Pied diabétique

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Introduction :

La prise en charge du pied diabétique est un des axes majeurs de la pratique diabétologique en raison de la fréquence des lésions (7 à 15 % des patients diabétiques auront une lésion du pied dans leur vie), et de leur gravité.

L’incidence annuelle des ulcérations du pied chez le patient diabétique est de 5,6 %, la prévalence de l’amputation est de 1,3 %.

Pied diabétiqueLe diabète est la première cause d’amputation non traumatique des pieds dans les pays développés (67 000 cas/an aux États-Unis).

Le risque d’amputation non traumatique chez le patient diabétique est multiplié par 15 par rapport à celui de la population générale.

L’incidence des amputations est plus forte chez les hommes, augmente avec l’âge, la durée du diabète et l’existence d’une atteinte rénale avérée.

L’amputation est secondaire dans plus de 80 % des cas à une lésion minime négligée ou mal soignée du pied.

La morbidité associée à l’amputation du pied chez le diabétique est importante, avec un risque d’amputation controlatérale important (53 % dans les 4 ans qui suivent).

La mortalité globale dans une population de patients diabétiques ayant une ou des lésion(s) des pieds est multipliée par 2,4, dans 45 % des cas du fait de maladie cardiovasculaire ou rénale.

La consommation médicale associée aux troubles trophiques des pieds chez le diabétique est importante : 20 % des admissions en secteur hospitalier et 50 % de la durée des hospitalisations.

Les troubles trophiques des pieds représentent la complication du diabète la plus coûteuse.

En France, le coût moyen annuel des hospitalisations pour lésions trophiques du pied diabétique est estimé à 571 millions d’euros par an.

Les conséquences humaines de cette pathologie sont également importantes (isolement/exclusion sociale, absentéisme professionnel via des hospitalisations répétées, retentissement psychologique…) et difficiles à évaluer.

Une meilleure connaissance des risques par les intervenants médicaux et paramédicaux (infirmières, pédicures, kinésithérapeutes) et, surtout, par les patients eux-mêmes, une surveillance soigneuse et un dépistage des facteurs de risque, pourraient réduire le coût humain et financier de cette pathologie.

La réduction de 50 % des amputations de pied par gangrène diabétique à 5 ans dans les pays à haut niveau socioéconomique était un des objectifs de la Déclaration de Saint-Vincent élaborée par l’Organisation mondiale pour la santé (OMS) en 1989 ; nous en sommes probablement encore loin…

Physiopathogénie :

La genèse des troubles trophiques des pieds chez le sujet diabétique est la résultante d’une atteinte multifactorielle, impliquant des facteurs vasculaires, neurologiques et ostéoarticulaires.

L’atteinte artérielle des membres inférieurs s’intègre dans le cadre de la maladie vasculaire générale, notamment chez le patient diabétique de type 2.

L’incidence de l’artériopathie augmente avec l’âge et la durée du diabète, elle est estimée à 15 % à 10 ans, et 45 % à 20 ans d’évolution de la maladie.

On estime qu’environ un diabétique artéritique sur cinq va développer une gangrène.

Les facteurs de risque de développer une artérite sont les facteurs de risque vasculaire habituels (hypertension artérielle, dyslipémie, tabac), auxquels il faut ajouter l’insulinorésistance et l’atteinte rénale avérée.

La localisation des lésions est différente de celle de l’artérite non diabétique, les lésions se situant entre le genou et la cheville, épargnant les axes proximaux et les artères distales.

La médiacalcose est plus fréquente que chez le non-diabétique, sans corrélation entre son existence et l’importance des lésions athéroscléreuses.

La progression des lésions est beaucoup plus rapide que chez le sujet non diabétique.

L’atteinte neurologique liée au diabète est pourvoyeuse de troubles trophiques neurologiques purs ou neuro-ischémiques via l’insensibilité à la douleur.

Les contraintes mécaniques imposées au pied par des troubles morphostatiques banals présents chez bon nombre de sujets et qui sont responsables de zones d’hyperappui et/ou d’hyperkératose, ne sont plus perçues comme gênantes par le patient diabétique du fait du développement progressif de l’insensibilité.

Le symptôme d’appel (la douleur) manquant, les lésions se creusent dans le tissu sous-cutané, par le biais d’un cisaillement des tissus, entraînant la formation d’une cavité sérohématique qui se surinfecte secondairement, et s’ouvre à l’extérieur lorsque la corne se rompt.

Le processus d’abcédation peut s’étendre en surface et en profondeur, entraînant une atteinte ostéoarticulaire qui empêche la cicatrisation tant que dure l’infection osseuse.

L’association d’une composante ischémique et neuropathique compromet la cicatrisation d’un trouble trophique.

Bilan du pied diabétique :

A – BILAN CLINIQUE :

Il est indispensable de le faire de façon complète lors de la première consultation pour avoir une connaissance claire des différentes atteintes, pour proposer un stade de classification et évaluer le pronostic.

1- Bilan des troubles trophiques :

Les lésions d’étiologie neurologique débutent au niveau des zones de pressions maximales avec, par ordre de fréquence décroissante, la pulpe du 1er orteil, la tête des 1er, 5e et 2e métatarses, le talon.

Au début, il s’agit d’une zone d’hyperkératose ou durillon qui se complique d’hématome sous-jacent, de fissures puis d’ulcérations.

Le mal perforant plantaire s’étend en surface entouré d’une couronne d’hyperkératose, et en profondeur vers les plans osseux.

Les lésions ischémiques débutent sur les zones de frottements (faces latérales du pied, orteils) sous forme d’une gangrène cutanée noirâtre à bordure plus ou moins limitée et s’étendent en surface et en profondeur selon l’intensité de l’artérite et la participation infectieuse.

2- Bilan neurologique :

L’atteinte neurologique (30 à 40 % des lésions du pied diabétique) est définie par l’absence d’alerte douloureuse en rapport avec le durillon ou le mal perforant plantaire, en cause dans 61 % des cas d’amputations.

Il est simple de confirmer cette anesthésie superficielle en utilisant le monofilament de Semmes-Weinstein (10 g), commercialisé en France (Smith Nephew et Novo Nordisk). D’autres signes de neuropathie périphérique peuvent être présents : abolition des réflexes achilléens, dysesthésies du tiers inférieur des jambes, absence de sudation, sécheresse cutanée.

3- Bilan vasculaire :

L’atteinte vasculaire (35 à 57 % des plaies du pied diabétique) est confirmée par l’absence des pouls, plus particulièrement poplités et distaux.

L’importance de cette atteinte est plus difficile à évaluer sur un pied diabétique : pâleur de surélévation, érythrose de déclivité, refroidissement du pied, la claudication intermittente étant rarement révélatrice.

4- Bilan rhumatologique :

Les déformations en rapport avec l’ostéoarthropathie et la neuropathie motrice (atrophie des muscles intrinsèques du pied, raideur articulaire, déformation vicieuse des orteils, affaissement du tarse et au maximum pied cubique de Charcot) sont à l’origine de frottements excessifs menant facilement à l’ulcération.

5- Bilan infectieux :

En cas de trouble trophique, les complications infectieuses (halo érythémateux, hypodermite, ténosynovite) orientent, selon leur intensité, le mode de prise en charge (maintien au domicile ou hospitalisation).

6- Bilan général :

L’équilibre glycémique, l’existence d’autres atteintes viscérales (coeur, oeil, rein) doivent être évalués régulièrement.

B – BILAN PARACLINIQUE :

1- Déterminer l’importance des lésions osseuses :

Les radiographies standards du pied constituent un bilan initial à la recherche de l’ostéoarthropathie, d’éventuelles lacunes osseuses en regard des troubles trophiques et de la médiacalcose des artères interdigitales.

Le diagnostic d’ostéite, rarement détecté par la radiographie simple, s’appuie sur le scanner et l’imagerie par résonance magnétique (IRM) de sensibilité (100 %) et de spécificité (80 %) meilleures.

2- Déterminer l’importance de l’artériopathie :

L’examen doppler simple permet d’évaluer la qualité des flux artériels, souvent incompressibles, et, couplé à l’échographie, de visualiser les sténoses artérielles et leur retentissement en aval.

À partir de cet examen et pour une discussion collégiale (chirurgiens vasculaires, médecins), l’artériographie sera réalisée à la recherche d’une solution de revascularisation.

La mesure de la pression transcutanée d’oxygène au niveau du dos du pied apporte des données objectives pour apprécier les chances de cicatrisation.

3- Déterminer la nature de l’infection :

Le prélèvement bactériologique simple par écouvillonnage le plus profond possible est une aide au traitement, mais de valeur très modeste en cas d’ostéite, dont seule la biopsie déterminera le germe en cause.

Les germes le plus fréquemment retrouvés sont des staphylocoques, des streptocoques, des entérobactéries et, sur les plaies chroniques, des bactéries multirésistantes.

Traitements :

A – TRAITEMENTS MÉDICAUX :

1- Soins locaux des troubles trophiques :

Quelle que soit la nature des plaies, les soins doivent être quotidiens et comporter un temps de lavage (à la compresse ou à la seringue plutôt que dans un bain), de détersion mécanique (bordures kératosiques ou nécrotiques).

Le méchage de la plaie est utile lorsqu’elle est profonde et comporte des fistules, et se fait soit par une mèche de gaze imprégnée de sérum ou de solution de Bétadinet, soit par une mèche d’alginate (non remboursée par la Sécurité sociale).

Le pansement primaire, qui n’est pas officiellement déterminé, dépend de l’état de la plaie : si elle est superficielle et non suintante un pansement gras, voire un pansement adhésif hydrocolloïde, est proposé ; si elle est plus profonde et suintante, l’utilisation de pansement absorbant (alginate ou pansement au charbon) peut être utile.

2- Mise en décharge :

En cas de mal perforant plantaire, elle est obligatoirement réalisée par le port d’une chaussure limitant l’appui antérieur (Baroukt) ou l’appui postérieur (Sanitalt) ou par double béquillage si le patient en est capable.

Les Anglo-Saxons et certaines équipes entraînées proposent, en l’absence d’artériopathie, l’utilisation de plâtre de marche rembourré qui permet la déambulation tout en supprimant l’appui, mais dont la réalisation et la surveillance sont délicates.

3- Antibiothérapie :

En cas d’infection modérée, on peut prescrire un seul antibiotique per os couvrant les staphylocoques et les streptocoques (Augmentint).

Sa durée est fonction de l’évolution et ne doit pas excéder une quinzaine de jours.

En cas d’infection sévère et menaçante, elle sera réalisée en hospitalisation par voie parentérale en utilisant une double antibiothérapie, souvent probabiliste, avec des schémas variables selon les équipes : quinolone-clindamycine, clindamycine-céphalosporine, vancomycine-aminoglucoside.

Si une amputation distale réglée a été réalisée, l’antibiothérapie peut être prolongée 2 à 3 semaines et si une mise à plat a été faite, on propose une antibiothérapie de 4 à 6 semaines.

En cas d’ostéite, il n’existe pas de consensus thérapeutique sur la durée précise du traitement (8 à 12 semaines), fonction essentiellement d’un geste chirurgical de curetage ou d’exérèse, de l’évolution clinique et biologique.

4- Traitements stimulant la cicatrisation :

Les facteurs de croissance utilisés en topique ont, ces dernières années, fait l’objet de multiples essais. Une étude multicentrique réalisée en double aveugle en utilisant un concentré plaquettaire humain recombiné (rh PDGF [Regranext]), en application une fois par jour au maximum pendant 3 semaines paraît avoir apporté des résultats encourageants (cicatrisation complète 48 % groupe traité versus 25 % du groupe placebo).

D’autres facteurs de croissance ont été proposés : granulocyte macrophage-colony stimulating factor (GMCSF) (fibroblast growth factor [FGF] avec les mêmes réserves sur l’utilisation et l’efficacité au long cours).

Des substituts cutanés Dermagraftt et Apligraftt ont été récemment utilisés avec des résultats satisfaisants mais à court terme.

B – TRAITEMENTS CHIRURGICAUX :

1- Prise en charge non vasculaire :

Différents gestes sont possibles :

– une mise à plat avec un débridement large du tissu sous-cutané, des fascias et des tendons en cas de cellulite ;

– une exérèse chirurgicale d’un orteil ou d’une articulation métatarsophalangienne localisée et complétée par un méchage quotidien profond en cas d’ostéoarthrite ;

– les amputations qui représentent le risque évolutif majeur de tout trouble trophique sont proposées en cas d’échec du traitement médical et après explorations vasculaires soigneuses afin de juger des possibilités de cicatrisation.

Elles réalisent une étape dont le retentissement social et psychologique est parfois dramatique, avec l’angoisse d’une amputation plus haute et de ses difficultés d’appareillage.

2- Prise en charge vasculaire :

La présence d’une artériopathie sévère qui compromet la cicatrisation d’un trouble trophique et favorise l’extension de l’infection, nécessite d’être évaluée par une artériographie unifémorale afin de juger des solutions de revascularisation.

D’immenses progrès techniques ont été réalisés ces dernières années permettant par angioplastie endoluminale, ou mieux par pontages distaux fémorojambiers ou poplités-pédieux, de diminuer significativement le taux des amputations majeures.

C – TRAITEMENTS PRÉVENTIFS :

1- Identification des facteurs de risque :

Tout médecin qui prend en charge un patient diabétique doit évaluer les facteurs de risque d’ulcérations dont l’importance guide le rythme de la surveillance et les modalités (infirmière, pédicure, médecin podologue).

À cette liste, il faut, pour certains auteurs, rajouter la malvoyance et le surpoids.

2- Appareillage :

C’est un traitement obligatoire nécessitant l’intervention d’un médecin podologue, d’un prothésiste, et une surveillance régulière.

Il comporte essentiellement la réalisation de chaussures adaptées, de semelles prescrites pour lutter contre les zones d’hyperpression, dont le renouvellement régulier et les matériaux modernes (silicone) offrent une sécurité et une longévité plus intéressantes. Leur utilisation régulière est modeste (22 % des patients) selon une enquête britannique.

Des embouts ou des protections digitales par mousse contrôlent les traumatismes sur les saillies osseuses. Tous ces matériels sont remboursés par la Sécurité sociale.

3- Programme de surveillance et d’éducation :

Les réseaux de surveillance ont été établis par les grandes équipes de diabétologie, et font appel à deux types d’interventions :

– l’intervention de première ligne qui implique les infirmières, les généralistes, les endocrinologues, les dermatologues et les angiologues pour une surveillance étroite du pied à chaque visite.

Sa qualité est dépendante de celle de la formation médicale et paramédicale et de l’éducation du malade ;

– l’intervention de seconde ligne réunit les chirurgiens, les radiologues et se fait en milieu spécialisé et en hospitalisation.

Dans la pratique et en France, ces programmes restent encore insuffisants par rapport aux recommandations publiées, mais constituent de nos jours un objectif prioritaire de santé publique.

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