de la partie antérieure du noyau caudé du côté droit chez le jumeau le plus atteint, corrélée à la sévérité des tics.

Les mêmes auteurs ont montré, en utilisant le SPECT (Single Photon Emission Computerized Tomography), qu’au contraire il existait une liaison accrue aux récepteurs D2 du noyau caudé droit comparativement à l’autre jumeau, ce qui peut être interprété comme le reflet d’une hypersensibilité des récepteurs D2.

Par la même technique, on a décrit des anomalies du transport présynaptique de la dopamine dans le striatum.

En tomographie par émission des positrons (PET), il a été démontré une diminution de l’utilisation du glucose dans les régions frontales, cingulaires et insulaires, ainsi que dans la partie inférieure des corps striés.

De surcroît, il y aurait corrélation inverse entre la sévérité des tics et l’utilisation du glucose dans ces régions.

Enfin, plus récemment, ce type d’approche a démontré une hypoperfusion dans le noyau caudé gauche, le cervelet et le cortex frontal.

En résumé, les diverses modalités d’imagerie cérébrale orientent vers des anomalies des circuits corticostriataux qui méritent d’être clarifiées.

3- Neuropathologie :

Des rares études anatomopathologiques colligées dans la littérature, la plus démonstrative est celle de Balthazar (1967) qui a constaté, dans le corps strié, des lésions faisant penser à un arrêt de développement de cette formation : grand nombre de cellules naines, mais intactes dans leur structure, sans gliose concomitante.

La signification de cette observation demeure toutefois difficile à interpréter.

Il en est de même du cas isolé de Haber et al (1986) dont l’étude normale en histopathologie démontrait, en immunochimie, une réduction de la dynorphine dans les fibres striatales se projetant vers le pallidum.

Enfin Singer et al (1995) ne trouvèrent aucune différence biochimique dans quatre études post mortem.

E – Épidémiologie et génétique :

La prévalence du SGT est estimée entre 0,1 et 1 ‰ (le chiffre le plus généralement accepté est 0,5 ‰), soit près de 200 000 patients aux États- Unis, ou 40 000 en France.

L’incidence annuelle de nouveaux cas serait de 4,6/1 000 000 aux États-Unis.

La prépondérance masculine est une constatation commune à toutes les séries avec un rapport de 3/1.

Le syndrome a été décrit dans toutes les races et apparaît uniformément distribué parmi les différentes classes socioéconomiques.

Le tableau clinique est uniforme dans les différents groupes culturels, à l’exception de la coprolalie, inhabituelle chez les Japonais.

Le caractère héréditaire a été clairement avancé par Gilles de La Tourette.

Il rend compte de la fréquence des cas familiaux, notamment chez les jumeaux homozygotes (taux de concordance de 77 %), mais aussi de la fréquence des tics mineurs dans les antécédents familiaux de ces patients.

Au premier degré de parenté, l’incidence des tics varie de 14 à 85 % et l’incidence du syndrome de 4 à 7,4 %, mais le mode spécifique de transmission à l’intérieur des familles n’a pu encore être déterminé.

Ceci peut être expliqué par une pénétrance incomplète et les difficultés à reconnaître le syndrome et les tics transitoires au sein des familles.

On s’oriente vers un mode mixte d’hérédité avec un locus majeur et un background multifactoriel, intervenant chacun dans la variabilité phénotypique.

En référence à cette hérédité multifactorielle, la présence de sites plus fragiles a été démontrée sur les chromosomes des patients.

Sur un plan clinique, il existerait une empreinte génomique : les patients héritant du SGT par le père auraient plus de tics vocaux et d’impatience motrice que ceux héritant de la mère, plus volontiers affectés de tics moteurs complexes et de compulsions.

Enfin, il a été montré que l’âge de début précoce et l’absence de tics moteurs simples étaient prédictifs d’un risque accru chez les autres membres de la famille.

Le polymorphisme phénotypique de certaines familles suggère que le tic transitoire de l’enfance, le tic chronique simple, la personnalité obsessionnelle-compulsive et certains troubles du sommeil pourraient être des formes frustes du SGT.

Les travaux se poursuivent à la recherche d’un marqueur génétique (par exemple le gène du transporteur de la dopamine et l’expansion trinucléotidique du gène de la chorée de Huntington ont dès à présent été exclus).

F – Neurobiologie :

L’étude du liquide céphalorachidien (LCR) et la pharmacologie clinique restent les meilleures sources de référence, quoique indirectes, en faveur d’un dysfonctionnement biochimique.

L’absence de modèles animaux empêche toutefois de tester ces hypothèses et, à ce jour, aucune anomalie spécifique d’un neurotransmetteur n’a été mise en évidence.

1- Liquide céphalorachidien :

Plusieurs études, mais pas toutes, font état d’une diminution, chez les patients non traités, des taux de base de l’acide homovanillique (HVA), le principal métabolite de la dopamine.

Comme il n’y a pas de signe parkinsonien dans le SGT et que les patients sont améliorés par les drogues antidopaminergiques, on postule une hypersensibilité des récepteurs postsynaptiques dopaminergiques striataux en association à un développement ontogénique neuronal anormal.

En réponse à cette hypersensibilité des récepteurs postsynaptiques, un rétrocontrôle négatif compensatoire se mettrait en place au niveau présynaptique avec diminution de la synthèse de la dopamine et, dès lors, des taux bas d’HVA.

On ignore si ce mécanisme intervient dans la pathogénie du syndrome, d’autant que la fiabilité et la technologie des dosages ont été critiquées.

De plus, cette notion d’hypersensibilité n’a pas été confortée par les études in vivo en PET-Scan ou par ligand dans le cas autopsié par Singer et al.

L’uptake de la dopamine par les plaquettes des patients a été rapporté comme normal ou diminué par rapport aux sujets contrôles.

Les taux de la 3-méthoxy-4-hydroxyphényléthylène-glycol (MHPG), métabolite de la noradrénaline, se sont révélés normaux ou légèrement accrus, ceux de l’acide 5-hydroxyindolacétique (5-HIAA), métabolite de la sérotonine, normaux ou légèrement réduits.

Les dosages de l’acide gamma-aminobutyrique (GABA) sont normaux.

2- Neuropharmacologie :

* Hypothèse dopaminergique :

L’implication d’un « hyperfonctionnement » du système dopaminergique apparaît confortée par l’amélioration, voire la suppression des tics par les neuroleptiques qui bloquent la transmission dopaminergique postsynaptique ou les dépléteurs dopaminergiques telle la tétrabénazine.

À l’inverse, les stimulants du système nerveux central (SNC) (dextroamphétamine, méthylphénidate, pémoline) et les agents dopaminergiques (L-dopa, bromocriptine) peuvent aggraver, voire même provoquer des tics.

* Hypothèse noradrénergique :

Elle a été suggérée, notamment à la suite des bénéfices thérapeutiques enregistrés avec la clonidine, agoniste des récepteurs présynaptiques alpha-2- adrénergiques, qui réduirait le turnover central de la noradrénaline.

Les mesures du métabolisme noradrénergique périphérique ou central se sont toutefois avérées normales et la désipramine, un bloqueur du re-uptake de la noradrénaline, n’a pas d’effet sur la symptomatologie du SGT.

* Hypothèse sérotoninergique :

En dehors des perturbations du sommeil ou encore de l’association aux TOC, il y a peu d’évidence plaidant pour l’implication de ce système dans la pathogénie du SGT.

Les modulations du système sérotoninergique par les précurseurs (5-hydroxytryptamine [5HTP] + carbidopa), le clonazépam (qui augmente la sérotonine centrale) et les bloqueurs du re-uptake de la sérotonine telles que la clomipramine, la trazodone, la fluvoxamine n’améliorent qu’un nombre limité de patients.

Les dosages sanguins, ou dans le LCR, des métabolites de la sérotonine sont contradictoires.

* Hypothèses cholinergique et GABA-ergique :

Bien peu d’évidences pharmacologique ou biochimique permettent de les envisager comme candidats potentiels.

* Autres :

L’absence de dynorphine dans le globus pallidus et l’observation clinique de la modulation des tics par les drogues agissant sur le système des opioïdes endogènes suggèrent un rôle potentiel de ce système dans la physiopathologie du SGT.

Une dysfonction, toutefois discutée, du second messager a aussi été avancée sur la base d’une réduction des concentrations en adénosine-3,5- monophosphate (AMP cyclique) dans le cortex cérébral des patients.

G – Physiopathogénie :

L’importance des facteurs génétiques dans le déterminisme de la maladie de Gilles de La Tourette et des affections apparentées est à présent bien reconnue.

La transmission se ferait selon un mode autosomal dominant, avec toutefois un pattern d’expression phénotypique variable et une pénétrance spécifique au sexe.

Chez certains sous-groupes de patients, le rôle du système immunitaire a été évoqué, peut être en rapport avec une infection streptococcique antérieure et sur une base génétique (positivité pour le marqueur D8/17).

Enfin, il a été avancé qu’une perturbation de l’influence des hormones sexuelles sur le développement cérébral pourrait également contribuer au développement de l’affection.

Aucune anomalie structurale ou histologique n’a pu être mise en évidence sur les examens post mortem, mais les observations neuropharmacologiques, d’imagerie fonctionnelle et d’interventions neurochirurgicales, convergent pour suggérer l’implication d’un dysfonctionnement des noyaux gris centraux, du cortex préfrontal et, à moindre degré, du système limbique dans la pathogénie des tics, des obsessions et des compulsions.

Selon Baxter et Guze une pathologie du striatum provoquerait un SGT ou un TOC selon les régions concernées.

Un tic moteur simple impliquerait une pathologie par dépassement du seuil critique du putamen (en interaction avec le cortex moteur primaire), une obsession pure, une pathologie de la partie ventromédiane du noyau caudé et du noyau accumbens (en interaction avec le cortex cérébral et le système limbique).

L’association de compulsions impliquerait une déficience de la partie dorsolatérale du noyau caudé (en interaction avec le cortex associatif).

La co-occurrence d’un SGT et d’un TOC impliquerait le putamen et le noyau caudé. Wise et Rapoport ont proposé l’hypothèse d’un modèle neuronal du TOC.

Un modèle similaire impliquant principalement la « boucle motrice » (cortex prémoteur, moteur, sensoriel-putamen-pallidum-thalamus-aire motrice supplémentaire) pourrait être proposé pour les tics, mouvements plus anormaux par leur déclenchement et leur répétition irrésistible et incontrôlable, que dans leur réalisation motrice (un tic est un « simulacre de geste »).

Le dysfonctionnement des noyaux gris centraux impliquerait notamment une « hypersensibilité » des récepteurs dopaminergiques striataux postsynaptiques, peut-être couplée à un dysfonctionnement d’autres systèmes neurochimiques, dont les opioïdes endogènes.

L’hypersensibilité postulée des récepteurs dopaminergiques postsynaptiques agirait à la fois en réduisant l’activité normale de certains circuits striataux et corticaux qui reçoivent des projections dopaminergiques inhibitrices et en induisant un hypofonctionnement compensatoire au niveau des neurones dopaminergiques présynaptiques.

H – Traitements :

1- Approche générale :

En raison de la variabilité spontanée des manifestations cliniques de la maladie de Gilles de La Tourette et des désordres associés, il est indispensable de procéder à une évaluation individuelle et prolongée (semaine ou mois) de chaque patient en vue de déterminer quelle perturbation prédomine et de cibler le(s) symptôme(s) susceptible(s) d’un traitement spécifique.

Par exemple, le contrôle des tics peut être le but recherché chez tels patients cependant que, chez d’autres, le traitement des TOC prendra la préséance.

Bon nombre de patients ne requièrent pas de traitement médicamenteux : l’information et l’éducation des patients, de l’entourage familial et scolaire peut suffire à assurer un développement psychomoteur harmonieux et une bonne intégration sociale, scolaire et professionnelle.

L’intensité des troubles moteurs ou comportementaux peut toutefois être telle que les interventions non pharmacologiques sont insuffisantes et qu’un traitement médicamenteux s’avère indispensable.

En ce cas s’impose une surveillance régulière non seulement de l’effet de la drogue sur le(s) symptôme(s) cible(s), de ses effets secondaires, mais aussi de son retentissement potentiel sur le développement de l’enfant, ses performances scolaires ou, plus tard, professionnelles et sur l’adaptation psychosociale.

Les essais thérapeutiques dans le SGT sont d’interprétation délicate en raison du nombre restreint de patients, du caractère ouvert de la plupart des études, des méthodes d’évaluation souvent déficientes.

En dépit de ces réserves, plusieurs médications ont à présent été suffisamment utilisées pour permettre de formuler des recommandations thérapeutiques.

2- Traitement des tics :

L’objectif à atteindre est un contrôle « satisfaisant » plutôt qu’une suppression complète des tics, qui n’est souvent possible qu’au prix d’effets secondaires inacceptables.

Le principe général est donc d’augmenter très progressivement la médication choisie jusqu’à l’obtention d’un contrôle des tics sans effet latéral invalidant et, par après, de maintenir, en traitement d’entretien, la dose la plus faible possible.

Chez les patients légèrement ou modérément atteints, on recommande d’essayer en premier la clonidine en commençant par 0,05 mg au coucher et en augmentant de 0,05 mg tous les 3 à 5 jours, jusqu’à l’obtention de l’effet recherché qui peut n’apparaître qu’après plusieurs semaines, mais qui semble se renforcer au fil des mois et se maintenir de façon constante.

Comme la clonidine a une demie-vie de 6 heures, il est important de fractionner les doses en trois ou quatre prises.

L’effet secondaire le plus important est la sédation qui apparaît dès les premiers jours, surtout si les doses sont élevées, mais qui tend à céder avec le temps.

D’autres effets latéraux semblent mineurs et peu fréquents : sécheresse de bouche, troubles de la contractilité pupillaire, irritabilité, cauchemars et insomnies.

Une hypotension gênante n’est pas la règle aux doses préconisées.

Si ce traitement est insuffisant ou inefficace, ou d’emblée si les symptômes sont sévères, on prescrit un neuroleptique.

Le plus utilisé est l’halopéridol, en commençant par 0,25 mg au coucher et en augmentant progressivement la dose selon les besoins.

En raison des propriétés pharmacodynamiques de l’halopéridol, des différences génétiques dans le métabolisme de ce neuroleptique et des variations spontanées de la symptomatologie, le traitement est empirique et nécessite des adaptations constantes.

Il est difficile de fixer une dose moyenne à atteindre et à recommander : elle est en général de 5 mg/j.

Les dosages sanguins montrent que les taux d’halopéridol ne doivent pas dépasser 6 mg/mL.

Au-delà, les effets secondaires sont trop importants sans un bénéfice proportionnel sur les tics.

Le pimozide est peut être un peu plus actif et mieux toléré que l’halopéridol chez certains patients, à la dose moyenne de 4 à 8 mg/j.

Le penfluridol, la fluphénazine et le tiapride ont également été essayés avec succès.

Après 3 à 6 mois de traitement, on peut entreprendre une diminution très progressive des doses, afin d’arriver à la posologie minimale nécessaire au contrôle des tics.

Il convient de ne pas minimiser les difficultés de cette chimiothérapie.

De nombreux échecs sont rapportés et les effets secondaires sont souvent importants, imposant parfois l’arrêt du traitement.

À la période initiale, ils consistent essentiellement en réaction dystonique aiguë, akinésie, akathisie, sécheresse de bouche, trouble de l’accommodation.

Au long cours, les plus gênants sont l’apathie, la passivité, l’altération du fonctionnement cognitif qui compromettent le travail scolaire ou professionnel.

Les dyskinésies tardives, complication classique des traitements chroniques par neuroleptiques, semblent rares dans le traitement du syndrome de Gilles de La Tourette.

Le risque potentiel ne doit toutefois pas être sous-estimé et c’est la raison pour laquelle les nouveaux neuroleptiques atypiques, rispéridone et olanzépine, déjà utilisés avec succès dans quelques études, pourraient devenir le traitement neuroleptique de premier choix.

Le clonazépam s’est avéré efficace chez les patients intolérants ou réfractaires à l’halopéridol.

Les autres benzodiazépines sont inopérantes sur les tics.

Cette notion est importante car leurs effets secondaires ne sont pas négligeables et l’apparition d’une pharmacodépendance est possible.

Or, de nombreux tiqueurs sont traités initialement par ces dérivés dont l’usage en médecine est beaucoup plus banal que celui des neuroleptiques.

La tétrabénazine, les antagonistes des canaux calciques, la nicotine en gomme, le lithium ou la toxine botulique (pour les tics dystoniques ou fixés) sont des alternatives possibles.

3- Traitement des désordres associés :

Lorsque les troubles de l’attention et l’hyperactivité sont les symptômes cibles, la clonidine, selon le schéma décrit ci-dessus, peut être préconisée en première intention.

Si les symptômes ne sont pas suffisamment contrôlés, elle peut être remplacée par le méthylphénidate ou la pémoline en dépit du risque d’exacerbation des tics ; en ce cas, l’adjonction d’un neuroleptique peut s’avérer nécessaire.

Quand les TOC sont à l’avant-plan, la clomipramine (25 à 100 mg), la fluoxétine (20 mg), la sertraline (50 mg) sont recommandées.

4- Traitements non pharmacologiques :

Les techniques psychothérapiques, comportementales, d’inspiration psychanalytique, d’hypnose,… semblent à elles seules inefficaces sur les manifestations motrices du syndrome de Gilles de La Tourette.

Leurs indications relèvent plutôt des perturbations comportementales ou des troubles de la personnalité éventuellement associées.

La prise en considération des difficultés personnelles ou sociales du tiqueur fait partie intégrante du programme thérapeutique et une réponse appropriée doit leur être, si besoin, apportée.

Un aspect fondamental du traitement est en effet l’éducation du patient et de son entourage concernant les diverses facettes de l’affection.

En ce sens, les groupes locaux de patients peuvent être d’un appoint précieux.

Quelques essais d’intervention neurochirurgicale ont été tentés chez des patients très sévèrement atteints avec des résultats parfois encourageants.

Le renouveau d’intérêt de la neurochirurgie des mouvements involontaires pourrait ouvrir de nouvelles perspectives.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.