Stratégie antibiotique probabiliste au cours des infections respiratoires basses de l’adulte (immunodéprimé exclu)

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Introduction :

L’antibiothérapie au cours d’une infection respiratoire est d’une relative simplicité si le micro-organisme responsable est identifié et l’antibiogramme connu.

Stratégie antibiotique probabiliste au cours des infections respiratoires basses de l’adulte (immunodéprimé exclu)Le choix du produit, parmi les familles d’antibiotiques actifs in vitro, dépend des contre-indications éventuelles liées au malade et d’une évaluation globale de l’acceptabilité de la molécule.

La conduite de l’antibiothérapie est plus difficile en l’absence d’un diagnostic bactériologique, soit parce que l’agent infectant n’a pas été isolé, soit parce qu’il n’a pu être recherché.

L’absence d’une méthode d’identification microbiologique des infections respiratoires simple, rapide, sensible, spécifique, non invasive et peu onéreuse, rend cette éventualité fréquente en milieu extrahospitalier.

En effet, en pratique, seul un prélèvement obtenu en court-circuitant la flore commensale des voies aériennes supérieures est d’une bonne fiabilité : ponction transtrachéale, brossage protégé sous fibroscopie, ponction transthoracique.

Ces méthodes invasives sont cependant à réserver aux pneumopathies infectieuses ayant un potentiel de sévérité (pneumonies communautaires graves, pneumonies nosocomiales, infections opportunistes du poumon).

L’examen bactériologique du crachat, techniquement simple, est grevé d’un pourcentage de faux positifs et de faux négatifs trop élevé en routine.

Quant aux autres méthodes, elles ne sont rentables que dans des situations cliniques particulières (hémocultures au cours des pneumonies bactériémiques, prélèvement direct au sein d’un foyer septique extrapulmonaire), ou bien elles sont inconstantes, tardives ou trop onéreuses (méthodes immunoenzymatiques, sérodiagnostic, techniques de biologie moléculaire).

L’orientation empirique du traitement antibiotique se fonde sur deux sources d’informations : des données épidémiologiques et séméiologiques et un ensemble de critères portant sur l’acceptabilité des antibiotiques.

La confrontation de l’ensemble de ces données est à la base d’une stratégie de probabilité du meilleur choix de l’antibiotique (traitement probabiliste).

Des consensus, des recommandations sur les modalités de cette stratégie ont été publiés dans plusieurs pays (et en France) au cours de ces dernières années, émanant de sociétés scientifiques internationales et nationales et d’organismes divers (Agence du médicament, Caisse nationale d’assurance maladie).

Bases du traitement empirique :

A – DONNÉES ÉPIDÉMIOLOGIQUES :

1- Au cours de la bronchite aiguë :

L’étiologie virale est largement prédominante, dans 50 à 90 % des cas.

Les agents sont nombreux (environ 200 virus), principalement Myxovirus influenzae et Adénovirus chez l’adulte, virus syncytial et para-influenzae chez l’enfant.

La prévalence de Mycoplasma pneumoniae varie considérablement d’une étude à l’autre, de 6 à 59%.

Dans une population d’étudiants et de recrues militaires, 5 à 10% des bronchites aiguës sont attribuées à Mycoplasma pneumoniae, Chlamydia pneumoniae serait en cause dans 5 à 10% des cas.

La prévalence des infections à Legionella est inconnue (des signes de bronchite aiguë sont présents dans la fièvre de Pontiac). Un petit nombre de cas sont attribués à Bordetella pertussis.

Une colonisation et une surinfection bactérienne s’observent dans les formes traînantes, en particulier dans le contexte d’un tabagisme et de facteurs de comorbidité : les principaux micro-organismes sont Haemophilus influenzae, Streptococcus pneumoniae et Moraxella catarrhalis.

2- Au cours de la bronchite chronique :

La fréquence des infections virales est diversement évaluée ; elles seraient responsables de 25 à 50 % des exacerbations ; 40% d’entre elles ne s’accompagneraient pas d’une exacerbation clinique.

Il est bien établi qu’elles favorisent une colonisation bactérienne secondaire.

L’isolement des bactéries à concentration infectante dans les sécrétions bronchiques au cours d’une exacerbation a été établi de longue date. May retrouvait, il y a un peu plus d’une quarantaine d’années, la présence dans un cas sur deux d’Haemophilus influenzae et/ou de Streptococcus pneumoniae.

Plusieurs études par la suite ont confirmé ces données, objectivant une relative prédominance d’Haemophilus influenzae, l’association fréquente des deux germes chez un même malade, et la présence avec une moindre fréquence de Moraxella catarrhalis.

Dans une étude portant sur des patients plus graves, en décompensation aiguë d’une insuffisance respiratoire chronique obstructive, Fagon et al ont isolé dans des prélèvements obtenus par brossage protégé des micro-organismes infectants dans 50 % des cas : Haemophilus influenzae et Streptococcus pneumoniae respectivement dans 14 à 16 % ; mais aussi Haemophilus para-influenzae dans 25 %, une entérobactérie ou un Pseudomonas dans 18 %, témoignant du caractère opportuniste de la colonisation/infection sur des bronches pathologiques.

Dans un travail comparant des patients en exacerbation et en état stable, des auteurs espagnols ont retrouvé une proportion habituelle de bactéries infectantes (Haemophilus influenzae et Streptococcus pneumoniae) dans 50 % des cas chez des patients en exacerbation ; mais les mêmes germes étaient retrouvés aux mêmes concentrations chez 25 % des patients en état stable.

Haemophilus influenzae, Streptococcus pneumoniae et Moraxella catarrhalis sont du reste des commensaux parfois isolés dans les voies respiratoires de sujets normaux. Mycoplasma pneumoniae serait en cause dans 1 à 9,5 % des cas, et Chlamydia pneumoniae dans 4 à 5%.

3- Au cours des bronchectasies :

Les micro-organismes le plus souvent isolés, en dehors de la mucoviscidose, sont Haemophilus influenzae (85 %), Streptococcus pneumoniae (35 %) et Staphylococcus aureus (5 %).

D’après une enquête nationale française, la population bactérienne endobronchique est proche de celle rencontrée au cours de la mucoviscidose : Haemophilus influenzae et para-influenzae (34 %), Staphylococcus aureus (14 %), Streptococcus pneumoniae (25 %), Pseudomonas aeruginosa (23 %).

La mise en évidence de la présence ou non de Pseudomonas aeruginosa dans l’expectoration est essentielle pour le pronostic et la prise en charge thérapeutique.

La présence d’anaérobies, difficiles à isoler, varie de 0 à 17%.

4- Au cours des pneumonies communautaires :

Les données de la littérature concordent sur les points suivants : les principaux micro-organismes responsables sont en nombre limité.

Streptococcus pneumoniae, Haemophilus influenzae, Mycoplasma pneumoniae, Chlamydia pneumoniae, Legionella pneumophila et les virus influenzae sont isolés dans environ 90 % des cas confirmés par un diagnostic microbiologique.

Les bactéries à Gram négatif de type entérobactéries ou Pseudomonas, et Staphylococcus aureus, agents les plus fréquents des pneumonies nosocomiales, sont isolés dans moins de 10 % des cas et sont en règle associés à des facteurs de comorbidité ; malgré des investigations microbiologiques exhaustives, aucun agent pathogène n’est isolé dans 40 à 50 % des cas.

Les données de la littérature sont plus discordantes quant à la prévalence de ces germes.

Ces discordances tiennent à l’hétérogénéité des populations étudiées, aux méthodes diagnostiques employées, à des variations climatiques et géographiques, à la survenue d’épidémies.

Les plus grandes disparités s’observent entre les études (les plus nombreuses) portant sur des patients hospitalisés et des patients traités en ambulatoire.

Sur dix études prospectives récentes, une seule a été réalisée en milieu extrahospitalier.

Toutes les études hospitalières concordent pour individualiser Streptococcus pneumoniae comme le premier agent responsable (dans environ la moitié des cas bactériologiquement confirmés et le tiers de l’ensemble des cas).

Une méta-analyse récente portant sur 7 000 patients pour lesquels le pathogène était documenté montrait que Streptococcus pneumoniae était en cause dans deux tiers des cas et deux tiers des décès.

Streptococcus pneumoniae est plus souvent individualisé dans les séries anglaises et scandinaves où le diagnostic d’infection pulmonaire à pneumocoque est porté aussi bien sur des données microbiologiques qu’immunoenzymatiques portant sur le sérum et même sur l’expectoration.

Legionella pneumophila est au second rang des agents responsables de formes graves hospitalisées en unité de soins intensifs, surtout dans les pays du Bassin méditerranéen ; parmi l’ensemble des malades, la prévalence excède rarement 5 %. Haemophilus influenzae, souvent au second rang, est présumé surestimé compte tenu de la colonisation fréquente des voies respiratoires basses par ce germe, notamment chez les fumeurs, contrastant avec un isolement exceptionnel en hémoculture.

La prévalence de Mycoplasma pneumoniae et Chlamydia pneumoniae est notablement plus élevée dans les séries extrahospitalières.

Dans certaines publications, ils se situent au premier rang avant Streptococcus pneumoniae.

Ces agents sont plus souvent responsables de pneumonies atypiques bénignes ou de gravité moyenne des sujets jeunes, quoique des formes graves et du sujet âgé puissent être observées.

Bon nombre de pneumonies communautaires non bactériologiquement confirmées pourraient être en relation, soit avec une infection à pneumocoque « décapitée » par une antibiothérapie préalable, soit avec un agent des pneumonies atypiques dont l’identification sérologique parfois tardive est inconstamment faite.

Les données épidémiologiques sont modifiées par le terrain.

Dans les populations de patients âgés de plus de 60 ans et surtout de plus de 75 ans, la prévalence des infections à Staphylococcus aureus et à bacilles à Gram négatif (entérobactéries) est plus élevée, principalement s’il s’agit de patients institutionnalisés et/ou atteints de maladies chroniques ; mais il n’y a pas de différence significative dans certaines séries, anglo-saxonnes en particulier, portant sur des patients âgés en bonne santé apparente.

La prévalence de quelques germes est plus élevée dans certains contextes : Streptococcus pneumoniae, Haemophilus influenzae et Staphylococcus aureus au cours des pneumonies postgrippales ; Streptococcus pneumoniae, Klebsiella pneumoniae (et autres entérobactéries), Staphylococcus aureus en cas d’alcoolisme ou de diabète ; Staphylococcus aureus et Pseudomonas sp. chez les bronchectasiques.

Au cours des pneumonies compliquant une bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO), les quatre principaux micro-organismes isolés sont Haemophilus influenzae, Streptococcus pneumoniae, Legionella pneumophila et Chlamydia pneumoniae.

Quelques études récentes ont attiré l’attention sur la prévalence de Chlamydia pneumoniae au cours des pneumonies des BPCO.

La prévalence des germes anaérobies est inconnue en raison des difficultés d’isolement : elle va de 0 à 33% selon les études.

Certaines pneumopathies non bactériologiquement confirmées pourraient être dues à des infections à anaérobies.

L’éventualité de pneumonies mixtes n’est pas exceptionnelle, pouvant atteindre jusqu’à 38 %, qu’il s’agisse d’infections virobactériennes ou d’une association de deux bactéries ; tous les cas de figures sont possibles, l’un des deux microorganismes étant souvent Streptococcus pneumoniae.

5- Au cours des pneumonies nosocomiales :

Les données épidémiologiques sont difficiles à analyser (s’agissant particulièrement de patients ventilés) en raison de l’absence de spécificité des signes radiocliniques (il y aurait entre 10 et 50 % de faux diagnostics de pneumonie) et des aléas du diagnostic microbiologique : la flore microbienne isolée par un prélèvement endobronchique peut être colonisante et polymicrobienne ; de sorte qu’il est difficile de déterminer parmi les micro-organismes individualisés le ou les agents responsables de la pneumopathie.

Des critères microbiologiques très stricts ont été proposés lors de conférences de consensus en France et aux États-Unis, privilégiant deux méthodes diagnostiques invasives de référence : le prélèvement par brossage avec la présence d’au moins 103 CFU (colony forming unit)/mL et un examen direct après coloration de Gram concordant ; le lavage bronchoalvéolaire avec une concentration bactérienne d’au moins 104 CFU/mL et la présence de plus de 5 % de cellules hébergeant des micro-organismes intracellulaires ou un examen direct après coloration de Gram concordant.

Ces critères sont controversés.

Des études plus récentes tendraient à réhabiliter l’aspiration endotrachéale non protégée, d’une sensibilité supérieure et de spécificité proche, sous réserve d’une culture quantitative objectivant plus de 106 CFU/mL.

Les principaux micro-organismes responsables sont des bacilles à Gram négatif (BGN) et des staphylocoques (Staphylococcus aureus et Staphylococcus epidermidis).

Parmi les bacilles à Gram négatif, Pseudomonas sp. occupe une place prédominante, Acinetobacter sp. a une prévalence croissante tandis que l’incidence des bactéries appartenant au groupe KES (Klebsiella pneumoniae, Escherichia coli, Serratia marcescens) tend à décroître.

Les agents fongiques ont une place croissante (Candida sp., Aspergillus sp.).

Le rôle des anaérobies est certainement sousévalué .

Les légionelles, rarement en cause, peuvent être responsables d’épidémies favorisées par les dispositifs de climatisation.

Les épidémies d’infections virales ne sont pas exceptionnelles.

Environ 30 à 40 % des pneumonies nosocomiales sont plurimicrobiennes.

D’une manière générale, il faut distinguer les pneumonies nosocomiales précoces et tardives.

Au cours des pneumonies nosocomiales précoces (avant le cinquième jour d’hospitalisation), les germes sont habituellement sensibles et proviennent du milieu extrahospitalier : Streptococcus pneumoniae, Haemophilus influenzae, Staphylococcus aureus méti-S, Escherichia coli.

Au cours des pneumonies nosocomiales tardives (après le cinquième jour d’hospitalisation), les germes sont en général multirésistants, sélectionnés à l’hôpital : Pseudomonas sp., Acinetobacter sp., Staphylococcus méti-R, entérobactéries du groupe KES.

Le risque de développer une pneumonie à ces germes est d’autant plus grand que le patient est ventilé mécaniquement et que la ventilation est prolongée (le risque passe de 6,5 % à 10 jours de ventilation à 30 % après 30 jours).

6- Au cours des pneumonies d’aspiration :

Des germes anaérobies sont présents dans 90 % des cas : Prevotella sp., Porphyromonas sp., Bacteroides sp., Fusobacterium sp., Phytostreptococcus sp.

Parmi les germes aérobies, les bacilles à Gram négatif sont prédominants et parmi les pathogènes à Gram positif, Staphylococcus sp. et Streptococcus pneumoniae.

B – DONNÉES CLINIQUES :

L’histoire clinique, le terrain, les données de l’examen peuvent-ils apporter une orientation vers une étiologie microbienne ?

Peut-on, sur le seul constat radioclinique, cibler l’antibiothérapie ?

D’autre part, y a-t-il des critères pragmatiques permettant de décider la conduite du traitement au domicile ou à l’hôpital ?

1- Au cours d’une bronchite aiguë :

Les seuls arguments en faveur d’une origine bactérienne sont l’existence d’un foyer microbien chronique des voies respiratoires hautes ayant pu, par contamination, infecter les voies basses et/ou des signes de suppuration bronchique d’évolution traînante.

2- Au cours d’une exacerbation de bronchite chronique :

Il est tout aussi difficile de faire la part entre une origine virale et une infection bactérienne.

Par convention, on admet que la triade symptomatique associant une augmentation du volume de l’expectoration et de la dyspnée et une purulence des crachats est prédictive d’une origine bactérienne, en se référant à une étude d’Anthonisen et al.

Ces auteurs ont démontré un bénéfice significatif d’un antibiotique versus un placebo lorsque ces trois symptômes (type 1) étaient réunis au cours d’une exacerbation.

Toutefois, le bénéfice de l’antibiotique n’était que de 24 % supérieur au placebo, aucun des symptômes n’étant en soi significatif d’une infection bactérienne.

Cette étude n’a jamais été confirmée par un deuxième protocole prospectif.

La confirmation du diagnostic microbiologique en routine extrahospitalière demeure aléatoire en raison de la fréquence de faux positifs et de faux négatifs nombreux à l’analyse cytobactériologique de l’expectoration.

On admet, à l’examen du crachat après coloration de Gram (grossissement x 1 000), que la présence par champ microscopique de plus de huit Streptococcus pneumoniae, 12 Haemophilus influenzae et 18 Moraxella catarrhalis est en faveur de la nature infectante de ces micro-organismes.

Ces derniers sont considérés comme pathogènes lorsqu’en culture bactériologique quantitative, la CFU est égale ou supérieure à 107/mL.

3- Au cours d’une pneumonie communautaire :

On a tenté d’individualiser des tableaux radiocliniques relativement prédictifs d’un micro-organisme : la pneumonie franche avec un foyer de condensation alvéolaire (d’origine pneumococcique ?) ; la pneumonie atypique, interstitielle localisée (d’origine virale, à Mycoplasma pneumoniae ou Chlamydia pneumoniae ?) ; la bronchopneumonie à foyers multiples survenant souvent sur un terrain déficient (à Staphylococcus aureus ou à bacille à Gram négatif ?) ; et des formes cliniques composites avec troubles digestifs et neuropsychiques (évoquant une infection à Legionella pneumophila ?).

Plusieurs études ont démontré l’absence de spécificité de ces tableaux radiocliniques pour l’orientation du choix du traitement antibiotique.

En pratique toutefois, la fréquence relative des pneumonies à pneumocoque au cours des syndromes alvéolaires aigus infectieux et le risque évolutif quelquefois fulminant en l’absence d’un traitement rapidement efficace justifient de cibler Streptococcus pneumoniae en priorité (ou entre autres germes) dans ce contexte.

À l’inverse, dans les formes bénignes du sujet jeune, les données épidémiologiques et la présence de signes de pneumopathie atypique orientent plutôt vers le traitement en première intention de Mycoplasma pneumoniae et Chlamydia pneumoniae.

De nombreuses études ont porté sur l’évaluation de la gravité symptomatique des pneumonies communautaires.

La plupart d’entre elles portent sur des critères pronostiques après une hospitalisation du malade (mortalité, opportunité d’un transfert en unité de soins intensifs) plutôt que sur les éléments de décision en faveur d’un traitement antibiotique au domicile ou à l’hôpital.

D’une manière générale, la plupart des études recensent : un âge supérieur à 65 ans ; des signes de gravité symptomatiques (principalement respiratoire, cardiovasculaire, neurologique et/ou à type de choc septique) ; une diffusion extralobaire et/ou extrathoracique des lésions de pneumonie ; des désordres biologiques portant en particulier sur les cellules sanguines et sur la fonction des émonctoires, enfin des facteurs de comorbidité (alcoolisme, dénutrition avec hypoalbuminémie et maladie chronique associée).

Ces facteurs sont hiérarchisés et pris en compte pour la définition des pneumonies graves impliquant en règle un élargissement de spectre du traitement probabiliste. Parmi ces index, le plus utilisé a été mis au point par Fine et al ; toutefois, cet index pronostique n’est pas applicable au domicile.

Récemment, cet auteur et son groupe ont proposé un algorithme et une stratification distinguant des patients à faible risque justifiant un traitement au domicile et des patients à haut risque.

Cet index permet d’évaluer la proportion de patients indûment hospitalisés.

Sur la base d’une incidence croissante de complications à partir de différents facteurs de risques et de leur association, ces auteurs ont établi des scores : les patients sont répartis en cinq classes.

La classe I désigne des patients de moins de 50 ans sans facteur de gravité et sans signe de comorbidité.

Les autres classes sont définies selon le score, sur la base d’une enquête portant sur 38 000 patients hospitalisés et un peu plus de 2 000 patients externes.

Les patients des classes I et II ne justifient pas une hospitalisation, les patients de classe III une hospitalisation de jour ou de courte durée.

Cet index a des limites et suggère quelques réserves.

Il n’a pas été évalué prospectivement par des médecins généralistes auprès de patients traités au domicile ; certains facteurs de comorbidité, tels que l’insuffisance respiratoire chronique, élément majeur de gravité, n’ont pas été pris en compte ; il n’est pas applicable en routine dans la mesure où l’évaluation des classes II à V suppose la réalisation d’examens complémentaires qui sont faits exceptionnellement chez des patients traités au domicile.

D’une manière générale, au lit du malade, hors du milieu hospitalier, en l’absence de tout examen paraclinique, l’expérience et le bon sens permettent une approche relativement satisfaisante de la gravité pronostique : un âge avancé, une mauvaise tolérance symptomatique de l’infection, une insuffisance viscérale associée, sont autant de facteurs relativement faciles à appréhender.

Quant à l’indication de l’hospitalisation, elle doit mettre en balance les bénéfices d’une prise en charge continue avec le support d’examens paracliniques, et le risque nosocomial, en particulier chez la personne âgée.

4- Au cours d’une pneumonie nosocomiale :

Le tableau radioclinique, dont on sait qu’il est peu spécifique en faveur de la pneumonie, l’est encore moins en faveur d’un microorganisme particulier, en présence d’opacités pulmonaires hétérogènes souvent multiples de type bronchopneumonique.

L’environnement microbien hospitalier et de l’unité de soins intensifs où le malade est traité, l’existence d’une maladie chronique favorisant un tropisme microbien particulier, une connaissance de la flore de colonisation du malade, des antibiothérapies déjà administrées (en tenant compte des lacunes du spectre) sont les meilleurs indices à prendre en compte.

C – DONNÉES MICROBIOLOGIQUES :

Un examen microbiologique fiable et un antibiogramme ne sont pas toujours disponibles dans le cas d’un malade hospitalisé et le sont exceptionnellement lors d’un traitement à domicile.

C’est pourquoi un recueil épidémiologique sur l’évaluation des résistances microbiennes est fondamental dans la perspective d’un traitement probabiliste.

On a assisté ces dernières années à une progression de la résistance aux antibiotiques des principaux germes responsables des infections respiratoires communautaires, en particulier Streptococcus pneumoniae.

D’après les données du registre national des pneumocoques pour 1997, le pourcentage des souches résistantes, tous prélèvements confondus, était de 34,4 % pour les tétracyclines, 53,1 % pour l’érythromycine, 22,6 % pour le chloramphénicol, 37 % pour le cotrimoxazole et 48 % pour la pénicilline G, sans disparités régionales majeures.

Le pourcentage de souches ayant une concentration minimale inhibitrice (CMI) pour la pénicilline G égale ou supérieure à 2 mg/L était de 58,5 %.

Toute la classe des bêtalactamines est concernée, certaines molécules se révélant toutefois plus actives que la pénicilline G (imipenem, cefpirome, céfotaxime, ceftriaxone, amoxicilline).

Soixante-quinze pour cent des souches étaient résistantes au moins à trois antibiotiques.

Parmi les souches isolées en hémoculture au cours des pneumonies, la résistance était élevée mais à un niveau moindre : 22,8 % pour les tétracyclines, 31,7 % pour l’érythromycine, 10,1 % pour le chloramphénicol, 26,2 % pour le cotrimoxazole, 31,5 % pour la pénicilline G.

D’après les données du registre national des Haemophilus influenzae pour 1997, le pourcentage de souches résistantes, tous prélèvements confondus, était de 35 % de souches résistantes bêtalactamases + et 3 % bêtalactamases –, 9,9 % des souches étaient résistantes aux tétracyclines, 14 % au cotrimoxazole, 1,8 % au chloramphénicol.

Les pourcentages étaient globalement superposables parmi les souches isolées des sécrétions bronchiques avec 38 % des Haemophilus influenzae sécréteurs de bêtalactamases.

Environ 90 % des souches de Moraxella catarrhalis sont productrices de bêtalactamases.

En revanche, moins de 5 % sont résistantes aux céphalosporines.

Les macrolides, les tétracyclines et le chloramphénicol sont uniformément actifs.

Ces résultats publiés aux États-Unis sont superposables en France.

Les pathogènes « atypiques » (Mycoplasma pneumoniae, Chlamydia pneumoniae, Chlamydia psittaci) demeurent sensibles aux macrolides, tétracyclines et fluoroquinolones.

Il n’a pas été décrit de résistances.

Il n’a pas été décrit non plus de résistances aux antibiotiques de Legionella pneumophila.

La France est, parmi les pays européens, un des plus concernés par les bactéries multirésistantes aux antibiotiques en milieu hospitalier.

D’après l’étude de prévalence EPIIC, effectuée dans les services de réanimation, 78 % des Staphylococcus aureus étaient résistants à la méticilline (SARM), 58 % des Pseudomonas aeruginosa étaient résistants à la ticarcilline, et 34 % à la ceftazidime.

Plus récemment, on estimait que 20 % des Klebsiella pneumoniae étaient producteurs de bêtalactamases à spectre étendu, avec passage de la résistance à d’autres entérobactéries et aux Acinetobacter.

Des cas de Pseudomonas résistants à tous les antibiotiques ne sont pas exceptionnels.

Le risque d’infection par une souche de Staphylococcus aureus vancomycine résistante est devenu plausible.

D – DONNÉES ANTIBIOLOGIQUES :

Le traitement antibiotique probabiliste doit prendre en compte plusieurs critères : la biodisponibilité bronchique et/ou pulmonaire, le risque toxique et immunoallergique, les conséquences écologiques et le coût.

1- Biodisponibilité :

La concentration d’un antibiotique au foyer infectieux est un élément fondamental de la pharmacocinétique et l’un des plus sûrs facteurs prédictifs de l’efficacité thérapeutique sur une souche sensible.

Les bêtalactamines et les aminoglycosides ont des concentrations tissulaires plus basses que la concentration sérique et ne pénètrent pas dans les cellules mais l’équilibre qui s’établit entre le secteur vasculaire et l’interstitium est tel que des concentrations thérapeutiques sont obtenues dans l’alvéole, la muqueuse et les sécrétions bronchiques.

Toutefois, en cas de suppuration bronchique sévère, en particulier au cours des bronchectasies infectées par des souches mucoïdes de Pseudomonas, les concentrations antibiotiques au site de l’infection peuvent être insuffisantes justifiant la voie locale, en particulier pour les aminoglycosides.

Les macrolides ont un large volume de distribution dans les bronches et les poumons avec des concentrations intracellulaires très élevées qui en font une antibiothérapie d’élection des infections à germes intracellulaires (Legionella pneumophila, Mycoplasma pneumoniae, Chlamydia pneumoniae, Chlamydia psittaci).

La molécule à cet égard la plus significative est l’azithromycine, un dérivé de l’érythromycine, dont le rapport de la concentration pulmonaire à la concentration sérique après une dose orale unique de 500 mg est de l’ordre de 100.

Une telle concentration et une libération lente de la drogue font envisager pour la première fois dans le traitement des infections à pathogènes intracellulaires un traitement raccourci.

En revanche, les concentrations sériques faibles du produit limitent son indication en cas d’infection bactériémique (pneumococcie).

Les fluoroquinolones diffusent rapidement dans les tissus, l’interstitium et à l’intérieur des cellules où la concentration dépasse la concentration sérique. Des travaux expérimentaux ont démontré une bonne corrélation entre la concentration dans les tissus et l’efficacité clinique.

Mieux que la CMI qui est un paramètre de bactériostase mesuré in vitro, l’évaluation des différentes fluoroquinolones disponibles pour le traitement des infections respiratoires fait appel au rapport AUC (aire sous la courbe de concentration sérique de l’antibiotique) sur CMI.

Les nouvelles fluoroquinolones antipneumococciques sont à cet égard particulièrement performantes.

2- Risques toxiques et immunoallergiques :

À efficacité comparable, la priorité doit être accordée à des molécules à faible potentiel toxique.

C’est pourquoi les phénicolés dont le spectre est relativement bien adapté aux infections respiratoires sont, en raison du risque hématologique, une prescription d’exception dans les pays industrialisés.

Le risque hématologique, dermatologique et rénal, bien que rare chez les patients non sidéens, vient s’ajouter aux lacunes de spectre sur les germes atypiques et aux résistances croissantes de Streptococcus pneumoniae pour marginaliser l’indication du cotrimoxazole au cours des pneumonies communautaires.

Bien que la fréquence des accidents anaphylactiques à la pénicilline ne soit pas plus élevée chez les atopiques, les bêtalactamines doivent être administrées avec prudence sur ce terrain.

Il y a une allergie croisée inconstante avec les carbapenems et les céphalosporines. L’allergie aux céphalosporines s’observe dans environ 10 % des cas d’allergie à la pénicilline.

Il n’y a pas de réaction croisée avec l’aztréonam. Le risque de phototoxicité a considérablement réduit les indications de la sparfloxacine qui était la fluoroquinolone la mieux adaptée par son spectre aux infections respiratoires avant que ne soient disponibles les nouvelles fluoroquinolones antipneumococciques.

Les effets indésirables des fluoroquinolones (neurologiques, hématologiques, sur l’appareil locomoteur), doivent limiter leur utilisation itérative, en particulier chez le bronchopathe chronique.

3- Risques écologiques :

La résistance bactérienne en milieu hospitalier est due principalement à deux mécanismes : la pression de sélection exercée par l’utilisation excessive d’antibiotiques à large spectre et la transmission par manuportage de souches résistantes provenant de patients infectés.

La prise en compte du risque écologique implique un dépistage des patients porteurs dès leur admission ou en cours d’hospitalisation, des mesures d’isolement et une politique d’utilisation rationnelle des antibiotiques à large spectre.

En milieu extrahospitalier, le développement exponentiel de résistances, en particulier de Streptococcus pneumoniae, est la conséquence d’une prescription excessive et inadaptée des antibiotiques, en particulier dans le cadre d’indications à visée respiratoire empirique.

Les infections respiratoires représentent plus des deux tiers des antibiotiques prescrits en France. Dans la presque totalité des rhinopharyngites et dans 80 % des angines, l’antibiothérapie est inopportune car ces infections sont virales.

D’après une enquête du CREDES, les infections respiratoires basses (qui représentent 12 millions de prescriptions annuelles) sont composées pour 92 % de bronchopathies aiguës et pour 8 % de pneumonies.

On sait que dans la majorité des bronchopathies aiguës, d’origine virale, l’antibiothérapie est injustifiée. Une prescription quasi monolithique d’une famille d’antibiotiques à l’échelle d’un pays doit être évitée.

Le traitement par macrolides en France de toutes les infections respiratoires communautaires, d’après une recommandation nationale, a eu pour conséquence un taux record de plus de 50 % de Streptococcus pneumoniae résistant aux macrolides.

En Espagne, Baquero et al ont bien montré les corrélations entre la progression de la résistance du pneumocoque à la pénicilline G et la consommation des aminopénicillines.

Les indications de chacune des principales familles dans le traitement des infections respiratoires (bêtalactamine, macrolide, cycline, fluoroquinolone) sont complémentaires.

La diversification des prescriptions est essentielle.

L’administration des traitements doit se faire à posologie adaptée (20 à 30 % des prescriptions sont sousdosées) sur une durée suffisante mais non excessive.

Le sous-dosage favorise la sélection de variants résistants parmi les bactéries infectantes et/ou de la flore commensale.

Des antibiothérapies répétitives et sous-dosées (principalement par bêtalactamines) au cours des rhinopharyngites de l’enfant sont particulièrement inductrices de résistances sur la flore de portage.

Plusieurs facteurs doivent être pris en compte pour une posologie convenable : adaptation de la dose au poids, nombre suffisant de prises dans les 24 heures, intervalle correct entre les prises, inventaire des interactions médicamenteuses éventuelles diminuant l’absorption.

Coût Les antibioques représentent environ 15 % de la consommation pharmaceutique.

Le traitement de l’ensemble des infections respiratoires absorbe plus de 50 % des dépenses pour ces médicaments.

Dans plus de 50 % des cas, le traitement antibiotique est inopportun.

La première règle de réduction des coûts est de formuler des recommandations claires sur les situations cliniques où l’antibiothérapie n’est pas justifiée, où le médecin peut sans risque pour son patient prescrire un traitement symptomatique.

Dans la majorité des cas, un traitement antibiotique éprouvé et peu onéreux est aussi efficace qu’un traitement innovant, plus coûteux.

C’est le cas pour la plupart des infections bronchiques bénignes.

La réduction des coûts implique une réduction des hospitalisations injustifiées.

Le coût moyen du traitement d’une pneumonie est entre 17 et 51 fois plus élevé à l’hôpital qu’au domicile, sans compter le risque nosocomial vital.

La réduction des coûts est étroitement corrélée à une politique de prévention : par l’observance d’un ensemble de règles d’hygiène de vie chez les patients atteints d’une pathologie respiratoire chronique, par la vaccination (grippale et pneumococcique) ; et en milieu hospitalier, par tout un ensemble de mesures prophylactiques et sur le bon usage des antibiotiques à l’hôpital.

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