Syphilis de l’oreille

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Introduction :

Les premiers cas de syphilis vénérienne ont été rapportés en Europe à la fin du XVe siècle coïncidant avec le retour de Christophe Colomb du Nouveau Monde.

Syphilis de l’oreilleSurnommée la « grande simulatrice » de par la multiplicité des tableaux cliniques, la maladie s’est ensuite rapidement répandue à travers le continent pour devenir ubiquitaire dès le XIXe siècle.

Elle se traduit par des manifestations diverses allant d’éruptions cutanées jusqu’à des affections cardiaques, otorhino-laryngologiques (ORL) et neurologiques.

Le tréponème étant transmis lors des relations sexuelles, la prévention et le dépistage précoce sont les moyens de lutte essentiels contre cette maladie.

La syphilis est contagieuse durant les phases primaire, secondaire et au début de la phase latente, à l’exception de la grossesse pendant laquelle le tréponème peut infecter le foetus quel que soit le stade.

Les atteintes auriculaires, essentiellement cochléovestibulaires, surviennent au stade de syphilis congénitale, de syphilis acquise secondaire ou tertiaire.

Elles sont largement sous-estimées car le diagnostic en est difficile : il n’existe pas de signe pathognomonique et les manifestations fonctionnelles cochléovestibulaires peuvent ne se révéler que plusieurs décennies après la contamination.

Épidémiologie :

Dès 1943, l’utilisation de la pénicilline a fait chuter l’incidence de la syphilis, qui se maintient néanmoins à des niveaux préoccupants dans les pays en voie de développement dans lesquels la prévalence oscille entre 0,9 et 94 % selon les groupes de population considérés, laissant douter de sa possible éradication.

Les pays industrialisés connaissent également des flambées : une épidémie survenue aux États-Unis se traduisit par une augmentation de 75 % de l’incidence entre 1985 et 1990.

La maladie reste d’ailleurs endémique dans tout le Sud-Est des États-Unis.

En France, le système de surveillance de la maladie, fondé sur les déclarations des médecins et des laboratoires, est peu précis et ne permet pas de calculer son incidence. Entre 1986 et 1990, la tendance était à la stabilisation en Europe.

Néanmoins, il est possible que le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) provoque une recrudescence de la maladie en Europe, comme ce fut le cas aux États-Unis où l’incidence de la syphilis congénitale a triplé entre 1980 et 1986, motivant une campagne intensive de traitement et de prévention.

La séquence complète du génome de la bactérie responsable, Treponema pallidum, a été publiée en 1998 et l’identification de sa séquence génétique ouvre de nouvelles voies en laissant espérer la possibilité de pouvoir cultiver la bactérie in vitro, ce qui était impossible jusqu’à présent, et de déterminer de nouvelles cibles thérapeutiques, voire un vaccin.

Clinique :

La syphilis est une maladie strictement humaine à transmission vénérienne dans 95 % des cas, la contamination étant pratiquement toujours directe.

Elle peut être acquise ou congénitale par contamination transplacentaire dès la 16e semaine de grossesse.

La bactérie en cause est le Treponema pallidum, agent cosmopolite de la syphilis vénérienne et de la syphilis endémique non vénérienne (béjel).

Il appartient à l’ordre des spirochætales avec les bactéries des genres Borrelia et Leptospira.

Ce parasite humain obligatoire ne pouvant être cultivé in vitro, les mécanismes pathogéniques sont mal élucidés et il n’est malheureusement pas possible d’en établir l’antibiogramme.

Il est sensible à l’ensemble des bêtalactamines, aux cyclines et inconstamment aux macrolides.

L’évolution de la maladie est chronique, comportant de longues périodes silencieuses pendant lesquelles seul le diagnostic sérologique est possible, émaillées de phases aiguës ou subaiguës.

Les manifestations ORL restent rares mais 1 % des patients examinés pour vertiges ou instabilité souffrirait de syphilis de l’oreille interne.

A – SYPHILIS PRIMAIRE :

Hautement contagieuse, elle est caractérisée par un chancre d’inoculation et une adénopathie satellite.

L’incubation dure 3 semaines environ.

Il n’y a pas d’atteinte cochléovestibulaire à ce stade.

B – SYPHILIS SECONDAIRE :

Elle survient entre le deuxième mois et la quatrième année après la contamination.

C’est une phase très contagieuse de dissémination du tréponème par voie hématogène.

La syphilis secondaire est caractérisée par des manifestations cutanéomuqueuses variées, précoces (roséole) ou tardives (syphilides).

D’autres signes cliniques inconstants peuvent attirer l’attention tels que syndromes pseudogrippaux, douleurs pharyngées persistantes, polyadénopathies à siège préférentiellement épitrochléen, occipital, cervical…

La variété des tableaux cliniques explique les fréquentes erreurs diagnostiques à ce stade.

L’invasion du système nerveux central par le spirochète survient chez un patient sur quatre environ.

Des paralysies des nerfs crâniens sont possibles. Si une surdité s’installe, elle est le plus souvent brutale et bilatérale, parfois accompagnée d’acouphènes.

Il peut exister quelques vertiges ou une sensation d’instabilité.

Les perturbations des potentiels évoqués auditifs dépendent des régions anatomiques atteintes (l’atteinte des neurones cochléaires entraîne une réponse de type rétrocochléaire).

Dans le liquide céphalorachidien (LCR), on peut noter une augmentation de la protéinorachie et de la cellularité, avec une forte élévation du titre des FTA-Abs-DS (fluorescent Treponema antibody absorption double staining) IgG (immunoglobuline G) et IgM.

À ce stade, un traitement bien conduit, mené en collaboration avec un vénérologue, peut faire régresser la surdité.

C – SYPHILIS LATENTE :

La plupart des sujets ne développeront jamais de manifestations cliniques à cette phase. Dans un tiers des cas, la maladie évolue vers la phase suivante.

D – SYPHILIS TERTIAIRE OU SYPHILIS ACQUISE TARDIVE :

Elle apparaît 2 à 10 ans après la contamination et touche un tiers des sujets non ou insuffisamment traités.

Dix pour cent des patients correctement traités à un stade antérieur développeront malgré tout la maladie.

La lésion caractéristique est la gomme.

Une fois établie, la maladie progresse insidieusement et, malgré les progrès thérapeutiques, le pronostic est à peine meilleur qu’en 1863, lorsque Hutchinson en décrivit les complications otologiques et ophtalmologiques.

Au stade de syphilis tertiaire, différents symptômes otologiques sont décrits.

Outre l’acouphène (25 % des cas), la baisse de l’audition et les vertiges caractérisent parfois une véritable maladie de Ménière.

La syphilis tertiaire peut concerner trois groupes de localisations :

– cutanées, muqueuses, osseuses et articulaires ;

– cardiovasculaires, aortiques en particulier (20 % des cas) ;

– neurologiques centrales : la neurosyphilis survient 5 à 25 ans après la contamination chez 10 % des sujets non traités.

Il s’agit d’une méningovascularite avec paralysies fréquentes des nerfs crâniens et oedème papillaire.

Certaines localisations des gommes peuvent être responsables d’hypertension intracrânienne et de déficits neurologiques focaux.

L’atteinte médullaire conduit au tabes dorsalis, à des paraparésies ou à des paralysies. Une aréflexie pupillaire à la lumière (signe d’Argyll-Robertson), des troubles cognitifs variés en cas de lésions corticales frontales peuvent compléter le tableau clinique.

L’atteinte otologique survient 10 à 40 ans après l’infection. Elle est deux fois plus fréquente en cas de syphilis congénitale et une surdité symétrique est plutôt en faveur de cette origine.

Lorsque la syphilis est acquise, la surdité peut demeurer unilatérale pendant des mois ou des années.

Au début de la maladie, l’atteinte fluctuante, touchant surtout les épreuves de discrimination, concerne en général toutes les fréquences ou seulement les graves.

Une instabilité, des vertiges, une ataxie majorée par l’obscurité traduisent l’atteinte vestibulaire.

La rapidité d’évolution est variable mais la surdité est généralement profonde au terme d’une quinzaine d’années.

E – SYPHILIS CONGÉNITALE :

L’infection à Treponema pallidum est source d’un syndrome malformatif et d’une atteinte polyviscérale grave chez le foetus.

La spirochétémie maternelle est d’autant plus intense que la syphilis est récente.

La transmission à l’enfant se fait par voie transplacentaire à partir de la 16e semaine de grossesse ou, directement à la naissance, lors du passage du foetus dans la filière génitale.

Ces éléments plaident donc en faveur d’un diagnostic et d’un traitement le plus précoce possible à la fois pour la mère et l’enfant.

En cas de syphilis maternelle, une grossesse sur deux se termine par un avortement spontané, un enfant mort-né ou une mort périnatale, et un tiers des nouveau-nés vivants sont atteints de syphilis congénitale.

L’incidence de la syphilis congénitale augmente régulièrement à travers le monde.

Aux États-Unis, plus de 4 000 enfants naissent chaque année avec cette maladie.

En France, la sérologie syphilitique est positive dans 0,02 % des cas chez la femme enceinte, mais 66 % des mères atteintes d’une syphilis non traitée ont un enfant mort-né.

Le dépistage est systématique en début de grossesse mais une deuxième sérologie en cours de grossesse, ainsi qu’une troisième à l’accouchement seraient utiles chez toute femme présentant des facteurs de risque (toxicomanie, sérologie VIH positive, partenaires multiples, mère originaire de pays où la syphilis est endémique, prostitution).

L’intérêt de la polymerase chain reaction (PCR) pour rechercher le tréponème in utero sur des prélèvements de liquide amniotique est à l’étude.

Un tel test serait très intéressant car sa spécificité et sa sensibilité sont proches de 100 %.

Environ 30 % des patients atteints de syphilis congénitale développent une atteinte cochléovestibulaire, incidence probablement sous-évaluée.

Il existe deux formes de syphilis congénitale.

Dans la forme précoce, 37 % des patients atteints développent une surdité dans la petite enfance, 51 % entre 25 et 35 ans et 12 % après 35 ans.

Chez l’enfant, la surdité est souvent de type brusque, bilatérale et profonde.

Les signes vestibulaires seraient constants mais rarement rapportés par les parents.

Il existe une prépondérance féminine. Les symptômes otologiques sont souvent occultés à ce stade par la gravité de la défaillance polyviscérale.

Lorsque la surdité survient à l’âge adulte, l’atteinte est également brutale mais le plus souvent asymétrique et fluctuante.

Le rythme d’aggravation varie considérablement d’un patient à l’autre.

Il existe souvent un acouphène et des manifestations vestibulaires.

En fait, la symptomatologie n’est que peu différente de celle d’une maladie de Ménière, l’hydrops endolymphatique étant le point commun des deux maladies.

Une bilatéralité d’emblée serait plutôt en faveur d’une syphilis.

Il n’existe pas de courbe audiométrique caractéristique.

On rencontre souvent au stade précoce une atteinte plus marquée sur les fréquences graves accompagnée de mauvaises performances aux tests de discrimination.

Avec le temps, la surdité devient profonde et la courbe plate.

Les réponses aux épreuves caloriques calibrées sont variables, voire fluctuantes, le plus souvent diminuées ou absentes.

Certains enfants correctement traités à un stade précoce développeront malgré tout une surdité bilatérale profonde.

Dans la forme tardive, les manifestations sont celles de la syphilis tertiaire et surviennent entre 25 et 50 ans.

La triade d’Hutchinson peut se compléter en 10 à 20 ans associant surdité neurosensorielle, kératite interstielle et anomalies dentaires.

Le signe de Hennebert, longtemps considéré comme pathognomonique de la syphilis congénitale, est en fait très évocateur d’un hydrops endolymphatique majeur tel celui que l’on peut rencontrer chez les patients atteints d’otosyphilis.

Au total, la syphilis congénitale est une affection à laquelle il faut penser même en l’absence d’un syndrome malformatif avéré, l’atteinte cochléovestibulaire pouvant être isolée.

Diagnostic :

L’oto-rhino-laryngologiste doit être capable de diagnostiquer une syphilis à chaque stade car des lésions cervicofaciales peuvent exister, même isolément.

L’otologiste est exceptionnellement confronté à un cas de syphilis congénitale précoce.

En revanche, il peut être amené à recevoir des patients à un stade plus avancé de la maladie : l’otosyphilis représenterait 6,5 % des surdités de perception inexpliquées et 6 % des patients atteints d’une maladie de Ménière.

La sérologie syphilitique devrait faire partie du bilan réalisé devant une surdité fluctuante ou une atteinte cochléovestibulaire, surtout si elle est unilatérale.

Le diagnostic de syphilis de l’oreille interne est très difficile car :

– les manifestations cliniques peuvent être strictement limitées à l’oreille ;

– la maladie peut se révéler plusieurs dizaines d’années après la contamination ;

– l’identification directe du spirochète dans la périlymphe n’est pas pratiquée en routine compte tenu des risques auditifs.

Lorsqu’elle est réalisée, elle n’a de valeur que positive.

En conséquence, le diagnostic de syphilis cochléaire et/ou vestibulaire se fait sur la positivité des tests sérologiques et l’élimination des autres causes pouvant expliquer les perturbations otologiques.

L’atteinte otologique peut survenir au stade de syphilis congénitale, de syphilis acquise secondaire ou tertiaire.

Une symptomatologie clinique de maladie de Ménière associant vertiges, acouphènes et surdité fluctuante est évocatrice d’un hydrops endolymphatique provoqué par l’infiltration de la fenêtre ronde et l’oblitération des voies de drainage.

Cinq pour cent des patients ayant présenté une syphilis de l’oreille interne ont des anomalies à l’examen clinique vestibulaire (nystagmus spontané ou positionnel, test de Fukuda perturbé) et/ou aux épreuves caloriques.

La courbe audiométrique est plate à un stade évolué de la maladie.

Dans la majorité des cas, les maladies de Ménière d’origine syphilitique surviennent au décours d’une syphilis congénitale.

En général, elles n’évoluent pas vers une syphilis tertiaire et restent localisées à l’oreille interne et à l’oeil.

L’histoire naturelle de la maladie de Ménière d’origine syphilitique peut orienter le diagnostic : les symptômes otologiques débutent de façon unilatérale autour de 40 ans et se bilatéralisent quelques années plus tard.

L’une des caractéristiques du Ménière syphilitique est l’hyporéflexie ou l’aréflexie vestibulaire bilatérale retrouvée aux tests caloriques.

Dans tous les cas, un suivi au long cours du patient ainsi qu’une enquête familiale incluant parents et partenaires devra être menée.

L’ophtalmologiste recherchera une kératite interstitielle et assurera le suivi ophtalmologique.

La maladie de Ménière peut se déclarer plusieurs années après la guérison clinique de la syphilis.

L’hydrops endolymphatique retardé pourrait être une forme de réponse immunologique à une agression antigénique locale.

L’atteinte otologique endommagerait les mécanismes de résorption endolymphatique et permettrait à l’hydrops de se développer avec une latence allant de quelques mois à plusieurs années.

La syphilis de l’oreille interne et la neurosyphilis sont deux maladies distinctes, la barrière hématopérilymphatique maintenant l’intégrité biologique du liquide périlymphatique et du LCR.

Ainsi, l’analyse du LCR dans la syphilis de l’oreille interne est presque toujours normale, ce qui n’est pas le cas dans la neurosyphilis.

Il existe parfois une association entre syphilis de l’oreille interne et neurosyphilis : on parle alors d’otoneurosyphilis.

Néanmoins, les auteurs utilisent régulièrement un terme pour l’autre entretenant ainsi la confusion entre les deux atteintes.

Prise en charge :

Devant une surdité neurosensorielle, un acouphène, des troubles de l’équilibre, l’interrogatoire est fondamental et doit rechercher les facteurs de risque de syphilis (syphilis préalable traitée ou non, exposition parentale à la maladie, pratiques sexuelles à risque…).

A – EXAMEN DIRECT :

L’examen direct au microscope à fond noir à partir d’un prélèvement de sérosité peut immédiatement orienter le diagnostic s’il met en évidence le tréponème.

C’est la principale méthode diagnostique de la syphilis primaire, mais il n’a de valeur que s’il est positif et reste inadapté en cas d’otosyphilis.

Les tests sérologiques sont essentiels et sont la principale méthode diagnostique des syphilis secondaire, latente et tertiaire.

Seule leur interprétation correcte associée à l’histoire clinique permet d’apprécier la pertinence du traitement.

Ils sont divisés en deux groupes, tests de dépistage (non tréponémiques) et tests de confirmation (tréponémiques), les deux étant nécessaires au diagnostic.

Des méthodes d’amplification génique de Treponema pallidum sont en cours de développement mais restent du domaine de la recherche et ne sont pas encore utilisables en routine.

B – TESTS DE DÉPISTAGE (OU TESTS NON TRÉPONÉMIQUES) :

Le VDRL (venereal desease research laboratory) est un test non spécifique qui se positive entre le cinquième et le dixième jour du chancre.

Le principe de base a été modifié pour développer d’autres tests de dépistage utilisés aujourd’hui comme le RPR (rapid plasma reagin) ou le TRUST (toluidine red unheated serum test).

Ces tests permettent la mise en évidence d’anticorps anticardiolipine, un composant des membranes cellulaires eucaryotes.

Leur résultat est qualitatif ou quantitatif (titre) permettant dépistage et suivi de l’infection.

Les réinfections se diagnostiquent par l’augmentation d’au moins deux dilutions (quatre fois le titre) du taux d’anticorps mesuré entre deux tests.

La sérologie VDRL est élevée jusqu’à la phase latente précoce.

Elle décroît ensuite, avec ou sans traitement, jusqu’à la phase latente tardive.

Les faux-positifs sont nombreux, d’origines diverses : grossesse, vaccin, infections (y compris par le VIH), toxicomanie, hépatopathies, affections auto-immunes…

Au stade tardif de l’atteinte otologique, les tests de dépistage sont en général négatifs.

C – TESTS DE CONFIRMATION (OU TESTS TRÉPONÉMIQUES) :

Un résultat positif aux épreuves de dépistage n’est pas toujours synonyme d’une exposition au spirochète car il peut s’agir d’un faux -positif.

Des tests plus sensibles comme le TPHA (Treponema Pallidum haemagglutination assay) ou le FTA-Abs-DS doivent être utilisés pour confirmer le diagnostic après dépistage.

Les anticorps ainsi mesurés persistent toute la vie d’un individu préalablement exposé au spirochète.

Pour ces tests spécifiques, les faux-positifs sont rares mais ont été décrits en cas grossesse, de maladies autoimmunes ou virales.

Le FTA-Abs-DS, test très sensible détectant les IgM et G, est positif à tous les stades de la maladie sauf en début de phase primaire.

Sa sensibilité est proche de 100 % dans l’otosyphilis. Par conséquent, dans les cas suspects de syphilis de l’oreille interne, le FTA-Abs doit être utilisé en priorité.

Il doit néanmoins être interprété avec prudence puisque dans une population dans laquelle la prévalence de la syphilis est forte, l’otosyphilis est probable à 99 %.

En revanche, s’il s’agit d’une population à faible prévalence, 22 % seulement des patients se présentant avec des signes otologiques et un FTA-Abs positif sont atteints d’otosyphilis.

De plus, les tests tréponémiques ne peuvent différencier la syphilis des autres tréponématoses (pian, béjel et pinta), fréquentes dans les populations originaires d’Afrique, d’Amérique centrale, d’Inde ou d’Asie du Sud-Est.

Les atteintes otologiques ainsi que le traitement de ces maladies non vénériennes sont identiques à ceux de la syphilis.

D – ANALYSE DU LIQUIDE CÉPHALORACHIDIEN :

L’analyse du LCR est souvent utile car elle peut apporter des arguments en faveur d’une neurosyphilis (hyperprotéinorachie, augmentation du nombre de leucocytes à prédominance lymphocytaire et présence d’anticorps spécifiques).

La présence d’anticorps spécifiques dans le LCR ne témoigne pas forcément d’une atteinte neurologique mais peut simplement résulter d’une diffusion passive des anticorps sériques dans le LCR.

Les indications de la ponction lombaire sont l’existence de signes neurologiques ou ophtalmologiques, de signes cliniques de syphilis tertiaire, d’un échec thérapeutique ou d’une infection VIH associée à un test de dépistage positif ou à des signes neurologiques.

Toutefois, les anomalies du LCR ne sont pas spécifiques et sa normalité n’élimine pas le diagnostic.

E – AUTRES EXAMENS :

Le bilan doit obligatoirement comporter une sérologie VIH.

Elle doit être renouvelée 3 mois plus tard en cas de négativité initiale.

Enfin, un audiogramme tonal et vocal complet doit bien sûr être réalisé, tout comme une vidéonystagmographie avec épreuves caloriques calibrées afin d’évaluer l’importance de l’atteinte cochléovestibulaire.

Une imagerie par résonance magnétique peut être demandée en fonction du contexte.

Diagnostic différentiel :

Les diagnostics différentiels sont multiples.

On insiste sur le syndrome de Cogan, associant atteinte cochléovestibulaire et kératite interstitielle dans un contexte auto-immun.

En fait, toutes les étiologies responsables d’une symptomatologie évocatrice de maladie de Ménière doivent être évoquées.

À un stade plus précoce de la maladie, les étiologies responsables d’acouphène, de vertige ou d’hypoacousie de perception sont envisagées.

Cette diversité des diagnostics différentiels explique que la syphilis de l’oreille interne soit très probablement sous-évaluée car non diagnostiquée.

Histologie :

Qu’elle soit congénitale ou acquise, la syphilis peut engendrer des lésions histologiques dégénératives majeures du système cochléovestibulaire.

Deux types d’atteintes sont décrits : méningo-neuro-labyrinthite et ostéite de l’os temporal.

Une méningo-neuro-labyrinthite est possible, principalement dans les cas de syphilis congénitale précoce et dans les atteintes méningées aiguës des stades secondaire et tertiaire.

L’ostéite syphilitique, qui constitue l’atteinte essentielle, peut frapper tous les organes dont l’os temporal.

Il s’agit d’une ostéite destructrice avec endartérite oblitérante et infiltrat lymphoplasmocytaire évoluant vers la nécrose tissulaire.

Les gommes sont caractérisées par un infiltrat lymphocytaire, des thromboses et une nécrose centrale.

Les régions détruites par ce processus inflammatoire extensif sont remplacées par de la fibrose.

L’obstruction de l’aqueduc cochléaire par une gomme ou du tissu fibreux conduit à un hydrops endolymphatique sévère avec dégénérescence de l’organe de Corti, de la strie vasculaire, de la membrane tectoriale et des neurones cochléaires.

L’atteinte histologique est bilatérale et son évolution se fait simultanément dans les deux labyrinthes.

La capsule otique peut être affectée par l’ostéite et les lésions granulomateuses de syphilis tertiaire, tout comme les osselets.

Les processus ostéoclastiques provoquent parfois une fistule faisant communiquer périlymphe et endolymphe : les modifications biochimiques conduisent alors à une progression rapide de l’hypoacousie et de l’hyporéflexie vestibulaire par destruction des cellules sensorielles.

Formes cliniques :

A – SYPHILIS ET VIRUS DE L’IMMUNODÉFICIENCE HUMAINE :

L’histoire naturelle de la syphilis est modifiée par le VIH.

Le chancre syphilitique favorise la contamination par le VIH et l’infection par ce dernier aggrave la symptomatologie de la syphilis et modifie les réactions sérologiques.

Une infection par le VIH doit être évoquée chez des patients à risque pour cette maladie présentant une otosyphilis.

Réciproquement, une otosyphilis doit être systématiquement suspectée chez des patients VIH positifs présentant des signes otologiques.

Une syphilis acquise devenue latente après une antibiothérapie adaptée peut se réveiller sous la forme d’une otosyphilis chez un patient VIH positif, quel que soit le stade de la maladie.

Le VIH accélérerait le développement de l’otosyphilis, même chez des patients préalablement correctement traités aux stades primaire ou secondaire de la maladie.

La sérologie syphilitique chez un patient VIH positif peut être faussement négative ou positive et les taux peuvent également être exceptionnellement élevés ou les tests se positiver avec retard.

Chez ces patients, l’examen direct des lésions, s’il est possible, doit être privilégié (biopsies, examen au microscope à fond noir).

Le traitement des patients co-infectés par la syphilis et le VIH est controversé, la syphilis pouvant progresser malgré un traitement bien conduit.

La sensibilité aux antibiotiques, en particulier aux macrolides et aux cyclines, est diminuée en cas de coinfection.

Chez les patients VIH positifs, les plaintes initiales peuvent comporter une surdité neurosensorielle uni- ou bilatérale de progression rapide, voire brusque.

Des acouphènes ainsi que des signes vestibulaires sont possibles.

L’altération de l’immunité cellulaire faciliterait la réactivation des spirochètes restés quiescents dans l’oreille interne et déclencherait la phase symptomatique de la maladie.

L’intervalle de survenue d’une otosyphilis, classiquement de 15 à 30 ans après la contamination, est ainsi ramené à 2 à 5 ans.

Le diagnostic d’otosyphilis doit être envisagé lorsque l’interrogatoire, l’examen clinique et les examens complémentaires ne permettent pas d’attribuer les signes cochléaires ou cochléovestibulaires à une autre cause plus fréquente dans ce contexte, telle qu’une méningite aseptique ou à cytomégalovirus.

B – SYPHILIS ET IMPLANT COCHLÉAIRE :

L’existence d’une syphilis dans les antécédents doit être prise en compte dans la sélection des candidats à l’implantation cochléaire.

Les altérations cochléaires sont parfois telles que l’implantation devient impossible ou est vouée à l’échec à brève échéance.

On doit en effet s’attendre à une dégénérescence neuronale profonde dans les surdités sévères dues à la syphilis de l’oreille interne, lésions d’autant plus sévères que le temps d’évolution aura été long.

Traitement :

Le bien-fondé du traitement de la syphilis cochléovestibulaire est controversé.

En effet, 40 % des patients non traités restent asymptomatiques et 10 % des patients traités ne répondent pas au traitement.

Celui-ci repose sur une pénicillinothérapie et une corticothérapie.

Outre l’existence de spirochètes intracellulaires, l’allongement du temps de réplication de la bactérie à la phase tardive de la maladie peut expliquer l’inefficacité du traitement chez certains patients.

Le traitement des formes tertiaires ou latentes nécessite ainsi une durée d’administration plus longue.

Il n’existe pas actuellement de traitement permettant une éradication définitive du spirochète de l’os temporal.

Une fois établie, la maladie peut être stoppée ou ralentie mais aucune étude n’a démontré qu’une guérison était possible.

Les cas de syphilis congénitale, même traités précocement, peuvent conduire à une atteinte de l’os temporal à l’âge adulte.

Globalement, une réponse favorable au traitement par pénicilline et corticoïdes est obtenue dans 15 à 58 % des cas.

Les patients présentant une dysfonction cochléovestibulaire fluctuante d’étiologie inconnue associée à une sérologie syphilitique positive doivent être suspects d’otosyphilis et traités comme tels après avoir réalisé le bilan.

En effet, même si le diagnostic n’est pas absolument certain, le traitement est indiqué compte tenu de ses effets secondaires relativement rares et de la morbidité potentielle de la maladie, bien que son efficacité sur l’évolution à long terme de la maladie soit mal connue.

Des vertiges invalidants réfractaires au traitement ont fait l’objet d’une chirurgie de décompression du sac endolymphatique quelquefois efficace, mais Chambron a démontré que le canal endolymphatique pouvait être obstrué par une gomme syphilitique ou du tissu fibreux rendant alors cette chirurgie inutile.

A – PÉNICILLOTHÉRAPIE :

La pénicilline G reste l’antibiothérapie de référence, bactéricide, efficace à condition que la pénicillinémie soit suffisante pendant une durée adaptée.

Toutes les formes peuvent être employées mais la préférence va aux pénicillines retard avec ou sans procaïne.

La pénicilline en solution aqueuse permet d’obtenir une meilleure pénétration de l’antibiotique dans l’oreille interne.

L’administration simultanée de probénécide qui prolonge la demi-vie de la pénicilline est vivement recommandée.

Une altération de l’état général survenant dans les heures suivant le début du traitement peut être due à une réaction de Jarisch-Herxheimer (réaction allergique aux fragments de spirochètes détruits ou à la libération d’endotoxines).

Elle survient le plus souvent dans les 30 minutes suivant la première injection de pénicilline.

Elle existe dans 95 % des cas mais n’est de forte intensité que chez 1 à 2% des patients, pouvant alors être mortelle.

Les macrolides ou les cyclines sont utilisés chez les sujets allergiques en dernier recours.

La pénicilline reste néanmoins l’unique thérapeutique possible pour traiter une syphilis pendant la grossesse.

Les céphalosporines de troisième génération semblent également efficaces et font actuellement l’objet d’évaluation dans cette indication.

B – CORTICOÏDES :

Les avis restent partagés quant à l’efficacité des corticoïdes.

Ces derniers encourageraient la multiplication du spirochète et le rendraient alors plus sensible à la pénicilline, active uniquement lorsque la bactérie se réplique.

Ils pourraient également agir sur des spirochètes logés dans l’os temporal, ayant perdu leur pathogénicité mais pas leur antigénicité.

Lorsqu’elle est décidée, l’administration doit être, contrairement à l’habitude, fractionnée en trois à quatre prises par jour afin d’éviter les fluctuations des taux plasmatiques parfois responsables de fluctuations auditives.

En cas d’amélioration, leur posologie est diminuée progressivement jusqu’à obtenir la plus faible dose maintenant une audition satisfaisante.

En l’absence d’amélioration, elle est réduite de moitié.

Certains préconisent une poursuite de la corticothérapie même en l’absence de réponse audiométrique afin d’éviter une aggravation.

L’utilisation d’une corticothérapie au long cours pourrait maintenir une audition utile pendant plus de 20 ans.

Quoiqu’il en soit, l’association pénicilline-corticoïdes permettrait une amélioration de l’audition dans 25 % des cas, des acouphènes dans 70 % des cas et des symptômes vestibulaires dans 60 % des cas environ.

L’amélioration auditive porte essentiellement sur la discrimination, les courbes tonales restant peu ou pas modifiées.

De nombreux auteurs recommandent de traiter les patients ayant une atteinte auditive d’origine syphilitique de la même façon qu’une neurosyphilis.

Toutefois, il n’est pas certain que cette attitude soit bénéfique sur l’évolution à long terme de l’otosyphilis.

C – SURVEILLANCE :

L’efficacité du traitement est évaluée cliniquement et sur l’évolution des marqueurs sérologiques.

Le VDRL doit diminuer d’un facteur 4 en 3 à 6 mois après le début du traitement.

Une audiométrie tonale et vocale est pratiquée à intervalles réguliers et la posologie de prednisone diminuée tant que l’on peut conserver un niveau auditif stable, tout en dépistant d’éventuels effets secondaires de la corticothérapie générale.

Le patient doit être prévenu du danger que représente pour l’audition l’arrêt subit de ce traitement.

La surveillance clinique et sérologique doit être prolongée au moins 2 ans.

Un échec thérapeutique doit faire rechercher une réinfestation et prescrire une ponction lombaire, ainsi qu’une sérologie VIH.

D – PRONOSTIC :

Les facteurs de bon pronostic sont une maladie au stade précoce (stades primaire et secondaire sont de meilleur pronostic otologique), des symptômes fluctuants, en particulier cochléaires, une hypoacousie de moins de 5 ans, un patient âgé de moins de 60 ans.

L’amélioration ne semble pas corrélée à la sévérité des troubles ou à l’administration d’une pénicillinothérapie préalable.

Le traitement est en général efficace sur les signes vestibulaires.

Une surdité brusque est de mauvais pronostic et les rechutes ne réagissent que rarement à un nouveau traitement.

L’association fortuite d’une sérologie syphilitique positive et d’une surdité, des dommages trop avancés pour être curables (altérations neuronales, lésions des cellules ciliées), une réinfestation, un traitement inadapté, sont les principales causes d’échec thérapeutique.

En outre, des spirochètes résistants à toute forme d’antibiothérapie peuvent survivre dans la périlymphe de patients ayant été atteints de syphilis tertiaire ne laissant espérer du traitement, au mieux, qu’une stabilisation de la maladie.

Les patients de plus de 60 ans dont les symptômes ne fluctuent pas ou remontent à plus de 5 ans sont peu susceptibles de répondre au traitement.

Si le LCR est normal, il est licite de préconiser une surveillance.

Seule une aggravation du tableau clinique rend le traitement nécessaire.

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