Invagination intestinale aiguë du nourrisson

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L’invagination intestinale aiguë est le résultat de la pénétration d’un segment intestinal dans le segment d’aval immédiat. Il s’agit d’une urgence médicochirurgicale.

ÉPIDÉMIOLOGIE :

* L’invagination intestinale aiguë est une affection à prédominance masculine: trois garçons pour cinq filles.

Invagination intestinale aiguë du nourrisson* Age: le plus souvent entre 2 mois et 2 ans, classiquement entre 6 et 12 mois.

– 75% des enfants atteints ont moins de 2 ans.

– Plus de 50% ont moins de 1 an.

* On décrit classiquement des facteurs favorisants, en réalité rarement retrouvés:

– une cause locale: diverticule de Meckel, appendicite, tumeur, chirurgie digestive, pancréas ectopique.

– un terrain particulier: purpura rhumatoïde, chimiothérapie.

– une virose: adénolymphite mésentérique, caractère saisonnier (printemps, automne), rhinopharyngite la précédant.

PHYSIOPATHOLOGIE :

Anatomie pathologique :

Le télescopage des deux segments intestinaux conduit à la formation d’une masse, appelée boudin d’invagination (voir schéma). Ce dernier peut parfois être le point de départ de nouvelles invaginations, alors plus complexes, et l’on comprend aisément que les boudins ainsi formés puissent être composés de nombreuses tuniques, jusqu’à six à sept parfois.

Un boudin unique est constitué de trois cylindres:

– externe ou gaine.

– moyen et interne comprenant la tête du boudin à son extrémité libre et le collet à son raccordement avec la gaine.

Sièges et types de l’invagination :

Selon le siège et le type, collet et tête du boudin diffèrent.

Conséquences locales :

* Entre les cylindres interne et moyen se trouvent les vaisseaux mésentériques dans leur méso comprimé. Plus le méso est lâche et non accolé (situation normale chez le nourrisson), plus le boudin progresse, avançant de la fosse iliaque droite vers le flanc gauche, avant de redescendre dans le pelvis où il peut être perçu par un toucher rectal.

* Les conséquences sur le méso sont celles de toutes occlusions par strangulation. On retient donc les conséquences locales successives suivantes, après compression:

– veineuse: stase puis œdème et hémorragies se traduisant par des selles mucosanglantes.

– artérielle: ischémie du segment invaginé, nécrose puis perforation, péritonite.

* C’est la largeur du collet qui déterminera ou non l’occlusion: plus celui-ci est large (invagination iléo-colique habituelle), plus le syndrome occlusif sera fruste et insidieux.

Conséquences locorégionales et générales :

Outre l’extension et l’aggravation de l’invagination, la péritonite à un stade ultime, la souffrance du segment invaginé va entraîner la création d’un troisième secteur, avec pour conséquences, une déshydratation et une hypovolémie, voire un choc.

Pathogénie :

En l’absence de lésion anatomique locale, les causes de l’invagination sont obscures.

On incrimine un hyperpéristaltisme abdominal sans savoir pourquoi celui-ci existe.

Le méso du nourrisson étant particulièrement lâche et souple, on comprend pourquoi on se trouve sur un terrain favorable aux invaginations.

Une invagination, on le comprend, se crée d’autant plus facilement que son segment d’aval est large, ce qui explique sa localisation préférentielle sur la jonction iléo-colique.

Clinique :

FORME HABITUELLE ILEO-CAECALE :

Symptômes :

L’aspect clinique de la forme habituelle iléo-cæcale se définit classiquement par la triade: douleur abdominale, vomissements et selles sanglantes.

* Douleur abdominale paroxystique:

– accès brefs: moins de 15 minutes.

– cris, pleurs, accès de pâleur.

– émission de selles au décours.

– pleurs paroxystiques.

* vomissements:

– alimentaires ou bilieux.

– refus de boire.

* sang dans les selles:

– signe capital.

– tardif, inconstant.

– rarement isolé.

– plus ou moins abondant.

Examen clinique :

Devant l’un des signes précités, il faudra s’acharner à retrouver, chez un nourrisson: un signe local, des signes locorégionaux et des signes généraux.

Signe local

* Palpation du boudin ou masse abdominale:

– variable d’un examen à l’autre.

– à consistance ferme et élastique.

– douloureuse.

– élément peu mobile.

– de forme oblongue.

– siège: cadre colique.

– inconstante.

* Abdomen plat.

* Vacuité de la fosse iliaque droite qui est souple.

Signes locorégionaux

* Toucher rectal avec douceur:

– vacuité de l’ampoule rectale.

– palpation du boudin.

– présence de sang: indice de diagnostic, indice de gravité de grande valeur.

* Orifices herniaires libres.

Signes généraux

* Bon état général le plus souvent.

* Déshydratation, choc.

FORMES TROMPEUSES :

Devant une forme trompeuse, penser systématiquement à une invagination intestinale aiguë devant un enfant entre 2 mois et 2 ans, présentant:

* un des signes de la triade.

* une symptomatologie trompeuse comme:

– une diarrhée isolée, même fébrile, même non sanglante.

– une forme neurologique: hypotonie isolée sans explication, voire convulsions.

– des vomissements isolés et brutaux, inexpliqués.

– une forme occlusive (invagination iléo-iléale à collet étroit).

– une forme évoluée où les signes de choc prédominent.

Conduite à tenir initiale :

Dans tous les cas et avant toute exploration radiologique:

* mettre en place une voie veineuse fiable, une sonde gastrique si les vomissements sont importants.

* traiter les éventuels états de choc et la déshydratation.

* effectuer des prélèvements sanguins:

– bilan préopératoire.

– ionogramme sanguin, urée et créatinine sanguines.

– glycémie, calcémie.

* traiter la douleur.

Envisager, une fois vérifiée la normalité des états d’hydratation et de l’hémodynamique, sous surveillance avec moniteur, les examens complémentaires radiologiques qui vont conduire au diagnostic et au traitement.

Diagnostic radiologique :

Par ordre chronologique, on réalise les examens radiologiques qui suivent.

CLICHES D’ABDOMEN SANS PRÉPARATION :

Des radiographies de l’abdomen sans préparation sont réalisées de manière systématique.

Technique :

Les radiographies de l’abdomen sans préparation seront effectuées de face, en décubitus dorsal et orthostatisme, voire en décubitus latéral.

Résultats :

* Le résultat est normal, au début surtout, ce qui n’élimine pas le diagnostic.

* Images directes: le boudin:

– est exceptionnellement visualisé.

– l’opacité est arrondie, à droite de la ligne médiane, moulée par l’air emprisonné qu’elle contient.

* Images indirectes:

– vacuité de la fosse iliaque droite.

– niveaux hydroaériques de l’intestin grêle en cas de participation iléale.

* Complications:

– pneumopéritoine.

– épanchement liquidien.

– dilatation aiguë.

ÉCHOGRAPHIE ABDOMINALE :

L’échographie abdominale ne remplace jamais le lavement opaque.

* Elle peut mettre en évidence, si elle est réalisée par un échographiste expérimenté, la tête du boudin d’invagination.

– En coupe transversale: image en cible ou en cocarde.

– En coupe sagittale longitudinale: image en sandwich.

* Quand la faire? Avec un échographiste expérimenté et devant (voir photos):

– un doute diagnostique persistant.

– l’absence de complication chirurgicale.

* Quand ne pas la faire? Avec un échographiste inexpérimenté ou devant:

– un diagnostic évident.

– une complication chirurgicale.

LAVEMENT OPAQUE :

Le lavement opaque est un examen diagnostique et souvent thérapeutique.

Technique :

* L’enfant est réhydraté, perfusé, calmé (sédation douce et antalgiques), et l’on s’assure qu’il a une bonne hémodynamique.

* Personnel soignant: radiologue et chirurgien sont présents.

* La technique:

– délicatement, une sonde non traumatisante est passée par le canal anal, dans laquelle est injecté un produit, opaque aux rayons X, hydrosoluble ou une baryte tiède diluée, sous faible pression, en suivant sous scopie sa progression.

– souvent aujourd’hui on utilise de l’air plutôt qu’un produit de contraste radio-opaque.

* sur l’écran, on prend comme point de repère l’injection de la dernière anse de l’intestin grêle.

* Les clichés: multiples incidences, en réplétion et évacuation, répétées sur toute zone suspecte qui n’est évocatrice que si elle est constante et fixe sur tous les clichés.

Résultats :

* Amputation d’un segment colique.

* Image d’arrêt du produit de contraste, réalisant:

– une cocarde de face.

– une cupule (pince de homard) de profil.

* Autres images plus difficiles à interpréter:

– encoche du cæcum.

– lacune.

– mauvais remplissage de la dernière anse de l’intestin grêle.

Tentative de réduction de l’invagination :

* Ce traitement, dit hydrostatique, consiste à augmenter la pression du produit de contraste, progressivement, de façon contrôlée, sans dépasser en règle 100cm d’eau.

* Chaque essai dure environ 1 minute et on procède à trois essais au maximum.

* On peut s’aider de l’injection d’un médicament spasmolytique, comme le glucagon (0,1mg/kg).

Critères de désinvagination :

* Critères techniques: désinvagination suivie sur écran.

* Critères radiologiques:

– cæcum en place, net.

– remplissage net de la dernière anse de l’intestin grêle sur 20cm au moins.

– absence d’encoches.

– absence de récidives sur les clichés en évacuation.

* Critères généraux:

– amélioration de l’état général.

– arrêt des crises douloureuses.

– rétablissement du transit.

* 20% des cas sont irréductibles après 48 heures d’évolution de la maladie. Une désinvagination subtotale est alors déjà un bon résultat, elle sera complétée par la chirurgie.

* Après désinvagination hydrostatique, on note 17% de récidives.

Quelques formes particulières :

FORME ILEO-ILEALE :

* La forme iléo-iléale pure est rare. Elle se manifeste par des signes d’occlusion rapides et francs:

– météorisme très important.

– vomissements répétés.

– altération de l’état général.

* Le lavement baryté est contre-indiqué devant des signes d’occlusion aiguë de l’intestin grêle, le lavement aux hydrosolubles ne permettant pas, de son côté, de visualiser cette localisation. Ainsi, le diagnostic est le plus souvent réalisé au bloc opératoire, puisqu’il est l’issue logique de cette symptomatologie.

PURPURA RHUMATOÏDE :

L’invagination intestinale aiguë est le plus souvent iléo-iléale et de réduction facile.

* La persistance de la symptomatologie douloureuse en cas de purpura rhumatoïde doit faire évoquer le diagnostic, souvent difficile à obtenir, du fait de sa localisation qui échappe au lavement opaque.

* Sa pathogénie est probablement un hématome de la paroi intestinale.

CAS DU NOUVEAU-NÉ :

L’invagination intestinale aiguë est exceptionnelle chez le nouveau-né.

Elle se révèle alors sur un mode aigu: occlusion de l’intestin grêle plus ou moins associée à une hémorragie digestive et à une masse abdominale.

– Elle est grave, sa mortalité est importante.

– Elle est le plus souvent idiopathique. On recherche un diverticule de Meckel, une entérocolite, une malformation congénitale.

Traitement chirurgical :

INDICATIONS :

* Sans lavement:

– en cas d’occlusion aiguë de l’intestin grêle.

– dans les formes vues tardivement.

– dans les formes iléo-iléales.

– dans les formes néonatales.

– en cas de pneumopéritoine, d’épanchement péritonéal liquidien ou de dilatation intestinale aiguë.

* Après lavement:

– désinvagination incomplète ou douteuse.

– récidive.

– après 2 ans (cause locale fréquente).

TECHNIQUE :

* La voie d’abord dépend du siège de l’invagination.

* Une appendicectomie est en règle réalisée en association avec le traitement de l’invagination.

* On recherche une cause locale, une invagination iléo-iléale associée.

* La réduction manuelle est possible lorsqu’il n’y a pas de doute sur la vitalité du segment invaginé.

* La résection-anastomose en un temps est effectuée quand:

– la réduction est impossible.

– il existe un sphacèle de l’anse.

* La résection-anastomose en deux temps est indiquée devant une péritonite ou une perforation.

Conclusion :

* Toute occlusion survenant entre l’âge de 2 mois et celui de 2 ans est une invagination intestinale aiguë jusqu’à preuve du contraire.

* Les examens complémentaires ne retardent en aucun cas le traitement d’un état de déshydratation et, a fortiori, de choc.

* Devant une suspicion d’invagination, même si l’enfant va bien, comme c’est le cas le plus souvent, il faut être prudent:

– perfusion et bilan préopératoire.

– surveillance attentive.

– avoir le souci d’examens rapides et efficaces: ne pas insister sur une échographie qui serait faite dans de mauvaises conditions, ne pas faire retarder le diagnostic qui est urgent dans tous les cas.

* Penser à une cause locale, surtout avant l’âge de 2 mois et après 2 ans.

* Le traitement est urgent car l’ischémie menace l’anse invaginée, et il doit être effectué en milieu médical quand c’est possible.

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