Douleur abdominale aiguë de l’enfant

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La fréquence et la banalité de ce symptôme invoqué quotidiennement par l’enfant ou ses parents ne doivent pas conduire au diagnostic de facilité de douleurs « fonctionnelles », même si ce sont les plus fréquentes. Il est fondamental d’avoir une démarche diagnostique cohérente pour ne pas passer à côté d’une étiologie nécessitant un traitement spécifique ou urgent, ou encore une prise en charge de l’enfant à plus long terme.

Douleur abdominale aiguë de l'enfant* Devant un symptôme aussi banal, recouvrant plusieurs dizaines de causes possibles, il est impératif d’avoir, devant une douleur abdominale, une démarche diagnostique structurée qui repose sur l’interrogatoire de l’enfant et/ou de son entourage, et un examen clinique complet et non seulement abdominal.

* Devant une douleur abdominale aiguë la crainte d’une affection chirurgicale, dont la sémiologie chez le nourrisson peut être trompeuse, impose la plus grande prudence, et parfois justifie une mise en observation clinique.

* L’usage des examens complémentaires répond à une réflexion clinique préalable et repose sur des examens simples: l’ASP, et surtout l’échographie abdominale qui, particulièrement performante chez l’enfant, en quelque sorte « prolonge la main du clinicien ».

* La répétition de douleurs abdominales ne doit pas entraîner un diagnostic de facilité de douleurs fonctionnelles ou psychogènes, mais doit inciter à reprendre l’examen clinique et à rechercher aussi des causes extra-digestives.

* Il n’y a pas de traitement des douleurs abdominales autre que celui de leur cause.

Orientation diagnostique :

INTERROGATOIRE :

Concernant plus souvent la mère que l’enfant, il devra tenter de préciser un maximum de données.

* Données sur la douleur:

– circonstances d’apparition.

– antécédents équivalents (évolution spontanée ou sous traitement).

– localisation (le plus souvent ombilicale, elle a d’autant plus de risques d’être organique qu’elle s’en éloigne).

– intensité, rythmicité, irradiation.

* Données sur les signes d’accompagnement, fondamentaux dans la mesure où une douleur abdominale organique est exceptionnellement « nue » (diarrhée, vomissements ou refus du biberon chez le nourrisson, constipation, troubles fonctionnels urinaires, œdèmes, pâleur, subictère, fièvre…).

* Données sur le retentissement général actuel et sur la croissance staturo-pondérale de l’enfant en cas de douleurs évoluant sur un mode chronique.

EXAMEN CLINIQUE :

Il a trois buts:

* rechercher les éléments du diagnostic et s’assurer de l’absence d’un certain nombre d’autres causes et cela de façon systématique en passant en revue l’enfant appareil par appareil.

* évaluer l’éventuel retentissement sur l’état général de l’enfant, notamment l’hémodynamique (pouls, pression artérielle, état d’hydratation, fièvre, retentissement neurologique…).

* sélectionner les examens complémentaires vraiment nécessaires, urgents et, surtout, décisionnels.

EXAMENS COMPLEMENTAIRES :

* De première intention et en urgence:

– numération formule sanguine.

– ionogramme sanguin, glycémie.

– abdomen sans préparation.

– radiographie du thorax.

– bandelettes dans les urines (nitrites, protéinurie, hématurie, corps cétoniques).

* En fonction du contexte:

– une échographie, abdominale, hépatique, rénale ou pelvienne, peut être utile à ce stade.

– des examens plus complexes ne seront demandés qu’après une réorientation diagnostique passant par la reprise de l’interrogatoire.

Douleurs abdominales aiguës :

APPENDICITE AIGUE :

Elle doit être évoquée de principe devant tout syndrome douloureux abdominal, chez l’enfant mais aussi le petit nourrisson où la rareté et le retard habituel au diagnostic expliquent la fréquence des formes compliquées:

* fièvre modérée, 38-38,5°C qui, supérieure, doit faire suspecter une complication (perforation, abcédation) ou un autre diagnostic.

* douleur localisée de la fosse iliaque droite (FID) mais surtout persistante au même endroit (se méfier des méso-cœliaques ou rétrocoliques).

* troubles mineurs du transit plus qu’occlusion.

Valeur:

* de l’ASP, à répéter.

* de la polynucléose sur la NFS.

DIVERTICULE DE MECKEL :

Il donne un tableau proche mais le caractère moins fébrile, la notion de rectorragie ou de saignement microscopique (Hémastix* ou Hémoccult*), l’existence d’une anémie microcytaire sont des arguments de valeur.

INVAGINATION INTESTINALE AIGUE :

Deux formes cliniques sont à différencier.

* Forme du nourrisson, la plus fréquente, idiopathique ou liée à l’adénolymphite mésentérique, iléo-cœco-colique:

– accès douloureux intermittents (pâleur, cris, adynamie ou agitation).

– absence de contexte infectieux évolutif.

– vomissements ou refus du biberon.

– difficulté de l’examen abdominal (normal le plus souvent entre les accès) dont la palpation doit être douce et patiente à la recherche d’une vacuité de la FID, d’un boudin d’invagination mais qui ne retrouve qu’une simple asymétrie palpatoire.

– ASP, face debout, ou en décubitus latéral-rayons horizontaux (perte ou déplacement du granité cœcal, niveaux liquides, épanchement péritonéal avec disparition de la ligne graisseuse péritonéale).

– lavement opaque au moindre doute.

* Forme du grand enfant, qui survient toujours dans un contexte particulier:

– purpura rhumatoïde surtout (regarder les chevilles!).

– postopératoire (chirurgie digestive).

– beaucoup plus rarement, tumeur ou kyste du mésentère, duplication, etc.

OESOPHAGITE DU NOURRISSON :

* Elle survient dans le cadre d’un reflux gastro-œsophagien, antérieurement connu ou non, mais qui doit en faire rechercher les autres éléments de gravité:

– anorexie, difficultés à prendre les biberons.

– hématémèse (rarement).

– anémie souvent évidente cliniquement.

– cassure de la courbe pondérale.

– manifestations associées (lipothymies, bradycardie, apnées).

* La fibroscopie est l’examen de choix, en urgence, plus que le transit œso-gastro-duodénal (TOGD) ou la pH-métrie-manométrie.

AUTRES CAUSES :

* Etranglement herniaire, torsion du testicule, hernie de l’ovaire sont à rechercher de principe.

* Volvulus du grêle, avec crises sub-occlusives répétées:

– volvulus total serré du grêle (dans les premiers mois de vie) sur mésentère commun.

– volvulus du grêle sur bride (antécédents chirurgicaux).

* Pyélonéphrite aiguë: son expression est, chez l’enfant, très souvent digestive et non spécifique du fait de la fréquence d’un iléus réflexe mais:

– des signes urinaires rarement évoqués en premier sont retrouvés par un interrogatoire plus dirigé.

– la présence de nitrites dans les urines (Combur Test*) associés souvent à une protéinurie commande l’examen cytobactériologique des urines (ECBU) en urgence (examen direct).

– l’échographie trouve là une de ses meilleures indications (recherche d’une distension pyélocalicielle ou urétérale, ou d’une lithiase).

* Diarrhée aiguë non encore extériorisée de type plutôt invasif (iléus initial fréquent dans les salmonelloses), pullulation microbienne.

* Infection à Helicobacter pylori à l’origine fréquente d’une gastrite chronique et souvent sévère, de douleurs abdominales subaiguës et/ou de vomissements.

* Syndrome prémenstruel et dysménorrhée essentielle de la jeune fille.

LES PIEGES A CONNAITRE :

Un certain nombre de causes extra-digestives peuvent simuler un tableau abdominal, souvent même pseudo-chirurgical.

Pneumonie franche lobaire aiguë :

A droite comme à gauche elle peut, en tous points, simuler une appendicite aiguë, mais:

– hyperthermie franche à 40°C.

– absence de contracture vraie.

– note respiratoire (petite toux, battement des ailes du nez, rarement foyer auscultatoire à ce stade).

– note méningée souvent associée.

– franche polynucléose (supérieure à 20.000).

– ASP normal.

– foyer pulmonaire (atélectasie) pouvant manquer au tout début.

– apyrexie stable en 12-24 heures sous antibiothérapie (amoxicilline).

Angine érythémato-pultacée :

Elle peut être de nature virale ou bactérienne mais elle impose une brève antibiothérapie (Oracilline*).

Hépatite virale :

Dans sa phase pré-ictérique: il faut rechercher:

– une douleur sous-costale.

– un subictère.

– des sels ou pigments biliaires dans les urines…

Hypertension artérielle en poussée :

En général plutôt dans un contexte de néphropathie:

– syndrome hémolytique et urémique.

– glomérulonéphrite aiguë.

– syndrome néphrotique.

On accordera de la valeur à la présence:

– d’œdèmes.

– de prise de poids récente.

– d’ascite.

– de protéinurie.

– d’hématurie.

Acidocétose diabétique :

Douleurs abdominales pseudo-chirurgicales (syndrome « appendiculaire ») mais:

– perte de poids.

– polyurie et glycosurie (+ cétonurie).

– hyperglycémie et anomalies électrolytiques (acidose).

Purpura rhumatoïde :

Le problème se pose avant la phase éruptive (voir question).

Douleurs abdominales répétitives :

L’approche en est toute différente car la pathologie organique est beaucoup plus rarement en cause, mais c’est souvent dans un contexte d’urgence qu’elles sont rencontrées et il importe d’être tout aussi systématique dans l’élimination d’une étiologie organique avant de parler de problème fonctionnel dont l’approche est loin d’être univoque.

CAUSES FREQUENTES :

Causes digestives :

Appendicite subaiguë ou chronique

L’appendicite subaiguë ou chronique n’est pas un mythe, mais il est très difficile d’en faire la preuve et une appendicectomie de complaisance ou de lassitude est loin de régler le problème des douleurs abdominales répétitives. La confirmation par l’analyse histologique de l’appendice est indispensable.

Constipation

D’une fréquence extrême, souvent négligée ou méconnue, la constipation doit faire l’objet d’un interrogatoire approfondi une fois le diagnostic fait (palpation abdominale et au TR de fécalomes, stase stercorale sur l’ASP). Elle peut révéler, plus rarement, une maladie de Hirschsprung bas située.

Colopathie fonctionnelle

* Colopathie spasmodique du grand enfant où l’on retrouve un terrain familial équivalent, un contexte psychologique particulier, une constipation plus qu’une alternance diarrhée-constipation…

* Côlon irritable du petit nourrisson, donnant un tableau de diarrhée chronique plus ou moins douloureuse (coliques du nourrisson) avec des selles mal digérées, mais sans retentissement sur la courbe de poids.

Autres causes

* Hernie interne, interposition interhépato-diaphragmatique, volvulus partiel, ou non, sur une malrotation d’un mésentère commun s’accompagnent d’une anomalie de répartition des gaz abdominaux en plus des signes d’occlusion.

* Occlusion sur bride, souvent à distance d’une intervention chirurgicale abdominale.

* Ulcère gastro-duodénal, rencontré dans la deuxième enfance et dont les caractéristiques douloureuses ne doivent pas être oubliées malgré sa rareté chez l’enfant.

* Lithiase biliaire (le plus souvent dans un contexte d’anémie hémolytique constitutionnelle).

* Colite inflammatoire, maladie de Crohn ou rectocolite hémorragique, que les signes généraux et digestifs et le retentissement isolent des tableaux habituels.

* Pancréatite, aussi rare que de causes multiples.

Causes urinaires :

* L’infection urinaire de l’enfant, qu’elle soit ou non associée à une uropathie malformative, se révèle souvent par une sémiologie digestive d’emprunt et l’ECBU fait certainement partie des deux ou trois examens à faire, même en l’absence de signes urinaires.

* Lithiase rénale.

Causes gynécologiques :

* Douleurs pelviennes signant l’imminence de l’installation des règles, chez une fille dont la puberté se développe de façon harmonieuse, dues à une congestion ovarienne, un kyste ovarien ou une hémorragie tubaire.

* Dysménorrhée post-pubertaire qui ne peut être évoquée que lorsque les cycles sont ovulatoires, c’est-à-dire jamais au moment de l’installation des règles.

* Malformation des voies génitales, imperforation de l’hymen (hématocolpos), tumeurs ovariennes sont rares et s’accompagnent d’anomalies cliniques décelables. Là encore, l’échographie est irremplaçable.

Causes hématologiques :

* Drépanocytose dont les crises vaso-occlusives donnent des tableaux pseudo-chirurgicaux, mais dont la régression est obtenue par la correction de l’anémie et la réhydratation, en sachant que cette maladie n’exclut en rien les autres causes de douleurs abdominales.

* Anémies hémolytiques constitutionnelles pouvant se compliquer de séquestration splénique ou… de lithiase biliaire (pigmentaire).

AUTRES CAUSES ORGANIQUES :

Etiologies à rechercher

Les autres causes organiques sont les suivantes:

* l’épilepsie abdominale.

* une migraine abdominale.

* une tumeur cérébrale (c’est rarement le premier signe!).

* la maladie périodique (contexte ethnique particulier).

* une ascaridiose (infestation massive).

* une intolérance ou allergie alimentaire.

Saturnisme

* L’intoxication chronique au plomb est souvent à l’origine de troubles digestifs, et notamment de douleurs abdominales chroniques.

* L’ingestion (pica) d’écailles de peintures anciennes (céruse), ou l’inhalation de poussières toxiques représentent les principales causes d’intoxication (normes pour l’eau inférieure à 50µg/l).

* Population touchée:

– enfant de moins de 6 ans (pic: 18 à 36 mois).

– comportement d’ingestion non alimentaire, pica.

– enfants souvent d’origine africaine, immigrés récents, non insérés socialement.

* La trilogie, non spécifique mais évocatrice, doit cependant faire évoquer le diagnostic:

– constipation.

– douleurs abdominales.

– anorexie.

* Des troubles neurologiques se rencontrent à un stade plus tardif.

– troubles du sommeil, irritabilité.

– diminution de l’activité motrice.

– troubles du langage.

– altération PEV et de l’acuité auditive.

* Le dosage de la plombémie et/ou la plomburie provoquée permettent d’affirmer le diagnostic (taux supérieur à 150mg/l).

* Les radiographies osseuses ne montrent des signes spécifiques (bandes opaques métaphysaires) que pour des intoxications massives (taux supérieur à 500mg/l).

* Le traitement repose sur l’utilisation de produits chélateurs, augmentant l’élimination urinaire.

La rareté de ces causes ne doit pas empêcher de les évoquer, en l’absence des causes habituelles, en sachant que chez le petit enfant une douleur, quelle qu’en soit l’origine, est souvent projetée dans la région ombilicale.

CAUSES PSYCHOLOGIQUES :

Ce sont en fait les douleurs répétées les plus fréquentes.

Elles ont en commun un certain nombre de traits qui en suscitent le diagnostic même si leur présentation peut en imposer pour une « urgence »:

* topographie « immuablement » péri-ombilicale, sans caractéristiques de type, rythme, siège, irradiation pouvant évoquer un diagnostic précis.

* association d’un cortège de signes fonctionnels tels que pâleur, céphalées, sensations vertigineuses, lipothymies, palpitations, etc..

* fréquence d’un facteur déclenchant:

– mésentente parentale ou conflit plus ou moins ouvert avec les parents.

– séparation ou divorce.

– difficultés scolaires.

– conditions de logement défectueuses.

– deuil.

– forcing alimentaire, etc..

* absence de retentissement somatique.

L’examen clinique sera d’autant plus complet qu’il est toujours aussi impératif de ne pas passer à côté d’un problème organique surtout si c’est la énième consultation de cet enfant en difficulté, et souvent déjà catalogué.

Cet examen permettra d’amorcer la prise en charge en se voulant explicatif et rassurant.

L’amélioration du contact, la mise en confiance par des consultations successives, l’évaluation de la situation scolaire ne sont que les premiers pas vers la résolution d’un problème souvent complexe.

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