Rachitisme

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Physiopathologie du rachitisme carentiel :

Les données essentielles du métabolisme de la vitamine D sont rappelées en fin d’article.

A – Vitamine D : origine et besoins

RachitismeSouvent considéré comme une maladie de la nutrition, le rachitisme carentiel est en fait une maladie socio-géographique.

L’origine naturelle de la vitamine D est en effet essentiellement la synthèse cutanée sous l’effet du rayonnement solaire ; l’apport nutritionnel est négligeable.

Dans les pays septentrionaux comme la France, la synthèse de vitamine D est faible ou nulle pendant la saison froide (fin septembre-début avril), en raison du défaut d’exposition solaire, mais surtout du faible rayonnement ultraviolet lié à l’inclinaison du soleil.

Par contre, à moins que le mode de vie ou les habitudes vestimentaires ne s’y opposent, la synthèse sous l’effet du rayonnement solaire est très active pendant la « belle saison » avec constitution de réserves (stockage graisseux et musculaire de vitamine D, stockage plasmatique sous forme de 25-hydroxyvitamine D (25-OHD) dont le taux plasmatique est près de 1 000 fois supérieur à celui du calcitriol). Les besoins sont évalués à environ 400 UI/j.

B – Particularités du nourrisson :

En l’absence de prévention, le nourrisson est particulièrement exposé à une carence en vitamine D :

– à la naissance les réserves en vitamine D sont dépendantes des réserves maternelles, tout particulièrement au cours du dernier trimestre de la grossesse.

Dans le contexte géographique, climatique et social français, en l’absence de prévention, une majorité de femmes enceintes ont spontanément de faibles réserves en vitamine D (tout particulièrement pendant la saison froide).

Une majorité d’enfants est donc en situation de carence en vitamine D, soit dès la naissance, soit très rapidement au cours des premiers mois ;

– le contenu en vitamine D du lait maternel est très faible et ne permet pas de couvrir les besoins quotidiens du nourrisson ;

– l’exposition au soleil est faible ou nulle pendant les premiers mois.

Par ailleurs, du fait de la très forte vélocité de croissance pendant les 2 premières années (25 cm en moyenne la 1re année, 10 cm la 2e année), les métaphyses des os longs sont le siège d’une prolifération cartilagineuse importante.

L’absence de minéralisation de ce cartilage est à l’origine des signes les plus caractéristiques du rachitisme.

C – Enfants et adolescents :

Un défaut d’exposition solaire peut être à l’origine d’un rachitisme carentiel chez l’enfant et l’adolescent.

Plusieurs facteurs peuvent y contribuer : mode de vie confiné, pigmentation cutanée qui limite les possibilités de synthèse de la vitamine D, maladie chronique empêchant les sorties, alimentation pauvre en calcium, la carence en calcium ayant pour effet d’augmenter les besoins en vitamine D.

S’ajoute à cela, pendant la puberté, l’accélération de la croissance osseuse (pic de croissance pubertaire) avec son corollaire, un accroissement important des besoins en calcium.

D – L’hyperparathyroïdisme secondaire, facteur aggravant des lésions osseuses :

La carence en calcium entraîne une réaction parathyroïdienne qui accentue la déminéralisation via une stimulation de la résorption osseuse.

Cet hyperparathyroïdisme secondaire induit une hypophosphatémie par inhibition de la réabsorption tubulaire des phosphates qui contribue également au défaut de minéralisation osseuse.

Diagnostic du rachitisme carentiel :

A – Forme typique du nourrisson et du jeune enfant :

1- Signes osseux :

  • Cliniques : les 2 signes cliniques majeurs sont les nouures épiphysaires et le chapelet costal.

Les nouures épiphysaires sont des renflements des extrémités des os longs particulièrement visibles et palpables au niveau des poignets et des chevilles.

Elles résultent de l’accumulation d’un tissu cartilagineux non calcifié au niveau des cartilages de croissance.

Le chapelet costal correspond aux renflements cartilagineux des jonctions chondro-osseuses des côtes, palpables et parfois visibles, sur les lignes axillaires antérieures.

La mollesse de la structure osseuse est à l’origine de :

– craniotabès : mollesse anormale du crâne à la pression dans les régions occipitale et pariétale (ce signe n’a toutefois une réelle valeur qu’à partir de l’âge de 3 mois car il existe une mollesse pariéto-occipitale physiologique pendant les 3 premiers mois) ;

– fontanelle antérieure large ou persistante au-delà de 18 mois ;

– déformations osseuses du crâne (plagiocéphalie), des membres (genu varum, plus rarement genu valgum), du thorax.

Le défaut de minéralisation affecte également la dentition : retard d’éruption dentaire, hypoplasie de l’émail dentaire, dents fragiles exposées aux caries précoces.

  • Radiologiques : les signes radiologiques sont parallèles aux signes cliniques ; ils sont diffus et, en cas de suspicion de rachitisme, il est donc inutile de multiplier les radiographies.

L’altération de la minéralisation des os longs s’évalue particulièrement bien sur une radiographie d’un poignet de face ou une radiographie des genoux de face :

– défaut de minéralisation des métaphyses où les lignes métaphysaires convexes, irrégulières, élargies se prolongent latéralement par des becs métaphysaires (dans les formes très évoluées, aspect dit « en toit de pagode ») ;

– points d’ossification épiphysaires retardés ou irréguliers et pâles, écartés des lignes métaphysaires (espaces correspondant à du tissu cartilagineux non calcifié), signe bien visible sur la radiographie des genoux de face (points d’ossification normalement présents dès la naissance) ;

– amincissement des corticales, témoin du défaut de minéralisation au niveau du périoste ;

– densité osseuse diminuée ;

– parfois, fractures spontanées méconnues.

Une radiographie du thorax montre un aspect dit « en bouchon de champagne » des jonctions chondroosseuses correspondant au chapelet costal clinique.

2- Manifestations cliniques d’hypocalcémie :

Elles constituent volontiers un signe révélateur du rachitisme carentiel.

On observe :

– des convulsions surtout ;

– des trémulations et une hyperexcitabilité ;

– des crises de tétanie, exceptionnelles chez le nourrisson, surtout présentes dans les formes du grand enfant et de l’adolescent ;

– un spasme laryngé et une insuffisance cardiaque par cardiomyopathie hypocalcémique qui constituent des complications rares mais graves (mortalité).

3- Signes musculaires :

Le rachitisme carentiel s’accompagne d’une altération fonctionnelle musculaire responsable :

– d’une hypotonie globale qui, au niveau de la sangle abdominale, se traduit fréquemment par un gros ventre avec hernie ombilicale ;

– d’un retard des acquisitions motrices, notamment de la marche ;

– chez le grand enfant et l’adolescent, de douleurs osseuses et d’une fatigabilité à la marche comme dans l’ostéomalacie de l’adulte.

4- Manifestations respiratoires :

L’atteinte de la mécanique ventilatoire (mollesse de la cage thoracique, insuffisance musculaire) favorise les troubles de ventilation et les pneumopathies graves chez le nourrisson.

Ces troubles constituaient une cause indirecte de mortalité du rachitisme carentiel avant l’instauration de la prévention systématique.

5- Signes biologiques :

  • Hypophosphatémie et élévation de l’activité phosphatase alcaline plasmatique sont les signes les plus constants.

L’hypophosphatémie est la conséquence de l’hyperparathyroïdisme secondaire.

La phosphatémie étant plus élevée chez l’enfant que chez l’adulte, son évaluation doit en tenir compte.

L’élévation de l’activité phosphatase alcaline plasmatique est le témoin du défaut de minéralisation osseuse ; elle traduit la perturbation de l’activité ostéoblastique dans le contexte de carences en vitamine D et calcium.

  • Une hypocalcémie est présente dans 50 % des cas environ. On l’observe dans 2 situations très différentes :

– rarement, avec un rachitisme aux lésions cliniques et radiologiques discrètes, chez un jeune nourrisson (souvent avant l’âge de 4 mois).

Dans ce cas, l’hypocalcémie ne s’accompagne pas d’hypophosphatémie (la phosphatémie est le plus souvent normale), ni d’hyperparathyroïdisme secondaire.

Cette forme de rachitisme hypocalcémique à révélation précoce a pour origine un défaut de réaction parathyroïdienne face à la carence en vitamine D.

Elle s’apparente à l’hypocalcémie néonatale tardive où la carence en vitamine D et le défaut de réactivité parathyroïdienne sont les principales composantes idiopathogéniques ;

– le plus souvent, elle accompagne un rachitisme aux signes cliniques et radiologiques patents.

En fonction du niveau de calcémie, il est volontiers fait état dans la littérature de différents stades évolutifs clinicobiologiques du rachitisme carentiel : stade 1 correspondant au rachitisme hypocalcémique précoce, stade 2 avec manifestations cliniques et radiologiques typiques mais sans hypocalcémie, stade 3 avec signes cliniques et radiologiques typiques d’hypocalcémie.

En fait, la notion d’évolutivité entre ces stades n’est qu’hypothétique, et de plus lorsque les signes cliniques et radiologiques typiques sont en place, il n’y a pas de corrélation entre leur intensité et l’existence ou non d’une hypocalcémie.

Il serait donc plus approprié de parler de types 1, 2 et 3 pour différencier ces différentes formes clinico-biologiques.

  • Le rachitisme carentiel s’accompagne de nombreuses autres anomalies biologiques.

Elles ont essentiellement une valeur physiopathologique et leur recherche est inutilement coûteuse, car sans grand intérêt diagnostique lorsque le tableau de rachitisme est typique et qu’il s’accompagne d’une notion de carence en vitamine D :

– taux plasmatique de 25-OHD bas témoignant de la carence en vitamine D ;

– taux plasmatique de parathormone (PTH) élevé témoignant de l’hyperparathyroïdisme secondaire (hormis la forme hypocalcémique précoce) ;

– taux plasmatique de calcitriol bas ; – hypocalciurie en relation avec l’hyperparathyroïdisme secondaire (augmentation de la réabsorption tubulaire du calcium).

Diverses anomalies témoignent d’un trouble fonctionnel tubulaire rénal induit par l’hyperparathyroïdisme et (ou) l’hypocalcémie : hyperaminoacidurie généralisée avec parfois glycosurie modérée, acidose hyperchlorémique avec défaut de réabsorption tubulaire des bicarbonates et parfois hypokaliémie, hyperhydroxyprolinurie, élévation de l’excrétion urinaire d’acide adénosine monophosphorique (AMP) cyclique.

Une anémie hypochrome carentielle est fréquente témoin d’une carence martiale associée à la carence en vitamine D.

Exceptionnellement, peut s’observer un syndrome hématologique de leucémie myéloïde chronique (syndrome de von Jaksch-Hayem-Luzet associant érythroblastose, leucocytose, myélocytose et parfois myéloblastose, moelle hypoplasique, hépatomégalie et splénomégalie).

Ce syndrome dont la pathogénie est obscure régresse avec l’apport de vitamine D.

B – Formes cliniques :

1- Rachitisme carentiel des prématurés :

Les prématurés sont particulièrement exposés à la survenue d’un rachitisme précoce sévère.

En effet, ils ne bénéficient pas des réserves en vitamine D constituées en fin de grossesse, et un grand nombre d’entre eux naissent en situation de carence en vitamine D (taux bas de 25-OHD dans le sang du cordon).

Cette forme clinique qui était responsable d’une forte mortalité par complication pulmonaire, a complètement disparu avec sa prévention systématique par l’administration de vitamine D dès la naissance.

2- Rachitisme néonatal :

Exceptionnellement, un nouveau-né peut présenter dès la naissance des manifestations d’un rachitisme carentiel.

Cela est toujours la conséquence d’une carence maternelle en vitamine D très sévère.

3- Rachitisme du grand enfant et de l’adolescent (rachitisme tardif) :

Le tableau clinique est plus trompeur, proche de l’ostéomalacie de l’adulte, avec crises de tétanie possibles en cas d’hypocalcémie.

Il touche des enfants et des adolescents dont le mode de vie les prive d’exposition solaire (vie recluse, habitudes vestimentaires, maladies chroniques).

Peuvent y contribuer également la pigmentation cutanée, une carence alimentaire en calcium, et certains traitements antiépileptiques qui augmentent les besoins en vitamine D.

C – Diagnostics positif et différentiel :

Le diagnostic positif du rachitisme carentiel repose principalement sur les signes osseux diffus, associés à la notion d’absence d’apport de vitamine D (ou apport douteux), les dosages de calcémie, de phosphatémie et d’activité phosphatase alcaline plasmatique.

L’amélioration rapide après administration de vitamine D apporte la confirmation définitive du diagnostic.

1- Rachitismes vitamino-résistants :

L’échec du traitement de vitamine D en présence d’un rachitisme typique doit faire considérer un rachitisme vitamino-résistant, dont il existe plusieurs formes étiopathogéniques, toutes très rares.

  • Le rachitisme hypophosphatémique est la forme la plus fréquente, le plus souvent familial, lié au chromosome X.

Une hypophosphatémie sévère est le principal signe biologique, résultat d’un défaut de réabsorption tubulaire des phosphates.

L’homéostasie calcique est conservée avec calcémie normale et absence d’hyperparathyroïdisme secondaire.

Il n’y a pas de retard moteur.

  • Les rachitismes vitamino-résistants pseudo-carentiels se présentent sous la forme d’un rachitisme carentiel sévère précoce insensible à l’apport de vitamine D.

Il en existe 2 formes pathogéniques, déficit en a-hydroxylase (type 1) d’une part, résistance périphérique au calcitriol (type 2) d’autre part. Dans les 2 cas, le mode de transmission est récessif autosomique.

  • Certaines tubulopathies peuvent s’accompagner d’un rachitisme (acidose tubulaire rénale, tubulopathies complexes comportant un défaut de réabsorption tubulaire des phosphates).

e sont les anomalies biologiques associées au rachitisme qui orientent le diagnostic.

2- Ostéodystrophie rénale :

Elle donne une atteinte osseuse diffuse très proche d’un rachitisme mais elle est toujours associée à une insuffisance rénale chronique sévère.

3- Ostéogenèse imparfaite, chondrodysplasies :

Un aspect radiologique proche du rachitisme peut se voir dans l’ostéogenèse imparfaite et dans certaines chondrodysplasies ; la présence de signes associés, des antécédents familiaux et l’absence d’anomalies biologiques orientent le diagnostic.

4- Signes cliniques isolés :

De nombreux signes cliniques du rachitisme ne lui sont pas spécifiques et on les trouve isolément chez de nombreux enfants sans qu’ils aient de valeur pathologique (retard d’acquisition du tonus, retard de marche, retard d’éruption dentaire, tibia vara, genu valgum, plagiocéphalie…).

Leur caractère isolé suffit à écarter le diagnostic de carence en vitamine D.

Traitement :

A – Traitement préventif :

Il a permis la disparition presque complète du rachitisme carentiel.

Il doit être systématique.

1- Avant la naissance :

La prévention de la carence chez le nouveau-né repose sur l’administration de vitamine D aux femmes enceintes au cours du dernier trimestre de la grossesse (100 000 à 200 000 UI au 7e mois de grossesse par exemple).

2- De la naissance à 18 mois :

Il s’applique à tous les nourrissons dès la naissance et jusqu’à 18 mois :

– 800 UI/j pour les nourrissons ayant un allaitement maternel ;

– 400 UI/j pour les nourrissons ayant un allaitement artificiel qui bénéficient par ailleurs de l’enrichissement en vitamine D des formules lactées (400 UI/L environ) ;

– soit administration, quotidienne ou hebdomadaire, d’une solution de vitamine D donnée en gouttes ;

– soit administration en dose de charge de 80 000 à 100 000 UI tous les 3 à 4 mois.

3- Après 18 mois :

La prévention de la carence en vitamine D au cours de l’hiver repose sur l’administration d’une dose de vitamine D de 80 000 à 100 000 UI au milieu de la saison froide (décembre-janvier) jusqu’à la fin de la croissance.

Pour toutes les situations à risque chez le grand enfant et l’adolescent, une prévention régulière doit être faite par l’administration de 80 000 à 100 000 UI de vitamine D tous les 3 à 4 mois.

B – Traitement curatif :

1- Vitamine D :

Il n’y a aucune indication d’utilisation des formes hydroxylées de vitamine D.

Celle-ci doit être administrée par voie orale :

– soit 5 000 UI/j pendant un mois ;

– soit dose de charge de 100 000 à 200 000 UI renouvelée 1 mois plus tard.

Dans les 2 cas, un traitement préventif doit prendre le relais du traitement curatif.

2- Apport adéquat de calcium :

L’apport de calcium est nécessaire en cas d’hypocalcémie :

– apport par voie intraveineuse sous forme de gluconate de calcium jusqu’à normalisation de la calcémie ;

– relais par voie orale pendant un mois (500 mg/24 h). Dans tous les cas, il faut s’assurer que l’alimentation comporte un apport suffisant de calcium :

– de l’ordre de 500 à 800 mg/j chez le nourrisson et l’enfant (ce qui suppose un minimum de 3 laits, laitages ou fromages par jour) ;

– de l’ordre de 1 g chez l’enfant ou l’adolescent en période de croissance pubertaire (soit un minimum de 4 laits, laitages ou fromages par jour). Les produits laitiers constituant la source principale de calcium de l’alimentation, la supplémentation calcique devra être poursuivie pendant plusieurs mois si l’alimentation n’en comporte que peu ou pas du tout.

3- Évolution sous traitement :

L’hypocalcémie se corrige généralement en 1 à 5 jours, l’hypophosphatémie et l’hyperparathyroïdisme en 2 à 3 semaines ; l’activité phosphatase alcaline plasmatique reste élevée pendant plusieurs semaines jusqu’à correction complète du défaut de minéralisation osseuse.

L’amélioration radiologique apparaît nettement sur un contrôle radiologique un mois après le début du traitement (radiographie du poignet ou des genoux de face) montrant des dépôts linéaires denses au niveau des lignes métaphysaires. La normalisation des épiphyses et métaphyses est généralement constatée au bout de 3 mois.

Les déformations des os longs se corrigent lentement en plusieurs années sous l’effet du remodelage osseux ; un traitement orthopédique est exceptionnellement nécessaire.

En pratique, les principaux critères d’efficacité du traitement sont la normalisation rapide de la calcémie au cours des premiers jours, l’amélioration du tonus musculaire en 2 semaines, et la minéralisation des métaphyses en bonne voie sur le contrôle radiologique au bout d’un mois.

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