Porphyries hépatiques aiguës : classification, diagnostic, traitement et prévention

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Les porphyries hépatiques aiguës sont des maladies héréditaires autosomiques et dominantes.

Elles sont potentiellement graves et loin d’être rares avec une prévalence du gène muté d’environ 1/1 000 pour la plus fréquente d’entre elles : la porphyrie aiguë intermittente.

Porphyries hépatiques aiguës : classification, diagnostic, traitement et préventionLes crises aiguës neuroviscérales sont le plus souvent déclenchées, leur diagnostic biologique est simple et rapide et un traitement spécifique existe (Normosangt), ainsi qu’une prévention efficace par le dépistage des porteurs présymptomatiques.

Introduction :

A – Définition :

Les porphyries héréditaires sont des maladies monogéniques, pour la plupart de transmission autosomique dominante, caractérisées par l’accumulation et l’excrétion accrues de porphyrines et de leurs précurseurs (acide delta-aminolévulinique [ALA] et porphobilinogène [PBG]).

Chacune de ces porphyries est la conséquence d’un déficit d’une des enzymes intervenant dans la biosynthèse de l’hème.

Ces déficits résultent tous de mutations souvent hétérogènes des gènes codants correspondants.

B – Classification :

Les porphyries sont classées en deux groupes, hépatique et érythropoïétique, selon le tissu dans lequel prédomine le trouble métabolique.

Cet article sera consacré uniquement aux porphyries hépatiques aiguës.

La porphyrie cutanée, dans ses deux formes, sporadique et familiale, est une photodermatose bulleuse, associée à une fragilité cutanée presque pathognomonique.

Contrairement aux porphyries hépatiques aiguës, il n’y a pas de crise douloureuse abdominale, ni de manifestations neurologiques ou psychiatriques.

Les porphyries érythropoïétiques se rencontrent essentiellement chez l’enfant et ne présentent pas non plus de manifestations neuroviscérales aiguës.

Porphyries hépatiques aiguës :

Comme beaucoup de maladies autosomiques et dominantes, les porphyries hépatiques aiguës présentent une pénétrance incomplète : moins de 10%des sujets porteursdugènemutéprésentent les signes cliniques de la maladie.

La porphyrie aiguë intermittente (PAI) en est le modèle.

C’est la plus fréquente et, en France, la prévalence du gène muté est de 0,6/1 000.

Les crises aiguës intermittentes sont caractérisées par un syndrome douloureux abdominal et le risque de complications neurologiques, d’évolution imprévisible, qui font toute la gravité de la crise aiguë de porphyrie et peuvent mettre en jeu le pronostic vital.

Seules la coproporphyrie héréditaire (CH) et la porphyrie variegata (PV) peuvent en plus présenter des troubles cutanés proches de ceux observés dans la porphyrie cutanée.

A – Crise aiguë :

1- Signes cliniques :

Ils se présentent typiquement chez une femme jeune (bien que ces maladies soient autosomiques, 80% des malades sont des femmes âgées de 15 à 45 ans) et souvent en période prémenstruelle.

Habituellement précédée d’une phase prodromique (asthénie, anorexie, insomnie), la symptomatologie clinique de la crise aiguë associe trois grands syndromes : douleurs abdominales, troubles neurologiques, et/ou troubles psychiques.

Chacun peut exister isolément ou précéder ou suivre les deux autres.

Les signes abdominaux apparaissent généralement les premiers et associent fréquemment : des douleurs intenses, continues ou paroxystiques, sans localisation prédominante mais irradiant volontiers vers les membres inférieurs ; une constipation tenace alternant parfois avec des épisodes de diarrhée ; des nausées puis des vomissements pouvant entraîner des troubles hydroélectrolytiques importants.

L’examen clinique et radiologique de l’abdomen ne révèle aucune anomalie objective.

Une tachycardie, souvent sans fièvre, des épisodes d’HTA et une hypersudation sont fréquemment constatés et relèvent d’une atteinte du système nerveux neurovégétatif.

Les troubles psychiques sont extrêmement polymorphes.

Parfois isolés, ils sont associés au syndrome abdominal dans 30% des cas.

Souvent ils se limitent à des troubles de l’humeur (irritabilité, émotivité), à un syndrome dépressif et surtout à une anxiété considérable.

Plus rarement, ils réalisent un véritable tableau psychiatrique : délire d’interprétation, hallucinations auditives ou visuelles, désorientation, confusion mentale.

Dans ce contexte, la constatation d’une coloration franchement anormale des urines, rouge ou brun rouge « porto », doit faire évoquer le diagnostic.

Mais cet élément majeur peut manquer car la coloration anormale apparaît généralement 30 à 60 minutes après l’émission.

À ce stade, si aucune erreur thérapeutique n’est commise, l’évolution spontanée de la crise est le plus souvent favorable, a fortiori si un traitement adapté est appliqué et les éventuelles causes déclenchantes supprimées.

Les risques de précipiter la survenue de complications neurologiques redoutables sont alors de trois ordres : une intervention chirurgicale exploratrice intempestive, une prise en charge psychiatrique abusive (pour diagnostic d’« histrionisme » par exemple…), et plus banalement un traitement médicamenteux inadapté de la douleur (paracétamol, noramidopyrine…), toutes situations qui peuvent s’accompagner de l’utilisation de drogues inductrices dites « porphyrinogéniques ».

Ces atteintes neurologiques sont très hétérogènes et peuvent affecter les systèmes nerveux périphérique et/ou central : myalgies, parésies (parfois discrètes comme celles des extenseurs des doigts centraux de la main, à l’instar de la paralysie saturnine), paralysies flasques ascendantes des membres avec troubles sensitifs subjectifs intenses et amyotrophie, crises convulsives et leur traitement par les barbituriques (molécules porphyrinogéniques par excellence).

Ces manifestations peuvent être fatales (atteinte bulbaire, paralysie respiratoire), ou comporter des risques de séquelles graves (paralysies motrices).

Rarement inaugurales, les atteintes neurologiques sont le plus souvent déclenchéesouaggravées par des thérapeutiques inadaptées, administrées en l’absence de diagnostic.

L’évolution de ces troubles neurologiques est imprévisible.

En cas d’évolution favorable, la récupération fonctionnelle peut être complète mais souvent très longue à obtenir.

La crise aiguë de porphyrie est, dans plus de 50% des cas, précipitée par des facteurs déclenchants environnementaux.

Les plus fréquents sont :

– l’administration de médicaments nécessitant pour être métabolisés une induction hépatique de certains cytochromes P450 (barbituriques, sulfamides, oestroprogestatifs) ;

– les régimes hypocaloriques ;

– les épisodes infectieux ; – toutes les situations de « stress » ;

– chez la femme, le cycle menstruel et les traitements hormonaux.

Enfin, il faut insister sur la grande variabilité intra- et interindividuelle des signes cliniques rencontrés et de la susceptibilité aux facteurs déclenchants.

2- Diagnostic biologique :

Le diagnostic de porphyrie est très souvent évoqué dans le contexte clinique décrit, associé à la constatation d’urines foncées ou rouges.

Mais le diagnostic de crise aiguë de porphyrie hépatique ne peut reposer que sur le dosage en urgence des précurseursdel’hème, l’ALA et le PBG, dans les urines (séparation en chromatographie d’échange d’ions, suivie d’un dosage spectrophotométrique).

Leur augmentation franche (ALA x 10 et PBG x 50) affirme la crise aiguë. Le profil d’excrétion des porphyrines dans les selles peut permettre dans la plupart des cas de différencier la PAI des autres porphyries aiguës (PV et CH).

Enfin, dans 20 % des crises aiguës, il existe une hyponatrémie, probablement liée à une sécrétion inappropriée d’ADH (hormone antidiurétique).

Elle est plus fréquemment associée aux formes convulsives ou psychiatriques.

Le diagnostic devra être confirmé par la diminution de 50% de l’activité de l’enzyme en cause en fonction de la porphyrie.

Ce dosage sera effectué à distance de la crise (dans un centre de référence), et surtout utilisé dans le cadre du dépistage des porteurs asymptomatiques dans les familles atteintes, base d’une prévention efficace.

3- Physiopathologie :

Lors des crises aiguës, il existe une carence hépatique en hème souvent en relation avec un besoin augmenté en hémoprotéines (cytochrome P450) lié notamment à la prise de médicaments « inducteurs » ou à des variations du statut hormonal (cycle menstruel).

L’induction du cytochrome P450 (mode d’action des barbituriques) ou le catabolisme accéléré de l’hème (mode d’action des stéroïdes) provoquent une déplétion du pool d’hème régulateur.

Cette déplétion lève le rétrocontrôle négatif exercé par l’hème sur l’ALA-synthétase, entraînant une augmentation de l’activité de cette enzyme.

Chez le sujet atteint de porphyrie hépatique aiguë, l’augmentation de l’ALA-synthétase ne parvient pas à assurer une production suffisante d’hème, en raison du blocage enzymatique en aval.

Le pool d’hème régulateur reste déplété, l’activité de l’ALA-synthétase s’emballe de façon persistante et les précurseurs ALA et PBG s’accumulent en amont du blocage enzymatique.

Si les mécanismes de la régulation de l’ALA-synthétase hépatique et de l’accumulation des précurseurs sont partiellement élucidés, leurs relations avec la symptomatologie clinique de la crise aiguë demeurent hypothétiques.

4- Traitement :

La crise aiguë de porphyrie est une urgence médicale à traiter en milieu hospitalier.

Le diagnostic étant affirmé par les taux très augmentés des précurseurs urinaires ALA et PBG, il faut rapidement débuter un traitement spécifique.

Le but de ce traitement est avant tout de restaurer le pool d’hème intracellulaire.

Cette restauration permet de ramener rapidement l’activité de l’ALA-synthétase à la normale et de baisser de façon concomitante les précurseurs accumulés.

L’administration d’hèmearginate (Normosangt) pendant 4 jours en perfusion intraveineuse permet d’obtenir une amélioration spectaculaire en 48 à 72 heures, tant sur un plan clinique que biologique.

L’efficacité de l’hème-arginate est d’autant plus importante qu’il est utilisé précocement.

En revanche, si des complications neurologiques sont apparues, l’hème-arginate est inefficace.

Plus de 700 crises ont été ainsi traitées en 10 ans, avec une réduction significative de la durée moyenne d’hospitalisation (3,5 jours contre 21 jours avant 1986).

B – Dépistage des porteurs asymptomatiques et prévention des crises aiguës :

Du fait de la faible pénétrance des trois porphyries hépatiques aiguës, les sujets présymptomatiques représentent la majorité des porteurs des gènes mutés correspondants.

Ils n’ont pas en général d’anomalies urinaires ou fécales caractéristiques et leur détection dans le cadre d’une enquête familiale ne peut donc être réalisée de façon satisfaisante que par le dosage de l’activité enzymatique spécifique.

Les sujets porteurs présentent en moyenne un déficit d’activité d’environ 50 %, en accord avec leur statut d’hétérozygote pour le gène muté.

Ce dépistage est évidemment primordial car il permet d’assurer une prévention efficace des crises aiguës en mettant en garde les sujets présymptomatiques contre les facteurs déclenchants : jeûne, alcool, infections, stress, mauvaise hygiène de vie et surtout médicaments porphyrinogéniques.

Des données expérimentales sur la porphyrinogénicité des médicaments sont obtenues chez l’embryon de poulet in ovo « sensibilisé » (porphyrie latente par inhibition chimique de la synthèse de l’hème).

Ces données permettent de dresser une liste constamment actualisée et accessible des médicaments autorisés ou interdits chez les porteurs du trait d’une des porphyries hépatiques.

Conclusion :

Les porphyries hépatiques aiguës ne peuvent être ignorées du praticien généraliste : la symptomatologie clinique est souvent banale et peu évocatrice, mais les erreurs diagnostiques et surtout thérapeutiques peuvent être catastrophiques.

Le diagnostic des crises aiguës est biologique et doit être facile à réaliser en pratique.

La conduite à tenir et le traitement en milieu hospitalier sont bien codifiés.

Il faut souligner l’importance primordiale de la prévention, notamment par la recherche des porteurs présymptomatiques dans les familles atteintes.

C’est d’abord au praticien qu’incombera la tache de faciliter cette recherche.

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