Déshydratation aiguë du nourrisson

0
2413

La déshydratation est une situation fréquente en pratique libérale ou hospitalière. Le plus souvent secondaire à une gastro-entérite aiguë, elle est responsable de 10% des hospitalisations dans les 5 premières années de vie. Cette fréquence est notamment liée à l’insuffisante utilisation des solutions de réhydratation orale. La déshydratation aiguë du nourrisson est une urgence: elle est encore responsable de 10% des décès évitables à cet âge par survenue d’un état de choc hypovolémique traité trop tardivement.

Physiopathologie :

ÉQUILIBRE HYDROELECTROLYTIQUE :

Déshydratation aiguë du nourrissonL’eau est le principal constituant de l’organisme et se répartit en deux secteurs:

– le secteur intracellulaire.

– le secteur extracellulaire (secteur interstitiel et secteur vasculaire).

La répartition de l’eau entre les différents secteurs varie avec l’âge.

Les mouvements d’eau entre les secteurs intracellulaire et extracellulaire sont fonction de la pression osmotique régnant de part et d’autre de la membrane cellulaire. Celle-ci est perméable à l’eau mais peu perméable aux substances osmotiques.

Les principales substances osmotiques extracellulaires sont le sodium, le chlore et le bicarbonate.

Les principales substances osmotiques intracellulaires sont le potassium, le magnésium, les phosphates et les protéines.

* Les entrées d’eau sont représentées par:

– l’eau exogène (aliments, boissons).

– l’eau endogène (combustion des protides, lipides, glucides).

* Les sorties d’eau sont représentées par:

– les pertes insensibles (respiration, transpiration) estimées à 20ml/kg/24h.

– les pertes digestives.

– les pertes rénales.

* Les besoins en eau varient avec l’âge et sont proportionnellement plus importants chez le petit nourrisson.

* Ainsi, pour équilibrer le bilan entrées/sorties, il faut:

– pour un enfant de 10kg: entrées= sorties= 1000ml (100ml x 10).

– pour un enfant de 20kg: entrées= sorties= 1500ml((100ml x 10) + (50ml x 10)).

– pour un adulte de 70kg: entrées= sorties= 2500ml.

* Les nourrissons sont davantage menacés de désordres hydroélectrolytiques car:

– ils sont dépendants de leur entourage pour les apports .

– leur pouvoir de concentration des urines est moins bon, au moins jusqu’à l’âge de 3 mois.

– les mouvements d’eau sont plus importants que chez l’adulte. En effet, si un nourrisson de 10kg double ses pertes, sa perte de poids est de 10%. si un adulte de 70kg double ses pertes, sa perte de poids est de 3,5%.

MECANISMES DE LA DÉSHYDRATATION :

Schématiquement, on peut considérer trois situations:

* les pertes d’eau et de sel sont proportionnelles: la déshydratation est globale, isonatrémique.

* la perte de sel est supérieure à la perte d’eau: il s’agit d’une déshydratation à prédominance extracellulaire, hyponatrémique.

* la perte d’eau est supérieure à la perte de sel: il s’agit d’une déshydratation à prédominance intracellulaire, hypernatrémique:

– dans cette situation, toutes les cellules sont déshydratées, mais le cerveau, plus vulnérable, est capable de se protéger en fabriquant des osmoles idiogéniques (polyols, triméthylamines, acides aminés).

– la production, comme l’élimination de ces osmoles, est lente.

INTERPRETATION DES TROUBLES ELECTROLYTIQUES ET ACIDOBASIQUES :

* L’augmentation de l’hématocrite et de la protidémie est due à l’hémoconcentration.

* L’augmentation de l’urée et de la créatinine sanguine est due à une insuffisance rénale, le plus souvent fonctionnelle.

* Une hypernatrémie apparaît dans les déshydratations à prédominance intracellulaire ou dans les excès d’apport sodé.

* On retrouve une hyponatrémie dans les déshydratations à prédominance extracellulaire, ou chez des enfants réhydratés avec de l’eau pure. Il faut se méfier des « fausses hyponatrémies ». en effet, toute augmentation de la glycémie de 1g/l entraîne une diminution de la natrémie de 1,6mEq/l.

* L’hyperkaliémie est due à une souffrance cellulaire, une acidose (toute diminution du pH de 0,1 unité entraîne une augmentation de la kaliémie de 0,6mEq/l), une insuffisance rénale, une hémolyse lors du prélèvement.

* L’hypokaliémie est plus rare et peut être due aux vomissements, à la correction de l’acidose.

* L’acidose métabolique, fréquente, est due à la production d’acide lactique (souffrance cellulaire), de corps cétoniques (jeûne), à une élimination accrue de bicarbonates (diarrhée, tubulopathie), et à une diminution de l’élimination du CO2 (troubles neurologiques avec hypoventilation).

* L’alcalose métabolique est rare et elle peut être due à des vomissements. Chez le petit nourrisson elle doit faire évoquer une sténose du pylore (alcalose hypochlorémique par perte d’HCl).

* Une hypocalcémie et une hyperphosphorémie sont retrouvées dans les déshydratations sévères.

* L’hyperglycémie est fréquente dans les déshydratations hypernatrémiques. Elle peut atteindre 8 à 10g/l. Elle est due au stress (sécrétion d’hormones hyperglycémiantes) et à l’inhibition de la sécrétion d’insuline par l’hypertonie.

Étiologies :

La déshydratation est le plus souvent due à une augmentation des pertes, parfois à une diminution des apports.

* Les diarrhées, en particulier les gastro-entérites virales, représentent plus de 80% des causes de déshydratation du nourrisson.

* Depuis 1970, l’incidence des déshydratations hypernatrémiques a diminué. Elles représentent maintenant moins de 5% des déshydratations du nourrisson.

Les étiologies des déshydratations sont indiquées dans le tableau 2.

Diagnostic :

SIGNES CLINIQUES :

Les signes cliniques s’extériorisent pour une perte de poids supérieure à 5%, et sont rappelés dans le tableau 3. La sensibilité de chaque signe pris individuellement est médiocre, d’où l’importance de leur association.

* Si la perte d’eau s’installe lentement, elle touche pour 50% le secteur intracellulaire et pour 50% le secteur extracellulaire.

* Si la perte est rapide, le secteur extracellulaire est touché pour 75%. La tolérance est d’autant moins bonne que la déshydratation s’installe rapidement.

EXAMENS BIOLOGIQUES :

* Les examens sanguins ne sont pas nécessaires dans la majorité des cas lorsque la cause est une gastro-entérite aiguë et que l’enfant peut être réhydraté par voie orale.

* Dans les autres cas, les examens indispensables sont:

– examens sanguins: ionogramme, calcémie, glycémie, urée, créatinine, osmolarité, CO2 total, pH.

– examens urinaires: ionogramme, glycosurie, urée, créatinine, osmolarité, pH:

– la réalisation, sur la première miction, d’une bandelette réactive et d’un ionogramme, avec calcul de l’osmolarité, est indispensable. Ils renseignent sur l’adaptation rénale, la cause rénale ou extrarénale de la déshydratation, le caractère fonctionnel ou organique d’une insuffisance rénale.

– une oligurie, associée à une déshydratation, traduit une adaptation rénale et doit faire rechercher une cause extrarénale.

– une diurèse normale ou augmentée, associée à une déshydratation, traduit une inadaptation rénale et doit faire rechercher une cause rénale.

* Examens à réaliser en fonction du contexte:

– numération formule sanguine et plaquettes.

– examens microbiologiques: examen cytobactériologique des urines, hémocultures, coprocultures, recherches virales.

– ponction lombaire.

Traitement :

CHOC HYPOVOLEMIQUE :

Un choc hypovolémique provoque des troubles de la conscience, une tachycardie, un allongement du temps de recoloration. Les extrémités sont froides, marbrées. L’hypotension est tardive chez l’enfant.

* Mettre en place une voie veineuse. Le recours aux voies veineuses d’urgence (sinus longitudinal supérieur chez le nourrisson, voie intra-osseuse chez le nourrisson ou l’enfant) est parfois nécessaire.

* Déchoquer l’enfant aussi vite que le permet la voie veineuse en administrant du sérum salé isotonique par bolus de 10ml/kg.

– Les bolus de 10ml/kg sont renouvelés jusqu’à diminution de la tachycardie, normalisation du temps de recoloration (inférieur à 3 secondes), normalisation de la tension artérielle, amélioration de l’état de conscience.

– Un remplissage de 30 à 40ml/kg, voire plus, est parfois nécessaire.

RÉHYDRATATION ORALE :

La réhydratation orale doit toujours être préférée en dehors de ses contre-indications.

Contre-indications

Les contre-indications à la réhydratation orale sont:

* absolues:

– état de choc sévère ou persistant.

– troubles de la conscience.

– acidose sévère.

– suspicion d’affection chirurgicale.

* relatives:

– diarrhée sanglante ou purulente.

– diarrhée profuse (supérieure à 10ml/kg/h).

Solutés de réhydratation

Les solutés de réhydratation orale disponibles en France (Adiaril*, Alhydrate*, GES 45*, Lytren*) contiennent des glucides, du sodium (environ 50mEq/l), du potassium, un alcalin (bicarbonate ou citrate).

– Ils se présentent en sachet de poudre à diluer dans 200ml d’eau.

– Ils sont administrés ad libitum en fonction de la soif de l’enfant.

– L’administration doit être fractionnée, surtout si l’enfant vomit. Dans ce cas, il faut donner le soluté bien frais, par petites gorgées, éventuellement même, au début, à la cuillère.

– Ils ne doivent pas être administrés seuls plus de 24 heures.

RÉHYDRATATION PAR VOIE VEINEUSE :

La réhydratation par voie veineuse est utilisée lorsque la réhydratation orale est contre-indiquée.

Schématiquement, on distingue deux situations: la déshydratation hypernatrémique ou la déshydratation hyponatrémique.

Déshydratation hypernatrémique :

Dans la déshydratation hypernatrémique (Na supérieur à 150mEq/l), il faut éviter une baisse rapide de la tonicité du secteur extracellulaire qui serait responsable de mouvements d’eau rapides du secteur extracellulaire vers le secteur intracellulaire et de la création d’un œdème cérébral.

* La réhydratation doit être lente, de façon à normaliser la natrémie en 48 à 72 heures (temps nécessaire à la cellule cérébrale pour éliminer les osmoles idiogéniques).

– La natrémie ne doit pas baisser de plus de 0,5 à 1mEq/l/h.

– L’osmolarité ne doit pas baisser de plus de 1mOsm/kg/h.

* On utilise du sérum glucosé 5%, en débutant sur une base de 100 à 120ml/kg/24h :

– avec du NaCl à 2g/l.

– avec du KCl à 2g/l (si kaliémie normale et diurèse).

– avec du gluconate de calcium à 2g/l.

* Le poids utilisé pour le calcul de la perfusion est le poids d’entrée, le débit de perfusion doit être réajusté dès les premières heures en fonction de l’évolution du poids, des signes de déshydratation et de la natrémie.

Déshydratation isonatrémique ou hyponatrémique :

Dans la déshydratation isonatrémique ou hyponatrémique, la réhydratation peut être plus rapide.

* On utilise du sérum glucosé 5% ou 10%, à la dose de 150 à 200ml/kg/24h avec du NaCl à 3 à 6g/l (en fonction de la natrémie), avec du KCl à 1,5g/l (si kaliémie normale et diurèse), avec du gluconate de calcium à 1g/l.

* Le poids utilisé pour le calcul de la perfusion est le poids d’entrée. On peut accélérer le débit de perfusion les premières heures en passant la moitié de la perfusion durant les 8 premières heures et l’autre moitié durant les 16 heures suivantes.

Correction d’une acidose métabolique :

L’administration de bicarbonate est rarement nécessaire, l’acidose métabolique se corrigeant avec la réhydratation.

Si le pH est inférieur ou égal à 7,10, on peut administrer 1 à 2mEq/kg de bicarbonate de Na 14 à p. mille à condition de s’assurer que la ventilation est correcte (élimination du CO2 produit).

Correction d’une hyponatrémie sévère :

Correction d’une hyponatrémie sévère (Na inférieur à 125mEq/l): elle traduit une hyperhydratation intracellulaire avec œdème cérébral.

Pour faire remonter la natrémie au-delà de 125mEq/l, la quantité de sodium à administrer peut être calculée grâce à la formule suivante: mEq de sodium à administrer= (125 -natrémie du malade) x 0,6 x poids enkg.

SURVEILLANCE :

La surveillance est avant tout clinique:

– poids toutes les 6 heures.

– volumes bus si la réhydratation est effectuée par voie orale.

– abondance des selles.

– diurèse toutes les 6 heures.

– température.

– diminution des signes de déshydratation.

– périmètre crânien tous les jours (complication neurologique).

– ionogramme sanguin toutes les 4 à 6 heures dans les formes sévères et les déshydratations hypernatrémiques.

Complications :

Les complications doivent être recherchées lors de l’examen initial et au cours de la surveillance.

CHOC HYPOVOLEMIQUE :

Le choc hypovolémique peut être initial ou secondaire, compliquant la déshydratation extracellulaire, si le traitement est mal conduit.

S’il est prolongé, il peut être responsable d’une défaillance multiviscérale.

COMPLICATIONS NEUROLOGIQUES :

* Les convulsions surviennent le plus souvent au cours de la réhydratation trop rapide d’une déshydratation hypernatrémique. Dans ce cas, leur traitement repose sur l’administration de NaCl: 1,5mEq/kg par voie veineuse.

* L’hématome sous-dural est une complication de la déshydratation intracellulaire qui peut se révéler par des convulsions, une augmentation du périmètre crânien, une tension de la fontanelle chez un enfant déshydraté.

– L’examen du fond d’œil recherche des signes d’hypertension intracrânienne et des hémorragies.

– Le diagnostic est confirmé par l’échographie transfontanellaire ou le scanner cérébral.

* Thromboses veineuses cérébrales ou hémorragies intraparenchymateuses.

COMPLICATIONS RENALES :

* L’insuffisance rénale fonctionnelle est plus fréquente que l’insuffisance rénale organique. La différence est faite par l’étude du rapport urée urinaire/urée plasmatique, Na urinaire/K urinaire.

* La thrombose des veines rénales est exceptionnelle après l’âge de 6 mois et doit être évoquée devant une hématurie associée à une augmentation de volume du rein.

* Nécrose corticale due au choc.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.