Structure et physiologie thyroïdiennes (Suite)

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Première partie

Étapes du mode d’action des hormones thyroïdiennes :

Le mécanisme princeps de l’action des HT réside dans la capacité de la T3 à réguler, dans le noyau, l’expression de gènes cibles.

Structure et physiologie thyroïdiennes (Suite)Par exemple, l’effet inotrope positif de la T3 sur le myocarde résulte, entre autres mécanismes, de l’augmentation de l’expression du gène codant la chaîne lourde de la myosine a (protéine intervenant dans la contraction musculaire).

Inversement, dans l’hypophyse, la T3 diminue l’expression des gènes codant les chaînes a et b de la TSH par les cellules thyréotropes.

La T3 exerce donc ses effets physiologiques en contrôlant positivement ou négativement l’expression de gènes cibles.

On parle d’activité transcriptionnelle ou encore d’activité transactivatrice.

Ce contrôle, par définition intranucléaire, nécessite en fait de nombreuses étapes :

– transport plasmatique des HT : les hormones libérées dans la circulation sanguine sont transportées vers les organes cibles par des protéines plasmatiques plus ou moins spécifiques ;

– transport transmembranaire : les HT circulantes doivent être captées par les tissus cibles et internalisées dans le cytosol ;

– désiodation : la T3 représente la forme active des HT, captée par les tissus cibles. Elle doit être obtenue par conversion à partir de la T4 par désiodation ;

– transport cytosolique vers le noyau : présente dans le cytosol, la T3 se lie à des protéines cytosoliques de transport qui la véhiculent jusqu’au noyau ;

– interaction avec les récepteurs thyroïdiens : dans le noyau, la T3 peut interagir avec ses récepteurs spécifiques, les récepteurs thyroïdiens ou TR ;

– reconnaissance d’éléments de réponse aux HT : les TR reconnaissent des séquences d’ADN spécifiques situées en amont des gènes cibles de la T3, appelées éléments de réponse aux HT ou thyroid responsive element (TRE) ;

– dimérisation : les TR se lient aux éléments de réponse sous forme d’homodimères (complexes TR/TR) ou d’hétérodimères.

Le plus souvent, le partenaire de dimérisation est alors RXR, le récepteur de l’acide 9-cis rétinoïque, un autre membre de la famille des récepteurs nucléaires (complexes TR/RXR) ;

– interaction avec des cofacteurs nucléaires : outre un partenaire de dimérisation, les TR lient des cofacteurs nucléaires dont le rôle principal est de servir de pont avec la machinerie transcriptionnelle de base.

A – TRANSPORT PLASMATIQUE DES HORMONES THYROÏDIENNES :

Plusieurs protéines plasmatiques possèdent la capacité de lier les HT.

Elles servent de lieu de stockage, de véhicule plasmatique pour acheminer les HT vers leurs organes cibles ou encore de facteurs de contrôle de leur biodisponibilité.

Elles permettent en effet une régulation de la fraction libre des HT qui, finalement, ne représente que 0,02 % du total de la T4 sérique et 0,3 % du total de la T3 sérique.

Les trois principales sont la thyroxine-binding globulin (TBG), la transthyrétine (TTR, ou thyroxine-binding prealbumine = TBPA) et l’albumine.

Certaines lipoprotéines, comme l’apoA-1, l’apoB-100, l’apoC-II, l’apoC-III ou encore l’apoE, possèdent également un site de liaison pour les HT mais leur rôle physiologique apparaît limité in vivo.

Globalement, les anomalies congénitales des protéines plasmatiques de transport des HT n’entraînent pas d’anomalie clinique.

Tout au plus sont-elles responsables de difficultés d’interprétation des dosages biologiques, surtout préjudiciables lorsque le dosage des formes libres des hormones n’était pas disponible.

1- Thyroxine-binding globulin :

Contrairement aux deux autres principales protéines plasmatiques de liaison des HT, la TBG est caractérisée par une forte affinité pour la T4, mais une faible capacité de liaison.

La T3 est également liée mais avec une affinité 10 fois inférieure à celle de la T4. La TBG est une antiprotéase de 44 kDa.

Elle est produite dans le foie à partir d’un gène localisé sur le bras long du chromosome X.

Elle est glycosylée et peut contenir jusqu’à neuf résidus d’acide sialique, essentiels pour le maintien de l’organisation tertiaire de la protéine.

La sialylation de la TBG est favorisée par les oestrogènes et aboutit à un allongement de la demi-vie de la protéine et une augmentation de sa concentration sérique.

Cela explique vraisemblablement les taux élevés constatés au cours de la grossesse.

Le déficit congénital en TBG affecterait une naissance sur 9 000 et n’est complet que chez les garçons.

L’état clinique reste cependant celui de l’euthyroïdie, avec des taux abaissés de T4 totale mais normaux de T4 libre, grâce à l’action compensatrice des autres protéines plasmatiques de transport.

Dans certaines ethnies (Aborigènes australiens, Noirs américains, Océaniens), la TBG présente des variations de séquences qui affectent son affinité pour les HT sans cependant entraîner d’autres manifestations phénotypiques qu’une réduction de ces taux sériques.

Une production congénitale accrue de TBG a également été décrite et correspondrait à une anomalie des séquences promotrices du gène plus qu’à une anomalie de la séquence codante.

2- Transthyrétine :

Sa capacité de liaison des HT est dix fois plus forte que celle de la TBG mais son affinité est beaucoup plus faible.

La TTR joue donc un rôle moindre dans la distribution de la T4 aux organes cibles.

Elle ne lie pas la T3 et intervient surtout, quoique indirectement, dans le transport de la vitamine A en formant un complexe avec la retinolbinding protein (RBP) et en empêchant ainsi son élimination rénale.

Il s’agit d’une protéine de 127 acides aminés, non glycosylée, produite par le foie, les plexus choroïdes et l’épithélium pigmentaire de la rétine, et présente dans le sang sous la forme d’un tétramère.

Une poche interne au tétramère est ainsi délimitée pouvant accueillir deux molécules de T4.

Son gène est situé sur le chromosome 15 et son expression est rapidement réduite en cas d’infection ; la TTR est considérée comme une protéine de la phase aiguë du stress.

Par opposition, son expression peut être stimulée dans certaines tumeurs neuroendocrines.

Des anomalies héréditaires du gène de la TTR ont été rapportées chez l’homme.

L’affinité pour la T4 est diversement affectée, augmentée (avec augmentation de la concentration en T4 totale) ou réduite (avec légère diminution de la T4 totale).

Ces anomalies ne s’accompagnent généralement pas de manifestations phénotypiques marquées pour l’axe thyroïdien.

Certaines anomalies de la TTR, transmises sur un mode dominant, entraînent une polyneuropathie par dépôts d’une substance amyloïde constituée par l’agglomération de la TTR anormale.

3- Albumine :

L’albumine peut s’associer dans le sang à de nombreuses protéines lipophiles comme les HT pour lesquelles elle a une affinité faible mais une capacité de liaison extrêmement marquée.

Elle possède plusieurs sites de liaison et sa saturabilité n’est pas mesurable étant donné sa concentration sérique élevée.

L’albumine est codée par un gène situé sur le chromosome 14.

Des anomalies de ce gène ont été décrites en association avec une augmentation de l’affinité pour la T4 et une élévation des taux sériques de T4 totale.

Il s’agit des cas de dysalbuminémie familiale (ou d’hyperthyroxinémie familiale dysalbuminique) où l’apparence métabolique est celle de l’euthyroïdie.

Les taux de T4 et de T3 totales sont diversement élevés, sans retentissement clinique évident.

La T4 libre pouvait être artificiellement élevée avant la diffusion des dosages par dialyse à l’équilibre ou par ultrafiltration.

B – TRANSPORT TRANSMEMBRANAIRE DES HORMONES THYROÏDIENNES :

Le processus de captage des HT par les cellules périphériques représente potentiellement une étape régulatrice dans la voie d’action hormonale.

Du fait de la présence de leur chaîne latérale alanine et l’anneau phénol externe, hydrophiles, les HT ne traversent pas les membranes plasmiques par simple diffusion.

Leur transport transmembranaire est facilité par l’utilisation d’un ou de plusieurs systèmes spécifiques.

Ces systèmes ne sont pas caractérisés précisément et, par exemple, on ne sait pas avec certitude si la T3 et la T4 utilisent les mêmes voies de transport.

Certaines propriétés sont cependant connues :

– stéréospécificité : le transport transmembranaire est plus efficace pour les isomères lévogyres, naturels, que pour les isomères dextrogyres ;

– saturabilité : dans des modèles cellulaires, le transport transmembranaire n’est plus assuré au-delà d’une certaine concentration en HT, limite qui n’est pas atteinte aux concentrations physiologiques ;

– dépendance vis-à-vis de certains paramètres biologiques comme le niveau énergétique, l’existence d’un gradient de sodium ou d’un gradient de certains acides aminés (aromatiques comme le tryptophane).

Plus récemment, il a été montré que le transport des HT pouvait utiliser, chez le rat et l’homme, de façon non exclusive, des membres de la famille des transporteurs polypeptidiques des anions organiques (organic anion transporting polypeptides ou OATP).

Ces transporteurs partagent une organisation supposée en 12 domaines transmembranaires.

Pour l’instant, seuls quelques membres de la famille sont capables de transporter la T3 et la T4.

Ils constituent un système effectivement saturable mais indépendant des concentrations extracellulaires en ions Na+ ou Cl-.

Ils ne sont pas spécifiques et peuvent transporter également des acides biliaires, la bromosulfophtaléine, certaines hormones stéroïdes conjuguées ou non conjuguées (comme la déhydroépiandrostènedione [DHEA]), des eicosanoïdes (prostaglandines ou leucotriènes) ou encore certains médicaments (méthotrexate, hypolipémiants de la famille des statines).

L’expression des transporteurs des HT est variable, globalement prédominante dans le foie et le cerveau, deux organes où le captage hormonal est fonctionnellement important.

Il s’agit de plus de systèmes bidirectionnels permettant aussi la sortie des substrats vers le milieu extracellulaire, qui peut donc rendre compte de l’importante production hépatique de T3, après désiodation à partir de la T4.

Il existe vraisemblablement plusieurs systèmes de transport.

Ainsi, le transporteur des acides aminés neutres lévogyres (transporteur LAT1) peut également transporter les HT à travers la membrane plasmique.

C – DÉSIODATION DES HORMONES THYROÏDIENNES :

La transformation de la T4 en T3 résulte d’une monodésiodation.

Selon l’enzyme qui en est responsable et la position de l’atome d’iode retiré, cette monodésiodation aboutit à la production de la T3 active ou d’une forme inactive : la reverse T3 (rT3).

Les enzymes responsables de ce processus sont au nombre de trois :

– La désiodase de type I est une 5’-désiodase (5’DI) : elle ôte l’atome d’iode de la position 5’ de l’anneau phénol de la T4, de la T3 ou de leurs métabolites successifs.

Son substrat préférentiel est la rT3 mais elle permet aussi la production de T3 active par désiodation de la T4.

La 5’DI est présente dans le foie, le rein, la thyroïde et l’hypophyse, et dans de nombreux tissus en plus faibles quantités.

La 5’DI hépatique serait l’enzyme responsable de 70 % de la quantité de T3 circulante.

Pourtant, dans les hépatocytes, elle serait présente dans la membrane du réticulum endoplasmique lisse et rugueux et non pas dans la membrane cellulaire elle-même.

Cela suggère l’existence d’un ou plusieurs systèmes de transport vers puis à travers la membrane cellulaire pour produire la T3 dans le sang circulant.

Dans le rein et la thyroïde, la 5’DI est localisée dans le feuillet interne de la membrane plasmique.

La désiodase de type I hépatique est la principale source de T3.

Son inhibition au cours du jeûne est responsable majoritairement de la diminution de la concentration sérique en T3 (et de l’augmentation relative de celle de la rT3).

Des variations d’activité de cette désiodase sont également au moins partiellement responsables des variations des taux d’HT constatées dans certaines situations graves (maladies catabolisantes, infarctus myocardique, en postopératoire…) : ce sont les euthyroid sick syndrome et non thyroidal illness des auteurs anglo-saxons ;

– la désiodase de type II est également une 5’-désiodase (5’DII).

Son substrat préférentiel est la T4 et elle est surtout présente dans le système nerveux central (dont l’hypophyse) et le tissu adipeux brun.

Dans la cellule, la 5’DII est localisée dans la membrane des microsomes ;

– la désiodase de type III retire l’atome d’iode de la position 5 (ou de la position 3 équivalente) de l’anneau tyrosyl.

Cette 5-désiodase (5DIII) est donc une enzyme inactivatrice des HT et de leurs métabolites.

Son substrat préférentiel est la T3, même si elle inactive aussi la T4 en rT3.

Elle est produite dans la plupart des tissus, notamment le placenta, mais pas dans le foie, le rein, la thyroïde ou l’hypophyse.

Dans la cellule, cette enzyme est présente dans la membrane des microsomes.

L’étude fonctionnelle précise des désiodases reste difficile dans la mesure où ces enzymes n’ont pu encore être purifiées ou produites sous forme recombinante du fait de leur localisation membranaire exclusive et de leur relative faible abondance.

On sait cependant que les désiodases sont des sélénoprotéines, incluant un résidu sélénocystéine, indispensable à leur activité enzymatique, dans leur séquence en acides aminés (cystéine dans laquelle l’atome de soufre est remplacé par un atome de sélénium).

Les autres caractéristiques des désiodases sont une activité sous forme d’oligomères et une sensibilité variable à certains inhibiteurs comme les thio-uraciles, l’acide iopanoïque, l’iodoacétate ou les flavonoïdes.

Le propranolol, largement utilisé dans les cardiothyréoses pour ses effets bêta-bloquants, agit également sur la fonction thyroïdienne en inhibant spécifiquement l’activité de la désiodase hépatique de type I.

De même, les effets thyroïdiens de l’amiodarone comprennent une inhibition de la conversion de la T4 en T3.

L’expression des désiodases apparaît finement régulée, notamment par les substrats qu’elles utilisent ou les métabolites qu’elles produisent à partir de ces substrats.

Ainsi, l’expression de la 5’DI est stimulée par la T3 alors que celle de la 5’DII est réprimée par la T4.

D – TRANSPORT INTRACELLULAIRE DES HORMONES THYROÏDIENNES :

Présente dans le cytoplasme, la T3 se lie avec des protéines cytosoliques appelées protéines cytosoliques de transport de la T3 (cytosolic thyroid hormone binding protein ou CTHBP).

Plusieurs de ces protéines ont été caractérisées sur le plan biochimique.

Plus récemment, certaines (les mêmes ?) ont été caractérisées sur le plan fonctionnel.

Il s’agit de protéines multifonctionnelles capables de lier la T3 avec forte affinité mais exerçant d’autres activités, enzymatiques, comme les pyruvatekinases M1 ou M2, la kinase de la chaîne légère de la myosine, la disulfide isomérase, la glutathione-S-transférase ou encore l’aldéhyde déshydrogénase.

La M2 pyruvate-kinase est la plus étudiée.

Elle est capable de lier la T3 avec de fortes spécificité et affinité lorsqu’elle est sous forme monomérique (protéine p58) alors que son tétramère possède uniquement l’activité enzymatique pyruvate-kinase.

Il existerait une boucle de régulation complexe, la T3 contrôlant positivement l’expression du gène de la protéine p58 mais inhibant, lorsqu’elle est liée à l’enzyme, l’activité pyruvate-kinase.

Le rôle exact des CTHBP reste controversé.

Il pourrait s’agir de véritables protéines chaperonnes, véhiculant la T3 de la membrane cellulaire vers le noyau.

Les complexes formés par l’hormone et une CTHBP sont détectés à la fois dans le cytosol et dans le noyau.

L’accompagnement jusque dans le noyau n’est cependant pas prouvé. Les CTHBP pourraient simplement jouer un rôle de stockage, de réserve cytosolique de T3.

Mais la constitution de ce stock pourrait aussi correspondre à une séquestration de la T3, les CTHBP constituant alors des chélateurs cytosoliques de l’hormone. Dans des cultures cellulaires, la surexpression de la forme monomérique de la M2 pyruvate-kinase inhibe l’activité transcriptionnelle de la T3 en réduisant la concentration cytosolique en hormone libre.

Il pourrait même s’agir d’un mécanisme d’autorégulation puisque la T3 stimule la production de la M2 pyruvate-kinase.

E – MODE D’ACTION GÉNOMIQUE DE LA T3 :

Présente dans le noyau, la T3 exerce son activité de contrôle de l’expression de gènes cibles par l’intermédiaire de récepteurs nucléaires spécifiques, les récepteurs thyroïdiens ou TR.

Ces récepteurs appartiennent à la superfamille des récepteurs nucléaires qui comprend, entre autres, les récepteurs des glucocorticoïdes, des minéralocorticoïdes, des oestrogènes, de la progestérone, de la vitamine D ou encore de l’acide rétinoïque.

Comme eux, ils possèdent une organisation modulaire leur permettant d’agir comme des facteurs transcriptionnels inductibles par la liaison de la T3.

Ils comprennent ainsi, de l’extrémité N-terminale à l’extrémité C-terminale, un domaine A/B porteur d’une partie de l’activité transcriptionnelle, un domaine central de liaison à l’ADN (domaine C), un domaine D charnière, et un domaine de liaison du ligand (domaine E/F).

Les récepteurs thyroïdiens sont codés par deux gènes distincts de grande homologie : le gène TRa (ou c-erbAa ; chromosome 17) et le gène TRb (ou c-erbAb ; chromosome 3).

Chaque gène produit en fait plusieurs isoformes dont seules trois sont des récepteurs fonctionnels de la T3 : TRa1, TRb1 et TRb2.

Les autres isoformes sont des protéines incapables de lier l’hormone et qui peuvent se comporter comme des inhibiteurs compétitifs vis-à-vis des récepteurs thyroïdiens fonctionnels.

L’expression des TR est variable selon l’isoforme et les tissus ; TRa1 et TRb1 sont ubiquitaires tandis que l’expression de TRb2 est restreinte à l’hypophyse, les noyaux neuronaux impliqués dans l’audition ou la neurorétine.

Par le domaine de liaison à l’ADN, les TR reconnaissent, dans les régions régulatrices de leurs gènes cibles, des séquences spécifiques appelées éléments de réponse aux HT (ou TRE).

Sur ces séquences, les TR se fixent habituellement sous la forme d’un hétérodimère en association avec l’une des isoformes du récepteur de l’acide rétinoïque (RXR).

En l’absence de la T3, l’activité transcriptionnelle intrinsèque des TR est inhibée.

La liaison à certaines protéines nucléaires, les corépresseurs comme NcoR ou SMRT, est responsable de cette inhibition.

Les corépresseurs, liés aux TR, interagissent avec de multiples protéines et empêchent la fixation de la machinerie transcriptionnelle de base sur le promoteur du gène considéré.

La liaison de la T3 sur le TR permet le relargage des corépresseurs.

L’échafaudage protéique inhibiteur est chassé et remplacé par un nouveau complexe protéique nucléaire, cette fois activateur, constitué principalement par des coactivateurs, comme SRC-1.

La fixation de la machinerie transcriptionnelle de base devient possible et l’expression du gène cible est stimulée.

Certains gènes cibles sont régulés négativement : leur expression est stimulée en l’absence de T3 et la présence de l’hormone la réduit.

C’est le cas par exemple des gènes codant les sous-unités de la TSH.

Les mécanismes précis de cette répression transcriptionnelle sont mal connus.

Chez l’homme, le gène TRa n’est associé pour l’instant à aucun phénotype clinique ou biologique pathologique.

Une anomalie du gène TRb est en revanche habituelle dans les syndromes familiaux de résistance aux HT (RHT).

Il s’agit d’une affection rare, de prévalence estimée à 1 pour 50 000 naissances, caractérisée par l’insensibilité des tissus cibles à l’action de l’hormone.

Le phénotype biologique est invariable, associant une élévation des formes libres des HT et un taux normal ou élevé de la TSH.

La présentation clinique est plus variable, classiquement celle de l’euthyroïdie mais des signes plus ou moins intenses d’hypo- ou d’hyperthyroïdie sont possibles.

Le goitre est habituel.

Les anomalies du gène TRb responsable de la RHT sont transmises sur un mode autosomique dominant.

Elles affectent le domaine charnière ou le domaine de liaison de la T3 et s’accompagnent ainsi d’une diminution de l’affinité pour l’hormone.

Le domaine de liaison à l’ADN est conservé, permettant au récepteur TRb muté de lier l’ADN et d’entrer en compétition avec les isoformes fonctionnelles (mécanisme de dominance négative).

F – ACTIONS EXTRANUCLÉAIRES DES HORMONES THYROÏDIENNES :

L’action des HT ne se limite pas au contrôle de l’expression de gènes cibles dans le noyau.

L’activité de contrôle transcriptionnel s’exerce aussi dans la mitochondrie.

Dans cet organite, un récepteur thyroïdien spécifique de 43 kDa (protéine p43), codé par le gène TRa, serait l’isoforme prédominante.

Tronquée du domaine A/B N-terminal, cette protéine reste capable de lier des TRE dans le génome mitochondrial et induit alors l’expression de protéines mitochondriales spécifiques impliquées dans les réactions enzymatiques énergétiques de la mitochondrie.

Il existe également des actions non génomiques : les HT (T3 mais aussi T4 et leurs dérivés) exercent directement une action sur des protéines (enzymes, canaux ioniques…) situées dans de multiples compartiments intracellulaires (membrane cytoplasmique, cytosquelette, réticulum endoplasmique, mitochondrie, cytosol).

Il s’agit par exemple des actions des HT sur la M2-pyruvate-kinase ou sur l’actine (induction d’une contractilité des fibres du squelette favorisant par exemple l’internalisation de protéines membranaires comme la 5’-désiodase de type II).

Les actions membranaires des HT pourraient être relayées par un récepteur membranaire, dont on pense qu’il pourrait appartenir à la superfamille des récepteurs à sept domaines transmembranaires couplés aux protéines G.

G – CATABOLISME DES HORMONES THYROÏDIENNES :

La désiodation de la T4 ne représente qu’une étape particulière du processus plus général du catabolisme des HT.

Elle assure 80 % de la dégradation de la T4, les autres voies étant représentées par la glucuronoconjugaison, la sulfoconjugaison, la décarboxylation, la désamination, et le clivage du pont éther entre les deux anneaux.

De ces multiples voies résultent de multiples métabolites dont certains conservent une activité biologique modérée mais certaine.

Ces activités semblent surtout extragénomiques mais certains métabolites conservent même une partie de l’activité de contrôle transcriptionnel de la T3.

De la désamination, par exemple, est issu l’acide tri-iodo-thyroacétique (TRIAC).

Sa concentration physiologique dans le sang permet d’exclure une véritable action en condition normale mais il est utilisé, du fait de son action prédominante sur les isoformes TRb, dans le traitement des patients atteints de résistance aux HT.

Contrôle de la fonction thyroïdienne :

A – « THYROID STIMULATING HORMONE » ET CONTRÔLE HYPOTHALAMOHYPOPHYSAIRE :

L’axe thyréotrope est contrôlé à de multiples niveaux.

La sécrétion des HT par la glande thyroïde est principalement sous le contrôle de la TSH hypophysaire qui stimule spécifiquement la prolifération des cellules folliculaires, l’expression de plusieurs des acteurs de la biosynthèse hormonale et la libération des HT dans le sang.

Comme la FSH, la LH et l’human chorionic gonadotrophin (hCG), la TSH correspond à l’assemblage non covalent de deux sous-unités, a et b, dont la première est commune à toutes ces hormones glycoprotéiques.

Le gène de la sous-unité a est localisé sur le bras court du chromosome 6 tandis que la sous-unité b est produite à partir d’un gène situé sur le bras court du chromosome 1.

Les séquences régulatrices de ces deux gènes possèdent des sites de reconnaissance pour les TR (des TRE) qui expliquent l’effet répresseur des HT sur leur expression (rétrocontrôle exercé par les HT sur la sécrétion hypophysaire de TSH).

Indépendamment de ce rétrocontrôle, la sécrétion de la TSH suit un rythme circadien avec un pic de concentration nocturne qui est cependant sans influence sur la thyroïde puisque la sécrétion des HT ne varie pas au cours de la journée.

Des anomalies héréditaires du gène de la sous-unité b ont été rapportées, responsables, chez les patients, d’une hypothyroïdie centrale avec production d’une TSH biologiquement inactive.

Les actions de la TSH sur les cellules thyroïdiennes passent par un récepteur membranaire spécifique qui appartient à la superfamille des récepteurs à sept domaines transmembranaires couplés aux protéines G.

Ce couplage permet la transduction du signal d’activation de la TSH grâce à un relais avec des effecteurs enzymatiques (adénylcyclase, phospholipase C) qui produisent les seconds messagers intracellulaires comme l’AMPc ou le phosphatidylinositol.

Dans la maladie de Basedow, des autoanticorps dirigés contre le récepteur de la TSH, sont capables de l’activer et induisent une hypertrophie et un fonctionnement exagéré de la thyroïde.

Le gène du récepteur de la TSH est localisé sur le chromosome 14.

Des mutations activatrices de ce gène (mutations « gain de fonction ») sont responsables de l’apparition d’adénomes thyroïdiens autonomes hyperfonctionnels lorsqu’elles surviennent de façon somatique. Germinales, elles entraînent une hyperthyroïdie congénitale de transmission autosomique dominante.

À l’inverse, des mutations inactivatrices (mutations « perte de fonction ») germinales sont responsables d’une résistance familiale à l’action de la TSH qui se manifeste habituellement par des taux élevés de TSH sans hypohormonémie thyroïdienne ni hypométabolisme.

Le rétrocontrôle négatif exercé par les HT sur la sécrétion de la TSH est contrebalancé par l’action stimulante de la thyrotropin-releasing hormone (TRH) hypothalamique.

Ce tripeptide (pyro-Glu-His-Proamide) est produit dans les neurones des noyaux paraventriculaire, périventriculaire, arqué dorsomédian et mamillaire ainsi que dans l’aire préoptique, la région périformicale et l’hypothalamus basolatéral, par clivage enzymatique à partir d’un précurseur protéique de poids moléculaire élevé, la prépro-TRH.

La TRH est alors stockée dans des vésicules des terminaisons axonales des neurones hypothalamiques et sa libération est sous la dépendance de multiples afférences neuronales d’origine hypothalamique et extrahypothalamique.

Ces connexions neuronales expliquent au moins partiellement les variations de sécrétion de la TRH en fonction des conditions environnementales : stimulation lors de l’exposition au froid ou au cours de la lactation, inhibition lors de l’exposition au stress (rôle associé des glucocorticoïdes) ou dans les états de dénutrition.

Les HT contrôlent l’expression du gène de la prépro-TRH et, de façon plus controversée, la sécrétion de la TRH.

Elles modifient également les capacités de dégradation plasmatiques de la TRH ainsi que l’expression de son récepteur dans les cellules thyréotropes hypophysaires qui sécrètent la TSH.

La TRH agit en effet par l’intermédiaire d’un (ou deux) récepteurs spécifiques, appartenant, comme le récepteur de la TSH, à la famille des récepteurs à sept domaines transmembranaires.

Une anomalie congénitale du gène d’un des récepteurs de la TRH a été mis en évidence chez un patient avec une hypothyroïdie centrale, responsable d’un retard de croissance et de maturation osseuse.

Chez ce patient, l’anomalie était transmise sur un mode autosomique récessif.

B – RÔLE DE L’IODURE :

L’impératif de sécréter des quantités similaires d’HT quel que soit l’apport exogène en iode sous-entend que l’ion iodure contrôle la production thyroïdienne.

Cette activité de contrôle explique au moins partiellement les effets thyroïdiens néfastes des médicaments riches en iode.

Cette action se fait à plusieurs niveaux dans la cellules thyroïdienne :

– inhibition de la transduction du signal d’activation médié par le récepteur de la TSH (diminution consécutive de la sensibilité à l’action de la TSH) ;

– inhibition de l’oxydation de l’iodure et du couplage oxydatif des iodotyrosines en iodothyronines par diminution de la production de l’ion peroxyde H2O2 ; cet effet est appelé effet de Wolff-Chaikoff ;

– inhibition de l’expression du symporteur de l’iodure et du captage de l’iodure ; cet effet, tardif, permet un échappement à l’effet de Wolff-Chaikoff ;

– inhibition de l’endocytose de la thyroglobuline et de la sécrétion des HT ;

– inhibition de la prolifération des cellules thyroïdiennes.

En cas de carence iodée, la fonction thyroïdienne se trouve inversement directement stimulée.

Il existe aussi un effet indirect : la carence iodée marquée et prolongée aboutit à une diminution du taux des HT circulantes qui stimule la production hypophysaire de TSH.

La résultante est l’apparition d’un goitre par stimulation de la prolifération des cellules thyroïdiennes.

C’est l’exemple du goitre endémique que l’on observe dans les régions de carence chronique en iode.

C – AUTRES FACTEURS DE CONTRÔLE DE LA FONCTION THYROÏDIENNE :

Le couple TRH/TSH et l’iodure constituent les deux principaux acteurs de régulation de la fonction thyroïdienne.

D’autres signaux extracellulaires sont toutefois capables de moduler la biologie de la cellule thyroïdienne.

Il s’agit par exemple de multiples neurotransmetteurs qui sont émis par les terminaisons axonales des nerfs du système neurovégétatif destinés à la thyroïde.

Ces neurotransmetteurs sont multiples et varient selon les conditions expérimentales et notamment l’espèce animale étudiée.

Chez l’homme, il s’agit surtout de signaux activateurs comme les prostaglandines de type E, la noradrénaline, le vaso-intestinal peptide (VIP), le facteur natriurétique atrial (ou ANP), ou encore l’acétylcholine.

Les autres signaux extracellulaires sont des facteurs de croissance et des cytokines.

Le fibroblast growth factor (FGF), l’insuline et l’IGF-1 stimulent globalement la fonction thyroïdienne alors que le tumor growth factor (TGF) bêta l’inhibe.

Les cytokines comme le tumor necrosis factor (TNF) alpha, le TNFbêta, l’interféron et l’interleukine 1, sont plutôt inhibitrices.

Cette activité répressive explique au moins partiellement les effets indésirables thyroïdiens rencontrés au cours de l’utilisation thérapeutique des interférons.

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