Hémoptysie

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L’hémoptysie est le rejet par la bouche de sang provenant des voies aériennes sous-glottiques. Il s’agit d’un symptôme pneumologique assez courant, alarmant pour le patient, qui , de ce fait, consulte rapidement. Après avoir éliminé les diagnostics différentiels, hématémèse et saignements des voies aériennes supérieures, il convient d’évaluer l’importance de l’hémoptysie qui peut justifier des gestes thérapeutiques urgents et de déclencher l’enquête étiologique.

DÉFINITION :

HémoptysieUne hémoptysie est une expectoration de sang provenant des voies aériennes sous-glottiques.

– De grande abondance, elle met en jeu le pronostic vital à très court terme et impose une thérapeutique adaptée à l’urgence.

– Minime, elle ne devra jamais être négligée car elle peut, à tout moment, récidiver sous une forme grave et, surtout, elle est le signe d’appel d’une pathologie qui peut être tumorale.

ANATOMIE ET PHYSIOPATHOLOGIE :

L’hémoptysie est un signe fonctionnel fréquent et heureusement alarmant pour le malade qui vient ainsi consulter. La majorité des hémoptysies provient de la circulation systémique.

Rappel anatomique de vascularisation bronchique :

Les artères bronchiques naissent le plus souvent de l’aorte thoracique descendante (niveau D4 à D8).

– Leur nombre est variable, 2 à 5, le plus souvent 1 bronchique droite et 2 bronchiques gauches mais il existe de nombreuses variations.

– Il peut exister des artères bronchiques ectopiques qui naissent des autres collatérales aortiques (mammaires internes, sous-clavières, thyroïdienne inférieure).

– Leur calibre varie de 0,5 à 2mm.

– Les artères bronchiques font l’objet d’une anastomose entre elles.

Physiopathologie :

Plusieurs mécanismes d’hémoptysie sont possibles:

* rupture vasculaire, en fait assez rare et à l’origine d’hémoptysies massives. On l’observe dans les anévrismes artério-veineux pulmonaires, en cas de cancer érodant puis envahissant une artère, plus rarement dans la tuberculose (pseudo-anévrisme de Rasmussen, à partir d’une caverne).

* modifications de la circulation capillaire avec hypervascularisation systémique. C’est le mécanisme le plus fréquent:

– on l’observe dans les processus inflammatoires et infectieux aigus (pneumonies, abcès, tuberculose au début) et dans les lésions séquellaires (dilatation des bronches) ou secondaires (aspergillome).

– on rattache à cette catégorie les processus angiomateux diffus ou localisés.

* passage de globules rouges des capillaires pulmonaires dans les alvéoles. Ce mécanisme est celui des hémoptysies dans l’oedème pulmonaire et probablement également en partie dans celui des processus infectieux aigus. Dans le syndrome de Goodpasture, c’est l’altération de la membrane basale par un processus immunologique qui crée une augmentation de perméabilité entre le capillaire et l’alvéole.

Diagnostic :

DIAGNOSTIC POSITIF :

Signes cliniques

Le diagnostic positif d’hémoptysie est habituellement facile: rejet de sang aéré, rutilant, au cours d’efforts de toux.

Des prodromes peuvent exister: chaleur rétrosternale, angoisse, chatouillement laryngé, lipothymie.

Quantification de l’hémoptysie

Son abondance permet de décrire plusieurs éventualités.

* Elle peut être foudroyante, entrainant la mort en quelques minutes par spoliation sanguine et inondation pulmonaire.

* Elle peut être de grande abondance, massive, supérieure à 500ml:

– entrainant des signes d’anémie aigue (paleur, tachycardie, chute tensionnelle voire état de choc avec troubles de la conscience).

– elle ne laisse que très peu de temps pour mettre en oeuvre une thérapeutique de sauvetage.

– de meme signification de gravité sont les hémoptysies répétées dont le saignement est égal ou supérieur à 500ml/24h et surtout celles dont le débit est supérieur à 150ml/h.

* Elle peut être de moyenne abondance (quelques dizaines de cm3 à 300 ou 400ml) et constitue également une urgence thérapeutique en raison du risque d’aggravation imprévisible.

* Elle peut être minime, cas le plus fréquent, réduite à quelques crachats striés de sang. Sa valeur sémiologique d’appel est identique à celle des hémoptysies plus abondantes, l’urgence diagnostique primant ici sur l’urgence thérapeutique.

Examen respiratoire

L’examen respiratoire au cours ou au décours d’une hémoptysie ne trouve que des éléments de peu de valeur: râles bronchiques et sous-crépitants, sauf en certaines circonstances étiologiques (râles crépitants diffus d’un oedème pulmonaire ou localisés d’un foyer pneumonique).

DIAGNOSTIC DIFFERENTIEL :

Les diagnostics différentiels de l’hémoptysie se posent essentiellement lorsqu’on n’a pas assisté à l’accident.

Hématémèse :

En premier lieu, il faut écarter une hématémèse:

– sang plus foncé, parfois mélangé à des débris alimentaires.

– rejet au cours d’efforts de vomissement.

– éventuel contexte douloureux gastrique ou meme ulcéreux connu.

– le toucher rectal recherche un méléna.

L’endoscopie gastrique est très utile pour diagnostiquer une cause oeso-gastro-duodénale de saignement.

Saignements des voies aéro-digestives supérieures :

Les saignements des voies aéro-digestives supérieures peuvent simuler des hémoptysies:

– l’épistaxis surtout.

– les gingivorragies.

– un polype, un cancer ORL.

– des varices pharyngo-laryngées.

L’examen ORL redresse le diagnostic et la fibroscopie bronchique est négative.

Conduite à tenir :

En pratique deux types de tableaux peuvent se présenter devant lesquels la démarche est différente.

HÉMOPTYSIE MASSIVE :

L’hémoptysie massive pose essentiellement un problème thérapeutique.

* Elle nécessite immédiatement:

– une mise en position de Trendelenburg.

– un désencombrement bronchique voire une intubation.

– une oxygénothérapie.

– une compensation des pertes sanguines.

– une injection de vasoconstricteurs (Diapid*, Glypressine*).

– une prise en charge dans un service de soins intensifs.

* En urgence seront réalisées:

– une fibroscopie bronchique pour tenter de visualiser la topographie du saignement.

– et une artériographie bronchique en vue d’une embolisation (plus fréquente que l’exérèse chirurgicale).

HÉMOPTYSIE MINIME OU MOYENNE :

L’hémoptysie minime ou moyenne est, de loin, le cas le plus fréquent.

Bilan :

L’hémoptysie minime ou moyenne nécessite un bilan mené sans délai et comportant plusieurs étapes.

* Interrogatoire à la recherche d’une affection cardio-vasculaire ou respiratoire connue, d’épisodes identiques, d’un traitement en cours (anticoagulant…).

* Examen clinique complet permettant d’ébaucher une classification:

– pathologie respiratoire connue. l’hémoptysie peut alors constituer une complication évolutive, mais on doit se méfier d’une association.

– hémoptysie isolée.

* Radiographie thoracique:

– systématique (face et profil).

– elle peut être normale ou montrer des images de granité posthémoptoïques.

– elle peut révéler des images anormales (tumorales…).

* Endoscopie bronchique indispensable:

– en urgence pour tenter de repérer la topographie exacte du saignement.

– et pour, éventuellement, découvrir sa cause (tumeurs).

* Scanner thoracique:

– d’utilité majeure, pouvant montrer des anomalies passées inaperçues à la radiographie.

– permet de visualiser avec précision les lésions avec leurs rapports vasculaires.

* Examens complémentaires de routine:

– hémogramme et vitesse de sédimentation.

– groupage et bilan de la coagulation.

– selon orientation, recherche de BK.

* Bilan cardiologique avec ECG.

* Scintigraphie pulmonaire (suspicion d’embolie pulmonaire).

* L’artériographie bronchique n’est envisagée qu’en dernier lieu si on est en présence d’hémoptysies menaçantes à moyen terme ou répétitives, dans un but éventuellement thérapeutique.

Au terme de ce bilan :

* Parfois la cause est évidente lorsque l’hémoptysie survient au cours ou au décours:

– d’un traumatisme thoracique, meme minime: fracture de cotes, plaies, hématome pulmonaire, etc..

– d’un traumatisme barométrique.

– de l’inhalation de gaz toxiques (vapeurs caustiques).

– d’une endoscopie bronchique.

* Dans les autres cas on s’orientera avant tout vers six grands groupes étiologiques en sachant que l’hémoptysie peut s’y inscrire:

– soit comme symptome révélateur.

– soit comme complication évolutive d’une pathologie déjà connue et dont la signification peut être alors différente.

Étiologies :

AFFECTIONS BRONCHO-PULMONAIRES :

Tuberculose pulmonaire :

Hémoptysie révélatrice

Elle est fréquente et traduit en général une forme ulcéronodulaire commune.

* Le diagnostic repose sur:

– la présence de signes cliniques évocateurs (altération de l’état général, fièvre, toux).

– et surtout sur la radiographie du thorax qui révèle des aspects variables, nodulaires, infiltratifs et cavitaires.

* Le diagnostic est confirmé par la présence de BK dans l’expectoration, bien souvent dès l’examen direct, sauf en cas de sang pur qui rend la recherche impossible.

Hémoptysie au cours d’une tuberculose connue et traitée

* Signe d’alarme, devant faire craindre une poussée évolutive de la maladie et rechercher une résistance possible ou bien une mauvaise observance du traitement.

* Chez un sujet correctement traité, c’est un signe de gravité, mais de survenue exceptionnelle.

Hémoptysie au décours parfois lointain d’une tuberculose traitée

Elle doit faire envisager:

* une rechute: modification des images radiographiques et tomographiques, positivité de nouvelles recherches bactériologiques.

* bronchectasies, l’hémoptysie étant alors en rapport avec une hypervascularisation artérielle systémique. Le diagnostic repose sur le scanner.

* greffe aspergillaire sur une cavité détergée:

– le scanner peut montrer l’image caractéristique en grelot.

– l’immunoélectrophorèse confirme le diagnostic en mettant en évidence plusieurs arcs de précipitation spécifiques.

* enfin, un cancer bronchique doit toujours être éliminé.

Cancer broncho-pulmonaire :

Hémoptysie révélatrice

Fréquente, le plus souvent minime et répétée.

Le diagnostic repose sur:

– le terrain: tabagisme.

– les signes associés: toux rebelle, parfois altération de l’état général et douleurs thoraciques.

– la radiographie thoracique: image tumorale hilaire, trouble de la ventilation, etc.. complétée par un scanner thoracique.

– la fibroscopie bronchique, meme si la radiographie du thorax est normale.

Hémoptysie chez un patient porteur d’un cancer bronchique connu

* Abondante, elle fait craindre l’érosion d’un vaisseau dont la rupture aboutirait à une hémoptysie foudroyante.

* A distance d’une exérèse chirurgicale, elle fait soupçonner une récidive locale et impose une nouvelle endoscopie.

* En cours de radiothérapie, surtout en cas de masse tumorale importante, c’est un signe d’alarme qui doit faire discuter d’un arret au moins transitoire de l’irradiation.

Dilatation des bronches :

Hémoptysie révélatrice

* Rarement isolée, elle fait partie, le plus souvent, d’un tableau bronchorrhéique.

* Le diagnostic repose sur la radiographie et le scanner thoracique en coupes fines (images en coulée, en rail, images en rosettes).

Hémoptysie compliquant des  bronchectasies  connues

* Elle impose un bilan de l’évolutivité de la maladie. en effet elle peut rester sans lendemain à la suite d’une intensification du traitement médical ou d’un traitement antibiotique adapté à une surinfection.

* Elle peut aussi récidiver et devenir menaçante, imposant alors un bilan artériographique en vue soit d’une embolisation, soit d’une exérèse.

* On en rapproche la bronchite chronique, les pneumopathies, les affections cardio-vasculaires, etc.

Bronchite chronique :

Les hémoptysies sont liées habituellement à des poussées de surinfection, comme dans la dilatation des bronches.

Il faut se méfier d’une association, mais c’est surtout le développement d’un cancer bronchique qui est à craindre sur ce terrain.

Pneumopathies :

Toute pneumopathie infectieuse peut être à l’origine d’une hémoptysie de meme que tout abcès pulmonaire.

Citons en particulier les formes hémoptoiques des pneumonies grippales, des pneumonies et abcès à Klebsiella pneumoniae, à staphylocoques.

AFFECTIONS CARDIO-VASCULAIRES :

* L’hémoptysie révélatrice se rencontre essentiellement dans deux cas:

– le rétrécissement mitral. l’hémoptysie est très évocatrice lorsqu’elle survient à l’effort ou lorsqu’elle constitue un accident gravido-cardiaque (3 derniers mois de la grossesse).

– l’embolie pulmonaire. l’hémoptysie peut être le seul signe de migration. Il faut y penser particulièrement s’il existe des circonstances favorisantes (alités, bronchopathes chroniques, porteurs d’une affection maligne, etc.).

* Dans les autres cas l’hémoptysie s’inscrit en général dans un contexte évocateur:

– oedème pulmonaire.

– insuffisance cardiaque en poussée.

– infarctus du myocarde.

– embolie pulmonaire typique.

– plus rarement au cours des cardiopathies congénitales, du coeur pulmonaire chronique, d’une ectasie aortique dont elle constitue un signe d’alarme de rupture (l’endoscopie bronchique est ici dangereuse et contre-indiquée).

CAUSES PLUS RARES :

Parasitoses et mycoses pulmonaires :

* Kyste hydatique, en cas de fissuration ou de rupture.

* Aspergillose surtout:

– soit sous forme d’aspergillome qui se greffe, en général, sur une cavité ancienne, le plus souvent tuberculeuse. Nous avons vu que le diagnostic reposait sur l’aspect radiographique (image en grelot) et la mise en évidence de précipitines par immunoélectrophorèse.

– soit en rapport avec une aspergillose bronchique allergique (maladie de Hinson-Pepys) avec infiltrats pulmonaires labiles, bronchorrhée chronique et asthme.

* Amibiase.

* D’autres mycoses sont très rares en France, mais beaucoup plus fréquentes en Amérique: histoplasmose, coccidioidomycose.

Syndrome de Goodpasture :

Le syndrome de Goodpasture est exceptionnellement responsable d’hémoptysie de meme que l’hémosidérose pulmonaire idiopathique et les maladies auto-immunes (lupus érythémateux aigu disséminé, maladie de Wegener, périartérite noueuse…)

Anomalies congénitales vasculaires :

Angiomes, circonscrits, pouvant faire partie d’une maladie de Rendu-Osler. Ils peuvent être diffus, plus hémoptoisants.

Causes bronchiques rares :

A coté également de la possibilité d’angiome (diagnostiqué par l’endoscopie et l’artériographie), les causes bronchiques restent, pour la plupart, des causes d’élimination: asthme, bronchite aigue, trachéo-bronchite hémorragique.

Insistons toutefois sur deux causes particulières:

* les tumeurs carcinoïdes des bronches, rares, atteignant en général un sujet jeune. La radiographie peut montrer une atélectasie, l’endoscopie confirme le diagnostic.

* les corps étrangers bronchiques, ou l’endoscopie peut être également thérapeutique.

Dans environ 10% des cas aucune cause n’est trouvée. Une surveillance régulière s’impose.

Conduite thérapeutique :

La conduite thérapeutique est fonction en grande partie de l’abondance de l’hémoptysie, mais dans tous les cas, il ne faut jamais omettre de déterminer le groupe sanguin du malade.

HEMOPTYSIE DE GRANDE ABONDANCE :

* Lutter, si besoin, contre l’asphyxie par aspiration, voire intubation, puis oxygénothérapie.

* Poser une voie d’abord veineuse de bonne qualité, pour permettre la perfusion de macromolécules puis de sang. On en profitera pour prélever du sang pour détermination du groupe et quelques examens biologiques simples (hématocrite, hémogramme, temps de Howell et de Quick, etc.).

* Tenter de tarir l’hémoptysie en injectant un vasoconstricteur artériel:

– lysine-8-vasopressine (Diapid*), 5 à 10 unités diluées dans 10ml de sérum salé isotonique injectées lentement (minimum 5min) dans la tubulure de la perfusion.

– terlipressine (Glypressine*), 1 à 2 ampoules à 1mg toutes les 4 heures par voie intraveineuse lente.

* Lorsque l’hémoptysie ne cède pas rapidement, il faut recourir à une tentative d’embolisation en urgence.

– L’embolisation est immédiatement précédée d’une étude artériographique pour repérer le vaisseau en cause.

– Cette technique peut permettre de sauver le malade et d’envisager un traitement radical dans un second temps.

* Beaucoup plus rarement on fera appel à un traitement chirurgical en urgence: exérèse d’une lésion localisée ou ligature vasculaire.

HÉMOPTYSIE DE MOYENNE ABONDANCE :

* Dans l’immédiat:

– rassurer et calmer le patient.

– poser une voie d’abord veineuse.

– administrer un vasoconstricteur artériel selon les modalités déjà vues, si l’hémoptysie ne se tarit pas spontanément. l’embolisation en urgence est rarement indiquée dans ce cas.

* Dans un second temps, le traitement sera discuté en fonction de la cause et après bilan endoscopique et, si besoin, artériographique:

– soit embolisation artérielle systémique dont les résultats sont bons à court terme. A plus long terme peuvent exister des récidives dues à des suppléances vasculaires.

– soit traitement chirurgical, surtout en cas de lésions localisées et lorsque la fonction respiratoire le permet.

* Les traitements médicaux concernent des causes bien précises:

– traitement digitalodiurétique et vasodilatateur en cas d’oedème pulmonaire ou d’insuffisance cardiaque.

– traitement antituberculeux triple parfois suffisant à lui seul à la phase aigue d’une tuberculose.

– antibiothérapie d’une infection broncho-pulmonaire.

HÉMOPTYSIE MINIME :

Elle ne nécessite aucun traitement immédiat mais justifie la surveillance.

Son traitement se confond avec celui de l’affection causale.

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