Dénutrition de l’enfant

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La dénutrition, quelle qu’en soit l’étiologie, menace toutes les fonctions vitales et est cause de mortalité. Elle peut se constituer très rapidement chez l’enfant, y compris dans les pays industrialisés, et toute dénutrition prolongée chez l’enfant entraîne un ralentissement de la croissance staturale. L’évaluation de l’état nutritionnel, donc de la qualité de la croissance staturo-pondérale, est un élément essentiel lors de toute consultation de pédiatrie.

DÉFINITIONS :

Dénutrition de l'enfantLa dénutrition est un processus pathologique affectant la composition corporelle.

Pour définir la composition corporelle, on distingue le plus souvent deux compartiments: la masse « grasse » et la masse « maigre ».

– La masse « grasse » est schématiquement superposable au tissu adipeux.

– Par opposition, le terme de masse « maigre » recouvre toute la masse « non grasse », c’est-à-dire l’eau corporelle, les protéines (musculaires et viscérales) et la masse minérale (squelette).

La composition corporelle de l’enfant évolue au cours de la croissance: réduction de l’eau corporelle et de la masse grasse, augmentation de la masse musculaire.

ÉTIOLOGIE :

La dénutrition survient lorsque les apports alimentaires sont quantitativement et/ou qualitativement insuffisants pour faire face aux besoins énergétiques et protéiques. Ce déséquilibre provient soit d’une réduction des apports, soit d’une augmentation des besoins, les deux mécanismes pouvant être associés.

Réduction des apports :

* Dans les pays en voie de développement, la réduction des apports peut provenir de ce que l’enfant n’a pas accès à une alimentation adaptée, en particulier à l’arrêt de l’allaitement maternel.

* Dans les pays développés, cette cause de malnutrition est très exceptionnelle (et peut être une forme de sévices). La carence d’apports y est le plus souvent secondaire à une pathologie:

– pathologie perturbant l’ingestion des aliments: anorexie, troubles de la déglutition, régurgitations, vomissements.

– pathologie perturbant la digestion et/ou l’absorption des nutriments dans le tube digestif: diarrhée/malabsorption.

Augmentation des besoins :

Elle est liée à toute pathologie induisant une augmentation de la dépense énergétique et des synthèses protéiques (pathologie infectieuse, inflammatoire, tumorale…). Beaucoup de ces pathologies associent la réduction des apports, du fait de l’anorexie ou de vomissements, et l’augmentation des besoins.

PHYSIOPATHOLOGIE :

Mobilisation des réserves énergétiques :

En l’absence d’apports adéquats, les réserves doivent être utilisées pour couvrir les dépenses énergétiques et assurer les synthèses protéiques « prioritaires ».

* Les principaux substrats énergétiques sont fournis:

– d’une part par le déstockage des acides gras mis en réserve sous forme de triglycérides dans le tissu adipeux (lipolyse) aboutissant à une diminution de la masse grasse.

– et d’autre part par la production hépatique de glucose, faisant intervenir très brièvement la mobilisation du glucose stocké sous forme de glycogène (glycogénolyse), et surtout la synthèse de glucose (néoglucogenèse) à partir des substrats glucoformateurs, en particulier des acides aminés provenant de la dégradation des protéines musculaires (protéolyse).

* Cette réorientation des substrats permet en particulier le maintien d’une glycémie suffisante pour assurer un apport en glucose aux organes dont il est le substrat prioritaire, tel le cerveau.

* En revanche, l’énergie fournie par l’oxydation des protéines est limitée à environ 5% de la dépense énergétique totale.

* Les réserves énergétiques sont mobilisées à un rythme différent d’un compartiment à l’autre.

* La mobilisation des réserves énergétiques est la résultante d’une modification des sécrétions hormonales: élévation de la sécrétion de cortisol, de glucagon, et réduction de la sécrétion d’insuline, qui peut s’accompagner d’une résistance périphérique à l’action de l’insuline.

* L’adaptation à une situation de carence énergétique permet une réduction de la dépense énergétique, au prix d’une réduction de l’activité physique et d’un arrêt de la croissance. Cette « économie » permet un ralentissement de la mobilisation des réserves endogènes qui est en revanche précipitée par toute agression surajoutée, en particulier infectieuse.

Constitution du déficit protéique :

Le déficit protéique se constitue secondairement à une carence d’apports globale ou sélectivement protidique, qui peut être aggravée par une fuite protéique digestive et/ou une pathologie inflammatoire entraînant la synthèse hépatique obligatoire de protéines dites « de la phase aiguë » de l’inflammation aux dépens des autres synthèses…

* L’adaptation passe par une réduction de la vitesse de renouvellement protéique et des pertes azotées urinaires (diminution de l’uréogenèse et de l’excrétion uréique urinaire), et a pour finalité de préserver la masse protéique viscérale (7% du poids corporel) aux dépens de la masse musculaire (30 à 40% du poids corporel).

– Les acides aminés issus de la protéolyse musculaire alimentent la synthèse protéique hépatique.

– Ainsi, chez l’enfant dénutri, la masse protéique musculaire peut être réduite de 50% alors que la réduction de la masse protéique totale n’est que de 20 à 30%.

* Malgré cette adaptation, un déficit protéique chronique entraîne une réduction de la synthèse protéique hépatique et une hypoprotidémie avec hypoalbuminémie se constitue. La baisse de pression oncotique qui en résulte entraîne la diminution du volume intravasculaire, l’inflation du secteur interstitiel et la constitution d’œdèmes.

Eau, électrolytes et minéraux :

* La surcharge hydrique est une des caractéristiques de la composition corporelle de l’enfant dénutri, l’eau totale pouvant atteindre jusqu’à 75% du poids corporel. Le volume intravasculaire étant réduit (diminution de la pression oncotique, du volume plasmatique et du volume globulaire), cette surcharge concerne surtout le secteur interstitiel, encore accentuée par une augmentation de sécrétion de l’hormone antidiurétique, et par un hyperaldostéronisme qui provoque une rétention sodée.

* La diminution du compartiment protéique et l’hyperaldostéronisme rendent compte d’une déplétion potassique pouvant atteindre jusqu’à 50% des réserves en potassium. L’existence de pertes digestives (diarrhée primitive ou secondaire à la dénutrition) peut limiter la rétention sodée et, à l’inverse, majorer le déficit en potassium.

* La perte de masse musculaire explique aussi une diminution des réserves en phosphore et en magnésium. La déplétion calcique liée à des apports inadéquats est aggravée par l’hypercalciurie.

Signes cliniques :

La mobilisation des réserves aboutit donc à une diminution plus ou moins importante du tissu adipeux (amaigrissement) et de la masse protéique en particulier musculaire, en proportions variables.

PERTE DE POIDS ET RETENTISSEMENT SUR LA CROISSANCE :

Perte de poids :

Un ralentissement du gain pondéral puis l’absence de prise de poids, précédant la perte de poids, sont en général les signes cliniques les plus précoces de dénutrition.

Cependant, dans le même temps, la masse « maigre » globale peut être augmentée par une inflation du secteur hydrique, liée en particulier à une diminution de la pression oncotique vasculaire en cas d’hypoprotidémie, ce qui peut masquer ou au moins compenser en partie la perte de poids.

Ralentissement du gain statural :

Le ralentissement du gain statural est chez l’enfant le meilleur marqueur d’altération de la masse maigre. Il suit en général de quelques semaines à quelques mois le ralentissement du gain pondéral.

Examen de la  courbe de croissance staturo-pondérale :

L’examen de la courbe de croissance staturo-pondérale (analyse auxologique) fournit donc beaucoup d’informations.

* Les courbes de références utilisées en France (courbes de Sempé et Pédron) ont été établies à partir de l’analyse séquentielle de la croissance d’une population d’enfants bien portants. Elles permettent de rapporter le poids à la taille, le poids et la taille à l’âge. Différents scores de gravité de la malnutrition ont été proposés utilisant le rapport poids/âge (score de Gomez) ou taille/âge (Waterlow).

* Cependant ces courbes permettent avant tout de comparer un enfant à lui-même, et, à la condition de disposer de plusieurs points dans le temps, l’analyse cinétique de la croissance est indispensable.

– Une perte de poids récente, « isolée », chez un enfant dont la vitesse de croissance est normale, évoque une dénutrition aiguë.

– Un ralentissement de la croissance staturale associé à une stagnation ou à une dégradation pondérale plus anciennes évoque un processus chronique.

Réduction de la masse musculaire :

La fonte du tissu adipeux et la réduction des masses musculaires sont décelables à l’examen clinique, mais non quantifiables.

* L’anthropométrie, par la mesure non invasive des plis cutanés, permet le calcul de la masse grasse, et, par déduction, de la masse « maigre ».

* La mesure du périmètre brachial permet le calcul du rapport périmètre brachial/périmètre crânien (N = 0,3 ±0,02), bien corrélé aux rapports poids/âge et poids/taille chez l’enfant de 3 mois à 4 ans.

* Ces méthodes permettent surtout un suivi longitudinal, en particulier lors de la renutrition.

AUTRES SIGNES CLINIQUES :

* Les œdèmes doivent être recherchés dans les zones déclives (pieds, lombes).

* L’hyperthermie ou l’hypothermie peuvent être en rapport avec une infection, ou refléter les variations de température ambiante, mal compensées chez les grands dénutris.

* La diarrhée traduisant une malabsorption peut être cause et/ou conséquence de la dénutrition qu’elle aggrave. Participent à la malabsorption des altérations de la muqueuse intestinale, de ses activités enzymatiques, des sécrétions bilio-pancréatiques, ainsi qu’une colonisation bactérienne ou parasitaire.

* Des signes cliniques non spécifiques évoquent des carences en micro-nutriments (vitamines et oligo-éléments): sécheresse cutanée, desquamation, phanères fins, cassants, dépigmentés.

MARASME ET KWASHIORKOR :

On distingue habituellement deux formes de malnutrition du jeune enfant dans les pays en voie de développement.

Une classification internationale a été proposée à partir de deux critères: le rapport poids/âge et la présence d’œdèmes.

– L’interprétation purement « nutritionnelle », attribuant le marasme à une insuffisance globale d’apports protéiques et énergétiques et le kwashiorkor à une carence protéique prédominante associée à un apport glucidique excessif, est probablement abusive.

– D’autres facteurs, en particulier infectieux, interviennent certainement dans l’évolution vers l’une ou l’autre forme.

Signes biologiques :

La dénutrition s’accompagne de modifications biologiques. Cependant, ces signes ne font pas le diagnostic. En revanche, les examens biologiques peuvent donner une orientation étiologique, préciser le retentissement et la gravité de la dénutrition et ils permettent de contrôler l’efficacité et la tolérance du traitement.

ANOMALIES ELECTROLYTIQUES :

* Hypokaliémie, hypocalcémie, hypophosphorémie, hypomagnésémie doivent être recherchées et ces dosages permettent d’apprécier l’efficacité du traitement.

* Cependant, les concentrations plasmatiques ne reflètent pas les réserves corporelles.

* L’hyponatrémie est fonction de l’importance de l’hémodilution et de l’éventuelle déplétion sodée en cas de pertes associées.

AUTRES ANOMALIES :

* Le dosage de certaines protéines plasmatiques telles que l’albumine, la pré-albumine, la transferrine, ou la « retinol binding protein » (RBP) reflètent les fonctions de synthèse. Leurs facteurs de variation indépendamment de l’état nutritionnel et leurs demi-vies en font des marqueurs nutritionnels de sensibilité et de spécificité variables.

* L’anémie reflète des carences en fer, en folates et/ou en vitamine B12. La mesure du volume globulaire moyen (VGM) peut être un élément d’orientation.

* Les dosages vitaminiques sont inutiles en routine. La carence en vitamine K est reflétée par la diminution des facteurs de coagulation vitamine K-dépendants: II, VII, X.

Traitement :

Le traitement de la dénutrition sévère comporte la rééquilibration hydro-électrolytique et l’augmentation des apports énergétiques et protéiques.

Il s’agit d’un traitement à haut risque de complications métaboliques, nécessitant une étroite surveillance.

COMPENSATION DES DESORDRES HYDRO-ELECTROLYTIQUES :

Cette étape doit être d’autant plus prudente que la dénutrition est sévère et qu’il existe une surcharge hydrosodée, en raison du risque d’hémodilution et d’insuffisance cardiaque.

* Le choix de la méthode employée (voie orale ou parentérale) est fonction de la gravité de la dénutrition, de l’existence de troubles digestifs et des moyens disponibles. Une rééquilibration par voie orale à l’aide de solutés de réhydratation est plus fréquemment employée dans les pays en voie de développement.

* Correction de l’hypokaliémie et l’hypophosphorémie car ces troubles risquent d’être majorés ultérieurement lors de la reprise de l’anabolisme protéique. A titre indicatif, apports moyens initiaux, à adapter selon l’âge et le contexte clinique:

– eau: 50 à 80ml/kg/j.

– sodium: 1mmol/kg/j.

– potassium: 2 à 4mmol/kg/j.

* Maintien de l’hémodynamique et restauration de la pression oncotique par la perfusion de macromolécules et éventuellement la transfusion dans les formes les plus graves.

* Maintien de la glycémie, sans apporter d’emblée une solution hyperosmolaire.

RENUTRITION :

* La méthode employée est là encore fonction de l’existence de troubles digestifs associés. En l’absence de diarrhée grave, la voie orale ou une nutrition entérale à débit constant par sonde comportent moins de risques que la voie parentérale.

* Quelle que soit la voie d’administration, l’augmentation des apports protéiques et énergétiques est d’autant plus progressive que la dénutrition est sévère pour prévenir le risque d’un « syndrome de renutrition inappropriée ». Cette complication, liée à une renutrition trop rapide, ne prenant pas en compte les modifications métaboliques liées à la dénutrition extrême, est marquée par:

– hyperglycémie en rapport avec un apport glucidique excessif face à une sécrétion insulinique inadaptée.

– hypokaliémie et hypophosphorémie liées à leur captation cellulaire (reprise des synthèses protéiques, effet de l’insuline).

– rétention hydrosodée, secondaire à des apports excessifs d’eau et de sodium, mais aussi de glucose, par le biais de l’action de l’insuline sur la résorption tubulaire du sodium.

* Les apports énergétiques et protéiques nécessaires peuvent dépasser 150kcal/kg/j et 5g/kg/j, en raison du coût énergétique élevé du gain pondéral de rattrapage et de l’augmentation du renouvellement protéique.

– Chez l’enfant alimenté, ces apports sont possibles grâce à une augmentation de l’appétit.

– L’hyperphagie régresse dès qu’un poids normal pour la taille est atteint.

SURVEILLANCE :

* La surveillance du poids et de la diurèse est indispensable. Une absence de prise de poids ou une perte de poids (régression des œdèmes) ainsi que la persistance d’une diurèse adaptée aux apports sont des éléments de sécurité.

* Si la voie parentérale est utilisée, la surveillance de la glycosurie est indispensable pour adapter l’apport glucosé.

RESULTATS :

Dès que des apports adéquats sont assurés, la reprise pondérale s’amorce.

– Une croissance accélérée, dite de rattrapage, est caractérisée par un gain pondéral quotidien supérieur (parfois de plus de 10 fois) à celui d’un enfant normal de même âge.

– Lorsqu’il existe un retard statural, le rattrapage statural est retardé de 1 à 3 mois par rapport au rattrapage pondéral.

– Ce décalage aboutit à un excès de masse grasse relatif (rapport poids/taille élevé) au cours des 4 à 6 premiers mois.

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