Syphilis laryngée

0
5577

Introduction :

« Celui qui aura tout compris de la syphilis aura tout compris de la médecine » disait Sir William Osler.

Syphilis laryngéeCet aphorisme traduisait bien l’importance de la prévalence et le polymorphisme de la syphilis avant l’avènement de l’antibiothérapie.

Destinée à disparaître grâce à la pénicilline, plusieurs phénomènes ont entraîné une recrudescence des cas de syphilis dans le monde, essentiellement l’apparition du VIH qui augmente le risque d’infection par la syphilis.

Les modifications du statut immunologique induites par le VIH sont multiples : diminution de la période de latence, sévérité des manifestations cliniques, accélération du passage à la neurosyphilis, négativation des réactions sérologiques, insuffisance, voire inefficacité du traitement standard initial.

Les localisations laryngées de la syphilis restent rares et très polymorphes, elles représentent surtout un diagnostic d’élimination des laryngites granulomateuses.

Historique :

C’est Fracastor, au XVIe siècle, qui mentionne en premier une localisation laryngée de la syphilis.

Il faut attendre, en fait, l’avènement du miroir laryngé et de la biopsie pour voir apparaître les premières descriptions précises et les subdivisions des formes cliniques (Czermak en 1860, Türk en 1861).

Plusieurs traités médicaux de 1887 à 1888 rapportent que l’empereur allemand Frederick III aurait été atteint d’une syphilis laryngée.

Dans les décennies suivantes, d’importantes publications affirmèrent le polymorphisme clinique et évolutif de la syphilis laryngée.

Au début du XXe siècle, l’agent pathogène est découvert (Schaudinn et Hoffmann en 1905), et apparaissent des méthodes d’identification (ultramicroscopie : Lansteiner en 1906, coloration argentique : Fontana en 1912) et de détection humorale (Vernes et Neisser en 1906).

L’efficacité thérapeutique de la pénicilline, constante et sans résistance depuis son introduction au milieu du siècle dernier, a fait disparaître peu à peu des publications les cas de syphilis laryngée.

Généralités :

À la terminologie française classique de syphilis primaire, secondaire, latente ou sérologique et tertiaire, s’est substituée petit à petit dans la littérature la terminologie américaine de syphilis récente et syphilis tardive, la syphilis récente regroupant syphilis primo/secondaire et latente de moins de 1 an, et la syphilis tardive regroupant la syphilis latente depuis plus de 1 an et la syphilis tertiaire.

Cette terminologie ne paraît pas avoir d’avantages substantiels sur la terminologie française et c’est donc cette dernière qui sera utilisée.

Il est par ailleurs difficile de dater une syphilis latente.

La syphilis est une maladie infectieuse due à Treponema pallidum, sexuellement transmissible (MST) et contagieuse.

Il s’agit d’un spirochète non cultivable, dont le taux de multiplication est très lent (33 heures pour la syphilis primaire à plusieurs jours pour la tertiaire).

Elle fait partie des quatre MST à déclaration obligatoire.

A – MODES DE CONTAMINATION :

La transmission sexuelle est la plus fréquente.

Elle suppose le contact intime de deux muqueuses dont l’une est infectée.

La transmission maternofoetale se fait durant la grossesse par passage transplacentaire du tréponème à partir du 4e mois de la grossesse.

L’éventualité d’une contamination du nourrisson lors de l’accouchement à partir d’un chancre génital maternel est possible.

B – SYPHILIS PRIMAIRE :

Le chancre apparaît après 3 semaines environ d’incubation silencieuse au point d’inoculation du tréponème.

Il est contagieux car il fourmille de tréponèmes. Indolore, il est induré et disparaît au début de la roséole.

La réaction ganglionnaire inflammatoire, contemporaine du chancre, est modeste en cas de chancre génital et très intense pour une localisation buccale.

C – SYPHILIS SECONDAIRE :

Elle est marquée spontanément par plusieurs éruptions cutanéomuqueuses entrecoupées de phases asymptomatiques de quelques mois, ceci sur une durée de 2 ans en moyenne.

La roséole syphilitique est caractérisée par des macules érythémateuses du tronc pouvant passer inaperçues, elle dure de 7 à 10 jours.

Les syphilides papuleuses secondaires siègent aussi bien sur le visage que sur le tronc et les membres, très polymorphes leur diagnostic est difficile.

Des signes plus généraux peuvent être associés : fièvre, céphalées, syndrome méningé, polyarthralgies, douleurs osseuses lancinantes (ostéocopes), altération de l’état général.

D – SYPHILIS TERTIAIRE :

Elle est marquée par des complications cutanées (gommes), nerveuses (tabès, paralysie générale…), cardiaques (insuffisance aortique, anévrisme aortique…), aujourd’hui exceptionnelles et accessibles au traitement pénicilliné.

Ces manifestations sont secondaires à un infiltrat lymphoplasmocytaire de siège périvasculaire, caractérisées par la persistance de lésions d’âge et de structures différents (zones hyperplasiques, lytiques, scléreuses).

C’est ici que peuvent être évoqués les diagnostics différentiels d’autres affections granulomateuses (tuberculose, mycose, maladie de Besnier-Boeck-Schaumann [BBS], certains lymphomes, …).

Étude clinique :

L’atteinte laryngée peut s’observer à n’importe quel stade de l’histoire naturelle de la syphilis, cependant, la phase secondaire constitue la période privilégiée des lésions laryngées.

A – SYPHILIS PRIMAIRE :

Le chancre laryngé, peu symptomatique et de courte durée, est également rarement retrouvé du fait de l’inaccessibilité laryngée au contact primaire.

Le plus souvent le chancre est indolore, il s’agit d’une ulcération unique de 5 à 15 mm de diamètre, siégeant généralement au niveau de l’épiglotte.

C’est l’adénopathie sousdigastrique associée au chancre, inflammatoire et constante, qui fait réaliser une fibroscopie et découvrir le chancre.

L’évolution est en général rapide et la cicatrisation ne laisse aucune séquelle.

B – SYPHILIS SECONDAIRE :

Elle est marquée spontanément par plusieurs éruptions cutanéomuqueuses entrecoupées de phases asymptomatiques de quelques semaines ou mois, ceci sur une durée de 2 ans en moyenne.

La localisation laryngée est quasi constante lorsqu’elle s’associe à des plaques au niveau de l’oro-bucco-pharynx.

La symptomatologie se résume essentiellement à une dysphagie et une dysphonie à bascule.

L’examen peut retrouver une hyperhémie laryngée pouvant s’accompagner d’une éruption maculopapulaire habituellement confinée à l’épiglotte, au niveau de son bord libre, de sa face laryngée, et du repli aryépiglottique.

Ces plaques muqueuses à type de larges plaques érosives en coup d’ongle sont souvent surinfectées.

Toutes ces lésions secondaires sont hautement contagieuses.

La disparition de ces lésions peut être longue, et elles peuvent récidiver au cours de différentes floraisons.

Lorsque ces lésions sont asymptomatiques elles peuvent passer inaperçues, les formes symptomatiques peuvent entraîner des troubles fonctionnels majeurs.

C – SYPHILIS TERTIAIRE :

À ce stade peuvent coexister des lésions d’âges différents.

Quatre types de lésions élémentaires ont été décrites : l’infiltration, la gomme, l’ulcère gommeux et l’hyperplasie, qui peuvent se mêler expliquant le polymorphisme de la syphilis tertiaire.

Périchondrite et chondrite laryngée peuvent apparaître à la suite des ulcérations.

L’épiglotte est, encore une fois, le plus souvent le siège de ces atteintes, mais l’évolution peut se faire vers une sténose glotto-sous-glottique.

Les autres complications infectieuses de la syphilis tertiaire (phlegmon périlaryngé, abcès source de suppuration interminable) peuvent être à l’origine d’un état dyspnéique aigu.

Diagnostic :

A – DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL :

La syphilis reste, malgré sa recrudescence associée au sida, une pathologie rare et sa localisation laryngée demeure exceptionnelle.

Les diagnostics différentiels sont essentiellement une ulcération laryngée ou une laryngite chronique résistante aux thérapeutiques classiques.

C’est un ensemble d’éléments qui oriente le diagnostic de syphilis laryngée devant une lésion peu spécifique : la localisation préférentielle des lésions aux niveaux épiglottique et cordal, le caractère récidivant de ces lésions, l’atteinte constante des autres zones muqueuses, l’association d’adénopathies soit au stade primaire par un ganglion unique, soit à l’étape secondaire par de multiples ganglions touchant toutes les aires cervicales.

L’examen anatomopathologique, sans recherche de germe, orienterait vers une affection granulomateuse chronique.

Classiquement, les diagnostics évoqués sont la tuberculose laryngée, la sarcoïdose laryngée, les mycoses (actinomycoses, blastomycoses, histoplasmoses), la lèpre, l’amylose, le granulome de Wegener.

Le diagnostic est posé sur des éléments anamnestiques, sur l’association d’adénopathies, de lésions cutanées et muqueuses associées, et sur les tests sérologiques Treponema pallidum hemagglutination assay (TPHA) et venereal disease research laboratory (VDRL).

B – DIAGNOSTIC BIOLOGIQUE :

Tous les efforts pour cultiver le Treponema pallidum sont restés vains.

Le diagnostic de syphilis ne peut donc se faire que par la mise en évidence du tréponème lui-même au microscope à fond noir ou, indirectement, par la mise en évidence de la réponse spécifique anticorps.

Le diagnostic sérologique de la syphilis est aujourd’hui bien standardisé, peu coûteux et fiable.

Dans l’immense majorité des cas, l’association d’un test spécifique (TPHA) et d’un test non spécifique (VDRL) est suffisante pour affirmer ou infirmer un diagnostic de syphilis.

Le TPHA est la recherche dans le sérum du malade des anticorps dirigés contre les tréponèmes pathogènes.

La réaction est donc spécifique des tréponématoses.

Elle ne permet pas en revanche de différencier les anticorps dirigés contre les différents tréponèmes pathogènes : Treponema pallidum de la syphilis, Treponema pertenue du pian, Treponema endemicum du bejel, Treponema carateum de la pinta.

Il n’existe aucun test sérologique permettant de différencier les anticorps de la syphilis de ceux des tréponématoses endémiques non vénériennes.

Après un traitement bien conduit, le TPHA ne se négative, et encore inconstamment, que si celui-ci a été institué dans l’année qui suit le chancre d’inoculation.

Au-delà de ce délai, le TPHA reste positif.

Le VDRL recherche dans le sérum des malades des anticorps anticardiolipidiques.

L’antigène cardiolipidique utilisé comme cible est présent dans tous les tréponèmes pathogènes mais aussi dans de nombreuses cellules animales ou végétales.

Le VDRL n’est donc pas une réaction spécifique des tréponématoses, elle s’observe au cours des maladies dysimmunitaires, notamment au cours du lupus et du syndrome des anticorps antiphospholipides.

On considère que le traitement est efficace quand le titre de VDRL, 3 mois après le traitement est divisé par 4, et 6 mois après le traitement est divisé par 16.

Le fluorescent treponemal antibody (FTA) recherche dans le sérum du malade des anticorps dirigés contre le tréponème pâle, entier, tué.

Le FTA est donc au même titre que le TPHA, une réaction spécifique des tréponématoses et pas seulement de la syphilis.

Ce test n’est pas utilisé en dépistage courant.

C – THÉRAPEUTIQUE :

Comme pour toute maladie infectieuse, le but du traitement est l’éradication de l’agent pathogène responsable, le seul critère formel de guérison étant l’absence de rechute.

Compte tenu du temps de division du tréponème très long, les schémas thérapeutiques doivent assurer un taux tréponémicide pendant 10 jours pour la syphilis primaire et secondaire, et jusqu’à 30 jours pour la tertiaire.

Seules les formes retards de la pénicilline en traitement minute ou les traitements longs par des cyclines permettent d’obtenir de tels taux pendant une durée suffisante.

La réaction de Jarisch-Herxheimer, consistant en une aggravation des manifestations cliniques est indépendante de la dose.

Elle est bénigne et peut être prévenue en partie par l’administration conjointe de prednisone (0,5 mg/kg/j) la veille et les 3 premiers jours du traitement.

Le dépistage et traitement des partenaires sexuels est indispensable pour briser la chaîne de contamination.

En accord avec les recommandations de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), le traitement de la syphilis primaire ou secondaire, en l’absence d’allergie à la pénicilline est une injection intramusculaire unique de 2,4 millions d’unités de benzathine pénicilline G (Extencillinet).

Ce traitement est efficace dans près de 100 % des cas.

La réaction d’Herxheimer peut être prévenue pour la syphilis secondaire.

En cas d’allergie, des cures de cyclines sont instaurées (tétracycline ou doxycycline).

Pour la syphilis tertiaire, trois injections intramusculaires de 2,4 millions de pénicilline G sont recommandées à 1 semaine d’intervalle.

Rappelons enfin que contracter une syphilis témoigne d’une activité sexuelle à haut risque.

La recherche d’une MST concomitante est justifiée, incluant la recherche d’une primo-infection au VIH (antigénémie p24, charge virale sérique par polymerase chain reaction [PCR]) en cas de syphilis primaire.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.