Boiterie de l’enfant

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Une boiterie est un défaut de la marche dont le diagnostic positif est généralement facile, car elle se voit, mais qui impose une démarche étiologique structurée, car les causes possibles sont nombreuses et dépendent aussi de l’âge de l’enfant.

* En premier lieu c’est la recherche d’une cause infectieuse qui domine cette démarche car il serait grave de laisser évoluer une infection (ostéomyélite ou -arthrite) qui pourrait léser définitivement le cartilage de croissance et altérer le pronostic de croissance du membre atteint.

Boiterie de l'enfant* La révélation par une boiterie d’une pathologie tumorale (osseuse, médullaire), d’une leucose, ou d’une pathologie neuro-musculaire est toujours possible et, même s’ils sont plus rares, ces diagnostics doivent être systématiquement évoqués pour être « éliminés ».

* Chez l’enfant plus grand, ou l’adolescent, la boiterie est souvent la révélation d’une pathologie liée à un surmenage sportif par micro-traumatismes répétés ou contraintes mécaniques excessives, sources d’ostéochondrite, ou parfois même de fracture de fatigue.

On distingue deux types de boiterie:

* avec inclinaison d’une épaule, qui traduit habituellement une pathologie homolatérale sévère (luxation, parésie ou paralysie).

* avec esquive de l’appui, l’atteinte étant controlatérale et correspondant à une pathologie douloureuse unilatérale, le plus souvent acquise.

Orientation diagnostique :

ELEMENTS CLINIQUES :

* L’interrogatoire précisera un certain nombre de points:

– l’ancienneté et le mode de début des troubles.

– les antécédents obstétricaux et néonatals de l’enfant.

– la façon dont la station debout et la marche ont été acquises.

– la notion d’un traumatisme mineur ou d’une histoire infectieuse passée inaperçue.

* L’examen clinique recherchera:

– une douleur provoquée, souvent difficile à localiser chez le tout-petit.

– une limitation de mobilité articulaire.

– une inégalité de longueur d’un membre.

– un défaut de la statique vertébrale, d’équilibre du bassin.

L’évaluation du développement posturo-moteur et l’examen neuro-musculaire sont bien entendu fondamentaux afin de repérer une éventuelle infirmité motrice cérébrale fruste ou une myopathie débutante.

EXAMENS COMPLEMENTAIRES :

* Les examens radiologiques sont nécessaires au diagnostic et pourront comprendre selon les cas des clichés:

– du bassin de face, en charge si possible, et des hanches de profil.

– du squelette des membres inférieurs, comparatifs, avec mensuration.

– du rachis dorso-lombaire, face et profil.

* Un bilan « inflammatoire » ou « infectieux » selon le contexte:

– NFS, VS, fibrine, électrophorèse des protides.

– hémoculture ou autre prélèvement bactériologique.

* En fonction des diagnostics évoqués ou de l’évolution, une étude scintigraphique peut s’avérer nécessaire, en sachant la difficulté d’interprétation chez l’enfant.

Étiologies :

Les causes sont multiples et exigent un diagnostic étiologique précis, conclusion d’une démarche systématique, pour permettre une prise en charge thérapeutique adaptée. Schématiquement deux cas de figure sont possibles.

DEUX SITUATIONS CLINIQUES :

La boiterie est ancienne :

Elle existe depuis que l’enfant marche ou est décelée lors de son apprentissage. Il faut évoquer les causes suivantes.

* Anomalie des hanches:

– dysplasie de hanche, méconnue auparavant, ce qui ne doit plus se voir.

– coxa vara congénitale (col fémoral court, ascension du grand trochanter).

– coxa valga congénitale.

* Inégalité de longueur d’un membre, le plus souvent constitutionnelle.

* Affection neuro-musculaire, dont la boiterie peut être révélatrice:

– infirmité motrice cérébrale, source de dystonie ou de rétraction tendineuse séquellaires (antécédents de souffrance fœtale périnatale).

– encéphalopathie acquise: hypertonie, équinisme, hyperréflectivité ostéo-tendineuse.

– poliomyélite méconnue (migrants) touchant préférentiellement les jambiers antérieurs.

– pathologie médullaire (tumorale ou malformative).

– myasthénie ou myopathie.

* Parfois, au décours d’une immobilisation prolongée, une perte des automatismes de la marche peut se voir donnant, chez un enfant qui ne cherche pas spontanément à corriger son défaut, une claudication qui peut persister (nécessité d’une rééducation fonctionnelle).

La boiterie est récente :

* Dans un contexte infectieux douteux, ou probable, il faut évoquer systématiquement:

– une infection osseuse (ostéomyélite ou ostéoarthrite) (voir question) au niveau des membres inférieurs (hanche, fémur), du rachis ou du bassin.

– une infection des parties molles: abcès de la fesse.

* Dans un contexte fébrile, une maladie inflammatoire:

– arthrite chronique juvénile débutante.

– rhumatisme articulaire aigu.

– arthrite réactionnelle.

* En l’absence d’anomalie radiologique:

– entorse, élongation musculaire, tendinite.

– verrue plantaire, ongle incarné, inadaptation de la chaussure.

– notion récente d’injection IM fessière.

– contexte psychologique particulier (somatisation hystérique).

* Il existe un antécédent et/ou des anomalies radiologiques traumatiques:

– fracture diaphysaire incomplète, ou minime, sous-périostée.

– cal vicieux ou désaxation d’une fracture ancienne.

– fissure épiphysaire.

– corps étranger, plus rarement (pied).

* Il existe des anomalies osseuses ou articulaires:

– épanchement articulaire évoquant un rhume de hanche (voir infra).

– atteinte épi- ou apophysaire d’une ostéochondrite (voir infra).

– atteinte épiphysaire d’une épiphysiolyse (voir infra).

– ostéome ostéoïde.

– atteinte lytique d’une métastase osseuse (neuroblastome) ou d’une tumeur maligne (ostéosarcome, sarcome d’Ewing).

– bande claire métaphysaire, déminéralisation d’une leucose ou d’un lymphome.

RHUME DE HANCHE :

La synovite aiguë transitoire, ou « rhume de hanche » du fait de sa localisation préférentielle, touche l’enfant (le garçon plus que la fille) entre 3 et 10 ans (surtout de 3 à 5 ans).

Cette atteinte inflammatoire des éléments synoviaux (post-traumatique? postinfectieuse?) entraîne une douleur à l’appui, d’apparition récente, souvent au décours d’un banal épisode rhinopharyngé.

Examen clinique

L’examen retrouve, chez cet enfant refusant souvent de mettre le pied par terre:

* une douleur à la mobilisation de la hanche:

– en flexion-rotation interne.

– en rotation externe.

– parfois irradiée et localisée par l’enfant au genou.

* une limitation des mouvements (abduction en particulier).

* l’absence de tout signe infectieux:

– locorégional (articulation « froide »).

– général, ou alors une fébricule.

Examens complémentaires

* La radiographie du bassin est normale ou montre alors:

– des signes indirects d’épanchement articulaire: distension de la capsule, refoulement de la ligne graisseuse péricapsulaire.

– sans atteinte osseuse, permettant d’éliminer une ostéoarthrite.

* Parfois, en cas de doute, une scintigraphie osseuse peut être indiquée pour différencier cette atteinte articulaire inflammatoire hyperfixante d’une ostéochondrite débutante, ischémique et hypofixante.

Évolution et traitement

L’évolution est favorable en une dizaine de jours avec:

* une mise en décharge de l’articulation:

– repos au lit (si possible).

– voire, pour certains, mise en traction.

* un traitement anti-inflammatoire par aspirine (Aspégic*), 50mg/kg/j.

Il est nécessaire de contrôler cliniquement et radiologiquement la hanche au bout de 6 à 8 semaines, qui doit être strictement normale, afin de dépister une ostéochondrite débutante qui en prendrait le masque.

OSTEOCHONDRITE :

Caractéristiques générales :

L’ostéochondrite primitive, apophysite ou épiphysite, est due à une ischémie, dont la conséquence est une nécrose touchant préférentiellement le noyau d’ossification.

* La prévalence est de l’ordre de 1/20.000.

– L’ostéochondrite touche préférentiellement le garçon (4 à 5 garçons pour 1 fille) de 4-5 à 8-9 ans, et l’atteinte est unilatérale dans 80 à 90% des cas.

– L’existence d’un retard de croissance idiopathique, avec souvent un retard d’âge osseux, est habituelle.

– Elle peut compliquer une corticothérapie prolongée.

* Elle se caractérise par une douleur localisée, ou parfois irradiée, augmentant à la marche, l’effort ou le mouvement, la rendant plus fréquente en fin de journée. Il n’y a pas de signes infectieux locaux ou généraux.

* La radiographie montre des images qui dépendent du degré d’évolution, qui se fait en 6 mois à 3 ans et évolue en 4 stades:

– petite lacune, ou image initiale en coup d’ongle.

– densification avec fragmentation du noyau épiphysaire (destruction).

– reconstruction avec réossification.

– déformation résiduelle éventuelle.

* La scintigraphie est utile au stade précoce, pouvant mettre en évidence une hypofixation (hypovascularisation), avant apparition des premiers signes radiologiques.

* Il ne s’agit pas d’une maladie mais d’un état passager pour lequel le traitement orthopédique est palliatif, cherchant à éviter les déformations séquellaires, en particulier au niveau de la tête fémorale. Tout traitement anti-inflammatoire, général ou local, est inutile, voire dangereux.

Ostéochondrite de hanche :

L’ostéochondrite de hanche, ou maladie de Legg-Perthes-Calvé, est la plus fréquente et la plus grave des ostéochondrites.

Le début des troubles est insidieux et remonte parfois à plusieurs mois.

L’enfant a une attitude antalgique source d’un raccourcissement du pas du côté atteint.

* L’examen retrouve une douleur, parfois irradiée au genou, limitant la rotation interne et l’abduction. Un raccourcissement du membre peut être noté, avec parfois un certain degré d’amyotrophie quadricipitale.

* La radiographie, outre les signes déjà décrits, peut montrer:

– un déplacement latéral de la tête fémorale.

– un aplatissement de la tête fémorale, ou élargissement du col.

– une augmentation de la distance entre la tête et l’acétabulum.

* Le traitement a pour but d’éviter la déformation de la tête qui doit rester sphérique, sous peine de voir se développer une coxarthrose précoce par coxa plana.

– Il consiste en une extension continue de plusieurs semaines, à la phase initiale afin de favoriser la revascularisation, suivie d’une marche en décharge (réossification de la tête).

– Une chirurgie correctrice (ostéotomie de recentrage) est parfois nécessaire dans les formes évoluées.

Ostéochondrite du genou :

Ostéochondrite du condyle interne du fémur

* Elle atteint le garçon en période prépubertaire et se révèle par une boiterie douloureuse avec reproduction de la douleur par pression du condyle interne.

* La radiographie peut montrer une lésion nécrotique incluse dans l’épaisseur du condyle (traitement orthopédique) ou un séquestre détaché de l’os, ce qui peut nécessiter son ablation chirurgicale sous arthroscopie.

Ostéochondrite tibiale antérieure  Osgood-Schlatter

* Elle survient plus tardivement chez un enfant de 1214 ans, souvent sportif (traumatismes répétés) et provoque une douleur sous-articulaire exacerbée par l’effort et calmée par le repos.

* L’examen retrouve la douleur provoquée et souvent une tuméfaction, parfois inflammatoire au niveau de la partie antéro-supérieure du tibia.

* La radiographie montre habituellement une ossification précoce et un aspect en forme de bec qui en permet le diagnostic.

* L’évolution se fait par poussées successives, douloureuses, pendant une durée de 3 à 18 mois, jusqu’à l’ossification complète qui en assure la guérison sans séquelles.

Apophysite de la rotule  Sinding-Larsen

* Proche de la précédente par le terrain similaire sur lequel elle survient, elle s’en différencie par le siège de la douleur à la pointe de la rotule.

* La radiographie montre une condensation de la rotule de face et une spicule, doublant la pointe de la rotule sur le cliché de profil.

* L’évolution est simple et la douleur calmée par l’arrêt des activités sportives.

Ostéochondrite du pied :

Apophysite calcanéenne postérieure

* Se traduit par une talalgie progressive à la marche ou à la station debout prolongée.

* La radiographie montre une image de condensation de l’apophyse postérieure qui paraît souvent fragmentée.

Scaphoïdite tarsienne   Köhler-Mouchet

* Atteint le garçon entre 4 et 6 ans qui présente une boiterie avec douleur au niveau de l’arche interne du pied.

* La radiographie montre un scaphoïde dense, aplati, fragmenté.

* La guérison sans séquelle est obtenue par la décharge complète (botte plâtrée plus que béquille à cet âge).

Épiphysite métatarsienne  2e  Friberg

* Atteint plutôt la jeune fille en période pubertaire (1113 ans) et se caractérise par une douleur spontanée et parfois très invalidante, provoquée à la pression de la face dorsale de la tête métatarsienne, ou même nocturne.

* La radiographie, souvent en retard par rapport à la clinique, montre une irrégularité de la tête métatarsienne ou même des géodes.

* La guérison est obtenue par une réduction de l’activité sportive et le port de semelle déchargeant les pressions s’exerçant sur le métacarpe atteint.

EPIPHYSIOLYSE :

Diagnostic :

L’épiphysiolyse correspond à un glissement en bas et en arrière du cartilage de conjugaison fémoral supérieur, du fait de l’allongement du col et de la diminution de son antéversion au moment de la poussée de croissance pubertaire, et pouvant aboutir à sa fissuration et ainsi à la perte de la vascularisation de la tête (surtout en cas de manœuvre brutale de réduction).

Prévalence

La prévalence est de l’ordre de 2 à 10.000/100.000 atteignant:

– les garçons (3/4) entre l’âge de 12 et 17 ans, souvent de morphotype obèse avec retard pubertaire sans réel syndrome adiposo-génital.

– les filles (1/4) entre l’âge de 9 et 14 ans, plutôt longilignes.

– atteinte unilatérale dans 80% des cas, plus souvent à gauche chez le garçon.

Début

* Le début est le plus souvent (8 fois sur 10) insidieux avec:

– une gêne vague ou une douleur, intermittente, parfois irradiée au genou.

– une limitation progressive de la rotation interne.

– une attitude spontanée en rotation externe, avec raccourcissement du membre atteint.

* Le début peut être brutal (2 fois sur 10):

– douleur vive, apparue sans traumatisme particulier, correspondant à une véritable fracture du col « spontanée ».

– impotence fonctionnelle absolue.

Pathogénie

Si la pathogénie reste obscure un certain nombre de facteurs favorisants sont reconnus, outre l’âge et la surcharge pondérale.

* Causes mécaniques:

– antécédents de traumatisme.

– absence d’antéversion de la tête fémorale.

* Causes particulières:

– dystrophie rénale (insuffisance rénale chronique).

– insuffisance antéhypophysaire, hypothyroïdie.

– syndrome de Turner, syndrome de Marfan.

– traitement par corticoïdes.

– traitement par hormone de croissance.

– radiothérapie.

Radiographie du bassin

La radiographie du bassin, clichés de face et de profil vrai, comparatifs, montre 3 stades car, tant que le cartilage de croissance est actif, la tendance est à l’aggravation:

* au début altérations structurelles de la métaphyse, aspect feuilleté du cartilage de conjugaison, élargissement métaphysaire, sans déplacement.

* glissement minime en bas, de face, et en arrière, de profil, donnant l’impression d’un noyau qui a perdu de sa hauteur.

* déplacement évident, avec remodelage du col qui s’use en haut et en avant, et ossification de la tête en arrière et en bas, avec coxa vara.

Évolution :

L’évolution spontanée se fait, dans un délai de 6 mois à 3 ans, vers l’ossification du cartilage qui arrête le glissement, mais avec une déformation définitive rendant donc la prise en charge impérative et précoce, dépendant du type d’atteinte.

* Glissement aigu, fracturaire: réduction progressive, pour respecter la vascularisation de la tête, sous anesthésie générale et avec contrôle radiologique, suivie de 3 semaines de traction avant autorisation d’un béquillage.

* Glissement progressif modéré (inférieur à 40%): intervention mineure consistant à créer une butée permettant de stopper le processus, par une vis extra-articulaire sous-trochantérienne.

* Glissement progressif important: ostéotomie de réorientation ou intervention de Duhn consistant en une fixation de la tête en respectant impérativement sa vascularisation.

* Des complications sont possibles, parfois, mais pas toujours, liées à une prise en charge trop tardive:

– nécrose épiphysaire (glissement aigu, réduction brutale).

– chondrolyse avec risque d’enraidissement.

– coxarthrose précoce (30-35 ans) avec nécessité d’un remplacement prothétique.

AUTRES CAUSES DE BOITERIE :

* En l’absence de diagnostic à ce stade, un certain nombre d’autres causes orthopédiques de boiterie peuvent être évoquées, en sachant qu’elles sont plus rares:

– hanche à ressaut (intra- ou extra-articulaire) entraînant un claquement déclenché par la rotation d’un membre inférieur en adduction.

– ménisque discoïde (de type embryonnaire).

– ostéochondrite disséquante du genou.

– cal vicieux, angulaire ou non, post-traumatique.

– ostéome ostéoïde.

* Enfin, mais c’est un diagnostic d’élimination et le contexte est habituellement évocateur, la boiterie peut être d’origine psychogène traduisant la somatisation, d’imitation ou non, d’un conflit jusqu’à présent méconnu ou négligé.

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