Dyspnée aiguë du nourrisson

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On appelle dyspnée toute modification de la respiration portant sur l’amplitude (hyperpnée, hypopnée) ou sur la fréquence (tachypnée, bradypnée). La dyspnée est un symptôme fréquent chez le nourrisson. elle peut correspondre à une affection respiratoire, cardiaque, neurologique ou métabolique. L’analyse sémiologique permet d’en apprécier la gravité, et le plus souvent d’en reconnaître l’étiologie.

* Sur le plan physiopathologique, on peut distinguer les dyspnées d’origine centrale, par atteinte directe des centres de la respiration, et les dyspnées d’origine périphérique.

Dyspnée aiguë du nourrisson– Les dyspnées d’origine périphérique sont les plus fréquentes, et témoignent d’un mécanisme d’adaptation à un dysfonctionnement de l’appareil respiratoire (pneumopathie, bronchospasme, corps étranger) ou de l’appareil circulatoire (insuffisance cardiaque, choc), à une demande accrue d’oxygène par les tissus (sepsis, effort), ou à un désordre métabolique (acidose).

– Cette adaptation s’accompagne souvent de signes de lutte (notamment d’un tirage qui traduit la mise en jeu des muscles respiratoires accessoires), et peut conduire à un épuisement.

– On assiste alors à une diminution des signes de lutte qui peut être trompeuse, et à l’apparition des signes d’insuffisance respiratoire qui nécessite une assistance ventilatoire.

– La survenue d’une insuffisance respiratoire est d’autant plus précoce et soudaine que l’enfant est jeune.

* Sur le plan sémiologique, la définition de la polypnée doit tenir compte de la variation physiologique du rythme respiratoire avec l’âge. Le tableau 1 indique les normes de fréquences respiratoire et cardiaque en fonction de l’âge. Rappelons que l’inspiration est normalement deux fois plus courte que l’expiration. Chez le petit nourrisson, la classique bradypnée expiratoire, que l’on observe en cas d’obstruction des voies aériennes, est le plus souvent remplacée par une polypnée superficielle.

Orientation diagnostique  et conduite à tenir :

Les symptômes associés à la dyspnée permettent de distinguer:

– les dyspnées obstructives (haute ou basse).

– les dyspnées non obstructives.

– les dyspnées sine materia (hyperpnée ou oligopnée).

La figure A indique les signes cliniques des principales étiologies des dyspnées en fonction de cette classification.

L’analyse sémiologique rigoureuse permet d’évaluer la gravité afin de permettre la prise en charge symptomatique (installation de l’enfant, oxygénation, assistance ventilatoire), tout en réunissant les éléments nécessaires au diagnostic et au traitement étiologique.

CONDUITE À TENIR GENERALE :

Évaluation de la gravité :

Détresse respiratoire

* Elle est définie par la présence de signes de lutte.

* Chez le nouveau-né et le petit nourrisson, l’intensité en est évaluée par le score de Silverman. Cinq items (battement des ailes du nez, geignement expiratoire, tirage intercostal, balancement thoraco-abdominal, entonnoir sternal) sont cotés de 0 à 2.

* Chez le nourrisson plus grand, l’intensité de la dyspnée est évaluée sur l’importance du tirage. Le geignement expiratoire (ou grunting) peut être observé à cet âge, et constitue un signe de gravité.

* Le tirage peut disparaître si l’enfant s’épuise, ce qui peut faire croire à tort à l’amélioration clinique.

Insuffisance respiratoire

* Elle est définie par l’existence d’une hypoxie (avec ou sans hypercapnie).

* Les signes d’insuffisance respiratoire sont indiqués dans le tableau 2.

* L’hypoxie est certaine s’il existe une cyanose (PaO2 inférieure à 40mmHg). Elle peut être évaluée par la mesure de la saturation transcutanée (SpO2) (oxymètre de pouls), ou chez le nouveau-né par une électrode à PO2 transcutanée. L’abord artériel pour la mesure directe de la PaO2 est difficile à cet âge. les gaz du sang artériels ne peuvent être réalisés de manière itérative.

* La plupart des enfants dyspnéiques ont une PCO2 basse par hyperventilation. Dans un contexte de polypnée, la constatation d’une normocapnie est déjà un signe d’alerte, annonçant un épuisement avec hypercapnie.

Conduite à tenir en présence de signes de gravité :

Conduite d’urgence en médecine ambulatoire

* En cas d’arrêt respiratoire, pratiquer une ventilation assistée par insufflateur manuel ou par bouche-à-bouche.

* En cas de suffocation, pratiquer une manœuvre d’expulsion (Hei mlich ou apparentée) après avoir éliminé la présence d’un corps étranger oropharyngé.

* Dans les autres cas:

– assurer la liberté des voies aériennes supérieures.

– installer l’enfant en position proclive.

– si cela est possible, oxygéner l’enfant.

– organiser un transport médicalisé (SAMU) vers un service spécialisé.

Conduite d’urgence à l’hôpital

* Assurer la liberté des voies aériennes supérieures.

* Installer l’enfant en position proclive dorsale à 45°.

* Oxygéner l’enfant:

– oxygène réchauffé et humidifié, sous enceinte de Hood.

– débit à régler en fonction de la SpO2.

* Vider l’estomac (sonde gastrique en drainage libre).

* Poser une voie veineuse périphérique de bon calibre, ou une voie centrale.

* Pratiquer une ventilation assistée en cas d’épuisement:

– d’abord au masque et au ballon, avec de l’oxygène pur,

– puis après intubation naso- ou oro-trachéale.

* Orienter l’enfant vers un service de réanimation.

Surveillance clinique

* Intensité des signes de lutte.

* Signes d’épuisement.

* Surveillance de la tension artérielle et du temps de recoloration cutanée.

* Oxymètre de pouls, moniteur cardio-respiratoire.

Evaluation paraclinique

* Gaz du sang capillaire, à la recherche d’une acidose respiratoire avec hypercapnie.

* Radiographie de thorax de face, au lit du malade, qui recherchera:

– une cardiomégalie, en faveur d’une insuffisance cardiaque.

– une distension thoracique en faveur d’une bronchiolite ou d’un asthme.

– un trappage unilatéral, ou une atélectasie, en faveur d’un corps étranger.

– une pneumopathie.

– un épanchement pleural liquidien ou gazeux.

Conduite à tenir en l’absence de signes de gravité :

* En l’absence de signes de gravité, le traitement dépend de la cause de la dyspnée.

* Les examens complémentaires de première intention utiles au diagnostic sont:

– la radiographie de thorax de face.

– un hémogramme, et un dosage de la CRP en cas de contexte infectieux.

Traitement spécifique en fonction  de l’étiologie :

DYSPNEE D’ORIGINE RESPIRATOIRE :

Causes infectieuses :

Rhinites

Elles sont le plus souvent virales.

* Elles ne sont responsables d’une détresse respiratoire que chez le nourrisson de moins de 6 semaines, qui respire exclusivement par le nez.

* Elles relèvent d’une désinfection rhinopharyngée au sérum physiologique.

Dyspnée pharyngée

* A cet âge, seul un abcès rétropharyngé peut être en cause. Il survient en général brutalement, avant l’âge de 6 ans, dans un contexte infectieux sévère, avec altération importante de l’état général et une gêne à la déglutition. Le traitement associe antibiothérapie IV et ponction chirurgicale, souvent sous couvert d’une intubation.

* L’amygdalite obstructive survient en général après l’âge de 3 ans. Elle peut entraîner une dyspnée à l’occasion d’une angine. Dans les cas graves, son traitement repose sur l’intubation, et l’amygdalectomie.

* Le phlegmon amygdalien ne se voit que chez l’enfant plus grand, entre 5 et 18 ans.

Dyspnée laryngée

Les laryngites sont rares avant 3 mois. Le tableau 3 en expose les signes cliniques. La symptomatologie peut se limiter à une inspiration difficile et prolongée.

* Les laryngites aiguës (laryngite striduleuse, et laryngo-trachéite virale) sont les plus fréquentes, et les moins sévères.

– L’hospitalisation n’est pas systématique, et le traitement repose sur l’administration d’antipyrétiques associée à une corticothérapie.

– Le traitement de référence est la dexaméthasone à la dose de 0,6mg/kg (Soludécadron* IM, ou Décadron* per os).

– Les aérosols de budésonide (Pulmicort*) ou d’adrénaline peuvent être utilisés à l’hôpital.

* Les infections laryngées bactériennes (laryngo-trachéite bactérienne et épiglottite) sont rares mais graves, et imposent l’hospitalisation.

* Devant une dyspnée laryngée fébrile, il faut évoquer une épiglottite s’il existe une dysphagie avec hypersialorrhée, sans toux, et que l’enfant adopte la position assise.

* Le diagnostic de laryngo-trachéite bactérienne est le plus souvent posé devant un enfant qui présente des signes de laryngo-trachéite virale avec une fièvre à 39°C, et qui ne s’améliore pas sous corticoïdes. Le traitement, outre l’antibiothérapie antistaphylococcique, nécessite l’intubation, et parfois l’extraction endoscopique des fausses membranes.

Origine bronchique et bronchiolaire

* Bronchiolite:

– la bronchiolite aiguë survient le plus souvent avant l’âge de 1 an sous forme d’épidémies automno-hivernales. Le VRS est responsable de 75% des bronchiolites, les autres virus sont les para-influenza et les adénovirus.

– les signes clinico-radiologiques sont rappelés dans le tableau 4. Il existe plus souvent une polypnée qu’une bradypnée, mais dans tous les cas l’expiration est prolongée. L’hospitalisation n’est nécessaire que dans 5% des cas, en présence de signes de gravité.

– le traitement ambulatoire associe une bonne hydratation, et éventuellement une kinésithérapie respiratoire. L’antibiothérapie est inutile si l’enfant était primitivement en bonne santé, et les corticoïdes n’ont pas fait la preuve de leur efficacité. Les aérosols de bêtamimétiques sont parfois efficaces, mais l’administration doit être hospitalière, avec de l’O2.

* Asthme du nourrisson:

– l’asthme peut se révéler, chez le nourrisson, par des bronchiolites à répétition.

– il conviendra de rechercher des antécédents personnels d’eczéma atopique, et des antécédents d’allergie chez les parents.

– une corticothérapie inhalée peut être indiquée.

Pneumopathies

Les signes en sont indiqués dans le tableau 4. Les pneumopathies peuvent être révélées par un syndrome douloureux abdominal, ou un syndrome méningé.

* Les causes peuvent être virales (VRS, Myxovirus para-influenza et influenza, Adénovirus, EBV) ou bactériennes (Haemophilus influenzae +++ chez le nourrisson, Moraxella catarrhalis, Chlamydiae, staphylocoques).

* Le traitement ambulatoire comprend une antibiothérapie par bêtalactamines ou par macrolides. Les macrolides et les bêtalactamines peuvent être associés, ou utilisés successivement en cas d’échec du traitement initial.

Coqueluche

Les caractères de la toux et l’absence de vaccination en permettent facilement le diagnostic.

– Elle peut être sévère chez le nourrisson de moins de 3 mois, surtout s’il est ancien prématuré.

– Les complications à rechercher sont les apnées, les quintes asphyxiantes, et la détresse respiratoire.

– La constatation d’une tachycardie fixe supérieure à 200/min doit faire craindre une coqueluche maligne qui est gravissime.

Pleurésies

Elles sont rarement responsables de dyspnée, sauf en cas de pneumopathie associée.

* La cause la plus classique chez le nourrisson est la staphylococcie pleuro-pulmonaire, mais elle est devenue moins fréquente que la pleuro-pneumopathie à pneumocoque.

* Le diagnostic de staphylococcie pleuro-pulmonaire doit être évoqué sur l’association d’une détresse respiratoire à des signes généraux marqués (fièvre à 39°C, teint gris) et à des signes digestifs (distension abdominale, diarrhée). L’hospitalisation s’impose d’urgence en raison du risque de pneumothorax et plus rarement de choc septique.

Pneumothorax

Le pneumothorax spontané est rare chez le nourrisson.

* Il peut être dû à un traumatisme thoracique ou à un corps étranger, ou constituer une complication d’une infection pulmonaire (bronchiolite, coqueluche, staphylococcie pleuro-pulmonaire).

* Le traitement repose sur le drainage thoracique (après exsufflation à l’aiguille en cas de pneumothorax suffocant).

Corps étranger respiratoire

L’inhalation d’un corps étranger est rare chez le nourrisson, et survient le plus souvent après l’âge de 2 ans.

* Les caractéristiques de la dyspnée dépendent du niveau du corps étranger.

* Le syndrome de pénétration est inconstant, et les symptômes peuvent se résumer à une infection respiratoire traînante.

* L’association d’un wheezing et d’un trappage unilatéral à la radiographie de thorax est quasi pathognomonique d’un corps étranger bronchique.

* Le traitement repose sur la bronchoscopie au tube rigide, qui doit être réalisée d’extrême urgence en cas de corps étranger trachéal (stridor aux deux temps, bruit de drapeau).

* Les manœuvres d’expulsion sont indiquées uniquement en cas de corps étranger suffocant.

Causes malformatives :

Laryngomalacie stridor congénital essentiel

Elle est fréquente, et peut être notée dès la naissance ou après un intervalle libre de quelques semaines. Le stridor prédomine au cri ou à l’effort et disparaît en sommeil calme. Un reflux gastro-œsophagien y est souvent associé. La dyspnée est rarement sévère et ne retentit pas sur l’état général.

* Le diagnostic repose sur l’anamnèse et sur l’endoscopie des voies aériennes supérieures.

* L’évolution est en général spontanément favorable en 18 mois à 2 ans.

Angiome sous-glottique

* Le diagnostic doit être évoqué chez un nourrisson porteur d’un angiome cutané facial et d’un stridor. Le stridor reste en général bien supporté en l’absence d’infection intercurrente.

* L’évolution est en général favorable, soit par involution spontanée, soit grâce à la corticothérapie.

* Le traitement des formes rebelles peut faire appel au laser.

Paralysie des cordes vocales

Seules les paralysies bilatérales sont à l’origine d’une dyspnée importante.

* Les causes les plus fréquentes sont le syndrome d’Arnold-Chiari et la souffrance périnatale.

* Le diagnostic est endoscopique.

* La récupération est variable et inconstante et dépend de la cause.

* Le traitement peut faire appel à la chirurgie.

Arc vasculaire anormal

Il s’agit d’une compression trachéale par un arc vasculaire anormal. La dyspnée est en général aux deux temps.

* Le diagnostic peut être radiologique (visualisation d’une empreinte trachéale au TOGD, scanner spiralé), ou endoscopique (compression pulsatile à la fibroscopie bronchique).

* Le traitement est le plus souvent chirurgical dans les formes sévères.

DYSPNÉE D’ORIGINE CARDIAQUE :

La dyspnée d’effort se manifeste primitivement lors des biberons. Elle doit faire rechercher les autres signes d’insuffisance cardiaque:

– hépatomégalie.

– œdèmes périphériques (trop belle courbe de poids).

– tachycardie.

– cardiomégalie à la radio de thorax.

Cardiopathies congénitales :

Elles sont en général dépistées dès la période néonatale. Néanmoins, la CIV et la coarctation de l’aorte peuvent se révéler par une poussée d’insuffisance cardiaque dans les premiers mois de vie.

Insuffisance cardiaque aiguë congestive :

Myocardite virale

C’est la cause la plus fréquente.

* Les virus les plus fréquemment responsables sont: Coxsackies, Echovirus, EBV, et le virus de la rougeole.

* Elle doit être évoquée devant une insuffisance cardiaque aiguë congestive chez un nourrisson de 6 à 18 mois, sans cardiopathie préexistante. Le diagnostic est anamnestique (syndrome grippal, troubles digestifs), échographique (hypokinésie cardiaque), et virologique (sérologies et PCR).

* Le traitement est symptomatique (oxygénothérapie ou ventilation assistée, diurétiques, digitaliques ou dobutamine).

Péricardite bactérienne

Elle est beaucoup plus rare.

* Les germes en cause selon l’âge sont Haemophilus influenzae avant 6 ans, le pneumocoque après 6 ans, et le staphylocoque à tout âge.

* Le diagnostic est essentiellement échographique (épanchement péricardique, voire tamponnade).

* Si le traitement symptomatique est insuffisant, le drainage péricardique peut être nécessaire (urgent en cas de tamponnade), voire même la péricardectomie.

* La complication principale est la formation d’une coque péricardique séquellaire.

DYSPNÉE D’ORIGINE MÉTABOLIQUE :

Les états de choc et les déshydratations peuvent être la cause d’une hyperpnée, soit directement (hypoxémie), soit par le biais de l’acidose.

Le traitement est étiologique, mais la ventilation assistée peut être nécessaire.

DYSPNÉE D’ORIGINE NEUROLOGIQUE :

Intoxications

Les intoxications par des médicaments dépresseurs du système nerveux central peuvent être responsables d’une hypopnée qui peut nécessiter une ventilation contrôlée.

Autres causes

Les autres affections neuro-musculaires à l’origine d’une hypopnée peuvent être acquises (méningo-encéphalite, polyradiculonévrite), ou congénitales (syndrome d’Ondine). Elles nécessitent souvent la ventilation contrôlée.

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