Syndromes de fatigue

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Introduction :

La fatigue est un symptôme peu spécifique qui accompagne de nombreux états et maladies.

Syndromes de fatigueElle constitue le trait diagnostique central du syndrome de fatigue chronique (SFC) et se trouve fréquemment associée à des affections d’origine inflammatoire,

autoimmune, infectieuse ou néoplasique, ainsi qu’à certains désordres neurologiques et psychiatriques, essentiellement de type dépressif, somatoforme ou anxieux.

Certains traitements (cytokines, radiothérapie, chimiothérapie), un effort physique ou mental excessif, des conditions environnementales ou psychologiques particulières (par exemple chaleur ou froid importants, stress, inactivité) sont également susceptibles d’engendrer une fatigue.

Cette dernière peut, dans certains cas, devenir extrêmement invalidante et interférer avec le fonctionnement physique, la vie socioprofessionnelle et les activités quotidiennes, même routinières.

Bien qu’il existe une connaissance « populaire » de la signification et de l’expérience du phénomène fatigue, ce concept demeure difficile à définir.

La fatigue constitue en effet une expérience multidimensionnelle qui intègre des composantes sensorielles, émotionnelles et cognitives.

De façon quelque peu réductrice, on peut ainsi parler de fatigue « physique », de fatigue « mentale » ou encore de fatigue « psychologique », aucune de ces composantes n’étant mutuellement exclusive.

Ces différents types de fatigue peuvent en outre se manifester à un niveau comportemental ou refléter un état affectif intérieur.

Dans le premier cas de figure, la fatigue est un phénomène objectif dont la conséquence est un déclin des performances du sujet.

Dans le second, elle est un sentiment subjectif en général dépourvu de cause évidente et souvent indépendant des manifestations et des comportements objectifs liés à la fatigue.

Des termes proches tels que manque d’énergie, faiblesse, manque d’initiative, lassitude, aversion à l’effort ou encore fatigabilité sont autant de mots qui permettent de mieux caractériser ce concept ambigu.

Le déroulement temporel de la fatigue est également important : s’agit-il d’un phénomène aigu ou chronique ? cette fatigue s’installe-t-elle à la suite d’un effort soutenu (fatigabilité) ou existe-t-elle d’emblée comme un état primaire, proche d’un manque d’initiative et de motivation ?

Finalement, il est nécessaire d’établir la frontière entre fatigue et dépression, l’anhédonie et le désintérêt général étant caractéristiques de la seconde.

Syndrome de fatigue chronique :

A – DÉFINITION ET HISTORIQUE :

La définition du SFC repose actuellement sur des directives édictées par un groupe d’étude international, l’International Study Group of the Centers for Disease Control (CDC).

Cette définition inclut une fatigue sévère qui persiste ou évolue par récidives pendant au moins 6 mois, qui a un début soit récent, soit bien déterminé, qui ne répond pas significativement au repos, et qui provoque une réduction des activités quotidiennes d’au moins 50 %.

D’autres conditions chroniques, telle une maladie psychiatrique ou organique spécifique préexistante, doivent être exclues.

Des critères mineurs s’ajoutent à cette définition : début aigu à subaigu, fièvre discrète ou frissons, pharyngite, ganglions lymphatiques cervicaux ou axillaires douloureux, douleurs musculaires, fatigue anormalement longue suite à un effort physique, céphalées, arthralgies migrantes, troubles du sommeil, de la mémoire et de la concentration.

Le SFC peut avoir un effet dévastateur sur la capacité fonctionnelle des patients à conduire leurs activités quotidiennes. Les premières descriptions du SFC datent probablement du milieu du XIXe siècle, bien que des affections similaires semblent déjà avoir été décrites au XVIIe siècle.

Le terme « neurasthénie », dont la description est très proche du SCF, a été usité dès le XIXe siècle.

D’autres étiquettes diagnostiques ont ensuite été utilisées, dès le début du XXe siècle, pour décrire des conditions semblables au SFC, tels neuromyasthénie épidémique, encéphalomyélite myalgique, maladie islandaise, maladie du Royal Free, syndrome de fatigue postviral et mononucléose chronique.

Le terme de SFC est actuellement recommandé, même s’il existe plusieurs définitions de ce syndrome : CDC, Oxford. Bien que les définitions du CDC et d’Oxford mettent toutes deux l’accent sur la présence de symptômes somatiques, sans aucune mesure objective, il existe deux différences importantes entre elles : les critères d’Oxford insistent sur la présence d’une fatigue mentale, alors que les critères CDC incluent plusieurs symptômes physiques, ces derniers reflétant une hypothèse causale immunologique ou infectieuse.

B – ÉPIDÉMIOLOGIE :

La moyenne d’âge d’apparition varie de 27 à 42 ans et la proportion femme/homme de 4/1 à 1/1 selon les études épidémiologiques.

La prévalence du SFC varie de 0,2 à 2,6 % selon les critères utilisés, dans des études de type communautaire basées sur les soins primaires ou systématiques.

Ni le statut socioéconomique ni l’ethnie ne semblent en général avoir d’influence sur le risque de SFC, alors que le sexe féminin peut représenter un risque relatif de 1,3 à 1,7.

C – FACTEURS ÉTIOLOGIQUES POSSIBLES :

1- Virus :

Le SFC est souvent associé à une maladie infectieuse et fait suite, dans 60 à 90 % des cas, à une infection virale.

Un rôle causal a été suspecté pour le virus d’Epstein-Barr, les entérovirus, les rétrovirus, le virus coxsackie B et l’herpèsvirus humain type 6, mais les titres d’anticorps respectifs entre contrôles et SFC restent sujets à controverses.

La présence d’une infection chronique semble peu probable, mais le rôle potentiel de l’un des virus évoqué comme agent causal ou précipitant du SFC ne peut actuellement pas être écarté.

Plusieurs questions subsistent : pouvant survenir à la suite de nombreuses infections virales, est-ce que la fatigue ne serait pas une réponse non spécifique à un quelconque stimulus ? Existe-t-il une susceptibilité génétique des patients SFC à réagir face à certains agents infectieux ?

Existe-t-il une prédisposition psychologique ?

Sur la base de cette hypothèse virale impliquant un dérèglement de la réponse antivirale dans le SFC, De Meirleir et al ont mis en évidence une dysfonction de l’enzyme ribonucléase L (élément important de la réponse antivirale médiée par l’interféron) chez les patients SFC, en comparaison de contrôles et de patients atteints de dépression majeure ou de fibromyalgie.

Cette première étude ouvre des perspectives pour d’éventuels marqueurs biologiques caractéristiques du SFC, permettant peut-être de le distinguer d’autres affections.

2- Facteurs immunologiques :

Les bases immunologiques du SFC ne sont pas spécifiques (anomalies inconstantes lymphocytaires, monocytaires, autoanticorps, complexes immuns circulants) et restent imprécises.

Certaines anomalies, comme la diminution des sous-classes 1 et 3 des immunoglobulines (Ig) G, pourraient être plus un épiphénomène qu’une dysfonction immunitaire.

Toutefois, différentes cytokines pro-inflammatoires pourraient être impliquées dans le SFC et, plus récemment, des concentrations sériques élevées de transforming growth factor (TGF)-b ont été démontrées dans le SFC, comparé à la dépression ou à certaines maladies autoimmunes.

Ces derniers résultats, en raison de l’important chevauchement entre les valeurs de TGF-b des différentes pathologies (incluant le SFC et le groupe contrôle), sont surtout des arguments pour l’existence d’une dysfonction immunitaire dans le SFC plutôt que pour un rôle de cette cytokine dans la pathogenèse du SFC.

Des expériences murines suggèrent également qu’une augmentation du TGF-b actif cérébral suite à l’exercice physique crée la sensation de fatigue, qui se manifeste chez l’animal par un déclin de l’activité motrice spontanée.

3- Changements musculaires :

Malgré des éléments indiquant une capacité de travail en aérobie limitée, une augmentation de la concentration de lactate plasmatique, liée à une atteinte du métabolisme oxydatif, il n’y a actuellement pas de nette évidence pour une anomalie musculaire spécifique dans le SFC.

4- Facteurs psychologiques :

Une dépression parfois majeure, une personnalité prémorbide et une propension aux diverses maladies virales peuvent être associées au SFC et, même si la définition CDC exclut les patients avec une maladie psychologique majeure préexistante, il y a souvent des symptômes psychologiques prémorbides mineurs préexistants.

Le modèle « cognitif-comportemental » va dans ce sens : attribuant le SFC à une cause organique, les patients évitent toute activité physique de peur d’aggraver le SFC et engendrent par là même un déconditionnement physique avec amplification des symptômes somatiques, autoentretien du SFC et handicap secondaire.

Il faut par ailleurs mentionner la démonstration récente d’une relation entre le handicap fonctionnel des patients SFC et la présence de déficits neuropsychologiques, indépendamment de tout facteur psychiatrique.

5- Anomalies du système nerveux central :

La survenue de changements organiques dans le système nerveux central (SNC) de nombreux patients SFC est mise en évidence par des études par imagerie par résonance magnétique (IRM ; anomalies structurelles), et par neuro-imagerie fonctionnelle (flux sanguin cérébral régional par tomographie computérisée par émission de photons [SPECT]).

Toutefois, le manque de résultats consistants souligne les difficultés inhérentes à l’étude d’un syndrome dont l’existence et la physiopathologie sont controversées.

L’observation par IRM de petites anomalies aspécifiques de la substance blanche de localisation préférentielle frontale souscorticale, qui semblent prévaloir chez les patients SFC sans diagnostic psychiatrique DSM III-R, étaye l’hypothèse d’une possible dysrégulation frontale.

Celle-ci demande encore confirmation par des évaluations psychologiques et psychiatriques conduites en parallèle des études IRM longitudinales.

Les évaluations neuroradiologiques restent donc actuellement essentiellement un instrument de recherche.

D – PRONOSTIC :

Les évaluations pronostiques du SFC sont basées sur des études focalisées sur des populations de patients fréquentant des consultations spécialisées, qui ont probablement des évolutions plus longues et moins favorables.

Les enfants atteints de SFC auraient un meilleur pronostic : 54 à 94 % des enfants montrent une amélioration certaine après un suivi maximal de 6 ans, alors que 20 à 50 % des adultes ont une certaine amélioration à moyen terme et seulement 3 à 6 % retournent au stade fonctionnel de départ.

L’évolution du SFC est influencée par la présence de troubles psychiatriques associés, ainsi que par les traitements entrepris.

Il n’y a pas d’évidence pour une augmentation de la mortalité liée au SFC, malgré son importante morbidité secondaire.

E – TRAITEMENTS :

1- Antidépresseurs :

Les quelques études disponibles suggèrent leur utilité (fluoxétine avec ou sans exercice physique ; phénelzine [inhibiteur de la monoamine oxydase]) lorsque des symptômes tels que dépression, insomnie ou myalgies sont associés.

Toutefois, comme il existe une superposition considérable entre les symptômes dépressifs et ceux du SFC, il est très difficile de déterminer l’action spécifique des antidépresseurs dans le SFC.

2- Corticostéroïdes :

Les résultats disponibles sont limités et ne permettent pas de conclure quant à leur efficacité.

Chez certains patients, des faibles doses d’hydrocortisone (5 à 10 mg/j durant 1 mois) permettent une diminution à court terme de la fatigue et des incapacités secondaires.

Le bénéfice de ces faibles doses à plus long terme n’est cependant pas encore démontré, et l’utilisation de hautes doses est généralement associée à des effets secondaires.

3- Exercice physique :

Deux études contrôlées ont démontré qu’un programme graduel d’exercice physique peut produire des améliorations substantielles, à la fois sur le degré de fatigue et sur la fonction physique.

4- Repos prolongé :

Il n’existe actuellement pas d’évidence pour une efficacité du repos prolongé.

Il y a néanmoins des arguments indirects suggérant qu’un repos prolongé peut être délétère, perpétuant ou aggravant la fatigue et les symptômes associés chez des volontaires sains et chez des patients convalescents suite à des maladies virales.

5- Suppléments diététiques :

Les résultats disponibles sont limités, sans évidence claire pour une efficacité (injections de magnésium ; suppléments vitaminiques et minéraux, L-carnitine, acides gras essentiels per os).

6- Immunothérapie :

Les IgG ont montré une efficacité limitée, accompagnée d’importants effets secondaires (troubles gastro-intestinaux, augmentation de la fatigue, céphalées, arthralgies), contrairement à d’autres formes d’immunothérapies qui n’ont pas montré d’avantage par rapport à un placebo (interféron-a, terfénadine).

7- Thérapie cognitive comportementale :

Administré par des thérapeutes qualifiés dans des centres spécialisés, ce type de thérapie montre des résultats encourageants.

Fatigue et sclérose en plaques :

A – ASPECTS CLINIQUES :

La fatigue excessive est un symptôme fréquent dans la sclérose en plaques (SEP), maladie inflammatoire démyélinisante du SNC dans laquelle il existe une dysrégulation immunitaire.

Elle occasionne une gêne ou représente le symptôme prédominant chez 72 à 87 % des patients.

Cette fatigue a un impact significatif sur les activités quotidiennes des patients et ne semble liée ni à la présence d’une dépression (alors qu’elle paraît influencée par divers facteurs psychosociaux), ni au degré de handicap neurologique, tout au moins lorsqu’il est peu important (score de Kurtzke Expanded Disability Status Scale [EDSS]), ce qui suggère qu’elle serait indépendante de l’activité de la SEP.

Schwid et al renforcent cette dernière constatation en montrant l’indépendance des degrés de fatigue et de parésie évalués dans des muscles individuels.

Certains patients auraient cependant un risque significativement plus élevé d’avoir une fatigue si leur handicap neurologique est sévère (EDSS élevé), s’ils présentent une SEP de forme primairement ou secondairement progressive (plutôt qu’une évolution par poussées et rémissions successives), ou s’il existe électivement des signes cérébelleux, sphinctériens, pyramidaux ou sensitifs à l’examen neurologique.

L’accroissement de l’âge et la saison printanière seraient des facteurs de risque additionnels.

Dans leur recherche de facteurs cliniques prédisposant à la fatigue, Colosimo et al n’ont malheureusement pas évalué systématiquement la présence ou non d’un état dépressif.

Selon Provinciali et al, la fatigue serait liée à la sévérité de la dépression et non à celle de la SEP ou du handicap moteur.

En revanche, Vercoulen et al ne trouvent des scores hauts dans les autoévaluations de la fatigue que chez des patients ayant un score EDSS peu élevé (EDSS inférieur à 3,5), sans corrélation avec les troubles de l’humeur.

L’évaluation quantitative de la fatigue par un index (rapport du déclin de la force musculaire en fonction du temps sur la contraction volontaire maximale) a montré qu’une atteinte des voies pyramidales augmente la valeur de cet index, particulièrement lors de poussées (contrairement à l’atteinte des systèmes autres que corticospinaux).

Cette observation souligne le rôle des lésions du motoneurone supérieur dans la pathophysiologie de la fatigue dans la SEP, alors que des lésions infracliniques pourraient déjà être la cause d’une fatigabilité accrue.

Le fait que la marche semble induire des changements fonctionnels au niveau du système corticospinal et/ou des connexions présynaptiques (analyse des potentiels évoqués moteurs), augmentant ainsi la fatigue centrale, souligne encore le rôle des voies corticospinales.

B – ASPECTS PARACLINIQUES :

Ni l’extension totale des lésions, ni la surface lésionnelle régionale, ni le degré d’atrophie, mesurés par IRM cérébrale, n’apparaissent avoir de lien avec la présence ou la sévérité de la fatigue dans la SEP.

Il n’y a donc pas de distinction significative entre les patients avec ou sans fatigue.

Cette absence de corrélation est retrouvée lors de l’évaluation du nombre et du volume des lésions prenant le gadolinium (perméabilité de la barrière hématoencéphalique).

Des études complémentaires du métabolisme cérébral du glucose montrent une association entre la présence de fatigue et une diminution du métabolisme énergétique au niveau du cortex frontal et des ganglions de la base, qui résulterait d’une démyélinisation de la substance blanche frontale.

La fatigue serait ainsi liée à des défauts d’interaction fonctionnelle entre le cortex frontal et les noyaux de la base.

La fatigue de la SEP a plusieurs caractéristiques : elle fait le plus souvent suite à un effort ordinaire mais peut aussi exister sous forme d’une sensation de fatigue indépendante de tout effort, surtout lors d’une poussée ; elle est fortement influencée par la température ; elle apparaît tôt dans l’évolution (symptôme révélateur de la SEP dans 14 à 40 % des cas), alors qu’il y a peu ou pas de handicap neurologique ; elle peut survenir sous forme d’accès aigus isolés (hors toute symptomatologie neurologique).

Sur la base d’études électrophysiologiques, Sheean et al ont montré que, dans la SEP, la fatigue excessive lors d’un effort musculaire soutenu est due à une fatigue « physiologique » excessive d’origine centrale, alors que chez des contrôles normaux, cette même fatigue provoquée est d’origine périphérique.

Il n’y a toutefois pas de relation entre le degré de fatigue inductible et le degré de fatigue vécu quotidiennement par les patients.

Malgré son origine centrale, il n’y avait pas d’évidence que cette fatigue soit associée à une augmentation de la dysfonction des voies motrices centrales primaires, ni que des blocs de conduction (dépendants de la fréquence) dans les fibres démyélinisées jouent un rôle physiopathologique.

Elle serait plutôt le reflet d’une atteinte de la commande primaire au niveau du cortex moteur, après que le stimulus ait été évalué, mais avant les voies motrices primaires.

C – TRAITEMENT :

L’absence de définition précise de la fatigue dans la SEP, ainsi que la mauvaise compréhension de sa pathogénie, se reflètent dans la carence de traitement efficace.

Plusieurs composés ont été testés : l’amantadine, qui a des effets antiviraux et antiparkinsoniens ; la pémoline, un stimulant du SNC ; la 3,4-diaminopyridine, qui en bloquant les canaux potassiques prolonge la durée du potentiel d’action et améliore le facteur de sécurité de la transmission nerveuse.

L’amantadine permet une diminution modeste mais significative de l’état de fatigue en comparaison avec un placebo , ce bénéfice relatif n’étant pas dû à un effet sur des troubles du sommeil, un état dépressif ou le handicap neurologique.

En revanche, la pémoline se révèle inefficace ou engendre des effets secondaires importants (anorexie, irritabilité, insomnie) à un dosage élevé, permettant à court terme une réduction de la fatigue.

Les résultats obtenus avec la 3,4-diaminopyridine (sans groupe contrôle placebo) sont hétérogènes, avec une amélioration subjective substantielle de la fatigue sans corrélation directe avec le degré d’amélioration de la fatigue physiologique centrale (paramètre objectif).

Cette divergence souligne le fait que la fatigue physiologique n’est qu’une composante du symptôme de fatigue, et laisse un rôle potentiel pour la 3,4- ou la 4-diaminopyridine (paraissant plus efficace et mieux tolérée).

Fatigue et accidents vasculaires cérébraux :

De nombreux neurologues ont constaté que les patients victimes d’accidents vasculaires cérébraux (AVC) se plaignent fréquemment d’une fatigue souvent invalidante, qui peut, dans certains cas, être la seule manifestation séquellaire de la maladie.

Malgré cela, il n’existe que très peu d’investigations sur ce symptôme de fatigue qui a souvent été considéré comme l’une des manifestations de la dépression post-AVC.

Il semble que plus de la moitié des patients soient susceptibles de développer un syndrome de fatigue au décours de leur maladie.

Aucune association significative n’a jusqu’ici été mise en évidence entre la fatigue d’une part et le délai post-AVC, les données démographiques (âge, sexe), les déficits neurologiques et fonctionnels, les séquelles cognitives et la dépression d’autre part.

Le volume, la latéralisation et la localisation des lésions ont également été décrits comme n’ayant aucune influence, à l’exception d’une étude neurocomportementale récente qui a trouvé une association significative entre le développement de fatigue et des localisations spécifiques, en l’occurrence au niveau du tronc cérébral et, dans une moindre mesure, au niveau du thalamus et de la substance blanche hémisphérique sous-corticale.

Les auteurs de cette étude suggèrent l’existence d’une fatigue « primaire », ne s’expliquant pas par la présence d’une dépression ou de séquelles neurologiques, qui pourrait être liée à l’interruption de réseaux de neurones impliqués dans le contrôle de l’attention (par exemple le système réticulaire activateur).

Des déficits attentionnels subtils ont également été invoqués pour expliquer la présence de fatigue « mentale » chez des patients victimes d’infarctus lacunaires supratentoriels profonds sans séquelles cognitives manifestes.

Il est vraisemblable qu’il existe différents types de fatigue post-AVC. Le but des futures études dans le domaine est donc de les identifier en déterminant les liens qui existent entre la fatigue, les séquelles neuropsychologiques et neurologiques, et les facteurs psychologiques (difficultés de coping, dépression).

Considérer la fatigue comme symptôme de la dépression post-AVC souligne le recouvrement qu’il existe entre ces deux phénomènes, la fatigue étant une manifestation fréquente de la dépression.

Certains ont ainsi examiné les liens existant entre symptômes dépressifs et humeur dépressive, trouvant que, chez une part non négligeable de patients, les symptômes autonomes (par exemple la fatigue) évoluent indépendamment des symptômes psychologiques (perte d’intérêt, inquiétude, autodépréciation).

Finalement, l’existence de désordres du sommeil (apnées) qui surviennent fréquemment ou sont aggravés à la suite d’AVC, sont susceptibles d’induire fatigue et somnolence.

Fatigue et autres affections neurologiques :

A – ORIGINES :

Les mécanismes pathogéniques impliqués dans la fatigue diffèrent selon les affections neurologiques.

Il peut s’agir de facteurs immunologiques, de désordres neuroendocriniens, d’une atteinte des voies motrices centrales ou périphériques, ou des réponses psychophysiologiques.

La fatigue périphérique, qui est par définition une réduction d’efficacité de la force maximale, a été associée avec des affections du contrôle moteur incluant l’atteinte de l’excitation, de la contraction et du métabolisme musculaires.

Une fatigue chronique résiduelle a également été décrite après des traumatismes crâniens, même discrets, et après des hémorragies sous-arachnoïdiennes.

B – SYNDROME DE FATIGUE POSTPOLIOMYÉLITIQUE :

La présence d’une fatigue disproportionnée par rapport à une parésie ou paralysie neuromusculaire a été observée depuis longtemps déjà après la poliomyélite aiguë, tout comme dans d’autres infections virales.

Cette infection paralysante aiguë par entérovirus, qui atteint les neurones moteurs des cornes antérieures, peut conduire, dans un second temps et après plusieurs années, au syndrome postpolio, séquelle à long terme de l’affection aiguë qui s’associe à une fatigue sévère.

Ce diagnostic repose sur une histoire documentée de poliomyélite aiguë, une récupération partielle des parésies avec stabilisation pendant une durée d’au moins 15 ans, des amyotrophies ou des parésies résiduelles asymétriques, alors que les fonctions sensitives et sphinctériennes sont normales.

À ces symptômes s’ajoutent une fatigue, une diminution de l’endurance, une progression des déformations osseuses déjà présentes, ainsi que des douleurs articulaires secondaires.

Même si la fatigue est la séquelle postpolio la plus commune et la plus invalidante, elle est aussi la moins bien cernée.

Des études épidémiologiques du syndrome postpolio montrent que 91 % des patients rapportent une fatigue nouvelle ou augmentée, 41 % une fatigue qui interfère significativement avec une activité professionnelle et 25 % une fatigue qui interfère avec les soins personnels.

Ces patients semblent être à même de différencier la fatigue physique et la diminution de l’endurance associées à une parésie nouvelle ou accrue, d’un autre type de fatigue se caractérisant par des troubles attentionnels et cognitifs.

Ceux-ci sont ressentis par 70 à 96 % des patients postpolio, et sont décrits comme des troubles de la concentration et de l’attention, des difficultés mnésiques et un manque du mot.

Le syndrome de fatigue postpolio est une entité importante en raison des observations anatomopathologiques à disposition et des hypothèses étiologiques sous-jacentes.

Les hypothèses causales font état de la persistance de l’entérovirus avec induction de dommages d’origine immune, d’une dégénérescence prématurée des motoneurones par accroissement des sollicitations sur les unités motrices résiduelles, ou d’une dysfonction neuronale se perpétuant après l’infection aiguë mais ne devenant cliniquement apparente qu’au moment où le processus de réinnervation n’est plus à même de compenser la perte des motoneurones.

D’après les analyses anatomopathologiques, seule la formation réticulaire mésencéphalique serait sévèrement et constamment atteinte par le virus de la poliomyélite.

L’hypothalamus, le thalamus, la substance noire et le locus coeruleus, également responsables de l’activation corticale, paraissent aussi endommagés par le virus de la poliomyélite.

Ces résultats sont étayés par les images IRM qui démontrent, chez 55 % des patients présentant une fatigue postpolio sévère, des signaux hyperintenses au niveau de la partie rostrale de la formation réticulée, du putamen, des régions périventriculaires, du lemnisque médian ou du centre semi-ovale, contrairement aux patients qui ne décrivent qu’une fatigue discrète.

La présence de ces signaux hyperintenses serait significativement corrélée avec la sévérité de la fatigue, le temps d’évolution du syndrome postpolio, la présence de troubles mnésiques, de la concentration et de l’attention, alors qu’elle serait indépendante des symptômes dépressifs ou des troubles du sommeil.

Selon ces résultats, le symptôme de fatigue serait secondaire à un endommagement du système d’activation réticulaire, des noyaux de la base, du thalamus et du cortex.

Le syndrome postpolio constitue donc un exemple de syndrome de fatigue clairement postviral qui pourrait être dû, au moins dans certains cas, à la persistance du virus.

C – FATIGUE ET MALADIES NEURODÉGÉNÉRATIVES :

Dans la maladie de Parkinson, 58 % des patients décrivent la fatigue comme l’un des symptômes les plus invalidants et 67 % lui reconnaissent une qualité différente de ce qu’ils pouvaient ressentir avant le début de la maladie.

Chez ces patients, la fatigue ne semble pas liée significativement à la sévérité de la maladie de Parkinson, mais à la présence d’une dépression en dépit du fait que de nombreux patients sans troubles de l’humeur se plaignent de fatigue.

Les patients atteints de la maladie de Parkinson se caractérisent aussi par une importante exacerbation de la fatigue musculaire induite lors de performances motrices.

Cette fatigue répondrait favorablement à la lévodopa, soulignant le rôle étiologique possible d’un déficit central en dopamine.

Dans la sclérose latérale amyotrophique (SLA), les mécanismes d’augmentation de la fatigue musculaire ne paraissent relever ni d’un défaut d’activation centrale, ni d’une atteinte de la transmission neuromusculaire (jonction neuromusculaire, membrane musculaire), ni d’une inhibition métabolique de la contraction.

Ils relèveraient plutôt d’un trouble d’activation musculaire, en partie secondaire à des facteurs distaux à la membrane musculaire (atteinte au niveau du couplage excitation-contraction).

D – FATIGUE ET AUTRES AFFECTIONS NEUROLOGIQUES :

1- Polyneuropathies à médiation immunitaire :

Le syndrome de Guillain-Barré (GBS) et les polyradiculoneuropathies chroniques inflammatoires démyélinisantes (CIDP), affections du système nerveux périphérique à médiation immune, peuvent induire, souvent pendant de nombreuses années, une diminution des activités sociales et quotidiennes, ceci malgré une bonne récupération des déficits neurologiques.

La fatigue est alors décrite comme la cause majeure de ces dysfonctions.

Une comparaison portant sur la présence et la sévérité de la fatigue dans le GBS, la CIDP et des contrôles normaux a pu démontrer que la fatigue représente un symptôme marqué et fortement handicapant chez 80 % des patients (12 % chez les contrôles), sans corrélation avec les différents paramètres cliniques.

Paradoxalement, une prévalence élevée de fatigue sévère est détectée chez les patients ayant une force musculaire normale ou sans troubles sensitifs (81 % à 86 %).

La fatigue apparaît donc dans le GBS et la CIDP comme une entité invalidante, indépendante des variables cliniques ou du temps écoulé.

2- Maladie de Lyme, méningite virale (facteurs prédisposants au SFC) :

Une fatigue persistante peut atteindre 74 % des patients atteints de manifestations neurologiques chroniques dans la maladie de Lyme (telles qu’une encéphalopathie ou une polyradiculoneuropathie).

Cette association a fait rechercher la présence d’une infection par Borrelia burgdorferi active dans le SFC (complexes immuns spécifiques) sans obtenir de résultats positifs.

Les méningites virales ne constituent pas en elles-mêmes un facteur de risque pour développer un SFC (sévérité et durée de l’affection virale), au contraire de la morbidité psychiatrique et d’une convalescence prolongée (durée de la période sans activité professionnelle).

Conclusion :

Le concept de fatigue recouvre donc toute une série de phénomènes qui sont souvent, mais pas obligatoirement, associés à l’effort. Même si l’expérience et la signification du terme « fatigue » semblent être évidentes pour chacun, l’établissement d’une définition objective et opérationnelle reste un problème qui n’est pas encore résolu.

Il faut tenir compte de sa polysémie et de ses dimensions multiples.

Manque d’énergie, épuisement, lassitude, ennui ou faiblesse, sont des termes souvent utilisés pour décrire le sentiment de fatigue, qui constitue une sorte de mal de notre époque et de nos sociétés modernes et représente une plainte extrêmement répandue, mais souvent bénigne, dans la population générale.

Ce n’est que lorsque ce sentiment devient trop sévère et invalidant, ou lorsqu’il se trouve associé à d’autres facteurs ou symptômes, qu’il motive une consultation médicale.

La distinction entre fatigue « objective », dont la cause est claire et ayant des conséquences sur les performances physiques ou mentales et sur le comportement du sujet, et fatigue « subjective », qui correspond à un sentiment intérieur reflétant un large éventail de perceptions sensorielles, émotionnelles et mentales, est de ce fait particulièrement pertinente.

Le médecin praticien est ainsi confronté non pas à la fatigue proprement dite, mais à un patient qui se plaint de fatigue. Une approche tenant compte non seulement des symptômes, de l’étiologie et de la physiopathologie, mais aussi de l’état interne (cognition, humeur) du patient, du contexte et des circonstances associés au développement de la fatigue, apparaît dès lors comme impérative.

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