Syndrome de Gougerot-Sjögren

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Le syndrome de Gougerot-Sjögren est une exocrinopathie auto-immune caractérisée par l’association d’une kératoconjonctivite sèche, d’une xérostomie, et de manifestations systémiques de nature immunoinflammatoire.

Syndrome de Gougerot-Sjögren
Introduction :

Le syndrome sec est la conséquence d’une infiltration par des lymphocytes et des plasmocytes de la plupart des glandes exocrines, affectant principalement les glandes lacrymales et salivaires, responsable d’altérations progressives du parenchyme glandulaire.

Il faut d’emblée opposer le syndrome de Gougerot-Sjögren primitif du syndrome de Gougerot-Sjögren secondaire : il s’agit en effet probablement de deux maladies différentes distinctes par des éléments cliniques, biologiques et immunogénétiques.

Dans le syndrome de Gougerot-Sjögren secondaire, le syndrome sec est associé à une autre connectivite achevée et, en pratique, il est souvent au second plan de la symptomatologie, derrière les manifestations de la connectivite principale.

Pour autant, le syndrome de Gougerot-Sjögren primitif ne se limite pas à un syndrome sec isolé : il s’associe le plus souvent à des manifestations « extraglandulaires », parfois graves, susceptibles de mettre en jeu le pronostic vital, justifiant d’un traitement spécifique et qui font de lui une véritable connectivite autonome.

Syndrome de Gougerot-Sjögren primitif :

L’incidence de la maladie reste imprécise.

Si l’on se réfère aux études nécropsiques systématiques, des lésions histologiques des glandes salivaires compatibles avec la maladie sont retrouvées dans 0,44% des cas.

Une incidence de 1 cas pour 500 sujets environ a été avancée.

Le syndrome de Gougerot-Sjögren est sans aucun doute la connectivite la plus fréquente après la polyarthrite rhumatoïde.

La prépondérance féminine de la maladie est nette avec un sex-ratio de 9 femmes pour 1 homme.

La maladie peut survenir à tout âge, mais c’est le plus souvent vers 45 ans qu’apparaissent les premiers symptômes.

Elle débute en règle de façon très insidieuse, souvent de façon monosymptomatique, ce qui conduit à un retard diagnostique qui a été estimé à au moins 8 années.

A – Circonstances de découverte :

Dans les cas les plus simples, l’attention est d’emblée attirée vers les glandes exocrines : c’est la constitution progressive d’une sécheresse oculaire et/ou buccale.

Il peut s’agir également d’épisodes de tuméfactions des glandes salivaires principales ou plus rarement des glandes lacrymales.

Le début extraglandulaire de la maladie est beaucoup plus trompeur, et concerne au moins un quart des cas.

Il peut s’agir d’une polyarthrite non érosive, d’un phénomène de Raynaud d’apparition tardive, ou encore de signes de vascularite avec purpura vasculaire et parfois polyneuropathie.

Ces manifestations systémiques peuvent précéder de plusieurs années les premiers signes fonctionnels de syndrome sec, source de retard diagnostique.

La maladie est parfois totalement latente, et c’est la découverte fortuite d’anomalies biologiques qui peut conduire au diagnostic : c’est le cas d’une élévation de la vitesse de sédimentation secondaire à une hypergammaglobulinémie polyclonale.

B – Manifestations glandulaires :

L’ensemble des glandes exocrines est concerné, sièges d’un infiltrat de cellules lymphocytaires et plasmocytaires, avec pour terme évolutif une destruction parenchymateuse et la constitution d’un syndrome sec.

Cette inflammation glandulaire peut s’exprimer cliniquement par la survenue d’épisodes de fluxion des glandes salivaires principales : parotide et/ou sous maxillaire, plus rarement des glandes lacrymales.

Ces tuméfactions peuvent être chroniques, ou au contraire évoluer par poussées successives.

Elles sont parfois très volumineuses et douloureuses.

Ces épisodes de fluxion glandulaire sont un témoin d’évolutivité de la maladie.

L’expression clinique du syndrome sec prédomine au niveau buccal et ophtalmique, cependant l’ensemble des glandes exocrines peut être atteint, souvent de façon latente.

Ce syndrome sec est historiquement le maître-symptôme de la maladie, mais il est cependant inconstant et très variable dans son intensité, parfois d’une latence clinique totale, n’étant dépisté que par les explorations paracliniques appropriées.

Il n’y a aucune relation entre la sévérité de ce syndrome sec et l’évolutivité systémique de la maladie appréciée sur le nombre et la gravité des manifestations extraglandulaires.

1- Kératoconjonctivite sèche :

Le patient se plaint d’une sensation de corps étranger et de sable intra-oculaire, puis de photophobie, de brûlures ophtalmiques. Parfois il décrit une baisse de l’acuité visuelle avec une sensation de voile devant les yeux.

Les signes physiques s’observent dans les syndromes secs déjà sévères : les conjonctives sont rouges et enflammées, la fréquence du clignement augmentée.

Le matin, les culs-de-sac palpébraux sont le siège de sécrétions épaisses, collantes, parfois purulentes.

L’hyposécrétion lacrymale peut être la source de complications ophtalmologiques plus graves, heureusement rares : ulcération de la cornée, perforation cornéenne.

* Explorations de la fonction lacrymale

Le test de Shirmer peut être réalisé au cabinet du médecin.

Il consiste à insérer dans le cul-de-sac conjonctival une bandelette de papier filtre gradué.

On considère qu’il existe une hyposécrétion lacrymale si moins de 5mm de la bandelette ont été humectés par les larmes au bout de 5 minutes.

Certains facteurs intercurrents sont cependant susceptibles de causer un déficit lacrymal transitoire (fièvre, déshydratation…).

La spécificité de ce test est loin d’être parfaite.

Le test au rose bengale, plus spécifique, réalisé par les ophtalmologistes permet de révéler les premières lésions de kératoconjonctivite sèche par l’examen au biomicroscope après instillation de ce colorant vital qui se fixe sur les cellules mortes des zones sèches de la conjonctive et de la cornée.

Certains utilisent également un collyre à la fluorescéine.

Le temps de rupture du film lacrymal break up time, de réalisation facile, mesure la stabilité du film lacrymal.

2- Xérostomie :

Elle se manifeste par une sensation de bouche sèche, pâteuse, gênant parfois l’élocution et la déglutition des aliments secs. Elle oblige le patient à la prise répétée de gorgées de liquide lors des repas, et même parfois la nuit.

Cette xérostomie est parfois douloureuse, responsable de brûlures buccales et de glossodynie.

A l’examen, les muqueuses jugales sont ternes, vernissées, la langue dépapillée, lisse.

Caries précoces, intolérance des prothèses, stomatite et candidose buccale sont les principales complications de la bouche sèche

* Explorations de la xérostomie

Elles sont en pratique au nombre de trois : sialographie, scintigraphie, biopsie de glandes salivaires accessoires.

La sialographie met en évidence les sialectasies, avec un aspect microponctué ou pseudokystique de la glande.

Il s’agit cependant d’un examen invasif, de réalisation technique parfois difficile, si bien qu’en pratique il est surtout réalisé dans le cadre du bilan d’une parotidite ou d’une sous-maxillite.

La scintigraphie a l’avantage d’être un examen fonctionnel, capable d’apprécier la dynamique de la sécrétion salivaire.

Les résultats sont souvent exprimés en quatre stades de gravité croissante selon la classification de Schall.

La biopsie des glandes salivaires accessoires est l’examen primordial, apportant deux ordres de renseignements :

– l’importance des altérations glandulaires, altération des canicules salivaires, déplétion acineuse, fibrose réactionnelle ;

– la mise en évidence de la lésion caractéristique de la maladie, l’infiltration de la glande par des lymphocytes et plasmocytes s’organisant en nodules ou follicules avec parfois de véritables centres germinatifs.

Plusieurs classifications de ces aspects anatomopathologiques ont été proposées : la plus utilisée est celle de Chisholm en quatre stades qui ne prend en compte que le degré d’infiltration cellulaire inflammatoire : les stades III et IV sont très caractéristiques de la maladie, mais non pathognomoniques

3- Atteinte des autres glandes endocrines :

Le syndrome sec peut s’étendre à d’autres secteurs : muqueuse génitale, sécheresse de la peau, des voies aériennes supérieures (xérorhinie, gorge sèche), des voies aériennes inférieures (laryngotrachéite, syndrome obstructif des petites voies aériennes), des muqueuses digestives (oesophagite et gastrite atrophique, insuffisance pancréatique exocrine).

C – Manifestations extraglandulaires :

Fréquentes, parfois graves, elles touchent environ 70% des patients.

Très schématiquement, elles sont la conséquence de deux types de mécanismes : vascularite et diffusion extraglandulaire de l’infiltrat lymphocytaire.

1- Polyarthrite :

Elle est certainement la plus fréquente de ces manifestations (50 à 80% des cas), il s’agit d’une polyarthrite distale, bilatérale et symétrique, mais à la différence de la polyarthrite rhumatoïde d’évolution non érosive.

2- Phénomène de Raynaud :

Il est présent dans moins d’un quart des cas et d’apparence banale, sauf en cas de cryoglobulinémie où il peut alors se compliquer de nécrose pulpaire.

3- Vascularite systémique :

C’est l’une des complications graves de la maladie : elle peut se limiter à un purpura vasculaire d’évolution chronique qu’on observe volontiers en cas d’hypergammaglobulinémie polyclonale à taux élevé (purpura hyperglobulinémique de Waldenström).

Elle peut être beaucoup plus sévère, avec polyneuropathie démyélinisante, alors que le purpura prend volontiers un aspect nécrotique. Dans la plupart des cas, ces vascularites graves sont la conséquence d’une cryoglobulinémie mixte.

Cette vascularite complique plus volontiers les syndromes de Gougerot-Sjögren avec anticorps anti-SSa/Ro.

4- Atteinte neurologique centrale du syndrome de Gougerot-Sjögren :

Elle est de description récente, avec les tableaux neurologiques ou psychiatriques les plus divers et en imagerie par résonance magnétique nucléaire un aspect d’encéphalopathie démyélinisante.

Cette atteinte neurologique centrale reste cependant très discutée.

5- Atteinte pulmonaire :

La trachéobronchite et le syndrome obstructif des petites voies aériennes sont la conséquence de l’exocrinopathie.

La fibrose interstitielle diffuse en règle d’évolution lente est rare au cours du syndrome de Gougerot-Sjögren primitif, et doit faire rechercher une autre connectivite sous-jacente et en particulier une sclérodermie.

La pneumonie lymphocytaire interstitielle est une complication spécifique de la maladie, se révélant par une toux, une dyspnée, un syndrome restrictif, et des images infiltratives bilatérales avec, au lavage broncho-alvéolaire comme à la biopsie pulmonaire, une alvéolite à prédominance lymphocytaire.

Cette pneumopathie est en règle corticosensible.

La néphropathie est également la conséquence d’une infiltration lymphocytaire du tissu interstitiel.

L’expression la plus fréquente de cette néphropathie interstitielle est une acidose tubulaire distale compliquée parfois d’hypokaliémie sévère, de néphrocalcinose et d’insuffisance rénale.

Plus rarement il s’agit d’une tubulopathie proximale.

Elle s’observe chez les patients présentant une hypergammaglobulinémie polyclonale de taux élevé. Les patients se plaignent parfois de myalgies, d’asthénie, de mécanisme imprécis.

Les adénopathies superficielles plus rarement une splénomégalie peuvent s’observer.

Elles peuvent être le siège d’une hyperplasie folliculaire banale mais doivent faire craindre la survenue d’un lymphome.

D – Signes biologiques :

1- Anomalie de l’hémogramme :

Une leucopénie s’observe près d’une fois sur deux, une thrombopénie est exceptionnelle.

2- Bilan inflammatoire :

La vitesse de sédimentation est habituellement élevée en raison de l’hypergammaglobulinémie polyclonale qu’on observe dans près de 80% des cas.

Le plus souvent, il n’y a pas de syndrome inflammatoire : les protéines de l’inflammation et en particulier la protéine C réactive (CRP) sont à taux normal sauf en cas de vascularite.

Une cryoglobulinémie est retrouvée dans 20% des cas environ.

3- Autoanticorps :

Le facteur rhumatoïde est retrouvé dans 75%des cas environ.

Les facteurs antinucléaires sont présents dans environ les trois quarts des cas, il s’agit en règle d’anticorps antiSSb, et/ou d’antiSSa Ro.

Les antiSSb sont assez spécifiques du syndrome de Gougerot- Sjögren primitif quand ils sont isolés. En cas de grossesse, les antiSSa Ro exposent aux risques de bloc auriculoventriculaire congénital.

E – Formes évolutives :

Le syndrome de Gougerot-Sjögren est une connectivite de lente évolutivité et dont les manifestations restent souvent stables pendant de nombreuses années.

Cependant certaines formes sont plus évolutives que d’autres : la survenue de complications est sans doute plus fréquente chez les patients présentant de fréquents épisodes de tuméfaction des glandes salivaires principales avec hypergammaglobulinémie à taux élevé, et présence d’anticorps antinucléaires de type anti-SSa Ro.

De tels patients doivent faire l’objet d’une surveillance particulière.

Trois ordres de complications peuvent en effet survenir :

– l’apparition d’une nouvelle manifestation extraglandulaire : vascularite, néphropathie, pneumopathie… justifiant d’un traitement approprié ;

– la survenue d’un syndrome lymphoprolifératif : complication la plus grave de la maladie dont le risque a été estimé à 44 fois supérieur à celui de la population normale.

Certains signes cliniques et biologiques doivent alerter : survenue d’adénopathies superficielles, de splénomégalie, apparition d’une dysglobulinémie monoclonale et/ou diminution du taux de gammaglobulines, élévation brutale des taux de bêta-2-microglobuline.

Il s’agit en règle de lymphome de type B, de point de départ ganglionnaire ou viscéral divers.

Il s’agit parfois d’un pseudolymphome caractérisé par une infiltration cellulaire très polymorphe avec présence d’immunoblastes.

Certains de ces pseudolymphomes évolueront vers l’authentique lymphome.

Très exceptionnellement une connectivite d’une autre nature peut s’associer secondairement au syndrome de Gougerot-Sjögren : lupus érythémateux, sclérodermie…

F – Diagnostic :

Les très nombreux critères qui ont été proposés rendent compte de la difficulté du diagnostic du syndrome de Gougerot-Sjögren.

Les derniers en date émanent d’un groupe d’étude de la Communauté Européenne.

Le caractère inconstant et non spécifique du syndrome sec est la première de ces difficultés.

En pratique l’établissement du diagnostic doit se faire en trois temps :

* recherche d’un défaut de sécrétion lacrymale et salivaire ;

* écarter les autres causes de syndrome sec et/ ou de tuméfaction des glandes salivaires ;

* recherche d’arguments en faveur de l’origine immuno-inflammatoire par :

– l’existence d’autres manifestations viscérales de nature « auto-immune » ;

– la présence de marqueurs auto-immuns de la maladie : facteur rhumatoïde, facteurs antinucléaires ;

– enfin la biopsie de glandes salivaires accessoires qui tient une place essentielle dans ce diagnostic en mettant en évidence l’infiltrat lymphoplasmocytaire caractéristique.

Celui-ci n’est toutefois pas pathognomonique : il peut s’observer dans certaines infections virales (VIH, hépatites C), au cours de la réaction greffon contre hôte…

Syndrome de Gougerot-Sjögren secondaire :

Le syndrome de Gougerot-Sjögren peut être associé à diverses connectivites ou maladies auto-immunes d’organe. La fréquence réelle du syndrome de Gougerot-Sjögren au cours de ces différentes connectivites est très diversement appréciée en fonction des critères diagnostiques retenus.

Par exemple, au cours de la sclérodermie, le syndrome sec est un symptôme propre de la maladie lié à la fibrose des glandes salivaires.

L’association à un authentique syndrome de Gougerot-Sjögren est beaucoup plus rare.

Traitements :

A – Traitement symptomatique du syndrome sec :

Les traitements locaux par larmes artificielles (solution de méthylcellulose à 0,5 ou 1 %), par implants solubles (Lacrisertt) sont toujours indiqués en cas de xérophtalmie symptomatique.

Dans les formes plus sévères, l’obturation des points lacrymaux par la pose de clous méatiques améliore plus d’une fois sur deux les patients.

La xérostomie est plus difficile à traiter : des substituts salivaires en spray ont été commercialisés (Artisialt), les bonbons acidulés ou les chewing-gums à la condition qu’ils soient sans sucre peuvent être conseillés.

L’hygiène dentaire est de première importance.

Il faut bien sûr contre-indiquer toute drogue à action atropinique ou parasympathicolytique.

Les médicaments secrétagogues sont d’efficacité inconstante et limitée : Sulfarlem S25t, teinture de Jaborandi (comportant de la pilocarpine) à la dose de trois fois 10 à trois fois 30 gouttes/j.

La bromhexine (Bisolvont) a également été proposée à la posologie de 40 à 50 mg/j.

Les antipaludéens de synthèse (Plaquenilt: 2 comprimés 5 jours sur 7) sont indiqués et souvent efficaces en cas de polyarthrite non érosive.

B – Indication de la corticothérapie :

Une corticothérapie à dose dégressive est parfois nécessaire en cas de tuméfaction volumineuse récidivante et douloureuse des glandes salivaires.

La corticothérapie est également indiquée au cours des manifestations extraglandulaires graves : vascularite, pneumopathie interstitielle, néphropathie symptomatique.

En cas de vascularite grave liée à une cryoglobulinémie mixte, des protocoles thérapeutiques associant corticothérapie-échanges plasmatiques, immunosuppresseurs (cyclophosphamide) sont indiqués.

Les immunosuppresseurs ne sont utilisés cependant qu’en cas d’absolue nécessité, car ils risquent de favoriser la survenue d’un lymphome.

Conclusion :

Le syndrome de Gougerot-Sjögren est une connectivite fréquente de diagnostic souvent difficile par le caractère insidieux de ses manifestations, et sa lente évolutivité.

Ses complications sont cependant parfois redoutables.

Le rôle du médecin est d’abord de tenter de soulager les patients de leurs symptômes souvent pénibles, ensuite de repérer les formes évolutives et chez ces dernières l’apparition d’éventuelles complications.

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