Plaies cervicofaciales par projectiles

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Introduction :

Les plaies balistiques se caractérisent par une effraction tégumentaire provoquée par un corps en mouvement.

Elles ne se résument donc pas, stricto sensu, aux seules blessures par armes à feu, mais incluent également des blessures rencontrées en traumatologie routière, lors des accidents de travail, de sport, et d’une manière plus générale dans toute activité humaine.

Plaies cervicofaciales par projectilesToutefois, de multiples études expérimentales et cliniques ont été réalisées en balistique terminale des projectiles par armes à feu.

Le caractère reproductible et standardisé de ces études, la prévalence et la gravité des blessures induites en font un modèle de choix pour leur description.

L’atteinte de la face et du cou confère à ces lésions une gravité toute particulière, tant à la phase initiale où la survie même est compromise, qu’au stade des séquelles où les pronostics fonctionnel et esthétique sont en jeu.

On peut utilement se reporter aux articles du même ouvrage détaillant des lésions comparables dans leurs aspects clinique et thérapeutique, sinon dans leur déterminisme.

Épidémiologie :

A – EN PRATIQUE CIVILE :

Les dernières statistiques connues pour la France font état d’environ 4 000 décès/an dus aux armes à feu. Les suicides par armes à feu et explosifs (code de la classification internationale des maladies [CIM] : E955) en représentent les trois quarts.

Les décès dus aux attentats par armes à feu et explosifs (code CIM : E261) dans un but homicide sont au nombre de 200 à 300/an environ.

Enfin, on décompte 400 à 500 décès dus aux mêmes causes, mais où l’intention est imprécise. On y inclut une cinquantaine d’accidents de chasse par an.

De ces chiffres de mortalité, on peut déduire la morbidité, sachant qu’un suicide par arme à feu est fatal dans 92 % des cas et que les agressions par armes à feu le sont dans 40 à 60 %.

On peut donc s’attendre chaque année en France à devoir traiter outre les cas secondairement létaux 240 survivants de suicides « ratés » et 250 à 280 rescapés d’agressions et d’accidents.

Le fusil de chasse est, en France, l’arme de loin la plus utilisée.

Pour les suicides, le modus operandi habituel place l’oto-rhinolaryngologie (ORL) au premier plan : canon de l’arme placé sous le menton, dans la bouche ou sur le rocher est la règle.

En ce qui concerne les agressions, tête et cou sont intéressés dans 20 % des cas ; la létalité immédiate ou secondaire est de 45 %.

On compte 4 à 5 millions d’armes légalement détenues en France, ce chiffre étant probablement à multiplier par trois si on y inclut les armes non déclarées (estimation).

À l’étranger, la prévalence dépend étroitement de la législation plus ou moins répressive de l’acquisition et de la détention d’armes à feu.

De 1933 à nos jours, plus de civils américains ont été tués (1 million) ou blessés par armes à feu qu’il n’y a eu de soldats américains tués ou blessés dans toutes les guerres jamais livrées par les États-Unis.

La balistique civile américaine représente « un Viêt-nam tous les 2 ans », soit 33 000 cas/an, dont deux tiers de suicides et un tiers par agressions.

En traumatologie routière, pièces de métal, débris telluriques, éclats de verre se comportent comme des projectiles.

Lors d’accidents du travail, débris d’instruments et fragments projetés par les explosions sont en cause.

B – EN PRATIQUE DE GUERRE :

Le nombre des blessés cervicofaciaux, la nature de l’agent vulnérant, dépendent étroitement du type de conflit, des protections individuelles des protagonistes, des armes utilisées et des conditions d’évacuation.

Dans les guerres « classiques », on peut estimer à un tiers le nombre de blessés par balles et à deux tiers le nombre de blessés par projectiles secondaires : éclats, débris telluriques, etc.

De 1940 à la guerre du Viêt-nam, le plus grand nombre de blessés par balle l’était par tir de « saturation » à l’aide d’armes spécialement conçues (fusil M 16).

La face et le cou, soit 12 % de la surface du corps, n’étaient donc guère exposés qu’à hauteur de leur surface.

Le pointage laser permet dorénavant aux tireurs embusqués (snipers) de viser les structures non protégées par un blindage ou un casque, et donc au premier chef la face et le cou.

Dans les conflits de type « guérilla urbaine », le nombre de blessés par balle peut atteindre 50 % ou plus, la tête et le cou étant intéressés dans 20 % des cas.

C – À LA LIMITE DES CHAPITRES CIVILS ET MILITAIRES :

À la limite de ces deux chapitres, citons encore :

– les mines antipersonnel, vulnérantes, en particulier pour les populations civiles (80 % des victimes) bien après la fin des conflits; mention doit être faite, pour l’ORL, des « mines bondissantes », mises à feu par un cordon réglé à hauteur de la face ou du cou, et disséminant en « pétale de marguerite » des éclats radiotransparents ;

– les projectiles de maintien de l’ordre : balles dite en « caoutchouc », pourvoyeuses en cas d’impact de 2 % de létalité et de 22 % de plaies cervicofaciales ;

– les fusils lançant des grenades lacrymogènes « à tir tendu », pratique interdite en France, car responsables d’enfoncement circulaire du massif facial.

Pathogénie :

Lors de l’impact, il y a transfert de l’énergie cinétique du projectile vers les tissus.

Cette énergie est fonction de la masse du projectile et du carré de sa vitesse.

A – PROJECTILES :

On distingue classiquement trois types de projectiles.

1- Projectiles de faible vitesse :

Il comprennent les armes de poing, les nombreuses armes de chasse, les projectiles secondaires, pour lesquels la vitesse est inférieure à 500 m/s.

Les munitions sont en règle stables.

Il peut s’agir de projectiles multiples : gerbes de plomb ou grenaille.

2- Projectiles d’armes de guerre :

Les conventions de La Haye (1899) proscrivent les balles explosives.

Afin de contourner cette limitation, les balles sont conçues pour être instables sur leur axe de tir, parfois fragmentables, ou pour se déformer en « champignon » à l’impact, assurant un transfert d’énergie maximal.

3- Projectiles secondaires :

Ils peuvent affecter toutes les formes et sont assimilés à des projectiles à basse vitesse.

Toute munition ou partie de munition est présumée ferromagnétique.

B – LÉSIONS :

1- Des tissus homogènes :

Les projectiles stables à faible vitesse sont responsables de tunnels réguliers dits en « coup de fleuret ».

Les projectiles à haute vitesse déterminent un tunnel régulier ou col (neck), plus ou moins long, dans la partie initiale de leur trajet tissulaire.

Ce neck peut être relativement long, jusqu’à 25 cm pour certaines munitions de fusil AK47 « kalashnikov ».

Il peut être quasi inexistant pour certaines munitions d’arrêt telles la balle THV à la pointe dite « paraboloïde concave » et pour les balles en matériau mou qui « champignonnent ».

Un long neck peut donc entraîner une plaie transfixiante au niveau du cou.

Une cavité fait suite à ce neck.

Cette cavité est fonction de la vitesse de la balle, de son instabilité, de sa déformation ou de sa fragmentation.

Dans un premier temps se forme une volumineuse cavité temporaire (quelques millisecondes), pulsatile (stretching), propageant l’onde de choc de forte pression (60 à 100 bar) aux structures voisines ou au contraire l’absorbant, selon les caractéristiques biomécaniques du tissu.

Puis persiste une cavité résiduelle (crush), zone d’attrition faite de tissus broyés.

L’orifice de sortie est plus ou moins large.

Il n’y a donc pas lieu d’affirmer que l’orifice d’entrée est toujours punctiforme et l’orifice de sortie toujours délabré.

2- Des tissus inhomogènes :

Ces tissus sont présents au niveau de la tête et du cou.

L’impact sur les os lamellaires de la face peut transfixier ceux-ci.

Toutefois, les phénomènes de cavitation peuvent les fragmenter, chaque fragment devenant alors un projectile secondaire.

L’impact sur un os dur, tel la mandibule, les os du crâne ou le rachis peut, outre les fractures induites (alors volontiers irradiées ou multiesquilleuses), propager à distance l’onde de choc.

Un impact tangentiel sur la voûte crânienne ou sur un corps vertébral peut induire des lésions vasculaires hémorragiques, un oedème cérébral ou des atteintes nerveuses ou médullaires (concussion spinale).

Si les structures creuses, telles l’arbre respiratoire ou l’oesophage absorbent relativement bien l’onde de choc, les structures pleines, et en particulier l’oeil et le cerveau, tolèrent très mal celle-ci (décollement de rétine, hématome intracrânien).

Les vaisseaux artériels du cou auraient une certaine tendance à se dérober devant le projectile blindé ou peu déformable.

L’onde de choc peut toutefois être responsable de lésions de l’intima et de thrombose artérielle.

Les nerfs les plus exposés sont le nerf spinal externe, le plexus brachial et la moelle épinière.

Les veines sont plus fragiles ; leur paroi est volontiers déchirée par les fragments acérés. Les parties molles de la tête et du cou peuvent être le siège d’un délabrement massif par impact direct ou non : chevrotines à faible portée, polycriblage, fragmentation du projectile, éclatement de la mandibule à l’impact.

Elles sont souvent le siège d’un oedème rapidement impressionnant faisant courir un risque asphyxique.

L’hémorragie peut contribuer à ce risque asphyxique si elle siège au niveau des voies aériennes.

Au niveau du cou, les cloisonnements aponévrotiques sont susceptibles de contenir un hématome potentiellement compressif.

La dénudation des cartilages ou de fragments osseux dévascularisés, la perte de la couverture de l’oeil, des pertes de substance périorificielles sont des éléments de gravité.

3- Associées :

En situation de catastrophe, les blessures multiples, l’afflux de blessés, les brûlures, sont habituels.

Un blast tympanique ou laryngé accompagne souvent une explosion.

Les lésions de blast laryngé signalent un risque de blast pulmonaire associé et ont donc valeur de signe d’alarme.

Une blessure balistique est une blessure souillée ; le risque infectieux se majore lorsqu’il existe des tissus nécrosés ou des fragments osseux dévitalisés.

Des fragments de vêtements, des débris telluriques, des reliquats de la bourre de la munition peuvent souiller la plaie.

Les projectiles, contrairement à une idée répandue, ne sont pas chauds.

Il n’y a ni stérilisation de la plaie, ni brûlure tissulaire dues au projectile lui-même.

La richesse vasculaire de la région cervicofaciale lui confère une certaine défense contre l’infection.

Classification des blessures :

– Une classification simple et rapide des blessures a été proposée en 1991 par la Croix-Rouge internationale.

Son intérêt est de renseigner au mieux les fiches d’évacuation des blessés et de permettre la transmission synthétique des données.

– La classification de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) (CIM10) n’a qu’une vocation épidémiologique en catégorisant les blessures selon l’agent vulnérant et la localisation.

– Il n’existe pas de norme « OTAN » (Organisation du traité de l’Atlantique Nord) à ce jour.

Lésions selon la topographie :

A – ÉTAGE SUPÉRIEUR DE LA FACE :

1- Le danger vital est endocrânien :

– Précocement, par la pénétration du projectile, les délabrements encéphaliques directs ou induits par la cavitation, ainsi que par l’oedème cérébral.

– Secondairement, par la constitution d’hématome, la contamination septique, le risque majeur de fistule cérébrospinale, qui sont à craindre.

L’atteinte peut être directe ou à distance (ébranlement).

2- Le danger fonctionnel est oculaire :

– Grenaille ou plombs de chasse induisent des plaies perforantes.

Les milieux liquidiens, la rétine, les nerfs optiques tolèrent mal l’onde de choc.

– Les parois orbito-ethmoïdo-frontales, sièges de fractures multiesquilleuses, sont autant de projectiles secondaires potentiels.

Soulignons la fréquence des atteintes bilatérales : gerbes de projectiles (grenaille) ou trajet temporosphénoïdal lors des suicides.

B – ÉTAGE MOYEN DE LA FACE :

OEdème et hémorragie sont la règle et font, avec les atteintes de l’étage mandibulaire, le risque asphyxique immédiat de telles lésions.

Le risque basicrânien, sphénoïdal ou médullaire, est à considérer car souvent rencontré lors des suicides.

Le projectile est arrêté, parfois dévié ou fragmenté par l’apophyse basilaire de l’occipital, le corps du sphénoïde ou les corps vertébraux.

C – ÉTAGE INFÉRIEUR DE LA FACE :

Les fractures de la mandibule, souvent comminutives, privent les muscles de la langue de leurs points d’ancrage antérieurs.

La glossoptôse, jointe à l’oedème rapidement volumineux, met en jeu le pronostic vital à court terme.

À plus long terme, les fonctions salivaires et de mastication seront dépendantes du délabrement initial et des possibilités de correction précoces ou retardées.

D – AXE VISCÉRAL DU COU :

Dans une série récente de plus de 7 000 blessés balistiques, il est intéressé dans 5 % des cas.

1- Axe laryngotrachéal :

La suspicion de lésion repose sur la localisation de la blessure : tout projectile qui a traversé la ligne médiane du cou est réputé avoir lésé les voies aérodigestives.

Cette assertion reçoit confirmation, une fois sur deux environ lorsqu’une chirurgie systématique est pratiquée.

Les signes de gravité sont une dyspnée inspiratoire avec tirage, un emphysème sous-cutané, parfois impressionnant, majoré par la toux, une dysphonie ou une aphonie traduisant des fractures ou une luxation des cartilages, une atteinte récurrentielle ou un oedème de la muqueuse des voies respiratoires.

La dysphagie à la salive est également un signe de valeur.

Chacun de ces signes se rencontre dans un quart à un tiers à des cas, isolé ou associé aux autres. Bien entendu, une plaie soufflante est pathognomonique.

Elle existe chez 20 % de tels blessés.

2- Axe digestif :

Il est deux fois moins souvent en cause. Ici encore, odynophagie et emphysème sont souvent révélateurs.

Les signes infectieux, plus tardifs mais graves, préludent à une médiastinite extensive de la base du crâne au médiastin.

La blessure oesophagienne peut être double : l’éclat ou le projectile a pu traverser l’organe, rebondir sur un corps vertébral ou y rester fiché.

3- Glande thyroïde :

Elle est rarement touchée, et malgré son caractère d’« éponge vasculaire », son atteinte isolée ne semble pas engager le pronostic.

E – AXES VASCULAIRES DU COU :

Ils sont intéressés eux aussi, isolément ou non, par 5 % des plaies balistiques de guerre.

Trois fois sur quatre, il s’agit de plaies veineuses et, dans un quart des cas, de plaies artérielles. Les plaies artérielles de la base du cou posent un difficile problème de compression et d’accès dans l’urgence.

Citons pour mémoire les classiques « plaies sèches », un vaisseau spasmé pouvant se remettre à saigner secondairement, et les lésions de l’intima par diffusion de l’onde de choc, volontiers méconnues et d’expression ischémique tardive.

F – PLAIES DE LA RÉGION AURICULAIRE :

Elles sont de systématisation difficile : les plaies superficielles par abrasion ou brûlure peuvent compromettre la vitalité du cartilage. Leur pronostic est esthétique.

Les lésions de la parotide, avec ou sans atteinte faciale, ainsi que les lésions de l’oreille moyenne posent un problème fonctionnel.

Mais les fracas pétrotemporaux ramènent au problème vital des lésions cranioencéphaliques auxquelles ils doivent être assimilés.

Aides au diagnostic :

Outre les signes anamnestiques et cliniques déjà cités, on évoque les examens suivants.

A – RADIOGRAPHIES STANDARDS :

Les clichés sans préparation du crâne, face et profil, recherchent les fractures et les projectiles dont on reconstitue mentalement le trajet.

Cette reconstitution mentale n’a toutefois qu’une valeur indicative, la trajectoire du projectile ayant pu être déviée.

On s’attache tout particulièrement à dépister un corps étranger intraoculaire, signant une plaie du globe.

Les radiographies simples de la face en incidence de Waters, ou l’incidence de Blondeau, ou encore l’incidence « face haute », permettent souvent une première approche des lésions osseuses.

Enfin, les clichés du cou peuvent retrouver un emphysème, un signe de Minnegerode (épanchement gazeux prévertébral), et un cliché thoracique élimine un pneumomédiastin, voire un hémomédiastin.

L’ingestion de produit de contraste hydrosoluble, visualisant une perforation oesophagienne, n’a de valeur que positive.

B – TOMODENSITOMÉTRIE :

Elle est irremplaçable dès que l’état du blessé et les circonstances l’autorisent.

Les lésions cranioencéphaliques bénéficient de clichés avec injection, précisant les dégâts initiaux et permettant un suivi évolutif. Les lésions osseuses orbitofaciales, les fractures laryngées, ne peuvent être correctement évaluées que par un scanner.

C – IMAGERIE PAR RÉSONANCE MAGNÉTIQUE :

Elle est formellement contre-indiquée en cas de plaie balistique. Le même type de munition, d’un lot à l’autre, peut ou non être ferromagnétique.

Un projectile, même s’il est sorti, peut avoir laissé des fragments sur son trajet.

D – ARTÉRIOGRAPHIE :

Elle a une double place, diagnostique et interventionnelle.

La zone III de la classification de Saletta (de C2 à la base du crâne) est d’exploration chirurgicale difficile, entre branche montante et mastoïde, au sein d’un riche carrefour des nerfs mixtes, l’espace sous-parotidien postérieur.

Les plaies vasculaires de la zone I, et surtout du défilé cervicothoracique, ont été décrites comme « l’un des plus redoutables de tous les types de blessures ».

Des contusions intimales thrombogènes peuvent provoquer des accidents emboliques à distance.

Plaies sèches, fistules artérioveineuses, anévrismes, sont des menaces. Divers gestes interventionnels sont possibles : embolisation sélective, chemisage (spring coil), oblitération temporaire le temps que le chirurgien intervienne.

Rappelons que le flux carotidien interne doit être rétabli dans l’heure qui suit son occlusion.

Un rétablissement plus tardif expose en effet à un oedème cérébral de revascularisation qui ajouterait sa propre gravité à celle du tableau clinique.

E – PANENDOSCOPIE :

Laryngoscopie (soit à but diagnostique, soit pour faciliter l’intubation), trachéobronchoscopie et oesophagoscopie ont leur place dans l’arsenal des moyens.

F – ÉCHOGRAPHIE :

Elle peut permettre de localiser un éventuel épanchement de sang veineux, et l’échodoppler vérifie la perméabilité des grands axes artériels.

G – EXAMENS BIOLOGIQUES :

Groupage sanguin, numération globulaire, hématocrite sont pratiqués à titre de référence en cas de menace hémorragique, mais en l’absence de signes cliniques, ni l’ionogramme ni le bilan de coagulation n’ont leur place dans le bilan systématique d’urgence.

Les sérologies pour les virus de l’immunodéficience humaine (VIH) et de l’hépatite C sont de mise si les sauveteurs sont susceptibles d’avoir subi un accident d’exposition au sang (AES).

Principes de traitement :

A – URGENCE VITALE IMMÉDIATE :

1- Dyspnée :

– En cas de traumatisme neuroencéphalique, devant une dyspnée de type central, l’intubation précoce est la règle.

– En cas de lésion faciale ou cervicale, l’asphyxie doit être levée ou prévenue par la libération des voies aériennes.

L’intubation immédiate, si elle est possible, est préférable.

À défaut, la trachéotomie percutanée trouve là une indication de choix dans l’urgence.

Aux États-Unis, elle est enseignée aux paramédicaux chargés du ramassage des blessés.

La coniotomie, effectuée grâce à un kit adapté, a parfois été rendue responsable de sténoses sous-glottiques ultérieures.

Certains de ces kits sont dépourvus de ballonnet.

La mise en place d’une sonde d’intubation par voie d’une plaie soufflante peut être une solution d’attente.

La mise en place d’une canule de Guedel, l’embrochage transjugal de la langue, évitant la glossoptôse (méthode de Pons) peuvent être utiles dans certaines circonstances.

Enfin, en cas d’hématome compressif de la gouttière carotidienne, l’intubation précoce prévient la compression de l’arbre aérien. Dans les SAU (service d’accueil des urgences), l’intubation sous contrôle endoscopique, la trachéotomie conventionnelle, ou la jetventilation ont leur place.

En toute situation, il est impératif de reperméabiliser la filière aérienne, de prévenir l’inhalation de sang, et si nécessaire, de permettre une ventilation assistée.

2- Hémorragies :

Les hémorragies extériorisées font l’objet de mesures d’hémostase provisoire.

– Hémorragies provenant d’une zone délabrée, ou avec importante perte de substance : des compresses grasses sont tassées dans la plaie et maintenues par compression.

– Hémorragie extériorisée par le nez ou la bouche : sous réserve du respect de la liberté des voies aériennes, compression par bourdonnets de compresses grasses (lèvres, joues, plancher de la bouche), sonde à simple ou double ballonnet (fosses nasales, cavum), peuvent s’avérer nécessaires.

Une hémorragie de la carotide intrapétreuse est toutefois le plus souvent au-delà de toute ressource.

Dans de rares cas, une embolisation en urgence peut être salvatrice.

– Otorragie : nonobstant sa valeur localisatrice et de gravité fonctionnelle, elle n’est préoccupante à ce stade qu’en cas de lésion des gros vaisseaux de la base (carotide, golfe de la jugulaire, sinus latéral).

Un méchage ou un pansement compressif peut être tenté.

En revanche, une otoliquorrhée n’est pas méchée, le méchage favorisant l’infection.

– En toute hypothèse, des abords veineux sont prévus en nombre et en diamètre largement suffisants.

Une réanimation hydroélectrolytique est aussitôt entreprise et est adaptée en fonction de l’évolution.

En cas de signes cliniques de choc hypovolémique, du Ringer Lactatet (trois volumes pour un volume de sang perdu), ou mieux encore, des grosses molécules (hydroxyéthylamidon : Lomolt, Elohest, 20 mL/kg/j au maximum), ou encore des gélatines fluides modifiées (Plasmagelt) sont perfusés.

B – BILAN ET TRAITEMENT PRIMAIRE :

Ils visent à pérenniser les fonctions vitales, préserver l’avenir fonctionnel et minimiser les séquelles cosmétiques.

1- Pérenniser les fonctions vitales :

* Fonction neurologique :

Un bilan de conscience et des grandes fonctions neurologiques s’accompagne de la mise en route d’un traitement médical antioedémateux en cas de risques d’engagement (Mannitolt).

Il convient d’assurer l’oxygénation et surtout d’éviter l’hypercapnie.

Des épisodes épileptiques surviennent dans 2 à 4% des plaies pénétrantes craniocérébrales.

L’usage des anticonvulsivants, administration de diphénylhydantoïne, de phénobarbital ou, maintenant, d’acide valproïque (Dépakinet) à titre systématique est la règle.

L’iconographie fait appel idéalement au scanner, et à défaut aux clichés sans préparation.

Toutefois, elle ne saurait retarder de quelque façon un traitement chirurgical urgent.

Ce traitement chirugical, possible dans 70 % des cas par voie de la plaie, vise à effectuer l’hémostase, à effectuer un rinçage abondant au sérum physiologique (ni lavage antibiotique, ni produit iodé), à enlever les esquilles osseuses et à effectuer un parage extrêmement économe, tout tissu sain devant être impérativement respecté.

On effectue une fermeture étanche de la dure-mère par un fragment de galéa ou d’épicrâne, au besoin du fascia lata, mais sans matériel exogène.

Contrairement aux règles de chirurgie de guerre, aucun drainage n’est mis en place.

Une éventuelle cranioplastie n’a pas sa place à ce stade précoce.

La surveillance ultérieure est celle de tout traumatisé crânien.

* Fonction circulatoire :

Un groupage et une numération globulaire permettent d’adapter la réanimation hydroélectrolytique.

Des signes d’ischémie (hémiplégie) et la présence des pouls périphériques (facial, temporal) sont recherchés.

– En cas d’hémorragie de la face, l’exploration de la plaie permet parfois l’hémostase intrafocale.

À défaut, une ligature du pédicule nourricier est parfois possible.

La ligature de la carotide externe est le recours, malgré sa relative inefficacité.

– Une lésion de l’artère maxillaire peut parfois être embolisée.

– Une plaie de la carotide interne dans son trajet basicrânien appelle un chemisage ou une embolisation.

– Vis-à-vis des plaies balistiques des gouttières carotidiennes, l’exploration chirurgicale de principe est une règle constante depuis les publications de de Backey en 1945, dès lors que le platysma est franchi par le projectile.

Quelques publications tendant à contester cette loi ne doivent être considérées, à l’heure actuelle, que comme les exceptions confirmant la règle.

L’incision est, sauf circonstance particulière, pré-sterno-cléïdomastoïdienne, plus ou moins modifiée pour inclure l’orifice balistique.

En cas de blessure de la zone I, elle peut se prolonger par une incision de thoracotomie.

Des lésions vasculaires sont constatées environ une fois sur deux.

La réparation des troncs artériels supra-aortiques fait appel aux principes habituels de la chirurgie vasculaire.

L’utilisation de prothèses vasculaires reste discutée, en particulier en cas de plaie souillée.

En cas d’absence de lésion artérielle évidente, le suivi ultérieur peut faire appel à l’exploration par doppler ou artériographie afin de dépister une atteinte intimale thrombogène.

* Fonction respiratoire :

Le bilan fait largement appel au scanner.

– Les lésions cartilagineuses du larynx sont traitées par suture ou suspension dans toute la mesure du raisonnable.

Le calibrage endoluminal, sous couvert de trachéotomie, est à éviter autant que possible.

Le détail des procédés de réparation du larynx a déjà été précisé dans d’autres chapitres de cet ouvrage.

– Les lésions sous-glottiques peuvent, selon leur étendue, être calibrées par un tube en T laissé en place le moins longtemps possible (1 à 2 semaines).

– Les plaies trachéales sont suturées en deux plans, un plan muqueux endoluminal et un plan pariétal. Une résection trachéale de un à quatre anneaux est parfois nécessaire.

– Certaines plaies balistiques laryngotrachéales sont trop délabrées pour permettre une réparation de première intention. Un calibrage des structures restantes laissées ouvertes (méthode de Flottes), une laryngectomie partielle, voire très exceptionnellement totale, sont affaire de circonstance.

* Lésions pharyngooesophagiennes :

Le traitement des lésions hypopharyngées est, hors délabrement massif, non chirurgical et fait appel à une nutrition par sonde nasogastrique sous couvert d’antibiothérapie.

Le traitement chirurgical de toute plaie oesophagienne est en revanche impératif.

L’abord se fait en règle par cervicotomie gauche, en raison du risque récurrentiel droit et du débord de l’oesophage à gauche, sauf si la voie de la plaie autorise une bonne exposition du côté droit.

La réparation pariétale se fait sur sonde, en deux plans.

L’abord cervical est largement drainé si la plaie a été traitée dans les toutes premières heures ; si la chirurgie a été différée au-delà de 6 heures, la plaie est laissée ouverte sur lames de Delbet.

* Prise en compte du risque infectieux :

Les agents en cause sont, outre le tétanos, dus aux toxines de Clostridium tetani, Pseudomonas aeruginosa, Clostridium perfringens et Acinetobacter.

En cas de lésion des voies respiratoires, streptocoques et staphylocoque s’y ajoutent.

Les tissus nécrosés, dévitalisés, sont un terrain propice au développement de cellulite, de myosite, avec ou sans crépitation à la palpation, générant ou non des septicémies.

Le traitement doit être le plus précoce possible et il recourt à la chirurgie, aux antiseptiques, aux antibiotiques et à la vaccination.

La chirurgie fait appel à l’excision précoce et large des tissus nécrosés ou voués à la nécrose, au parage de la plaie des éléments inclus (débris telluriques, vêtements, projectiles lorsque ceux-ci sont accessibles).

Plus tardivement, de larges débridements, des irrigations et des drainages sont de mise.

Deux exceptions toutefois : l’endocrâne et la face.

La riche vascularisation de celle-ci, si elle ne la préserve pas de l’infection, en limite toutefois les effets.

J Piquet écrivait, en 1952 : « Il faut être non seulement économe dans son intervention, mais même d’une avarice sordide : toutes les parties molles ont un prix inestimable, qu’il s’agisse du lambeau cutané ou de l’esquille osseuse. (…)

Une paupière, une aile du nez, une lèvre… »

Cette notion vaut encore de nos jours. Les antiseptiques sont largement utilisés sur des plaies toujours souillées : dérivés mercuriels (Merfène, Mercryl), ammoniums quaternaires (Sterlane, Biocidan, Cétavlon) sur les plaies superficielles non détergées.

Sur une plaie détergée ou dans une cavité opératoire, on utilise, outre les mercuriels, les iodophosphorés (Bétadine), la chlorhexidine (Hibitane) ou les hypochlorites (liqueur de Dakin).

Rappelons l’incompatibilité d’association des dérivés mercuriels et de produits iodés en raison du risque de nécrose.

Les antibiotiques sont administrés le plus tôt possible : « la précocité conditionne l’efficacité ».

Les auteurs français privilégient, pour les plaies de la face, la pénicilline G à la dose de 5 millions d’unités par jour.

Certains y associent systématiquement des aminosides (gentamycine, 120 mg toutes les 6 heures) ou le métronidazole intraveineux (500 mg toutes les 8 heures).

En l’absence de renseignements sur la protection vaccinale, une prophylaxie antitétanique n’est pas omise.

2- Préserver l’avenir fonctionnel et esthétique :

* Vision :

La plaie perforante du globe doit être recherchée de principe devant tout traumatisme balistique cervicofacial : le dépistage de grenaille, plombs de chasse, éclats secondaires tels qu’une esquille osseuse, bénéficie largement de la radiographie simple sans préparation.

Dans le doute, une goutte de collyre antibiotique, des antiinflammatoires non stéroïdiens et un pansement non compressif permettent d’attendre un examen spécialisé urgent.

En l’absence de plaie du globe, il convient d’évacuer, s’il y a lieu, un hématome orbitaire, de traiter les annexes de l’oeil, d’administrer de l’isoptohomatropine ou un autre dérivé atropinique et des antiinflammatoires non cortisonés.

L’ophtalmologiste s’attache dès que possible à évaluer la transparence des milieux et l’intégrité de la rétine.

Rappelons le risque majeur de contusion du globe et la mauvaise tolérance du nerf optique à la concussion, même en l’absence de lésion.

La réparation palpébrale constitue également une urgence fonctionnelle.

* Oreille :

Le traitement des lésions de l’oreille externe obéit à deux impératifs :

– ne pas laisser les cartilages à nu.

Au besoin, il est parfois possible de les « mettre en nourrice ».

Toute préservation cartilagineuse sera bienvenue aux temps cosmétiques ultérieurs ;

– éviter une sténose du conduit par un calibrage : mèche grasse, ou mieux, Silastict roulé calibré par un pope Otowickt, ce dernier pouvant être changé sans enlever la lame de Silastict.

Pour l’oreille moyenne, seules des lésions limitées (blast tympanique, luxation ossiculaire) sont susceptibles d’une réparation ultérieure, sortant du cadre de cet article.

Les lésions pétreuses étendues excèdent le cadre de la préservation fonctionnelle, rejoignant celui des lésions cranioencéphaliques.

Une trépanation mastoïdienne vise, s’il y a lieu, à dégager le sinus latéral pour en assurer l’hémostase par compression ou ligature, ou à combler le labyrinthe pour tarir une otoliquorrhée.

* Fracas osseux :

Lors des traumatismes balistiques par projectiles à haute énergie, ainsi que dans les plaies par armes de chasse à bout touchant, il y a un véritable éclatement de la face.

Dans un premier temps, il convient de limiter les hématomes, les espaces morts, de contrôler la nécrose tissulaire et de maîtriser le processus infectieux.

La reconstruction précoce vise à préserver les espaces et les volumes par une contention ou un comblement provisoires, tantôt intrafocal (résines, Optosilt, microplaques, ballonnets intrasinusiens), tantôt externes (broches).

Les téguments sont rapprochés et un transfert de tissu vascularisé de proximité est parfois utile.

Dans un tel milieu hautement septique, les greffes osseuses sont proscrites à ce stade.

La fermeture sera lâche jusqu’au contrôle des phénomènes infectieux.

Ce n’est que dans un deuxième temps, après évaluation par tomodensitométrie tridimensionnelle, que des reconstructions plus élaborées prennent place.

Les projectiles à basse énergie sont responsables de dégâts osseux plus limités où les réparations par blocage bimaxillaire, ostéosynthèses par mini- et microplaques vissées ou fil d’acier, ont toute leur place.

* Lésions des parties molles :

– Au niveau de la face : le parage doit, nous l’avons déjà dit, être le plus économe possible.

Une suture précoce, c’est-à-dire dans les 24 heures, affronte les lèvres des plaies qui peuvent être fermées sans tension.

Des sutures cutanéomuqueuses peuvent s’avérer nécessaires.

Le véritable problème est celui des grands délabrements avec perte de substance, obligeant parfois à une cicatrisation dirigée ou à des lambeaux vascularisés de voisinage.

– Au niveau du cou : l’abord s’efforce d’emporter les orifices projectilaires.

Débridements, parages, aponévrotomies sont larges.

La fermeture se fait sur drain pour les plaies traitées précocement.

Les vastes cavités cratériformes et les plaies vues tardivement, sont laissées ouvertes et traitées par cicatrisation dirigée.

– Les plaies nerveuses ne peuvent en règle pas être réparées.

Toutefois, une suture épipérineurale ou le repérage d’une extrémité nerveuse en vue d’une anastomose ultérieure sont parfois possibles.

B – ATTITUDE VIS-À-VIS DU PROJECTILE :

Les projectiles métalliques sont en règle bien tolérés.

S’il est souhaitable de les extraire, cette extraction ne doit en aucun cas justifier une majoration des dégâts.

Les projectiles tranchants ou acérés, à proximité d’organes nobles, tels l’oesophage ou la veine jugulaire interne seront toutefois recherchés.

Il est en revanche illusoire et dangereux de rechercher les quelques dizaines de plombs d’une gerbe d’arme de chasse ; 19 cas de saturnisme par des plombs laissés en place seulement ont été documentés.

Enfin, à long terme, ils ont une tendance à migrer, de manière parfois surprenante.

Bien entendu, tout corps étranger métallique laissé en place contreindique formellement et définitivement la réalisation d’une imagerie par résonance magnétique.

Urgence psychiatrique :

C’est une urgence différée, indispensable quelle que soit la genèse du traumatisme balistique : accident, suicide, attentat, conflit armé.

Considérations médicolégales :

Il convient de découper les vêtements en isolant l’orifice de pénétration qui est conservé.

Si possible, des photos sont prises et des contretypes des clichés sont archivés.

L’orifice d’entrée peut être marqué par une collerette érosive, de bords plus ou moins parallèles à l’orifice et variables selon l’angle de pénétration.

Autour de cet orifice, des traces de poudre non brûlée (tatouage) indiqueraient la proximité de l’arme. Les projectiles extraits sont conservés.

La divulgation de ces éléments obéit aux règles habituelles du secret professionnel.

Conclusion :

La survie précoce des patients atteints de plaies balistiques de la face et du cou a grandement bénéficié des récents progrès dans le ramassage, le conditionnement et l’évacuation médicalisée.

Lors de leur prise en charge primaire, qui est volontiers pluridisciplinaire, le spécialiste garde à l’esprit la nécessité de préserver l’avenir fonctionnel, esthétique et psychologique.

Une chirurgie reconstructive, faisant maintenant largement appel aux greffes microanastomosées, des traitements s’inscrivant encore trop souvent dans la durée, permettent de réinsérer le blessé socialement, familialement et professionnellement.

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