Peau et éosinophilie

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Introduction :

L’éosinophile est une cellule aux multiples facettes qui entretient avec la peau des rapports privilégiés.

L’association d’une éosinophilie tissulaire, et/ou sanguine, à de nombreuses affections dermatologiques est connue de très longue date, sans que le rôle de l’éosinophile y soit réellement défini.

Peau et éosinophilieAinsi en 1957, pour De Graciansky et Leclercq qui consacrent une revue générale aux « Éosinophilies en dermatologie », l’éosinophile se rencontre dans des circonstances si diverses qu’un classement logique et cohérent de la totalité des faits publiés semble illusoire.

Pour ces auteurs, l’éosinophilie apparaît comme un caractère contingent, « intéressant mais sans signification absolue ».

Le taux faible d’éosinophiles circulants en situation non pathologique, leur bref transit sanguin, leur courte durée de vie tissulaire dans les situations pathologiques, l’impossibilité de les cultiver, ainsi que l’absence de lignée, expliquent que ces cellules aient été et restent toujours difficiles à étudier.

La mise au point en 1979 d’une technique de purification des éosinophiles circulants, isolés par gradient de densité, a permis l’étude de cellules de malades hyperéosinophiliques.

Plus récemment, les travaux chez le sujet sain ont été rendus possibles par les méthodes de sélection immunomagnétique.

Par ailleurs, l’utilisation de cytokines recombinantes permet d’obtenir des cellules très proches des éosinophiles matures à partir de précurseurs présents dans le sang de cordon ombilical.

Enfin, l’existence de lignées possédant certaines caractéristiques de l’éosinophile facilite ponctuellement l’analyse biologique et moléculaire de cette cellule.

Parallèlement, le développement des techniques d’analyse comme la cytométrie en flux, l’immunohistochimie et la biologie moléculaire explique que nos connaissances sur l’éosinophile se soient considérablement accrues au cours de ces dix dernières années.

Ces travaux ont ainsi permis de mettre en évidence sa fonction de cellule effectrice de la réponse immunitaire.

Il est maintenant bien établi que les éosinophiles, cellules cytotoxiques attirées au niveau de la peau par divers facteurs chimiotactiques, participent à la réaction inflammatoire par la sécrétion de médiateurs pro-inflammatoires et de cytokines.

Ils contribuent à la pérennisation de l’inflammation et aux dégâts tissulaires.

Leur rôle pathogène a été notamment établi dans des dermatoses allergiques (dermatite atopique et urticaire) ou auto-immunes (pemphigoïde) et le syndrome hyperéosinophilique.

Éosinophile : données fondamentales

A – ONTOGENÈSE :

La moelle osseuse héberge des précurseurs hématopoïétiques, exprimant le CD34, et capables d’autorenouvellement.

Par les contacts membranaires avec le stroma médullaire, mais également en présence de différents facteurs solubles comme le LIF (leukemia inhibitory factor), le SCF (stem cell factor), l’interleukine (IL)6, et le G-CSF (granulocyte colony stimulating factor), ce précurseur se différencie en cellule pluripotente, c’est-à-dire capable de s’engager vers les lignées myéloïdes ou lymphoïdes.

Sous l’influence d’autres médiateurs comme l’IL3, le GM-CSF (granulocytemacrophage colony stimulating factor), l’IL4, et certainement l’éotaxine, cette cellule évolue vers un précurseur des éosinophiles qui n’est pas encore totalement caractérisé.

Ce dernier poursuit enfin sa différenciation vers la lignée éosinophile sous l’action de l’IL3, du GM-CSF, mais surtout de l’IL5, avec acquisition, dès le stade de myélocyte, de certaines caractéristiques des éosinophiles matures, notamment les granules secondaires aux capacités tinctoriales particulières.

La moelle osseuse constitue ainsi le réservoir des éosinophiles (environ 1 X 109 éosinophiles/kg de moelle hématopoïétique).

Un peu plus de 3 jours sont nécessaires à leur production et à leur passage dans la circulation sanguine (diabase).

Une fois encore, l’IL5, mais aussi des molécules de la famille des b2 intégrines comme le LFA-1 (leukocyte function adhesion antigen-1), semblent indispensables à cette étape de diabase.

L’éosinophile, à la sortie de la moelle osseuse, est une cellule au stade terminal de différenciation.

Il s’agit d’une cellule d’un diamètre moyen de 12 µm, caractérisée par un noyau bilobé, en bissac, et la présence de granulations colorées en rose-orangé par l’éosine.

Elles contiennent différentes protéines très basiques (ou cationiques) : la protéine basique majeure (MBP) est localisée dans le « core » ou cristalloïde central, opaque aux électrons en microscopie électronique, alors que la protéine cationique de l’éosinophile (ECP), la neurotoxine dérivée de l’éosinophile (EDN) et la peroxydase de l’éosinophile (EPO) sont localisées dans la matrice du granule.

Contrairement aux polynucléaires neutrophiles, qui constituent un tiers des cellules sanguines circulantes, les éosinophiles ne constituent que 2 à 10% des leucocytes circulants. Leur séjour sanguin est estimé à 26 heures.

En revanche, leurs capacités de migration tissulaire sont très importantes, et on les observe essentiellement dans les muqueuses, en dehors de toute inflammation.

Dans ces tissus, ils restent capables de nuancer leur programme fonctionnel par l’intermédiaire de nombreux récepteurs de membrane.

B – RÉCEPTEURS POUR LES SUBSTANCES CHIMIOATTRACTANTES ET LES RÉCEPTEURS D’ADHÉRENCE :

L’affinité des éosinophiles pour les tissus est liée à l’expression de différents récepteurs pour les facteurs chimioattractants.

Ces cellules sont capables de se localiser dans les foyers d’inflammation aiguë, car elles expriment des récepteurs pour les facteurs d’attraction non spécifiques comme le PAF (platelet activating factor), les anaphylatoxines (C3a, C5a), mais aussi pour l’IL8, encore appelée chimiokine a ou CxC chimiokine.

Par ailleurs, les éosinophiles expriment des récepteurs pour les chimiokines b (CC chimiokines), comme les monocytes-macrophages, les cellules NK et les lymphocytes T (LcT) mémoires.

Ces récepteurs de types CCR1, CCR2, CCR4 leur confèrent la capacité de se domicilier spécifiquement et précocement dans les tissus, où sont produites les chimiokines de type RANTES (regulated on activation normal T-cell expressed and secreted), MIP (macrophage inflammatory protein)-1a, MCP (macrophage chemoattractant protein)-1 ou MCP-3. On a également montré que les deux membres de la famille éotaxine (éotaxines 1 et 2) agissent de façon spécifique sur la lignée éosinophile par l’intermédiaire du CCR3.

Ces chimiokines, produites dans des conditions d’inflammation spécifique ou chronique, expliquent l’infiltration tissulaire sélective par les éosinophiles, dans certaines pathologies comme la dermatite atopique ou certaines infections parasitaires.

Attirés vers les tissus par les chimiokines qui y sont produites, les éosinophiles adhèrent à l’endothélium vasculaire avant de le traverser.

Différents récepteurs leur permettent d’adhérer à l’endothélium inflammatoire, tout d’abord dans des conditions d’interactions faibles qui conduisent au rolling et font intervenir des molécules comme les sélectines (CD62-L, CD62-E, CD62-P) et leurs ligands, de la famille des sialomucines.

Puis une étape d’activation cellulaire conduit à :

– l’adhérence ferme des éosinophiles à l’endothélium vasculaire ;

– la diapédèse ;

– enfin, la migration intratissulaire par l’intermédiaire des intégrines (par exemple le LFA-1) couplées à certains ligands de la superfamille des immunoglobulines (SFIg) comme l’ICAM-1 (intercellular adhesion molecule).

À la différence des polynucléaires neutrophiles, les éosinophiles expriment l’adhésine VLA (very late antigen)-4 qui leur permet d’être sélectivement recrutés dans les conditions d’inflammation spécifiques.

On a montré que l’interaction de VLA-4 avec son ligand endothélial VCAM (vascular cell adhesion molecule)-1 était sous influence essentielle de deux facteurs solubles : l’éotaxine induit l’expression de VLA-4 à la surface des éosinophiles, alors que l’IL4 induit l’expression de VCAM-1 sur les cellules endothéliales.

L’interaction des différents récepteurs avec leurs ligands respectifs conduit donc les éosinophiles à quitter rapidement la circulation sanguine pour se domicilier dans les principaux organes à l’interface « hôte-environnement » comme la peau, le tube digestif et l’arbre respiratoire.

Le nombre d’éosinophiles dans les tissus est ainsi 300 fois plus important que dans le sang.

Il est toutefois intéressant de noter qu’un animal élevé dans des conditions d’hygiène contrôlée (germ free) n’a pas d’éosinophiles circulants et que les éosinophiles tissulaires sont quasiment indétectables.

C – RÉCEPTEURS POUR LES CYTOKINES ET LES MÉDIATEURS IMMUNITAIRES :

Les éosinophiles sont particulièrement réceptifs aux signaux de l’environnement tissulaire.

Ces signaux leur permettent de survivre et d’exercer leurs multiples fonctions, par le biais notamment, de nombreux récepteurs pour les cytokines.

Les éosinophiles sont ainsi les seules cellules à exprimer les trois récepteurs hétérodimériques pour l’IL3, le GM-CSF et l’IL5.

Ils expriment également des récepteurs pour les cytokines de polarité Th2 comme l’IL4, l’IL13 et l’IL10. Par ailleurs, ils sont sensibles aux cytokines de polarité Th1, puisqu’ils expriment les récepteurs pour l’IL2 et l’interféron (IFN) c.

Enfin, ils expriment des récepteurs pour l’IFNa, le TNF (tumor necrosis factor)a, et le TGF (transforming growth factor)b.

Ces différents récepteurs contribuent à la mobilisation, à l’attraction et à l’activation des éosinophiles dans les tissus.

Ils rendent aussi les éosinophiles sensibles aux signaux promoteurs de survie, ou au contraire, aux signaux induisant la mort cellulaire (donc la résolution de la réponse inflammatoire).

Les éosinophiles tissulaires sont également capables de percevoir des signaux générés par différents médiateurs immunitaires et inflammatoires.

Ils expriment ainsi des récepteurs pour les facteurs activés du complément (C3b, C4b et C1q), ou pour les dérivés du métabolisme phospholipidique (PAF, leucotriènes).

Ces récepteurs permettent d’amplifier les signaux d’activation délivrés par les effecteurs spécifiques de la réponse immunitaire, notamment les anticorps complexés à leurs cibles.

Les éosinophiles expriment en effet des récepteurs pour les principaux isotypes des Ig, avec certaines caractéristiques qui les distinguent encore des autres cellules inflammatoires.

Ainsi, les éosinophiles non activés expriment essentiellement le FccRII (ou CD32).

Ils expriment toutefois des récepteurs pour les IgA et pour le composant sécrétoire, ce qui en fait des effecteurs cellulaires particulièrement efficaces dans les muqueuses.

Enfin, ils expriment différents récepteurs pour les IgE : le récepteur de faible affinité, FceRII (CD23), la molécule Mac-2 (eBP ou galectine-3), mais aussi le récepteur de forte affinité, FceRI.

Les fonctions des différents récepteurs d’Ig exprimés à la surface des éosinophiles ne sont pas toutes clairement établies.

Il semble que certains récepteurs sont promoteurs d’activation et de survie, alors que d’autres, au contraire, sont inhibiteurs et inducteurs d’apoptose.

D – ÉOSINOPHILES ACTIVÉS :

1- Modifications morphologiques et phénotypiques :

Après activation, les éosinophiles subissent des modifications métaboliques et structurales, avec apparition de vacuoles liées à la libération des granules dans le milieu extracellulaire et à l’augmentation du nombre des corps lipidiques (granules uniformément denses aux électrons en microscopie électronique).

Ces deux phénomènes modifient la densité des éosinophiles activés et leur donnent ce phénotype d’éosinophiles « hypodenses » décrit dans le début des années 1980.

D’autre part, l’expression de la majorité des récepteurs déjà présents sur les éosinophiles au repos, est augmentée.

Il existe toutefois des modifications phénotypiques liées à l’acquisition de nouveaux récepteurs de surface comme les molécules ICAM-1 et HLA (human leukocyte antigen)-DR, le CD25 et le CD69, mais également le CD64 (FccRI) et le CD16 (FccRIII).

À l’inverse, l’expression d’autres récepteurs comme la chaîne b des b2 intégrines (CD18) est diminuée.

2- Cytotoxicité des éosinophiles activés :

La dégranulation et la libération des protéines cationiques dans l’environnement tissulaire sont les premières conséquences qui ont été identifiées après activation des éosinophiles.

Les protéines cationiques sont fortement cytotoxiques et peuvent altérer ou détruire de nombreuses cibles (par exemple larves de parasites, mais également cellules épithéliales de l’hôte).

Les protéines basiques de l’éosinophile possèdent en effet des propriétés physicochimiques semblables aux composants de la phase terminale du complément, aux perforines de cellules tueuses, voire à certaines toxines bactériennes.

L’interaction de ces protéines toxiques avec les cellules aboutit à des perturbations osmotiques et à des influx calciques conduisant finalement à la mort cellulaire, par nécrose ou par apoptose.

La MBP, par exemple, endommage directement les épithéliums, conduisant à la formation de bulles, à la desquamation et à la destruction des cellules ciliées.

L’ECP et l’EDN ont des propriétés neurotoxiques et expriment une activité enzymatique de ribonucléase.

Les processus de libération des protéines cationiques sont maintenant bien caractérisés et font appel à trois types de mécanismes :

– la fusion directe de la membrane des granules avec le plasmalemme, libérant les protéines de la matrice (ECP, EPO, EDN) et du core granulaire (MBP) ;

– la « piecemeal degranulation » qui conduit à la libération sélective de protéines basiques de l’éosinophile, par bourgeonnement de petites vésicules à partir des granules secondaires ;

– la cytolyse non apotoptique, avec extrusion dans le milieu extracellulaire de l’ensemble des granules et secondairement de leur contenu et libération de la lysophopholipase, conduisant à la formation des cristaux de Charcot-Leyden.

En revanche, les circonstances qui conduisent à la libération sélective des protéines cationiques sont mal connues.

La dégranulation et la libération du contenu granulaire semblent, en effet, dépendre de différentes voies de signalisation.

Il a été observé que selon que les éosinophiles étaient stimulés par les IgG ou les IgE, ils étaient capables de libérer sélectivement respectivement de l’ECP ou de l’EPO.

En revanche, la stimulation par l’intermédiaire d’IgA complexées conduit à la libération combinée de ces deux protéines cationiques.

Parallèlement à la libération des protéines cationiques, les éosinophiles génèrent des radicaux libres (eau oxygénée et oxygène singulet).

Ils sécrètent aussi des enzymes protéolytiques, ainsi que des médiateurs lipidiques capables d’altérer les cellules tissulaires ou la matrice extracellulaire et d’amplifier la réponse inflammatoire.

3- Amplification de la réponse inflammatoire et régulation de la réponse immunitaire :

Les éosinophiles activés sont la source de nombreux messagers, notamment des cytokines de type pro-inflammatoire (IL1, IL6, TNFa) et des facteurs solubles impliqués dans leur survie, selon une boucle autocrine (IL3, GM-CSF, IL5).

Ils produisent également des molécules à activité chimioattractantes comme l’IL16, MIP-1a, RANTES et surtout l’éotaxine.

Ces facteurs sont capables d’amplifier la réponse inflammatoire ou de pérenniser l’infiltration tissulaire par les éosinophiles.

Ces cellules sont aussi capables de sécréter des cytokines immunomodulatrices comme les cytokines de polarité Th2 (IL4, IL10) ou Th1 (IFNc, IL12) et participent ainsi au contrôle de la réponse immune.

Enfin, ils sont impliqués dans la trophicité et la régénération tissulaire par la synthèse de neuropeptides et de nombreux facteurs de croissance (TGF, PDGF [platelet derived growth factor], VEGF [vascular endothelial growth factor]…).

Les mécanismes qui conduisent à la production et à la libération des différentes cytokines ou facteurs de croissance ne sont pas encore tous compris.

On imagine mal que tous les éosinophiles produisent, dans le même temps, l’ensemble des cytokines identifiées.

On a évoqué la possibilité de populations distinctes produisant préférentiellement des cytokines de type 1 ou de type 2, des facteurs de survie comme l’IL5 ou des facteurs proapototiques comme le TGFb.

Des données très récentes semblent plutôt montrer que les éosinophiles sont capables d’orienter la production des cytokines en fonction des signaux membranaires perçus.

Ainsi, la stimulation par l’intermédiaire des récepteurs à IgA induirait la production de cytokines de type Th2.

À l’inverse, la stimulation de récepteurs membranaires de type CD28 conduirait à la production d’IL2 et d’IFNc.

Ces deux voies de stimulation auraient des effets inhibiteurs respectifs.

4- Coopération cellulaire :

Les éosinophiles activés expriment différentes molécules impliquées dans la coopération cellulaire.

Ainsi a-t-on montré qu’ils étaient capables d’exprimer les molécules HLA-DR et les molécules de la famille B7 (CD86 et CD80), participant à la présentation de l’antigène.

Ils expriment également de nombreux récepteurs comme le CD28 et les ligands du CD40 et du CD30, molécules impliquées dans les échanges de cosignaux membranaires avec les nombreux partenaires de la réponse immunitaire.

5- Équilibre entre survie et mort des éosinophiles :

Ultime conséquence de l’activation des éosinophiles : la sensibilité de ces cellules aux signaux impliqués dans l’équilibre survie/mort dont dépendent l’entretien ou la résolution de la réponse inflammatoire.

Les éosinophiles activés expriment effectivement des récepteurs qui prolongent leur survie, comme la molécule CD40 dont l’expression est dépendante de l’environnement proinflammatoire et notamment de la production du GM-CSF.

Les récepteurs pour les lipopolysaccharides, l’IL13 ou l’IFNc ou encore les molécules CD9 et VLA-4 ont les mêmes effets antiapoptotiques.

L’environnement inflammatoire induit parallèlement l’expression de récepteurs membranaires dont la stimulation génère des signaux mortifères pour les éosinophiles, ce qui permet de rétablir le retour à l’équilibre dans les conditions physiologiques.

Ainsi, le TNFa, comme la stimulation par le CD32 (FccRII), conduisent à l’expression des molécules Fas (CD95) et CD69, qui induisent la mort des éosinophiles.

Le TGFb et les INF sont également capables d’inhiber les effets d’autres médiateurs comme l’IL3, le GM-CSF et l’IL5, et d’induire la mort cellulaire.

Dans les conditions physiologiques, l’organisme a donc les moyens de contrôler l’activation des éosinophiles et de limiter ses effets délétères.

Peau et éosinophilie :

L’éosinophilie, tant périphérique que tissulaire, est une éventualité si fréquente en dermatologie qu’il est impossible de dresser une liste exhaustive de toutes les dermatoses concernées.

Les principales dermatoses comportant une éosinophilie tissulaire sont pour la plupart allergiques, parasitaires, néoplasiques ou auto-immunes.

Une éosinophilie périphérique est parfois associée, mais n’est pas obligatoire.

Le rôle pathogène de l’éosinophile est désormais bien établi à travers de nombreux arguments directs et indirects dans la dermatite atopique, l’urticaire, la pemphigoïde, la dermatite herpétiforme et l’incontinentia pigmenti.

De façon plus anecdotique, l’intervention délétère de ces cellules a également été suggérée dans des dermatoses aussi variées que le psoriasis, la pelade, le syndrome de desquamation familiale continue (peeling skin syndrome) et les nécrolyses épidermiques, du fait de la présence d’éosinophiles tissulaires parfois activés.

Dans le syndrome d’hypersensibilité médicamenteuse ou DRESS (drug rash with eosinophilia and systemic symptoms), l’éosinophilie supérieure ou égale à 1 500/mm3 est un des critères diagnostiques.

Un travail récent a montré qu’elle était très probablement la conséquence de la forte synthèse d’IL5 par les lymphocytes activés, observée au début de la réaction.

La spongiose à éosinophiles est une image histologique non spécifique pouvant être observée dans de multiples dermatoses dont les bulloses auto-immunes au stade initial, les eczémas et les piqûres d’insectes.

Les dermatoses dites « éosinophiliques » ont pour critère diagnostique principal une éosinophilie tissulaire et parfois périphérique marquée, et n’appartiennent à aucun autre cadre nosologique classique.

Au sein de ce groupe hétérogène récemment défini sont rassemblées des dermatoses très diverses pour lesquelles l’éosinophile semble bien être la clef physiopathologique.

Il s’agit donc d’un cadre aux limites floues qui comprend des dermatoses bien caractérisées comme le syndrome de Wells et la folliculite pustuleuse d’Ofuji, et qui s’enrichit régulièrement de « nouvelles » entités.

Seule la publication d’autres observations similaires permettra à l’avenir de reconnaître le caractère pertinent ou anecdotique de ces descriptions.

Enfin, le syndrome hyperéosinophilique comporte très fréquemment des manifestations cutanées justifiant sa place dans ce chapitre.

A – DERMATOSES ÉOSINOPHILIQUES :

1- Folliculite pustuleuse à éosinophiles :

La folliculite pustuleuse à éosinophiles (FPE) a été décrite en 1970, par Ofuji et al.

La plupart des cas décrits sont japonais, mais cette dermatose étant désormais mieux connue, la littérature s’enrichit régulièrement d’observations concernant des malades caucasiens.

On note une prédominance masculine avec un sex-ratio de 4/1 à 5/1, et un pic de fréquence autour de la troisième décennie.

Il s’agit d’une dermatose chronique évoluant par poussées, caractérisée par la survenue d’une ou de plusieurs plaques érythémateuses et prurigineuses, parsemées de papulopustules folliculaires stériles.

Ces lésions siègent préférentiellement sur les zones séborrhéiques.

Elles ont une extension centrifuge, avec guérison centrale et zone pigmentée résiduelle donnant au placard un aspect trichophytoïde.

L’évolution se fait par poussées de 10 à 15 jours entrecoupées de rémissions pouvant durer plusieurs années.

Lors de ces poussées, de nouvelles lésions surviennent au sein de la zone cicatricielle.

L’atteinte palmoplantaire est possible, mais les muqueuses sont respectées.

Il n’existe pas de signe systémique. Une hyperleucytose est notée dans environ un tiers des cas et une éosinophilie dans plus de la moitié des cas.

* Histologie :

L’examen histologique est essentiel au diagnostic.

Il montre une folliculite superficielle siégeant entre l’ostium et l’abouchement de la glande sébacée. L’infiltrat inflammatoire, périvasculaire et péripilaire, est composé essentiellement d’éosinophiles.

Les études ultrastructurales ont montré des éosinophiles dégranulés.

* Traitement :

Le caractère aléatoire et transitoire de la réponse aux traitements est très souvent mentionné.

La corticothérapie locale et générale, la dapsone et l’indométacine sont des traitements classiques.

Les rétinoïdes et la photothérapie (PUVAthérapie, ultraviolets [UV]B) peuvent également être prescrits.

La clofazimine, la ciclosporine et les IFNa et c ont été utilisés de façon anecdotique.

* Nosologie et formes cliniques :

Depuis la description de cette entité, le concept de FPE a été élargi à des affections cliniquement différentes mais ayant une image histologique similaire, ce qui a ajouté à la confusion.

Des folliculites à éosinophiles ont en effet été décrites au cours de l’infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH), de lymphomes et chez le nourrisson.

Celles-ci sont cependant à distinguer de l’entité décrite par Ofuji dont l’individualisation nous semble devoir être maintenue sur la base des critères cliniques définis par l’auteur.

Dans la forme du nourrisson, il s’agit de vésiculopustules stériles groupées et prurigineuses, siégeant principalement sur le cuir chevelu.

La résistance aux différents antibiotiques souvent prescrits dans l’hypothèse d’une étiologie infectieuse, l’évolution cyclique et la présence de nombreux éosinophiles sur le frottis coloré par la solution de May-Gründwald-Giemsa (MGG) doivent faire évoquer cette affection non exceptionnelle.

L’évolution est chronique par poussées successives.

La guérison est spontanée dans un délai variable, généralement avant 3 ans.

La corticothérapie locale prescrite précocement peut permettre de maîtriser une poussée.

Dans notre expérience, des rémissions ont été obtenues avec les antihistaminiques.

Pour beaucoup d’auteurs, la FPE du nourrisson appartient plus au spectre des pustuloses idiopathiques de l’enfant et notamment à celui de l’acropustulose infantile, qu’à celui de la maladie d’Ofuji.

Dans les folliculites à éosinophiles associées au sida, il s’agit plutôt de multiples papules urticariennes disséminées, folliculaires ou non, constamment prurigineuses, et localisées préférentiellement à la partie supérieure du tronc, au visage et au cou, au cuir chevelu et à la partie proximale des membres.

Cette affection est associée à la phase tardive de la maladie à un taux de CD4 abaissé. Le rôle du Demodex folliculorum et du Pityrosporum a été évoqué.

Ainsi, les folliculites à éosinophiles ne constituent pas une entité anatomoclinique unique, mais correspondent plutôt à un mode de réaction immune non spécifique médié par les lymphocytes Th2 responsables du recrutement des éosinophiles via la synthèse d’IL5, et la maladie d’Ofuji n’en est qu’une des expressions cliniques.

L’implication des éosinophiles dans la constitution des lésions n’est plus discutée, bien que leur rôle précis soit toujours inconnu.

2- Syndrome de Wells :

C’est une dermatose rare d’évolution bénigne mais récidivante.

De début en règle brutal, la symptomatologie est marquée par de grands placards érythémato-oedémateux à bords nets, souvent recouverts de vésicules ou de bulles, siégeant préférentiellement sur le tronc et les extrémités. Les signes généraux sont rares.

L’évolution se fait les jours suivants vers une extension des placards, qui prennent un aspect annulaire avec guérison de la zone centrale tandis que la bordure devient plus violacée.

Les signes inflammatoires régressent en une dizaine de jours, tandis que le tégument prend un aspect sclérodermiforme.

La restitution ad integrum survient généralement en 4 à 6 semaines.

La récidive est la règle, avec des localisations variables et un intervalle libre pouvant aller de quelques mois à plusieurs années.

Toutefois, le pronostic reste bon avec obtention à la longue de la guérison totale.

Biologiquement, l’élément principal est une éosinophilie retrouvée dans environ 50 % des cas à la phase aiguë.

* Histologie :

L’image histologique varie selon le stade évolutif des lésions.

Initialement, on note un important oedème et une infiltration leucocytaire dermique avec une prédominance d’éosinophiles ayant pour certains dégranulé.

Le stade subaigu est caractérisé par les images dites en « flammèche », situées dans le derme moyen et profond, comprenant une partie centrale constituée de fibres de collagène, de granules et de débris d’éosinophiles, entourée d’un infiltrat histiocytaire et éosinophile.

Ultérieurement, il y a disparition des éosinophiles et formation de petits granulomes phagocytaires palissadiques constitués d’histiocytes et parfois de cellules géantes, autour des images en « flammèche ».

L’image histologique n’a rien de spécifique et peut être observée dans de nombreuses autres affections cutanées : pemphigoïde, prurigo, eczéma, dermatophytie…

Le diagnostic de syndrome de Wells est donc anatomoclinique.

L’étude en microscopie électronique montre de nombreux éosinophiles en cours de dégranulation, présentant des signes de cytolyse membranaire et des granules libres dans le derme, intacts ou fragmentés, situés autour des fibres de collagène non altérées, formant les images en « flammèche ».

* Physiopathologie :

La pathogénie du syndrome de Wells reste obscure.

L’hypothèse la plus communément admise est qu’il s’agit d’un syndrome résultant d’une hypersensibilité à des antigènes variés.

De nombreux facteurs déclenchants ont été en effet rapportés (piqûres d’insectes et d’arthropodes, médicaments, infections variées…), mais les raisons de cette « réponse éosinophilique » ne sont pas connues.

L’association à des néoplasies, en particulier à des hémopathies, a également été rapportée.

Plus récemment, la mise en évidence, dans un cas, d’une prolifération de lymphocytes T de profil Th2, CD4+ CD7- qui expriment l’acide ribonucléique messager (ARNm) codant pour l’IL5, et l’association chez un même malade d’un syndrome de Wells et d’un syndrome hyperéosinophilique idiopathique, font suspecter un lien physiopathologique entre ces deux entités.

Quoi qu’il en soit, le rôle pathogène de l’éosinophile semble évident au vu des dépôts extracellulaires de protéines cationiques, principalement la MBP, au niveau des images en « flammèche », témoignant de la dégranulation des éosinophiles.

De plus, une élévation des taux sériques d’ECP, mais aussi de MBP et d’EDN est observée.

Enfin, les études en microscopie électronique confirment l’activation et la dégranulation des éosinophiles.

* Diagnostic différentiel :

Une dermohypodermite bactérienne aiguë est éliminée devant l’absence de contexte infectieux (fièvre, hyperleucocytose) et l’évolution récidivante.

Dans de rares cas, des similitudes cliniques et histologiques ont été décrites avec l’érythème chronique migrateur.

Il s’agit cependant d’un diagnostic différentiel très théorique.

* Traitement :

La corticothérapie générale permet, dans la majorité des cas, une guérison rapide mais ne prévient pas les récidives qui peuvent justifier un traitement continu à faibles doses.

La disulone semble donner de bons résultats en cas de corticorésistance.

L’INFa et l’INFc pourraient représenter des alternatives intéressantes.

Le traitement des facteurs associés est indispensable.

3- Panniculite à éosinophiles :

Décrite en 1985, elle correspond à un aspect histologique de panniculite lobulaire et septale avec un infiltrat inflammatoire composé majoritairement d’éosinophiles.

Cet aspect a été décrit dans de très nombreuses affections : piqûres d’arthropodes, dermatite atopique, érythème noueux, infections (streptococcie, gnasthostomiase, toxocarose), panniculite factice, vascularite leucocytoclasique, lymphome.

Ses rapports avec le syndrome de Wells, dont elle pourrait représenter une localisation hypodermique, restent discutés.

Cliniquement, c’est l’aspect de nodules hypodermiques qui est le plus fréquent.

Des lésions érythémateuses et vésiculeuses sont également possibles.

Un terrain allergique au sens large (asthme, urticaire, dermatite atopique, allergie médicamenteuse…) est fréquent chez ces patients, pouvant peut-être expliquer cette « réponse éosinophilique ».

4- Papuloérythrodermie :

Le terme de « papuloérythrodermie » est utilisé pour la première fois en 1984 par Ofuji et al pour désigner une nouvelle maladie d’étiologie indéterminée observée chez quatre malades.

Il s’agit principalement d’hommes âgés, présentant des papules brunâtres prurigineuses dont la coalescence aboutit en quelques mois à une éruption étendue touchant surtout le tronc, voire à un tableau d’érythrodermie.

Le respect du fond des plis (grands plis de flexion et plis cutanés abdominaux et dorsaux) donne un aspect très particulier, appelé secondairement « deck chair signe » ou « signe de la chaise longue ».

Cette érythrodermie d’évolution chronique s’accompagne d’adénopathies dans un cas sur deux.

* Biologie :

L’élément le plus caractéristique est la présence dans plus de 80 % des cas d’une éosinophilie plus ou moins marquée.

Une élévation des IgE totales est notée dans deux tiers des cas. Une lymphopénie est moins fréquente (40 % des cas).

* Histologie :

Elle est non spécifique avec un infiltrat dermique polymorphe superficiel, périvasculaire, constitué de lymphocytes, d’histiocytes et d’éosinophiles, sans atypie cellulaire ni exocytose.

L’augmentation importante du nombre de cellules de Langerhans dans le derme et l’épiderme fait suspecter leur implication dans cette pathologie.

* Physiopathologie. Nosologie :

Souvent idiopathique, la papuloérythrodermie peut cependant évoluer vers un lymphome T ou B, ce qui justifie une surveillance clinique et histologique rapprochée.

Quelques cas ont également été rapportés en association avec des néoplasies viscérales et récemment chez deux malades VIH positif.

Ceci pose le problème de l’individualisation de cette dermatose rare qui doit plutôt être considérée comme une forme clinique d’érythrodermie pouvant répondre à diverses étiologies.

La corticothérapie générale et la PUVAthérapie sont les deux principaux traitements.

L’INFa, la ciclosporine et l’étrétinate peuvent également être efficaces.

5- Érythème toxique du nouveau-né :

C’est une dermatose fréquente du nouveau-né, bénigne et transitoire, survenant dans les trois à quatre premiers jours de vie.

L’éruption associe diversement un érythème maculeux à bordure irrégulière et d’extension rapide, des lésions papuleuses apparaissant sur les macules ou d’emblée en peau saine, et des pustules blanchâtres, superficielles et fragiles, d’un diamètre de 2 à 4 mm, reposant sur une base érythémateuse.

Les lésions sont diffuses mais respectent les paumes et les plantes et prédominent sur le dos.

L’état général reste parfaitement conservé.

La guérison est spontanée, sans séquelle, en moins de 1 semaine, bien que des évolutions plus prolongées, fluctuantes, aient été décrites.

* Examens paracliniques :

Une éosinophilie périphérique est parfois présente et tend à être corrélée à la sévérité de la maladie.

L’examen cytologique du contenu d’une pustule met en évidence de très nombreux éosinophiles.

Les prélèvements bactériologiques sont négatifs.

L’examen histologique, non indispensable au diagnostic, montrerait des pustules intraépidermiques ou sous-cornées remplies d’éosinophiles et prédominant autour des follicules pilosébacés.

* Physiopathologie :

Elle reste inconnue.

Il n’y a pas de relation apparente entre la survenue de l’érythème toxique et l’histoire maternelle ou l’accouchement.

Certains suggèrent la possibilité d’une diathèse atopique, ce qui n’a pas été confirmé dans toutes les études.

On peut se demander si l’érythème toxique ne serait pas une simple réaction d’adaptation postnatale, quasi physiologique, d’autant que l’éosinophilie peut être trouvée de façon non spécifique à cet âge.

* Diagnostic différentiel :

Après avoir éliminé une cause infectieuse bactérienne ou fungique, l’érythème toxique est à distinguer de la pustulose mélanique transitoire, affection très proche.

Les principaux caractères distinctifs sont la présence des lésions à la naissance, la plus grande fréquence chez l’enfant noir, des lésions pustuleuses en peau saine pouvant atteindre les régions palmoplantaires, disparaissant en moins de 48 heures et évoluant vers des lésions maculeuses pigmentées entourées par une collerette de desquamation, une pustule intracornée remplie de polynucléaires neutrophiles.

L’incontinentia pigmenti est mentionnée dans certains articles, bien qu’en pratique la question ne se pose quasiment jamais, ces deux affections étant très différentes.

6- Granulome facial à éosinophiles :

C’est une affection rare de l’adulte.

Les lésions sont en règle papuleuses ou nodulaires, de couleur rouge-brun, bien limitées.

Leur surface est lisse, souvent mamelonnée en raison de l’existence d’orifices pilaires dilatés donnant un aspect en « peau d’orange ».

Uniques ou plus souvent multiples (deux à cinq éléments), les lésions sont localisées à la région céphalique dans la majorité des cas, bien que des localisations extrafaciales aient été décrites.

L’évolution est chronique, sans tendance à la guérison spontanée. Biologiquement, une éosinophilie modérée est signalée dans 10 % des cas.

* Histologie :

Elle est indispensable au diagnostic et montre au stade initial un infiltrat dermique granulomateux constitué de polynucléaires éosinophiles, neutrophiles et de cellules mononucléées.

Cet infiltrat est diffus, à renforcement périvasculaire, et respecte les annexes pilosébacées et l’épiderme dont il est séparé par une mince bande de tissu conjonctif normal (grenz-zone).

Une leucocytoclasie est souvent observée mais la nécrose fibrinoïde des parois capillaires est plus rare.

Enfin, des dépôts d’hémosidérine sont fréquents et probablement responsables de la coloration brunâtre des lésions.

Au cours du temps, l’infiltrat cellulaire est remplacé progressivement par une fibrose collagène.

L’étude en microscopie électronique met en évidence l’abondance des éosinophiles, souvent insoupçonnée en microscopie optique du fait de leur dégranulation.

* Diagnostic différentiel :

Sur le plan clinique, de très nombreux autres diagnostics peuvent être évoqués (lupus érythémateux chronique, sarcoïdose, infiltration lymphocytaire de Jessner et Kanof, lymphome…), mais l’examen histologique permet la distinction.

L’hyperplasie angiolymphoïde avec éosinophilie (HALE) et la maladie de Kimura, dont la distinction est discutée, peuvent également être évoquées.

La maladie de Kimura touche essentiellement l’homme jeune asiatique et se traduit par la présence de nodules ou de placards sous-cutanés recouverts de peau de couleur normale, souvent multiples, de la tête et du cou.

Des adénopathies locorégionales et une éosinophilie sanguine sont quasi constantes.

Histologiquement, la maladie de Kimura est caractérisée par un infiltrat composé de lymphocytes avec présence de follicules lymphoïdes à centre clair et d’éosinophiles. Une hyperplasie vasculaire est également notée, sans turgescence des cellules endothéliales.

L’HALE est proche de la maladie de Kimura, certains auteurs considérant qu’il s’agit de formes cliniques d’une même maladie.

Cliniquement, l’HALE se traduit chez un adulte jeune par des papules ou des nodules rosés ou rouges, d’aspect parfois angiomateux, ou par des nodules sous-cutanés recouverts de peau normale.

Les lésions sont le plus souvent uniques et siègent sur l’extrémité céphalique, avec une prédilection pour les régions auriculaires, le front et le cuir chevelu.

Il n’y a pas de prédominance de race ou de sexe.

Il n’y a pas en règle d’adénopathie locorégionale et l’éosinophilie périphérique est inconstante.

Histologiquement, on observe une prolifération vasculaire avec présence de vaisseaux immatures, bordés de cellules endothéliales turgescentes, « globoïdes », bombant dans la lumière (plump cell) et qui sont caractéristiques.

Le derme et/ou l’hypoderme est également le siège d’un infiltrat inflammatoire polymorphe composé de lymphocytes pouvant se regrouper de façon inconstante en follicules lymphoïdes à centre clair, d’histiocytes, de mastocytes et surtout d’éosinophiles.

Dans les deux cas, le meilleur traitement est chirurgical.

La corticothérapie locale ou générale et la radiothérapie (discutable dans ces affections bénignes) ont également été proposées.

Les récidives sont fréquentes.

* Physiopathologie :

Elle reste mal connue.

L’hypothèse d’une vasculite leucocytoclasique chronique induite par un phénomène immunoallergique dont le déclenchement reste inexpliqué a été évoquée.

Le rôle de l’exposition solaire a également été évoqué, compte tenu de la localisation des lésions au niveau des régions exposées et de la rareté de cette affection sur peau noire.

* Traitement :

De nombreuses thérapeutiques ont été tentées avec un succès variable.

Parmi les plus efficaces, on peut retenir la cryothérapie, le laser CO2 et surtout argon, plus sélectif, à l’origine de moins de séquelles cicatricielles, les dermocorticoïdes et les injections intralésionnelles de corticoïdes.

Par voie générale, la dapsone (efficace dans 50 % des cas), les antipaludéens de synthèse (amélioration dans un tiers des cas) et la colchicine ont été utilisés.

L’exérèse chirurgicale peut également être proposée.

7- Ulcère éosinophilique de la muqueuse orale :

C’est une affection muqueuse bénigne décrite initialement chez l’enfant sous la dénomination de maladie de Riga-Fede.

Longtemps intégrée au spectre du granulome facial, ce n’est qu’en 1970 que son individualisation a été proposée sur la base de ses caractères anatomocliniques.

Il s’agit d’une lésion nodulaire érythémateuse en règle ulcérée, le plus souvent localisée sur la langue et plus rarement au niveau de la muqueuse buccale, des lèvres, du palais, des gencives ou du plancher de la bouche.

La lésion est unique dans la majorité des cas et parfois douloureuse.

L’évolution se fait généralement vers la régression spontanée en moins de 2 mois.

Les récidives sont rares.

Aucun traitement n’est habituellement nécessaire, compte tenu de la régression spontanée.

* Histologie :

Indispensable pour éliminer une lésion maligne, en particulier un carcinome épidermoïde, l’examen histologique montre une lésion généralement ulcérée, recouverte d’un exsudat fait de fibrine, de polynucléaires neutrophiles et éosinophiles, et parfois de bactéries.

La base de l’ulcération est constituée d’un tissu de granulation avec une augmentation du nombre de capillaires.

Le derme est le siège d’un infiltrat inflammatoire dense constitué de lymphocytes, d’histiocytes et de nombreux éosinophiles, pouvant prendre un aspect pseudolymphomateux, s’étendant entre les fibres musculaires striées.

Il n’y a pas de grenz-zone.

* Diagnostic différentiel :

L’histologie et l’évolution permettent d’éliminer une affection maligne (carcinome épidermoïde, lymphome, leucémie).

L’HALE est exceptionnellement à l’origine d’ulcérations muqueuses, qui n’ont pas tendance à la guérison spontanée.

Histologiquement, il existe un infiltrat inflammatoire composé de lymphocytes et d’éosinophiles, mais surtout une hyperplasie vasculaire caractéristique.

* Physiopathologie :

Le rôle de traumatismes, notamment dentaires, souvent retrouvés, est suspecté dans la survenue de l’ulcère éosinophilique, justifiant pour certains l’appellation d’ulcère traumatique éosinophilique ou de granulome traumatique ulcéré avec éosinophilie stromale.

Le rôle des lymphocytes T est également évoqué.

8- Vasculite nécrosante à éosinophiles :

C’est une entité récemment décrite à propos de trois observations et qui se distingue des autres vasculites par ses caractéristiques anatomocliniques et l’absence d’atteinte viscérale.

Cliniquement, il s’agit de lésions érythématopapuleuses et purpuriques prurigineuses diffuses, associées à un angio-oedème du visage et des extrémités, et parfois à des lésions urticariennes.

Les lésions sont corticosensibles mais ont tendance à la récidive lors des tentatives d’interruption du traitement. Une importante éosinophilie périphérique est constante.

L’examen histologique montre un aspect de vasculite nécrosante sans leucocytoclasie, avec nécrose fibrinoïde des petits vaisseaux dermiques et un infiltrat dermique constitué exclusivement d’éosinophiles.

Les études ultrastructurales et immunohistochimiques réalisées chez ces malades sont très en faveur du rôle pathogène des éosinophiles, montrant l’adhérence des éosinophiles exprimant VLA-4 aux cellules endothéliales altérées des petits vaisseaux dermiques (exprimant VCAM-1), ainsi que des dépôts de MBP et d’EDN dans les parois vasculaires. La présence d’IL5 dans le sérum d’un des malades indique qu’une production accrue de cette cytokine pourrait être impliquée dans l’éosinophilie de ces malades.

Cet aspect de vasculite à éosinophiles a également été trouvé en association avec des connectivites (syndrome de Felty, polyarthrite rhumatoïde, lupus érythémateux systémique, syndrome de Sjögren) et s’associe alors à une hypocomplémentémie et à une éosinophilie périphérique.

9- Syndrome de Gleich :

L’angiooedème cyclique avec éosinophilie se distingue du syndrome hyperéosinophile par l’absence d’atteinte viscérale et son caractère cyclique.

Il s’agit d’une maladie rare (une vingtaine de cas décrits) dont l’étiologie reste inconnue, mais il existe de nombreux arguments pour évoquer la participation de l’éosinophile dans la survenue de la symptomatologie.

Il s’agit d’épisodes d’angiooedème sévère, touchant les adultes jeunes, sans antécédents atopiques.

Ces épisodes durent 7 à 10 jours, guérissent spontanément et récidivent avec une fréquence à peu près mensuelle.

Ils s’accompagnent d’une prise de poids importante (de 5 à 20 % du poids habituel), de lésions d’urticaire, de signes généraux à type de fièvre et de malaise général.

* Biologie :

Une éosinophilie pouvant être majeure, est constamment présente lors des épisodes.

Celle-ci évolue parallèlement à la symptomatologie, s’élevant lors des poussées, mais persiste souvent entre les épisodes.

Des taux élevés d’IgM sont quasi constants et une élévation des IgE totales est trouvée dans la moitié des cas.

* Histologie :

L’étude histologique en zone d’angio-oedème montre un oedème dermique et un infiltrat diffus à prédominance périvasculaire, constitué de lymphocytes, d’histiocytes et surtout d’éosinophiles, souvent dégranulés.

Cet infiltrat peut parfois s’étendre de façon focale vers le derme profond.

En microscopie électronique, les éosinophiles périphériques et tissulaires présentent des altérations de leur structure avec perte de l’organisation normale et image de dissolution des granules.

Les taux sanguin de MBP sont élevés et des dépôts dermiques de MBP sont observés, témoignant indirectement de la dégranulation des éosinophiles au site lésionnel.

* Physiopathologie :

L’activation des lymphocytes T par un stimulus inconnu est vraisemblablement à l’origine de cette éosinophilie périphérique et tissulaire.

L’IL2 produite par les lymphocytes T activés pourrait expliquer une partie des signes cliniques.

L’IL5, dont les taux sont élevés lors des poussées et décroissent très rapidement sous corticothérapie, contribuerait au recrutement et à l’activation des éosinophiles.

Ces derniers pourraient alors, après dégranulation et libération de leur contenu cytotoxique, être à l’origine des lésions tissulaires et de l’augmentation de perméabilité vasculaire par la production de LTC4 et de PAF.

De plus, les protéines basiques, libérées par les éosinophiles, pourraient induire une activation et la dégranulation des mastocytes, amplifiant ainsi la réaction inflammatoire.

* Traitement :

La corticothérapie par voie générale permet une régression rapide de la symptomatologie mais ne prévient pas les récidives qui nécessitent un traitement d’entretien à faibles doses ou discontinu quelques jours par mois.

L’administration conjointe de furosémide ou d’indométacine pourrait potentialiser les résultats thérapeutiques.

B – SYNDROME HYPERÉOSINOPHILIQUE :

Le syndrome hyperéosinophilique (SHE) a initialement été décrit par Hardy et Anderson en 1968, puis défini par Chusid et al en 1975 par les critères diagnostiques suivants : éosinophilie supérieure à 1 500/mm3 pendant plus de 6 mois, absence d’autre cause reconnue d’éosinophilie et lésions viscérales attribuées à l’infiltration tissulaire par les éosinophiles.

Le SHE est un syndrome d’étiologie inconnue et aux manifestations multiviscérales qui peuvent cependant n’apparaître qu’après plusieurs années d’évolution : cutanées, cardiovasculaires, neurologiques, hématologiques, gastrointestinales, pulmonaires ou encore rénales.

Il est caractérisé par une très grande hétérogénéité clinique mais deux grands groupes peuvent être individualisés.

Les formes « prolifératives » présentent certains critères de malignité avec splénomégalie, thrombopénie, élévation de la vitamine B12, et myéloblastes circulants. Dans ces SHE, les lésions viscérales, sévères et fréquentes, ainsi que la corticorésistance, conditionnent le pronostic.

Les formes « allergiques » avec présence d’un terrain atopique, d’une urticaire ou d’un angiooedème et d’une élévation des IgE totales sont de meilleur pronostic.

L’atteinte cutanée est fréquente (plus de 50 % des cas) et très polymorphe.

Aucune n’est spécifique du SHE.

Il s’agit essentiellement de prurit, d’urticaire ou d’angiooedème avec parfois un dermographisme, ou de lésions papuleuses et nodulaires érythémateuses prurigineuses.

La survenue d’ulcérations muqueuses inaugurales buccogénitales, mais également oculaires et digestives, ont été rapportées et semblent associées à des formes de mauvais pronostic.

D’autres manifestations cutanées plus rares ont été décrites : phénomènes vasomoteurs, purpura vasculaire, lésions vésiculbulleuses, érythrodermie, gingivite purpurique et hypertrophique, alopécie, dystrophie unguéale, érythème annulaire centrifuge, ulcère de jambe.

L’atteinte cutanée est parfois isolée, en l’absence de toute autre anomalie viscérale après réalisation d’un bilan complet.

Les manifestations cutanées ne semblent pas modifier le pronostic général de la maladie, mais les ulcérations muqueuses, les lésions nodulaires et les manifestations vasomotrices semblent plus souvent associées à la forme « proliférative », tandis que le prurit, l’urticaire et l’angiooedème sont plus souvent notés dans la forme « allergique ».

1- Biologie :

Outre l’éosinophilie prolongée et supérieure à 1 500 éosinophiles/ mm3 qui constitue donc le critère diagnostique essentiel, on peut également observer un syndrome inflammatoire, une élévation des IgE et des IgM, et des anomalies du bilan hématologique dans les formes « prolifératives » : anémie, thrombopénie, basophilie, augmentation du taux de vitamine B12, diminution des folates, élévation des phosphatases alcalines leucocytaires et anomalies du caryotype (chromosome Philadelphie, délétion 20q et anomalies des chromosomes 7 et 5).

Cette dernière anomalie cytogénétique est particulièrement intéressante à explorer du fait de la présence sur le chromosome 5 des gènes codant pour l’IL3, l’IL5, l’IL4 et le GM-CSF impliqués dans l’éosinopoïèse et le recrutement tissulaire des éosinophiles.

2- Histologie :

Elle est peu spécifique. Elle montre un infiltrat inflammatoire dermique de topographie surtout périvasculaire composé de cellules mononucléées et d’éosinophiles.

Ces cellules infiltrent les parois des vaisseaux sans qu’il y ait habituellement de véritable vasculite bien que cela ait été décrit. Des observations avec de nombreux microthrombi cutanés ont été rapportées, correspondant souvent à des formes de mauvais pronostic.

3- Physiopathologie :

Bien que le mécanisme physiopathologique à l’origine des lésions cutanées reste hypothétique, le rôle des éosinophiles est très probable, par l’intermédiaire de la libération de ses médiateurs cytotoxiques.

Ainsi, les études immunohistochimiques réalisées sur les prélèvements cutanés des ulcérations muqueuses montrent des dépôts d’EPO, de MBP et d’EDN au niveau de l’épithélium.

En microscopie électronique, les éosinophiles apparaissent dégranulés au site des lésions. Ils pourraient être à l’origine des manifestations érythémateuses et urticariennes, directement et par activation des mastocytes.

Ils pourraient également induire des microthrombi des vaisseaux dermiques par action cytotoxique directe sur les cellules endothéliales et/ou par activation du facteur XII.

L’origine du SHE reste inconnue, mais de plus en plus d’arguments plaident pour la médiation lymphocytaire T de l’éosinophilie : mise en évidence de taux sériques élevés de récepteur soluble à l’IL2, corrélés à la présence de marqueurs de gravité clinique ou biologique et surtout d’une prolifération clonale de LcT CD3- CD4+ de phénotype Th2 sécrétant de l’IL2, IL4, IL5 et IL13 mais pas d’IFNc.

Ces LcT principalement activés de façon autocrine par l’IL2 peuvent correspondre soit à des Lc poly- ou oligoclonaux, soit à un clone T circulant. Ce clone T peut rester stable, voire régresser spontanément ou évoluer vers un lymphome.

La recherche d’une prolifération clonale T, par immunophénotypage et étude du réarrangement du gène du récepteur T, fait donc partie du bilan du SHE.

Des cas de SHE ont également été décrits en association avec une papulose lymphomatoïde.

4- Traitement :

La prise en charge thérapeutique dépend de la gravité clinique et biologique (importance de l’éosinophilie).

Le but du traitement est de maintenir le taux d’éosinophiles inférieur à 1 000/mm3.

Une classification thérapeutique des sujets atteints de SHE a été proposée.

– Groupe 1. Sujets sans atteinte viscérale ou avec une atteinte limitée à un seul organe (en dehors du coeur ou du système nerveux) et sans anomalie hématologique : abstention thérapeutique ; surveillance clinicobiologique tous les 3 à 6 mois.

– Groupe 2. Sujets avec plusieurs atteintes viscérales autres que le coeur, avec une infiltration éosinophilique médullaire modérée sans anomalie des autres lignées sanguines : corticothérapie orale.

– Groupe 3. Sujets avec une atteinte cardiaque et/ou une infiltration éosinophilique médullaire plus importante ; sujets des deux premiers groupes corticodépendants ou corticorésistants : cytotoxiques (hydroxyurée en première intention) ± corticoïdes.

– Groupe 4. Sujets avec une atteinte multisystémique résistante à la corticothérapie et à l’hydroxyurée ; sujets avec des anomalies hématologiques témoignant d’une évolution leucémique : autres agents cytotoxiques : vincristine, étoposide, chlorambucil et méthotrexate.

Une polychimiothérapie est nécessaire en cas de transformation leucémique.

Plusieurs équipes ont réalisé des greffes de moelle allogéniques, mais le rapport bénéfice/risque de la greffe est encore en cours d’évaluation.

D’autres traitements ont été essayés.

– l’IFNa en première intention ou chez les sujets résistants à l’association prednisone-hydroxyurée.

L’association IFNhydroxyurée est possible.

L’IFNa diminue la survie des éosinophiles et inhibe la libération des protéines cationiques ainsi que leur synthèse d’IL5.

De plus, il agit également sur les LcTh2 : inhibition de la synthèse d’IL5 et augmentation de la synthèse d’IL10 qui est un facteur inhibiteur des éosinophiles ;

– la ciclosporine, prescrite dans un but d’épargne cortisonique ;

– les anticorps antirécepteurs de l’IL2 et l’azodicarbonamide, nouvel agent immunosuppresseur agissant sélectivement sur les LcT CD4, sont des alternatives actuellement à l’étude.

Le « traitement de fond » du SHE est complété par le traitement symptomatique des manifestations dermatologiques (la PUVAthérapie peut donner des résultats satisfaisants en cas de lésions étendues prurigineuses) et la prévention des complications cardiovasculaires (une anticoagulation efficace est indispensable tant que l’éosinophilie n’est pas contrôlée).

Le traitement de l’insuffisance cardiaque est médical et/ou chirurgical.

Conclusion :

Les éosinophiles ont longtemps été considérés comme des cellules énigmatiques d’importance secondaire.

Les découvertes, ces dix dernières années, de leurs propriétés fonctionnelles et de leurs multiples récepteurs de membrane ont permis de préciser leur place dans la réponse immunitaire et l’inflammation.

Véritable sentinelle de l’immunité du fait de sa position stratégique au sein des tissus, son implication dans la pathogénie de nombreuses dermatoses fait de l’éosinophile une cible potentielle privilégiée de nouveaux traitements.

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