Physiologie de la gustation

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Introduction :

A – SENSATION MULTIMODALITAIRE :

Trois modalités sensorielles sont représentées dans la cavité buccale : gustative, olfactive et somesthésique.

Par modalité olfactive, on entend essentiellement la sensibilité olfactive perçue par la voie rétronasale ou voie des choanes.

Physiologie de la gustationOn perçoit l’odeur des molécules adsorbées sur les muqueuses de la cavité oropharyngée par la voie rétronasale, et ce d’autant mieux que les choanes sont des ouvertures plus grandes et mieux dirigées vers la muqueuse olfactive sans les chicanes des cornets que présente la voie directe, antérieure, par les narines.

D’autre part, la tension de vapeur, qui croît avec la température, est plus élevée dans la bouche qu’à l’extérieur, ce qui augmente la concentration des stimulus odorants dans la phase vapeur de la cavité buccale, et donc leur remontée vers la muqueuse olfactive via les choanes.

La modalité olfactive est ainsi toujours physiologiquement associée à la modalité gustative et l’introspection ne réussit pas à dissocier ces deux sensations.

Pour découvrir la confusion, il faut supprimer l’olfaction rétronasale par un artifice qui consiste à souffler un courant d’air à 200 L/h environ par les narines dans le sens antéropostérieur.

Par sensibilité somesthésique, on entend les sensibilités thermique, tactile, kinesthésique et proprioceptive ainsi que la sensibilité trigéminale chimique.

La confusion est grande également entre la modalité gustative et la modalité somesthésique : il y a interaction entre les perceptions gustatives et la texture des aliments.

Le tact superficiel et profond, les informations proprioceptives (tension musculaire), kinesthésiques (déplacement angulaire des articulations) et thermiques (chaud, froid) font partie intégrante du « goût » des aliments.

Une autre contribution est la sensibilité trigéminale chimique : des récepteurs des terminaisons périgemmales libres du trijumeau sont sensibles aux stimulus piquants : pipérine du poivre, capsaïcine du piment.

Toutes ces informations sont inconsciemment confondues en une seule image sensorielle globale du fait de la présence simultanée, dans l’aliment en bouche, des stimulations adéquates pour ces différentes sensibilités ; également du fait de la convergence fonctionnelle des voies de ces différentes modalités sensorielles.

B – LOCALISATION DES SENSIBILITÉS SUR LA LANGUE :

Une erreur très répandue dans la littérature consiste à présenter une carte des différentes sensibilités qualitatives sur la langue.

Pourtant, il est possible de mesurer des seuils localement sur la langue pour différents stimulus.

La stimulation de la pointe de la langue, de l’arête latérale, de la région des papilles foliées, de la partie dorsale de la langue, voire du voile du palais, permet d’obtenir une perception consciente et de mesurer une concentration-seuil : on ne peut donc pas prétendre à une localisation quelconque des sensibilités sur la langue en fonction de la nature du stimulus ; on sent tout, partout, avec une variation quantitative de la sensibilité.

L’intensité de la perception dépend de la zone : elle est corrélée à la densité de papilles.

Un regard minutieux sur les données individuelles nous montre que, de fait, une sensibilité préférentielle peut apparaître localement, mais elle est chaque fois caractéristique du sujet.

On trouve également, grâce à ces stimulations localisées, des zones totalement agueusiques, probablement par accident iatrogène (avulsions ou dépulpations dentaires).

L’étude de la sensibilité des cellules et des fibres gustatives unitaires, ainsi que l’étude des champs récepteurs, infirment également la notion d’une cartographie des sensibilités sur la langue.

En effet, les fibres de la corde du tympan sont ramifiées, une fibre innervant en moyenne de trois à quatre papilles chez le rongeur et une papille étant innervée par trois à quatre fibres.

On a montré, sur la langue du chat, des champs récepteurs de neurones de la corde du tympan formés éventuellement de petits spots éloignés les uns des autres.

Ogawa et son équipe, enregistrant dans le noyau du tractus solitaire (NTS) ou le pont, respectivement premier et second relais de la chaîne sensorielle gustative, ont trouvé chez le rongeur des champs récepteurs disjoints, certains neurones répondant aussi bien à la stimulation d’une petite surface de la périphérie de la langue qu’à une petite surface du voile du palais ou de la partie pharyngée de la cavité buccale.

Cette connectique nerveuse dissociée ne semble pas compatible, a priori, avec la notion d’une localisation des sensibilités, sucrée à l’extrémité de la langue, acide sur les bords, etc.

C – PARAMÈTRES DE LA PERCEPTION GUSTATIVE :

Il est commode de distinguer indépendamment la nature du goût que l’on nommera qualité gustative, son intensité et le paramètre hédonique ou de préférence (combien j’aime ou n’aime pas ce stimulus).

Cette distinction intellectuelle très claire et le concept de leur indépendance ne vont pas toujours de soi dans la réalité pratique : il apparaît que les sujets souhaitent en permanence remplacer une discrimination d’intensité par une discrimination qualitative et confondent, au moment de goûter, la notion d’intensité, de préférence et de nature de la perception.

Chacun de ces trois paramètres peut faire l’objet, en psychophysique, de mesures répétitives et donner lieu à une quantification indépendante, répétable et statistiquement validée.

Du récepteur au cortex : les voies gustatives

Les récepteurs sensoriels sont des protéines dites chimioréceptrices localisées dans la membrane des microvillosités des cellules sensorielles.

Ces cellules, très longues, sont logées dans des bourgeons du goût et leur apex déborde dans le pore gustatif, zone d’échange entre le milieu interne et le milieu externe.

Les bourgeons du goût sont des formations en « tonnelet » de 50 ím de diamètre et de 50 ím de hauteur, localisées dans les papilles gustatives.

Des cellules fusiformes, en nombre inférieur à dix, sont logées verticalement dans ce bourgeon.

Les papilles présentent une structure différente selon leur localisation sur la langue.

Les papilles fongiformes, d’environ 500 ím de diamètre, situées sur les deux tiers antérieurs de la langue, contiennent un seul ou un petit nombre de bourgeons du goût.

Leur nombre varie de 500 à 5 000 selon les individus et leur densité est maximale à l’extrémité de la langue.

Les papilles du V lingual, dites caliciformes, sont formées d’un sillon circulaire dans lequel débouchent les pores des quelques centaines de bourgeons qu’elles contiennent.

Les papilles foliées, situées sur les bords externes de la langue, au niveau du V lingual, sont constituées de sillons linéaires et parallèles dans lesquelles débouchent les pores des bourgeons du goût.

A – CELLULES SENSORIELLES ET RENOUVELLEMENT CELLULAIRE :

On sait que les cellules gustatives, d’origine épithéliale et non nerveuse contrairement au neurorécepteur olfactif, sont sujettes à un renouvellement cellulaire permanent de période égale à 10 jours environ.

Se pose alors la question de la stabilité du codage en périphérie par la reconnaissance des fibres et des cellules de sensibilité adéquate.

On a montré que le nerf gustatif est nécessaire pour maintenir en survie les cellules sensorielles grâce à des facteurs trophiques transportés par l’axone, mais la spécificité de la réponse gustative semble provenir du tissu épithélial.

Un processus de reconnaissance mutuelle permet la constance du signal malgré le renouvellement cellulaire.

B – RÉCEPTEURS :

L’étage des récepteurs, protéines chimioréceptrices localisées dans les microvillosités des cellules sensorielles, constitue actuellement le chaînon le moins bien connu de la chaîne sensorielle gustative.

Depuis les efforts des années 1970-1980, on n’a pas su extraire les récepteurs et comprendre leurs relations avec les stimulus.

La difficulté de cette extraction est, de fait, une source d’information, car elle est due à la faible affinité et à la faible spécificité des récepteurs pour les stimulus.

Les interactions stimulus-récepteurs font intervenir quelques liaisons hydrogènes (quelques kilocalories par mole) et des interactions dites hydrophobes, telles que les interactions de Van der Waals, à l’origine de la formation d’un complexe très transitoire.

La situation est donc très différente, sur le plan énergétique, de ce que peut être une interaction entre une enzyme et son substrat.

L’hypothèse de la relation multiple (non spécifique) entre plusieurs récepteurs compatibles avec un même stimulus et, symétriquement, plusieurs stimulus compatibles avec un même récepteur, à l’image du concept de « diversité moléculaire » introduit récemment en pharmacologie, prévaut actuellement.

Les progrès de l’informatisation ont permis de développer des outils de modélisation moléculaire et de proposer des structures modèles de sites récepteurs.

Ces récepteurs sont très probablement des récepteurs à sept segments transmembranaires pour les stimulus organiques, tandis que les ions Na+ et H+, responsables respectivement des sensibilités salée et acide, stimulent les cellules en passant par des ionophores.

Une tentative de clonage a montré 60 clones responsables de la synthèse protéique de la langue sans que l’on soit assuré de la nature chimioréceptrice de chacune de ces protéines.

Une protéine G, GUST27, a été trouvée dans les bourgeons du goût.

Des travaux de génomique se poursuivent actuellement en olfaction sans contrepartie pour le système gustatif.

C – TRANSDUCTION :

Grâce au développement de la technique du patch clamp qui utilise un collage tel entre la micropipette et la cellule que la résistance entre l’intérieur de la pipette et le bain peut atteindre des gigaohms, on peut mesurer des courants de l’ordre du picoampère.

Ceci permet de « voir » passer les ions à l’échelle quantique au travers de la membrane cellulaire fixée à l’extrémité de la pipette de patch, que ce soit un petit morceau de la membrane cellulaire détaché de sa cellule ou bien un petit morceau de la membrane de la cellule conservée entière (configuration de cellule entière ou cellule attachée).

On identifie ainsi diverses voies de transduction soit ionotropiques, soit métabotropiques, en caractérisant des canaux par leur conductance en picosiemens et leur sensibilité à toute une batterie d’agents pharmacologiques agonistes ou antagonistes de ces canaux, appliqués à l’extérieur de la pipette, dans le bain, ou à l’intérieur de la pipette.

On distingue les ionophores ou récepteurs ionotropiques, les récepteurs canaux et les récepteurs métabotropiques. Seuls ces derniers sont couplés à une chaîne de réactions enzymatiques intracellulaire, produisant des messagers secondaires.

Parmi les stimulus gustatifs, les stimulus organiques, c’est-à-dire la majorité des stimulus, présentent une forme géométrique reconnue par les récepteurs pour qu’il y ait perception.

Au contraire, les stimulus ioniques, Na+ et H+, sont des ions hydratés caractérisés uniquement par le rayon de leur sphère et leur charge.

Ainsi, le goût salé est dû au cation Na+, le goût acide au cation H+ et aucun des deux ne présente une forme à reconnaître comme les molécules organiques telles que les oses, les acides aminés, les protéines ou toute molécule de synthèse.

Dans le cas de la gustation, l’ion H+ ferme des canaux potassiques situés à l’apex de la cellule, il en résulte une dépolarisation membranaire par augmentation des charges positives à l’intérieur.

Le cation Na+ passe par des canaux spécifiques parmi lesquels on peut distinguer au moins deux catégories, car certains seulement sont bloqués par l’amiloride.

Les cations Na+ peuvent aussi passer par des canaux cationiques non spécifiques.

L’entrée d’ions Na+ par la membrane apicale entraîne une dépolarisation membranaire.

Ces canaux sont à peu près ubiquitaires et il en résulte que presque toutes les cellules sont capables de répondre au stimulus NaCl.

Est-ce pour cette raison qu’un peu de sel ajouté dans la cuisine « renforce » toutes les saveurs sans les modifier ?

Le cas des récepteurs canaux est illustré par la L-arginine qui, chez le poisson-chat, se lie à des récepteurs directement couplés à des canaux cationiques non spécifiques.

La transduction du saccharose passe par la voie de l’adénosine monophosphorique cyclique (AMPc).

Le saccharose, comme les autres molécules organiques, est reconnu par un ou plusieurs types de récepteurs métabotropiques, au niveau des microvillosités de la membrane apicale de la cellule sensorielle ; ce binding d’un type très particulier, avec ce que l’on pense être des récepteurs à sept segments transmembranaires, va activer une protéine G située sous la membrane associée au récepteur, ce qui entraîne une série d’événements : une adénylcyclase produit de l’AMPc à partir d’acide adénosine triphosphorique (ATP) ; cet AMPc, second messager intracellulaire, va activer une phosphokinase A qui, à l’extrémité basale de la cellule, phosphorylera et fermera un canal normalement ouvert au potassium sortant, au repos.

Il en résulte une accumulation de charges positives à l’intérieur et une dépolarisation électrique de la cellule.

Une autre voie consiste à moduler la concentration d’AMPc par une phosphodiestérase activée par la protéine G.

Il en résulte une modification du taux d’ouverture des canaux K+ de la membrane basale. Une autre voie est connue sous le nom de voie de l’IP3 (inositol triphosphate), messager secondaire intracellulaire couplé à un autre type de récepteur métabotropique.

Selon le même processus, un stimulus est reconnu par un ou plusieurs récepteurs couplé(s) à une protéine G capable d’activer la phospholipase C.

Celle-ci entraîne la formation d’IP3 qui peut aller mobiliser les stocks de calcium (Ca++) intracellulaires du réticulum endoplasmique.

Ce calcium entraîne la libération par exocytose du neuromédiateur dans la fente synaptique et produit des potentiels d’action sur le neurone gustatif.

La phospholipase C peut également avoir pour effet de libérer du DAG (diacylglycérol) responsable, quant à lui, de l’activation d’une phosphokinase C capable probablement de phosphoryler les mêmes canaux potassiques que la phosphokinase A de la voie de l’AMPc.

Pour ce qui est d’attribuer une voie précise à une qualité gustative, la question n’est pas aussi simple en ce qui concerne les molécules organiques que pour les ions sodium, salé, et H+, acide.

La quinine, qui est la référence d’amertume habituelle, ferme des canaux potassiques de la membrane apicale, tout comme les H+.

Ce n’est peut-être pas son seul lieu d’action, mais celui-ci peut expliquer pourquoi tous les travaux d’enregistrements électrophysiologiques du premier neurone ont montré une certaine corrélation entre la sensibilité à l’acide et à la quinine.

Le denatonium, autre stimulus amer, active, par la phospholipase C, la voie de l’IP3 et la voie du DAG, mais on a montré qu’il agit également sur la phosphodiestérase qui régule la concentration d’AMPc.

Les sucres et les édulcorants ouvrent des canaux cationiques sensibles à l’amiloride, le sucre active aussi la voie métabotropique de l’AMPc et les édulcorants les voies de l’IP3 et du DAG.

Leur action n’est pas pour autant indépendante puisque ces deux voies, qui coexistent dans les mêmes cellules, finissent vraisemblablement sur les mêmes canaux potassiques de la membrane basale.

Le saccharose et la D-phénylalanine, tous deux sucrés, ne fonctionnent pas avec les même voies de transduction ; de même, la saccharine et le D-tryptophane, également sucrés, ne fonctionnent pas de la même manière : les courants potassiques obtenus par la stimulation avec du D-tryptophane sucré ne sont pas affectés par la présence de gurmarine, inhibiteur du goût sucré, tandis que les courants potassiques enregistrés en réponse à la stimulation par la saccharine le sont.

On ne peut donc pas assigner une voie de transduction, et une seule, à une « qualité » gustative et l’on ne peut plus penser que ces voies fonctionnent indépendamment.

Quelle que soit la voie de transduction utilisée, la dernière étape du processus sera une accumulation de calcium en regard de la fente synaptique qui provoque l’exocytose du neuromédiateur au niveau de la membrane présynaptique et, ainsi, des potentiels d’action dans le neurone sous-jacent.

Ce calcium provient soit des stocks du réticulum endoplasmique, mobilisés dans le cas de la voie de l’IP3, soit d’une rentrée de calcium extracellulaire par des canaux calciques de la membrane basale.

Ces canaux sont voltage-dépendants et activés (ouverts) par la dépolarisation cellulaire, elle-même consécutive à la modulation du taux de canaux K+ ouverts dans la membrane basale.

C’est la cellule, grâce à son métabolisme, qui aura fourni l’énergie nécessaire à la traduction du message chimique en message « électrique » (potentiel d’action).

Le signal, codé en fréquence dès cet instant, progresse vers le système nerveux central.

D – INNERVATION PÉRIPHÉRIQUE :

Les papilles fongiformes des deux tiers antérieurs de la langue sont innervées par la corde du tympan.

Les fibres de la corde du tympan voyagent avec les fibres du nerf V qui assure la sensibilité somesthésique des mêmes deux tiers antérieurs de la langue.

Les fibres du V ne pénètrent pas dans le bourgeon du goût et n’innervent pas les cellules gustatives, elles restent périgemmales.

L’ensemble des fibres gustatives et trigéminales prend le nom de nerf lingual dans ce trajet périphérique, nom qui restera au contingent trigéminal lorsqu’il se sépare de la « corde du tympan » véhiculant la sensibilité gustative chimique.

La corde du tympan doit son nom au fait que ce rameau nerveux suit la circonférence du tympan, lieu de sa description première.

Les quelques papilles caliciformes, logées dans la partie postérieure de la langue, sont arrangées selon une forme géométrique dite en « V ».

Elles sont innervées par le nerf IX ou glossopharyngien.

Ce nerf véhicule les sensibilités chimique (gustative) et somesthésique (mécanique et thermique). Les papilles foliées, quant à elles, présentent une double innervation de la corde du tympan et du glossopharyngien.

En nombre de bourgeons du goût, les papilles caliciformes représentent un contingent plus important et les papilles fongiformes un contingent plus faible (15 % chez le rongeurs, il faut cependant tenir compte d’une grande variabilité numérique chez l’homme, de 500 à 5 000), mais leur présence en avant-poste à l’extrémité de la langue, où leur densité est maximale, leur confère une importance fonctionnelle indépendante des nombres de bourgeons du goût.

Les corps cellulaires des neurones gustatifs de la corde du tympan sont rassemblés dans le ganglion géniculé, les corps cellulaires du nerf trijumeau dans le ganglion trigéminal ou ganglion de Gasser, les corps cellulaires des neurones du glossopharyngien sont localisés dans le ganglion pétreux.

Une sensibilité palatine est connue chez l’animal ainsi que chez le foetus humain chez qui elle est censée involuer à la naissance.

Cependant, 40 % des adultes testés par Nilsson présentent une sensibilité gustative sur le voile du palais.

Ce que nous avons pu constater également, à l’aide de la stimulation électrogustométrique chez 60 sujets adultes.

Le palais est innervé par le grand nerf pétreux superficiel, les corps cellulaires de ces neurones sont logés dans le ganglion géniculé et le trajet de cette voie rejoint donc celui de la corde du tympan.

Le grand nerf pétreux superficiel innerve, chez le rat, le canal naso-incisif localisé en arrière des incisives supérieures, et véhicule une sensibilité au saccharose plus importante que celle de la corde du tympan.

Le nerf laryngé, branche du vague X, véhicule, au moins chez le chat, une importante sensibilité au saccharose.

Ses corps cellulaires sont localisés dans le ganglion noueux.

La corde du tympan rejoint le nerf facial VII et prend alors le nom de VII bis ou « facial accessoire ».

Les rameaux des deux nerfs sont jointifs, toujours identifiables.

Au moment où elle rentre dans le crâne, le facial accessoire se nomme aussi intermédiaire de Wrisberg.

Le signal nerveux, en provenance des cellules sensorielles gustatives, émis dans les nerfs VII bis, IX et peut-être X le cas échéant, va se projeter dans les relais successifs de la chaîne sensorielle.

E – VOIES ASCENDANTES :

Les voies gustatives ont été bien décrites chez le rat. Étudiées également chez le chat, le lapin et le singe, elles sont mal connues chez l’homme.

Les fibres des trois nerfs gustatifs, VII bis, IX et X, rejoignent le premier relais de la chaîne sensorielle gustative, le noyau du faisceau solitaire (NFS) ou NTS, situé dans le bulbe, et projettent dans sa partie latérale, selon une topie correspondant à l’innervation de la langue.

Les axones du VII bis projettent dans la partie la plus rostrale de la partie latérale du NTS, et les axones du IX juste postérieurement.

Les axones du X projettent dans la partie la plus postérieure, à côté des afférences viscérales du NTS.

Le nerf lingual (trijumeau, V) projette de manière exactement chevauchante avec la corde du tympan.

Le deuxième relais gustatif dans le pont, amas diffus de petites cellules entourant le brachium conjonctivum, ou pédoncule cérébelleux, a été mis en évidence chez le rat par Norgren et Leonard en 1971.

Chez le singe, une partie au moins des fibres issues du NTS court-circuitent ce relais et projettent directement dans le thalamus, tandis que les fibres du NTS projetant dans le pont ne semblent pas poursuivre vers le thalamus.

Chez l’homme, l’existence de projections gustatives dans le relais pontique est attestée par des observations cliniques décrivant des déficiences gustatives liées à des lésions ou des hémorragies localisées dans le pont et entraînant une atrophie rétrograde du NTS.

À partir du relais pontique ou du NTS, les fibres gustatives rejoignent le thalamus, projetant dans la partie parvocellulaire la plus ventrale, postérieure et médiane du thalamus ventropostéromédian (VPMpc), désigné thalamus ventrobasal chez l’homme.

Malgré une croyance antérieure, les voies gustatives sont ipsilatérales par le faisceau tegmentaire central, contrairement aux voies de la somesthésie (nerf lingual ou trijumeau, V) qui sont décussées dans le lemnisque médian.

Les observations cliniques ponctuelles confirment le caractère ispsilatéral des projections gustatives chez l’homme, jusqu’au thalamus.

Cette erreur est due au fait que la stimulation de la langue utilisée pour localiser les projections gustatives était plus souvent une stimulation électrique (donc somesthésique) que gustative chimique.

Enfin, les neurones en provenance du relais thalamique rejoignent les aires corticales.

F – PROJECTIONS CORTICALES :

Des agueusies modérées et durables (plus de 1 mois) sont liées à l’ablation conjointe de l’insula antérieure et de l’opercule, partie exposée ou enfouie de la base des gyrus pré- et postcentraux.

Ces agueusies sont aggravées par l’ablation de la partie temporale.

Chez le singe écureuil, deux zones de projection spatialement séparées répondent presque simultanément à la stimulation électrique des nerfs VII bis ou, IX ; la partie basse de l’aire somatosensorielle I (SI) correspondant à la représentation somatique des structures orales, à la surface de l’opercule pariétal et la partie profonde de l’opercule frontal.

Les réponses de la seconde présentent une latence de 2 ou 3 millisecondes de plus et sont strictement ipsilatérales.

Les expériences d’ablation ont montré que seule l’ablation combinée des deux aires corticales entraînait la dégénérescence de l’aire gustative thalamique (VPMpc).

C’est Benjamin qui, le premier, a proposé l’hypothèse de projections de soutien (sustaining projections) du VPMpc vers les aires corticales gustatives, c’est-à-dire de neurones ramifiés depuis le VPMpc.

Des injections de marqueur antérograde dans le VPMpc ont confirmé, chez le macaque, l’existence de ces deux zones de projection simultanée en provenance du thalamus, la première située dans la moitié antérieure de l’insula et dans l’opercule frontal adjacent, la deuxième à la base du gyrus précentral, à côté de l’aire somatosensorielle.

Cette double projection a également été confirmée par des enregistrements de potentiels évoqués et des marquages à la cytochrome oxydase.

Chez l’homme, quelques études cliniques sont rapportées dès la fin du XIXe siècle.

En 1940, Bornstein localisa les lésions dans le cortex pariétal et le cortex gustatif à la base du gyrus postcentral, dans l’aire 43 de Brodmann.

Deux cas d’épilepsie ont également été décrits, associant des auras ou des hallucinations gustatives à des lésions localisées dans la scissure sylvienne et comprimant l’opercule pariétal ou dans l’opercule pariétal.

Des stimulations électriques de l’insula médiane au cours d’interventions intracérébrales peuvent provoquer des sensations gustatives, souvent interprétées comme mauvaises ou inconnues chez des patients épileptiques conscients.

Ces stimulations peuvent aussi évoquer des réponses sensorimotrices de l’estomac, des sensations de nausées et éventuellement de peur.

Motta étudie 79 patients suivis pour des tumeurs cérébrales ou des accidents vasculaires.

Dix de ces sujets souffraient d’hypogueusie sur le côté de la langue ipsilatéral à la lésion et de déficits sensorimoteurs contralatéraux.

L’étude histologique de l’encéphale de trois de ces patients permit la localisation de la lésion dans l’insula.

Motta conclut que la fonction gustative reposait sur l’intégrité de l’insula antérieure et que les projections gustatives étaient ipsilatérales, contrairement à la sensibilité tactile de la langue, contralatérale.

Plus récemment, une étude d’imagerie par résonance magnétique (IRM) fonctionnelle réconcilia les données parfois contradictoires de la littérature et décrivit exhaustivement les activations corticales en réponse à la stimulation gustative et somesthésique de la langue.

Les aires corticales gustatives comprennent l’insula antérieure, l’opercule frontal adjacent, les parties exposée et profonde de la base des gyrus pré- et postcentraux (ou opercule rolandique).

La partie operculaire du gyrus temporal supérieur est également activée lors de la perception gustative.

La partie insulaire haute et la partie basse des gyrus pré- et postcentraux toute proche abritent bien une zone d’activation qui pourrait être la zone des projections directe, tandis que l’insula basse montre une activation unilatérale dans l’hémisphère dominant pour une stimulation globale de la cavité buccale (Faurion et al. Neurox Letters. 1999 ; 277 (3) : 189-192). Cette zone est manifestement secondaire.

Une étude de magnétoencéphalographie (MEG) nous donne des latences plus courtes pour l’insula supérieure.

Les stimulus somesthésiques et les stimulus gustatifs activent bien les mêmes ensembles de zones globalement, mais si l’on observe les activations simultanées au cours de la stimulation, ce ne sont pas les mêmes pour une stimulation purement gustative et une stimulation somesthésique ou somatogustative : on observe bien l’image multimodalitaire du « goût » et la discrimination potentielle de ces sensorialités.

G – LATÉRALISATION :

Les études sur le singe de Benjamin et Burton montrent clairement que les projections corticales du VII bis et du IX sont ipsilatérales dans l’insula et l’opercule frontal adjacent, ce qui concorde avec la nature ipsilatérale des troubles gustatifs observés par Motta à la suite de lésions localisées dans l’insula.

Mais les projections de ces mêmes nerfs dans l’opercule pariétal ont été trouvées à la fois ipsilatérales et contralatérales, avec toutefois une latence plus brève dans l’hémisphère ispilatéral.

Cela permet de comprendre les observations de troubles gustatifs contralatéraux de Bornstein quoiqu’elles aient semblé contradictoires avec celles de Motta.

H – PROJECTIONS EXTRACORTICALES :

Faire le point sur cette question appartient à un autre article car elle concerne la prise alimentaire et sa régulation, sujet qui déborde de la physiologie sensorielle gustative proprement dite, mais on peut résumer ici quelques indications.

Des projections vers les aires limbiques ont été décrites chez le rat à partir du pont et, éventuellement, à partir du NTS.

Elles terminent dans le noyau central de l’amygdale, le noyau du lit de la strie terminale, l’hypothalamus latéral et d’autres structures limbiques telles que la substance innominée.

Le complexe amygdalien est considéré comme une structure multisensorielle participant aux processus généraux de mémorisation et intervient en particulier dans les mécanismes de formation du conditionnement gustatif aversif.

L’hypothalamus latéral participe à l’appréciation hédonique des stimulus extéro- et interoceptifs en général.

Chez le singe, on peut y enregistrer des cellules qui répondent spécifiquement à la vue d’une boisson quand elle est appréciée de l’animal ou qui s’activent lors de la prise alimentaire.

I – VOIES DESCENDANTES :

Des voies efférentes ont été tracées chez l’animal jusqu’au NTS par Norgren, mais pas au-delà, contrairement à ce que l’on connaît dans d’autres systèmes sensoriels, l’audition par exemple.

J – CONVERGENCES FONCTIONNELLES :

Il est très difficile de trouver des cellules, au niveau du cortex, qui ne répondent qu’aux stimulus gustatifs.

Presque toutes répondent également à l’une ou plusieurs parmi les autres modalités perçues dans la cavité buccale : le chaud, le froid, le toucher.

Giachetti et Mac Leod ont montré des convergences cellulaires réunissant la sensibilité somesthésique de la langue et la sensibilité proprement olfactive dans le cortex pyriforme.

En outre, une convergence olfactolinguale a été mise en évidence dans le thalamus du rat par les mêmes auteurs.

On trouve enfin, au niveau du NTS, des réponses olfactives multisynaptiques.

Les nerfs périphériques eux-mêmes ne sont que partiellement spécifiques : la corde du tympan qui innerve les deux tiers antérieurs de la langue transmet la sensibilité chimique, mais aussi thermique, discriminant des différences de 3 °C environ chez le hamster, alors que la branche linguale du V transmet les informations somesthésiques et thermiques plus fines, avec une capacité de discrimination très largement au-dessous du dixième de degré.

Le glossopharyngien, qui innerve la partie plus postérieure de la langue, est mixte.

Il ne sera donc pas étonnant de constater que la sémantique relative au « goût » s’accompagne d’une confusion entre les diverses modalités sensorielles : gustation, olfaction, somesthésie, et ceci dans toutes les cultures actuelles et anciennes, plus ou moins distinctes ethniquement.

Suite

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