Polychondrite atrophiante

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La polychondrite atrophiante, aussi dénommée polychondrite récidivante par les Anglo-Saxons, est une connectivite rare, caractérisée par l’inflammation récidivante des cartilages de l’oreille, du nez, du larynx et de l’arbre trachéobronchique.

Elle touche également les deux sexes.

Polychondrite atrophianteElle survient le plus souvent chez l’adulte, avec une légère prédominance féminine, mais est connue aux âges extrêmes de la vie.

Introduction :

Décrite pour la première fois en 1923, la polychondrite atrophiante (PCA) a longtemps été considérée comme une affection exceptionnelle.

En fait, sa fréquence est peut-être sous-estimée, et notre expérience porte sur plus de 180 cas.

Manifestations cliniques :

Le mode de début de la PCA est très variable, tant dans son rythme que dans la nature des manifestations inaugurales.

La survenue des chondrites est parfois différée de plusieurs mois ou années par rapport aux premiers signes, notamment articulaires ou oculaires, dont elle permet alors le diagnostic.

Exceptionnellement, la maladie se révèle par une fièvre prolongée isolée.

La mise en évidence des chondrites, caractéristiques de la PCA, est indispensable au diagnostic.

Ces chondrites ne sont pas toujours signalées spontanément par le malade et doivent être systématiquement recherchées par l’interrogatoire.

Elles évoluent en deux phases : après une ou plusieurs poussées inflammatoires, peut survenir une atrophie définitive des pièces cartilagineuses.

A – Chondrites du pavillon de l’oreille (85% des cas) :

Elles sont pathognomoniques.

Au stade aigu, elles réalisent une tuméfaction uniou bilatérale, chaude, rouge ou violacée, douloureuse spontanément et au moindre contact.

Le lobule, non cartilagineux, est toujours respecté. La rétrocession survient spontanément en quelques jours ou semaines.

La fréquence des récidives est très variable.

Au stade d’atrophie, inconstant, le pavillon prend un aspect anormalement lisse, voire flasque, lié à la disparition du relief cartilagineux normal.

La biopsie du cartilage auriculaire, pratiquée lors d’une poussée, est évocatrice quand elle montre l’association d’un infiltrat inflammatoire et de lésions dégénératives marquées du cartilage.

B – Chondrites nasales (65% des cas) :

Au stade aigu, elles réalisent une tuméfaction nasale moins inflammatoire que celle du pavillon, rarement accompagnée de rhinorhée ou d’épistaxis.

Le stade d’atrophie, qui peut lui succéder ou survenir d’emblée sans inflammation préalable, entraîne une déformation acquise définitive en « selle », résultant de l’effondrement de la cloison cartilagineuse.

La comparaison avec des documents photographiques antérieurs permet parfois d’authentifier une minime déformation débutante.

C – Chondrites de l’arbre respiratoire (55% des cas) :

Elles sont moins fréquentes mais potentiellement graves et surviennent plus volontiers chez la femme.

L’atteinte des cartilages du larynx se traduit par des douleurs spontanées ou provoquées, et surtout par une dysphonie ou une aphonie qui ne doivent pas être banalisées.

Elle aboutit parfois à la constitution d’une sténose irréversible, responsable d’une dyspnée à prédominance inspiratoire.

La survenue de poussées ultérieures peut nécessiter une trachéotomie.

L’atteinte de la trachée et/ou des bronches proximales s’associe à l’atteinte laryngée ou survient isolément.

Elle entraîne une dyspnée expiratoire parfois accompagnée de douleurs, de toux et d’infections bronchopulmonaires répétées.

La principale complication est l’apparition d’une insuffisance respiratoire obstructive résultant de sténoses définitives et/ou d’une chondromalacie responsable d’un collapsus expiratoire trachéobronchique.

Les lésions sont quantifiées et visualisées par les épreuves fonctionnelles respiratoires avec étude de la courbe débit-volume, la scintigraphie de ventilation, la tomodensitométrie en mode hélicoïdal avec reconstruction tridimensionnelle, voire l’imagerie par résonance nucléaire.

Une banale infection bronchique ou un geste endoscopique malencontreux peuvent précipiter la survenue d’une insuffisance respiratoire aiguë mortelle.

D – Chondrites des cartilages costaux (35% des cas) :

Elles provoquent des douleurs pariétales souvent responsables d’erreurs diagnostiques.

La constitution d’un volet thoracique est exceptionnelle.

Les manifestations extrachondritiques, très diverses, occupent souvent l’avant-scène du tableau clinique et peuvent inaugurer la maladie.

Des signes généraux sont présents lors des poussées sévères : fièvre, anorexie, amaigrissement parfois massif.

E – Manifestations rhumatologiques (70 à 85% des cas) :

Elles évoluent souvent indépendamment des chondrites.

Parfois simples arthragies, elles réalisent en règle une oligoarthrite ou une polyarthrite intermittente, asymétrique, migratrice, non nodulaire, non érosive et non déformante, touchant notamment les tibiotarsiennes, les poignets, les interphalangiennes proximales des doigts, les métacarpophalangiennes, les genoux et les coudes.

Les atteintes chondrosternales, périarticulaires et axiales (cervicalgies ou lombalgies inflammatoires) ne sont pas rares.

La présence de lésions radiologiques érosives, voire franchement destructrices, doit faire discuter l’association avec un autre rhumatisme inflammatoire chronique.

F – Manifestations audiovestibulaires (40% des cas) :

Elles sont dominées par la surdité de perception, d’importance variable, uni- ou bilatérale, de survenue brutale et généralement non régressive.

Elle doit être distinguée d’une hypoacousie de transmission résultant d’une atteinte du conduit auditif externe ou de l’oreille moyenne.

On peut aussi observer des syndromes vestibulaires périphériques, généralement réversibles.

La présence de telles manifestations au cours d’une connectivite inclassée suggère l’éventualité d’une PCA.

G – Manifestations oculaires (60% des cas) :

Elles sont fréquentes mais rarement sévères et sont dominées par l’épisclérite, la sclérite et la conjonctivite.

D’autres atteintes ont été signalées : kératite, rétinopathie, névrite optique et cataracte non cortico-induite.

La survenue d’une exophtalmie doit faire discuter le diagnostic de granulomatose de Wegener.

H – Manifestations cardiovasculaires (20% des cas) :

Elles comportent des valvulopathies (principalement insuffisance aortique), des troubles du rythme et de la conduction, des anévrysmes qui siègent préférentiellement sur l’aorte thoracique initiale (6% des cas) et des sténoses des gros troncs artériels.

En outre, certaines PCA sont intriquées avec une vasculite cutanée ou systémique, parfois très proche de la panartérite noueuse.

I – Manifestations dermatologiques (20 à 40% des cas) :

Elles résultent souvent d’une vasculite cutanée (purpura infiltré, livedo).

D’autres atteintes (aphtose uni- ou bipolaire, hypodermites, phlébites superficielles) ont conduit à l’individualisation d’un MAGIC syndrome (mouth and genital ulcers with inflamed cartilages), qui nous semble en fait beaucoup plus proche de la PCA que de la maladie de Behçet.

J – Manifestations rénales :

Elles sont rares, le plus souvent à type de glomérulonéphrite nécrosante avec prolifération épithéliale et s’observent généralement dans les PCA intriquées avec une angéite systémique.

Ce mécanisme est également incriminé dans la genèse des quelques atteintes neurologiques rapportées, qu’elles soient centrales ou périphériques.

Manifestations biologiques :

Un grand syndrome inflammatoire accompagne habituellement les poussées : élévation majeure de la CPR (protéine C réactive), hyperfibrinémie, anémie inflammatoire et hyperleucocytose à polynucléaires neutrophiles.

Une vitesse de sédimentation normale ne doit pas toutefois faire récuser le diagnostic.

Le complément est normal ou élevé.

La recherche de facteurs antinucléaires est rarement positive à un titre significatif en l’absence de lupus associé.

À l’inverse, la présence de facteurs rhumatoïdes (15% des cas) ne témoigne que rarement de l’intrication avec une polyarthrite rhumatoïde.

L’intérêt diagnostique de la sérologie auto-immune est limité, la recherche d’anticorps anticollagène de type II étant très peu spécifique et celle d’anticorps anticartilage par immunofluorescence indirecte peu sensible.

Certaines PCA, en particulier chez le sujet âgé de sexe masculin, se compliquent d’une dysmyélopoïèse acquise (anémie « réfractaire » arégénérative macrocytaire nécessitant des transfusions régulières, neutropénie et/ou thrombopénie) au pronostic péjoratif.

La fréquence des syndromes myéloprolifératifs semble également accrue.

Diagnostic :

Le diagnostic de la PCA, souvent porté avec retard, est principalement clinique, l’histologie n’ayant qu’un rôle d’appoint dans les formes débutantes, atypiques ou frustres. Michet a établi des critères majeurs (chondrite auriculaire, nasale ou laryngotrachéale) et des critères mineurs (inflammation oculaire, hypoacousie, syndrome vestibulaire, arthrite « séronégative »), la présence de deux critères majeurs ou d’un critère majeur et de deux critères mineurs permettant de retenir le diagnostic.

A – Inflammation du pavillon de l’oreille :

Devant une inflammation du pavillon de l’oreille, reconnaître l’existence d’une PCA n’offre guère de difficultés.

Le contexte permet d’écarter d’autres affections : traumatisme (otohématome), brûlure, piqûre d’insecte, gelure ou goutte auriculaire tophacée.

Le diagnostic d’infection, souvent évoqué par excès, repose sur les circonstances (geste chirurgical, plaie, dermatose préalable, otite chronique…) et sur l’aspect des lésions (non respect du lobule, présence d’adénopathies satellites).

Une fièvre très élevée, l’existence d’une collection liquidienne et le caractère hyperalgique n’excluent pas l’éventualité d’une chondrite.

Les dermatoses, qui ne touchent que le revêtement cutané, sont reconnues facilement sauf dans quelques situations (engelures, hématodermie responsable d’une infiltration dermique profonde) justifiant la pratique d’une biopsie.

B – Déformation nasale :

Devant une déformation nasale en « selle » acquise (ce qui élimine l’exceptionnelle syphilis congénitale), non traumatique, survenant dans un contexte inflammatoire, deux diagnostics doivent être évoqués : la PCA et la granulomatose de Wegener.

Bien que les aspects histologiques de ces affections soient différents, de nombreuses similitudes cliniques et biologiques (notamment présence d’anticorps dirigés contre le cytoplasme des polynucléaires dans certaines PCA) rendent parfois leur distinction très difficile.

Pathogénie :

La pathogénie de la PCA est mal connue.

Divers arguments indirects suggèrent l’intervention d’un mécanisme immunologique :

– susceptibilité accrue chez les sujets porteurs du HLA DR4 ;

– fréquente association à certaines maladies dysimmunitaires (angéite, lupus érythémateux, syndrome de Gougerot-Sjögren, polyarthrite rhumatoïde, dysthyroïdies, diabète, cirrhose biliaire primitive, spondylarthrite ankylosante, rectocolite hémorragique…) ;

– mise en évidence de dépôts d’immunoglobulines et de complément au sein des lésions chondritiques ;

– présence d’anticorps anticartilage dirigés notamment contre les collagènes II, IX et XI.

La reproduction de la maladie chez l’animal, après immunisation par le collagène de type II, en a apporté la preuve.

L’intervention d’enzymes protéolytiques dans la destruction cartilagineuse est également vraisemblable, le lien entre ces deux phénomènes étant mal connu.

Évolution :

L’évolution se fait par poussées successives dont la fréquence et la sévérité sont extrêmement variables.

Dans notre expérience, la grossesse ne pose pas de problème, qu’il s’agisse de l’évolutivité de la PCA chez la mère ou de pathologie foetale.

Les formes mineures de PCA sont rares, et la majorité des patients sont porteurs d’une affection chronique, douloureuse, entraînant divers handicaps auxquels viennent s’ajouter les effets secondaires de thérapeutiques lourdes.

Des rémissions, parfois très prolongées, peuvent survenir spontanément ou sous l’influence du traitement.

Bien que le pronostic s’améliore, probablement en raison du diagnostic des formes frustes et du traitement plus précoce des manifestations graves, il demeure sévère, le taux de survie à 5 ans ne dépassant pas 75 %.

La mort résulte le plus souvent d’une atteinte spécifique (respiratoire ou vasculaire), d’une dysmyélopoïèse associée ou d’une infection favorisée par le traitement.

Traitement :

Le traitement de la PCA, mal codifié en raison de la rareté de la maladie, repose sur la corticothérapie.

A – Formes sévères :

Dans les formes sévères (chondrite laryngée et/ou trachéobronchique, angéite systémique), il obéit aux mêmes règles que celui des connectivites graves : la corticothérapie est rapidement entreprise sous la forme de bolus de méthylprednisolone, puis relayée par la prednisone dont la posologie initiale (1 mg/kg/j) est progressivement réduite après 4 à 6 semaines.

Les limites de cette corticothérapie (échec, forte corticodépendance, mauvaise tolérance) ou l’existence d’une atteinte artérielle patente, justifient le recours aux immunosuppresseurs, généralement azathioprine ou cyclophosphamide, dont les indications doivent cependant rester limitées en raison du risque spontané d’hémopathie myéloïde.

Le nombre de patients traités par ciclosporine, échanges plasmatiques, perfusions d’immunoglobulines à fortes doses ou anticorps monoclonaux anti-CD4 est trop faible pour évaluer l’intérêt de ces nouveaux modes d’immunomodulation.

La dapsone (Disulonet), proposée en raison de son efficacité dans certains modèles de PCA expérimentale, n’a pas confirmé les espoirs qu’elle avait suscités.

Elle est parfois employée en complément de la corticothérapie, à des posologies croissant progressivement jusqu’à 100 ou 200 mg/j, associée à une supplémentation en acide folique.

Ses fréquents effets secondaires hématologiques (méthémoglobinémie et anémie hémolytique dose-dépendantes) nécessitent une surveillance régulière.

B – Formes mineures :

Le traitement de première intention des formes mineures fait appel aux anti-inflammatoires non stéroïdiens, à la dapsone, parfois à la colchicine.

Leur efficacité étant limitée, il est souvent nécessaire de leur associer une faible corticothérapie que l’on tentera par la suite de réduire et si possible d’arrêter.

C – Autres atteintes :

Certaines atteintes justifient un geste local, généralement chirurgical : trachéotomie, plus rarement plastie ou mise en place d’une prothèse endotrachéale, remplacement valvulaire, chirurgie artérielle, voire plastie nasale dont les résultats sont bons si l’affection est durablement stabilisée.

Les risques liés à l’anesthésie ne doivent pas être sous-estimés en présence de lésions de l’arbre respiratoire.

D – Ectasie de l’aorte ascendante :

Son existence peut faire proposer un traitement bêtabloqueur pour ralentir sa progression, par analogie avec la maladie de Marfan où l’intérêt d’un tel traitement a été récemment démontré.

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