Thalidomide en dermatologie

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Introduction :

Le thalidomide a été synthétisé en 1954 par la firme pharmaceutique allemande Grünenthal et commercialisé en Europe en octobre 1957 comme sédatif antiémétique et hypnotique non barbiturique.

Thalidomide en dermatologieSon action rapide et sa faible toxicité à haute dose dans les études pharmacologiques, réalisées chez le rat, en firent entre 1957 et 1961 la molécule sédative de choix à administrer aux femmes enceintes.

L’effet tératogène majeur du thalidomide fut rapporté en 1961 devant la survenue fréquente d’une malformation congénitale exceptionnelle jusqu’alors, la phocomélie, dénommée ainsi car les membres des enfants malformés ressemblaient à des nageoires de phoque.

On estime que 5 000 à 6 000 cas de phocomélie furent attribuables au thalidomide durant cette période.

La molécule fut alors retirée du marché.

En 1965, l’efficacité spectaculaire du thalidomide dans l’érythème noueux lépreux fut découverte par Sheskin, ce qui entraîna une utilisation de plus en plus large, quoique contrôlée ; ainsi l’efficacité du thalidomide dans de nombreuses pathologies inflammatoires cutanées et/ou viscérales a été rapportée.

Les mécanismes d’action sont peu à peu invoqués et étudiés à défaut d’être tous élucidés.

Deux principales voies de recherche sont actuellement explorées : une action immunomodulatrice par inhibition de la production de tumor necrosis factor (TNF) a dans certaines pathologies inflammatoires ; une action antiangiogène qui semble être une voie d’avenir dans la lutte anticancéreuse.

Étude pharmacologique :

A – PROPRIÉTÉS PHYSICOCHIMIQUES :

Le thalidomide, ou a-N-phtalimido-glutarimide, est un dérivé de l’acide glutamique.

La molécule est un mélange de deux isomères : la forme S(-) lévogyre et la forme R(+) dextrogyre.

Une différence d’activité pourrait exister entre les deux énantiomères : la forme R serait responsable de l’effet sédatif ; la forme S serait responsable des effets immunomodulateurs en inhibant le TNFa, antiangiogène et tératogène.

Cette différence n’a cependant pas d’incidence pratique, car in vivo une interconversion entre les deux énantiomères aboutit à un état d’équilibre (mélange racémique) en 2 heures.

B – PROPRIÉTÉS PHARMACOCINÉTIQUES :

Les données pharmacocinétiques sont actuellement incomplètes, la plupart des études ayant été réalisées chez l’animal.

L’absorption orale est très rapide, avec un pic plasmatique à 4 heures chez le volontaire sain.

La biodisponibilité absolue n’a pu être déterminée du fait de l’absence de forme à usage parentéral.

La biodisponibilité relative chez l’animal varie de 67 à 93 %. Des études chez l’animal ont montré que le thalidomide se répartissait dans tous les organes avec une prédilection pour le tractus digestif, les reins et la peau.

La principale voie métabolique est probablement une hydrolyse non enzymatique, aboutissant à la production d’au moins 12 dérivés, dont certains pourraient avoir une activité pharmacologique propre.

Des produits hydroxylés ont aussi été détectés, faisant probablement intervenir des enzymes de la famille des cytochromes P450 hépatiques.

L’élimination du thalidomide et de ses métabolites ne se fait pas majoritairement par voie urinaire, aucune information n’étant donnée avec certitude dans ce domaine.

La demi-vie d’élimination plasmatique est de 9 heures.

C – INTERACTIONS MÉDICAMENTEUSES :

Le thalidomide augmente l’action des barbituriques, de la chlorpromazine et de l’alcool, mais n’altère pas la pharmacocinétique des hormones oestroprogestatives.

Modes d’action :

Le thalidomide possède différents modes d’action, qui sont distincts et dont le mécanisme n’est pas toujours élucidé.

A – ACTION HYPNOSÉDATIVE :

Les propriétés sédatives du thalidomide sont mal expliquées.

Le thalidomide agit par un mécanisme différent des barbituriques, peut-être par une activation des centres du sommeil grâce à une action sur des récepteurs à l’acide gamma-aminobutyrique.

Cette action sédative serait préférentiellement liée à l’énantiomère R(+).

B – ACTION IMMUNOMODULATRICE :

Le thalidomide est capable de modifier des processus inflammatoires et de moduler certaines réactions immunitaires, les résultats des expériences in vivo et in vitro étant parfois contradictoires.

Les effets du thalidomide sont clairement différents de ceux des corticoïdes, de la ciclosporine, du tacrolimus ou des inhibiteurs des phosphodiestérases tels que la pentoxifylline.

1- Action sur l’immunité cellulaire :

Le thalidomide semble avoir à la fois des effets inhibiteurs et stimulants sur les différents effecteurs de l’immunité cellulaire :

– action inhibitrice sur les cellules mononucléées en diminuant leurs capacités de chimiotactisme, de phagocytose et sur la prolifération lymphocytaire induite par les stimulations allogénique, superantigénique ou mitogénique ;

– action stimulatrice et modulatrice sur l’équilibre entre les différentes classes de lymphocytes ; des études in vitro montrent qu’en présence de thalidomide, la réponse lymphocytaire CD8+ cytotoxique est stimulée par rapport à la réponse lymphocytaire CD4+ ; le thalidomide agit de plus in vitro sur des lymphocytes T helper activés en détournant une réponse de type Th1 vers une réponse de type Th2 ; cette action passe par une stimulation de la synthèse d’interleukine 4 par les lymphocytes Th2 et une inhibition de la synthèse d’interféron c par les Th1 ; cet effet n’est pour l’instant pas retrouvé in vivo mais pourrait être d’un grand intérêt dans différentes pathologies médiées par une dysrégulation des souspopulations lymphocytaires T helper.

2- Action sur la production de cytokines :

Une des propriétés les plus importantes du thalidomide est la diminution de synthèse du TNFa par les monocytes humains stimulés en augmentant la dégradation de son acide ribonucléique messager.

Cette propriété a été confirmée in vivo chez les patients souffrant d’érythème noueux lépreux (ENL), chez les patients tuberculeux et ceux infectés par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) 1.

L’activité anti-TNFa est due à l’énantiomère S, dont des dérivés stabilisés ayant une activité anti-TNFa plus puissante ont été synthétisés ; ils ne sont pas utilisables chez l’homme du fait de leur toxicité. Des résultats contradictoires ont cependant été obtenus in vitro et in vivo dans les pathologies à taux de TNFa élevé.

In vitro, il a été démontré un effet bidirectionnel, dose-dépendant, sur la production de TNFa, en fonction du type cellulaire et de la méthode d’activation cellulaire.

In vivo, plusieurs auteurs ont récemment décrit une action délétère du thalidomide, accompagnée d’une augmentation des taux de TNFa chez la souris après injection de lipopolysaccharide et chez l’homme dans une étude sur le syndrome de Lyell.

C – ACTION ANTI-INFLAMMATOIRE :

Elle se fait par le biais d’une diminution du chimiotactisme des polynucléaires neutrophiles et des monocytes, d’une diminution de la génération de radicaux superoxydes et hydroxyles, et une possible inhibition de la synthèse de C1q.

D – ACTION DANS L’INFECTION À VIRUS DE L’IMMUNODÉFICIENCE HUMAINE 1 :

Le thalidomide a la capacité d’inhiber la réplication du VIH-1 dans les monocytes de patients infectés.

Cette action serait médiée par l’inhibition du TNFa, dont le rôle serait important dans la réplication virale, l’expression du génome et la propagation de l’infection.

E – ACTION DANS LA RÉACTION DU GREFFON CONTRE L’HÔTE :

Le thalidomide agirait dans la réaction du greffon contre l’hôte (GVH) en intervenant à un stade précoce de reconnaissance antigénique et d’activation des lymphocytes T du donneur, en inhibant la réponse lymphocytaire normale.

La molécule est essentiellement efficace dans la GVH chronique, et peu ou pas dans la GVH aiguë.

Au total, le thalidomide a une action modulatrice complexe sur le système immunitaire : dans des conditions d’activation du système monocyte/macrophage et de concentrations élevées de TNFa, comme dans l’ENL, la fonction d’inhibition du TNFa serait prépondérante et bénéfique ; les fonctions stimulatrices seraient délétères dans les situations où la stimulation des cellules T prend part au phénomène pathologique et bénéfiques lorsque les fonctions des lymphocytes T seraient déficientes.

F – ACTION SUR L’ANGIOGENÈSE :

L’activité antiangiogène du thalidomide a été démontrée in vivo sur un modèle de cornée de lapin. Cette propriété est indépendante de l’action sur le TNFa.

Elle est médiée par l’inhibition de la production de facteurs angiogènes : le vascular endothelial growth factor (VEGF) et le fibroblast growth factor b (bFGF).

L’effet antiangiogène du thalidomide semble dû à l’un de ses métabolites, l’activation métabolique étant espèce-dépendante et impossible chez certaines souches de rat et de souris, espèces pour lesquelles le thalidomide n’aurait ni effet antiangiogène ni effet tératogène.

Les propriétés tératogènes du thalidomide semblent en effet liées en partie à l’effet antiangiogène, ce qui illustre à nouveau la difficulté d’obtenir des dérivés actifs dénués d’effets indésirables.

L’activité antiangiogène du thalidomide semble particulièrement intéressante dans la lutte anticancéreuse, en induisant une hypoxie tumorale par la diminution de la densité de néovaisseaux intratumoraux, la progression tumorale et le risque de métastases dans des modèles in vitro.

Ces diverses données expérimentales doivent cependant être interprétées avec prudence : elles ont été réalisées sur des modèles murins, alors qu’il n’y a pas d’effet tératogène dans la majorité des souches de souris, et que la tératogenèse est attribuée à l’effet antiangiogène.

Indications dermatologiques :

Le thalidomide est utilisé dans différentes pathologies, essentiellement cutanées.

Certaines indications ont fait l’objet d’essais contrôlés ou d’études ouvertes comportant suffisamment de patients pour affirmer son efficacité ; d’autres indications, moins bien étudiées, sont potentiellement intéressantes, et de nombreuses petites séries rapportent son efficacité de façon anecdotique.

De plus, des indications extradermatologiques semblent progressivement voir le jour.

A – INDICATIONS CLAIREMENT ÉTABLIES :

1- Érythème noueux lépreux ou réaction lépreuse de type 2 :

L’ENL survient dans le cadre de lèpres lépromateuse et borderline.

Le thalidomide n’est pas le seul traitement de ce type de réaction, mais il est l’un des plus efficaces et des plus rapidement actifs.

Il agit par une diminution du TNFa, dont l’élévation est corrélée à l’intensité des symptômes de l’ENL. Il n’a pas d’action directe sur Mycobacterium leprae.

Avec un traitement d’attaque de 300 à 400 mg pendant 7 jours, on observe généralement une amélioration des signes aigus (fièvre, douleurs articulaires, névrites) en 24 à 48 heures, la disparition des signes cutanés s’observant en 6 à 10 jours ; sous traitement d’entretien de 25 à 100 mg/j de durée variable, les patients sont asymptomatiques en 21 jours en moyenne.

D’autres ont une expérience moins favorable, le thalidomide devant être associé à des stéroïdes, des anti-inflammatoires non stéroïdiens ou de la clofazimine pour certains patients.

2- Aphtoses et ulcérations muqueuses sévères :

Le thalidomide est utilisé depuis 1979 dans le traitement des aphtoses majeures récidivantes et des ulcérations muqueuses de la maladie de Behçet, sans être efficace sur ses manifestations systémiques ou oculaires.

Deux études contrôlées ont été réalisées dans cette indication, avec des rémissions complètes obtenues dans 15 à 50 % des cas.

D’autres études ouvertes ou de suivi ont cherché à déterminer les doses d’attaque et d’entretien nécessaires au contrôle de la maladie.

En pratique, des doses de 25 à 400 mg/j de thalidomide ont été utilisées mais une dose standard en attaque de 100 mg/j est suffisante dans la majorité des cas pour obtenir une rémission complète ; on procède alors à une décroissance progressive pour atteindre une dose d’entretien de 50 mg deux ou trois fois par semaine, un sevrage pouvant être tenté après un certain temps ; mais compte tenu de son caractère purement suspensif, la récidive survient en règle dans les 20 jours suivant l’arrêt du traitement.

Le thalidomide est également efficace à 200 mg/j dans les ulcérations buccales et oesophagiennes au cours de l’infection par le VIH.

Après rémission complète, des doses d’entretien de 100 mg trois fois par semaine ne semblent cependant pas être suffisantes pour prévenir la récidive.

Quelques observations rapportent une efficacité dans les manifestations muqueuses de la maladie de Crohn et plusieurs études ouvertes indiquent également une efficacité dans plus de 70 % des cas de maladie de Crohn corticodépendante pour des doses de 50 à 300 mg/j de thalidomide.

3- Infiltrat lymphocytaire cutané de Jessner et Kanoff :

Aucun des traitements utilisés dans cette pathologie, en particulier les antipaludéens de synthèse et les dermocorticoïdes, ne s’est montré efficace.

En 1995, un essai contrôlé a été réalisé chez 28 patients. Une rémission complète a été obtenue dans 75 % des cas après 2 mois de traitement avec 100 mg/j de thalidomide, versus 16 % dans le bras contrôle.

L’efficacité était purement suspensive, une récidive survenant 2 à 3 semaines après l’arrêt du traitement.

Un traitement d’entretien de 25 à 50 mg une à cinq fois par semaine est souvent suffisant pour éviter les récidives.

4- Lupus érythémateux cutané :

Aucun essai contrôlé n’a été publié à ce jour ; cependant, plusieurs revues de la littérature et plusieurs essais ouverts rapportent l’efficacité du thalidomide dans le lupus érythémateux discoïde chronique et le lupus cutané subaigu.

Il peut être actif sur les manifestations cutanées du lupus érythémateux systémique mais ne semble pas efficace sur les lésions viscérales.

Plusieurs conclusions peuvent être tirées de ces études :

– le taux d’échec semble inférieur à 20 % et plus important chez l’homme avec des lésions hyperkératosiques ;

– l’âge, le nombre des lésions et l’échec des traitements précédents n’influencent pas les résultats ;

– une dose initiale de 100 à 200 mg/j est suffisante dans la plupart des cas pour obtenir un effet en 2 semaines et une rémission complète en 1 ou 2 mois ;

– un traitement d’entretien de 25 à 50 mg/j est nécessaire pour la plupart des patients ;

– les rechutes sont contrôlées de la même façon ;

– le thalidomide doit être réservé à des lésions résistantes à 3 mois de traitement par antipaludéens de synthèse ou à des patients chez qui existe une contre-indication absolue aux antipaludéens de synthèse.

5- Réactions du greffon contre l’hôte :

Plusieurs observations rapportent l’efficacité du thalidomide dans différentes formes de la GVH, essentiellement chroniques.

Les meilleures réponses thérapeutiques semblent être obtenues dans les formes chroniques à prédominance cutanée et pauciviscérales.

L’amélioration, rarement spectaculaire, est observée en 6 à 8 semaines ; il ne semble pas y avoir de phénomène d’échappement sous thalidomide.

À l’arrêt du traitement, la rechute est possible, le plus souvent après arrêt brutal.

Le thalidomide est utilisé à fortes doses, de 800 à 1 600 mg/j, dans des cas de GVH chroniques résistantes aux traitements immunosuppresseurs ou à haut risque de mortalité, avec des taux de réponse de 20 à 60 % des cas.

Un seul essai contrôlé a été publié, étudiant la prévention de la GVH chronique chez 59 greffés de moelle, par des doses de 400 mg/j de thalidomide.

Les conclusions sont surprenantes, puisque l’incidence de GVH chronique et la mortalité étaient significativement plus importantes dans le groupe traité que dans le groupe placebo, ce fait illustrant la multiplicité d’effets contradictoires du thalidomide et la nécessité d’essais contrôlés pour étudier ses effets.

Le thalidomide n’est donc pas un traitement de première intention de la GVH chronique, mais pourrait être indiqué dans les formes résistantes aux traitements immunosuppresseurs, à prédominance cutanée, bien qu’aucune étude contrôlée n’ait prouvé son efficacité.

Il est volontiers utilisé dans la GVH chronique de l’enfant afin d’éviter les effets des corticoïdes sur la croissance et la maturation osseuse.

Il n’a pas sa place dans la prévention de la GVH chronique ou dans le traitement de la GVH aiguë.

B – INDICATIONS DERMATOLOGIQUES POTENTIELLEMENT INTÉRESSANTES :

1- Prurigo :

Plusieurs formes de prurigo ont été étudiées.

* Prurigo nodulaire :

Le thalidomide est efficace dans le prurigo nodulaire pour des doses de 300 à 400 mg/j, mais l’incidence des neuropathies sous thalidomide pourrait être particulièrement élevée dans cette indication, ce qui incite à une certaine prudence.

* Prurigo du dialysé :

Dans un essai contrôlé chez 29 patients dialysés souffrant de prurigo résistant aux traitements, 55 % des patients ont eu une diminution notable du prurit sous 100 mg/j de thalidomide, contre aucun sous placebo.

* Prurigo actinique :

Affection rare en Europe et plus fréquente en Amérique latine, le prurigo actinique (prurigo actinico des Amérindiens) est très sensible au thalidomide, à des doses de 100 à 300 mg/j.

2- Infection par le virus de l’immunodéficience humaine :

En dehors du traitement des ulcérations buccales et oesophagiennes, le thalidomide semble avoir un intérêt dans d’autres domaines au cours de l’infection à VIH.

* Maladie de Kaposi :

Malgré une action antiangiogène intéressante, le thalidomide s’est avéré décevant dans la maladie de Kaposi, avec des taux de réponse inférieurs à 30 %.

* Cachexie au cours du syndrome de l’immunodéficience acquise (sida) :

Le thalidomide pourrait permettre un gain de poids et une augmentation de l’appétit des patients traités au stade sida avec des taux parallèlement diminués de TNFa.

3- Érythème polymorphe chronique ou récidivant :

Dans une série rétrospective de 26 patients, tous étaient répondeurs à 100 mg/j, avec un délai de guérison raccourci en moyenne de 15 jours dans les formes récidivantes, et une absence de récidive avec un traitement d’entretien à faibles doses dans les exceptionnelles formes chroniques.

4- Sarcoïdose cutanée :

Une dizaine d’observations rapportant l’efficacité du thalidomide pour des doses de 100 à 400 mg/j ont été publiées, citées par Tseng et al.

Une seule étude rétrospective sur dix patients retrouvait une réponse complète pour trois patients et incomplète pour quatre patients, l’efficacité étant purement suspensive.

L’absence de traitement satisfaisant de l’atteinte cutanée de la sarcoïdose rend cette approche thérapeutique intéressante, sous la réserve que des résultats négatifs n’ont probablement pas été publiés.

5- Pseudolymphomes :

L’étude de Benchikhi et al rapporte l’efficacité de 100 mg/j de thalidomide chez cinq patients souffrant de pseudolymphome, ou infiltrat lymphocytaire cutané bénin, maladie de Jessner-Kanoff exclue.

6- Nécrolyse épidermique toxique (syndrome de Lyell) :

Bien que le syndrome de Lyell soit une pathologie à taux sérique de TNFa élevé, l’étude contrôlée de Wolkenstein et al réalisée sur 22 patients a montré le caractère délétère du thalidomide dans cette indication, une surmortalité significative étant observée dans le groupe traité.

Un effet paradoxal d’élévation du TNFa a été observé dans cette étude en parallèle avec l’aggravation de la maladie.

C – AUTRES INDICATIONS CUTANÉES :

L’efficacité du thalidomide est rapportée de façon anecdotique dans des affections, souvent inflammatoires.

Celles le plus fréquemment rapportées sont :

– l’histiocytose langerhansienne ;

– le pyoderma gangrenosum ;

– la pemphigoïde bulleuse et la pemphigoïde cicatricielle ;

– le pemphigus muqueux ;

– la porphyrie cutanée tardive ;

– le lichen, le lichen érosif buccal ;

– la maladie de Weber-Christian ;

– le syndrome de Melkersson-Rosenthal.

Indications extracutanées :

Deux voies de recherche sont actuellement explorées, bien qu’il y ait peu d’études cliniques confirmant des résultats in vitro encourageants : les pathologies inflammatoires rhumatologiques et la cancérologie.

A – PATHOLOGIES INFLAMMATOIRES RHUMATOLOGIQUES :

Des résultats encourageants avec le thalidomide ont été obtenus dans la polyarthrite rhumatoïde (400-600 mg/j) et la spondylarthrite ankylosante résistante. Cependant, aucune étude contrôlée n’a confirmé ces résultats jusqu’à ce jour.

B – CANCÉROLOGIE :

L’utilisation du thalidomide comme drogue anticancéreuse est à l’étude dans différents protocoles cliniques de polychimiothérapie de tumeurs solides.

Le thalidomide pourrait de plus avoir une place en monothérapie dans la prise en charge du myélome réfractaire aux traitements classiques.

Une autre approche intéressante consiste en l’utilisation palliative du thalidomide dans les signes généraux liés au cancer : l’utilisation de doses de 100 à 200 mg/j permettant dans certains cas une disparition des sueurs nocturnes, une reprise de poids avec une amélioration de l’anorexie et de la cachexie, et un meilleur sommeil.

Effets secondaires :

A – EFFETS SECONDAIRES MAJEURS :

1- Effet tératogène :

On considère que la période dangereuse se situe principalement entre le 27e jour et le 55e jour suivant la conception.

La fréquence des malformations après une prise pendant cette période est différemment appréciée selon les auteurs, de 15 à 100 %, mais pourrait se situer aux alentours de 30 %.

La plupart des organes peuvent être atteints, mais dans environ trois quarts des cas seuls les membres seraient touchés.

Les données les plus récentes suggèrent que l’activité embryotoxique pourrait être liée à la formation, sous l’effet de la prostaglandine H-synthétase, enzyme espèce-dépendante, d’un métabolite tératogène.

Ce métabolite induirait la production de radicaux libres responsables d’une oxydation de l’acide désoxyribonucléique et d’autres macromolécules dans les cellules embryonnaires.

L’activité antiangiogénique pourrait aussi prendre part aux défauts de développement des membres.

L’effet tératogène du thalidomide s’exprime aussi par l’intermédiaire du lapin mâle traité, la molécule étant précocement excrétée dans le sperme, et pénétrant chez la femelle par voie vaginale.

Un tel fait n’a pas été décrit pour l’homme, chez qui l’étude de l’excrétion du thalidomide dans le sperme n’a pas été réalisée à notre connaissance.

La possibilité d’un effet mutagène du thalidomide a été soulevée en 1994 suite à deux observations de malformations de membres chez des enfants issus de pères victimes du thalidomide.

L’imputabilité du thalidomide dans les deux cas observés est très discutable et plus de 350 victimes du thalidomide répertoriées en Angleterre ont eu des enfants normaux.

De grandes études réalisées chez l’homme et l’animal n’ont pas retrouvé d’effet mutagène.

La majorité des auteurs s’accordent donc à dire aujourd’hui que le thalidomide n’est pas mutagène, ce qui lève les craintes de malformation congénitale à distance de prise de la molécule.

Cependant, l’Agence du médicament française n’a pour l’instant pas statué à ce sujet et préconise toujours une certaine prudence, devant l’absence d’études récentes de l’effet du thalidomide sur la fertilité chez le mâle.

2- Neuropathie périphérique :

C’est le principal problème du thalidomide si l’on considère que la tératogénicité peut être contrôlée par les méthodes contraceptives.

La fréquence des neuropathies périphériques est difficile à estimer, allant de 0,5 à 70 % selon les auteurs.

Il s’agit d’une neuropathie axonale, essentiellement sensitive bilatérale et symétrique à début distal qui s’exprime cliniquement par des paresthésies distales à type de fourmillements.

Les signes cliniques et électriques apparaissent d’abord aux membres inférieurs puis supérieurs.

Si le traitement est arrêté dès les premiers symptômes, l’atteinte est habituellement réversible ; parfois même, le thalidomide a été réintroduit à faibles doses avec succès et sans récidive de l’atteinte nerveuse.

En cas d’atteinte sévère, la récupération est en général partielle.

L’électromyogramme (EMG) révèle une diminution de l’amplitude des potentiels d’action des nerfs sensitifs périphériques sans diminution des vitesses de conduction ; les signes moteurs sont tardifs.

Les territoires nerveux le plus précocement touchés sont les nerfs saphènes externe et médian.

La diminution de 50 % du potentiel d’action du nerf saphène externe est en partie corrélée à l’atteinte sensorielle et pourrait constituer un critère prédictif, et certains auteurs s’accordent pour interrompre le traitement à ce moment.

Lors d’une diminution de l’ordre de 30 %, il convient de surveiller de près les patients ou de diminuer les doses.

Le mécanisme de cette neuropathie est mal élucidé.

Les données sont contradictoires quant à un effet-dose : certains auteurs n’observent la survenue de neuropathie que pour des doses cumulées de 40 à 50 g mais, dans de nombreux cas, les symptômes apparaissent dans les premiers mois, pour des doses cumulées faibles.

Il est possible qu’il existe une susceptibilité individuelle mais il n’a pas été trouvé de corrélation avec les différences génétiques du métabolisme du thalidomide.

Une étude prospective récente réalisée sur 144 patients traités par thalidomide pour des indications dermatologiques retrouvait une neuropathie certaine dans 25 % des cas, le premier signe de neuropathie survenant dans 80 % des cas avant 1 an.

La dose moyenne quotidienne administrée était le principal facteur déterminant, étant significativement différente chez les patients avec neuropathie par rapport aux patients sans neuropathie (80 mg/j ± 32 versus 50 mg/j ± 29 ; p = 10-4).

Le risque de neuropathie sous thalidomide semblerait donc négligeable à des doses très faibles (de l’ordre de 25 mg/j) et augmenterait pour des doses supérieures.

Les patients ayant un autre facteur de risque de neuropathie (sujets âgés, alcooliques) doivent avoir une surveillance accrue.

La présence d’une neuropathie lépreuse dans le cadre d’un ENL ne contre-indique pas le thalidomide, au contraire, puisque le thalidomide améliore les symptômes neurologiques en supprimant le processus inflammatoire autour du nerf.

B – EFFETS SECONDAIRES MINEURS :

1- Effets secondaires fréquents :

Ces effets apparaissent en début de traitement, cèdent le plus souvent lors d’une diminution des doses et sont résolutifs à l’arrêt.

Ils sont neuropsychiques dans 33 à 100 % des cas : somnolence (45 à 90 %), asthénie, vertiges, céphalées, troubles de la libido, syndrome dépressif ; et digestifs : constipation (15 à 50 %), augmentation de l’appétit et prise de poids (30 %), xérostomie, douleurs abdominales, météorisme, nausées et vomissements.

2- Effets secondaires rares :

Les effets rapportés les moins anecdotiques sont d’ordre endocrinien et cutané.

* Effets endocriniens :

L’action du thalidomide sur le système endocrinien a été observée chez l’animal et chez l’homme : hypothyroïdie lors d’utilisation prolongée, augmentation de l’élimination urinaire des 17-hydroxycorticostéroïdes associée à une hypoglycémie, stimulation de la production d’adrenocorticotrophic hormone et de prolactine, les plus fréquents étant une aménorrhée secondaire disparaissant à l’arrêt, décrite chez quelques femmes au début du traitement.

À l’inverse, deux cas d’hémorragie génitale sous thalidomide ont été rapportés.

* Effets cutanés :

Différentes manifestations cutanées ont été rapportées : éruptions maculopapuleuses, prurit, oedème du visage et des membres, érythème palmaire, un cas de lésion orale lichénoïde.

Deux cas de syndrome d’hypersensibilité (éruption maculopapuleuse diffuse, polyadénopathies, hyperéosinophilie 10 et 20 jours après la prise de thalidomide) ont été rapportés chez deux patients insuffisant rénaux terminaux atteints de prurigo nodulaire et trois cas chez des patients infectés par le VIH.

Plus récemment, deux observations d’éruptions érythémateuses et pustuleuses ont été rapportées, ne répondant pas aux critères de pustulose exanthématique aiguë généralisée.

Les manifestations cutanées chez les patients infectés par le VIH sont plus fréquentes : 27 % dans une étude prospective de 56 patients, le traitement ayant dû être arrêté dans 43 % des cas.

Il s’agissait d’éruptions maculopapuleuses, parfois fébriles, survenant en moyenne 10 jours après le début du traitement, associées à un taux de lymphocytes CD4 bas.

La grande fréquence des toxidermies sur ce terrain est bien connue avec d’autres médicaments.

* Autres effets secondaires notables :

Plusieurs cas de neutropénie ont été rapportés, chez des patients infectés par le VIH ou des patients traités par fortes doses de thalidomide pour une GVH chronique.

Deux auteurs ont récemment rapporté la survenue de thromboses artérielles ou veineuses chez sept patients.

Cependant, tous ces patients avaient au moins un facteur de risque thrombotique et l’imputabilité du thalidomide dans ces événements est faible.

C – SURDOSAGE :

La toxicité aiguë du thalidomide est si faible que les études toxicologiques faites dans les années 1950 sur le rongeur n’ont pu déterminer de dose létale 50.

Des surdosages accidentels ou volontaires n’ont eu aucune conséquence grave, même pour des doses de 14 g.

Modalités pratiques d’utilisation :

A – DÉLIVRANCE :

La seule forme existante est la forme orale, produite en France par les laboratoires Laphal, sous forme de gélules blanches dosées à 50 mg.

Il n’y a pas d’autorisation de mise sur le marché ; la délivrance du médicament est faite par une pharmacie hospitalière après prescription d’un médecin hospitalier, selon deux types d’autorisations temporaires d’utilisation (ATU).

1- Autorisation temporaire d’utilisation de cohorte pour cinq indications :

– Réactions lépreuses de type II au cours de la maladie de Hansen dont l’ENL.

– Aphtoses sévères.

– Infiltration lymphocytaire de la peau (maladie de Jessner-Kanoff).

– Lupus érythémateux cutané ayant résisté aux traitements classiques.

– Réactions chroniques du GVH. Les patients sont suivis en cohorte et non nommément désignés.

2- Autorisation temporaire d’utilisation nominative :

Pour toute autre indication, les malades sont nommément désignés et un accord préalable de l’Agence du médicament (service des ATU) doit être obtenu.

B – CONDUITE DU TRAITEMENT :

La conduite et la surveillance du traitement sont clairement définies et standardisées.

1- Avant la prescription :

Une information précise concernant les risques tératogènes doit être donnée au patient qui doit remplir un accord de soins et de contraception.

Chez la femme en âge de procréer, la contraception doit recourir à une méthode efficace : pilule oestroprogestative sans oubli, stérilet, ligature des trompes.

Il est recommandé d’y associer une méthode additionnelle (diaphragme, préservatif, cape cervicale).

Un dosage de human chorionic gonadotrophin b plasmatique doit être contrôlé au plus tard 3 jours avant le début du traitement.

Chez l’homme, la contre-indication de toute relation sexuelle risquant d’induire une grossesse doit être clairement précisée.

Dans les deux cas, un EMG de référence doit être réalisé.

2- Pendant la prescription :

L’absence de troubles du cycle et la négativité d’un test de grossesse datant de moins de 3 jours doivent être vérifiées chez la femme en âge de procréer tous les mois.

Un don de sang est contre-indiqué durant toute la période du traitement ainsi qu’un don de sperme chez l’homme.

Un EMG doit être pratiqué au sixième mois de traitement, puis une fois par an ou en cas de survenue d’anomalie clinique.

La prise est recommandée le soir au coucher étant donnée la possible somnolence induite.

3- En fin de traitement :

Chez la femme, une grossesse est possible sans risques dès le premier cycle suivant l’arrêt du traitement ; chez l’homme, la recommandation actuelle en France est d’attendre 3 mois après arrêt du traitement avant de tenter d’induire une grossesse, ce délai correspondant à un cycle de spermatogenèse.

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