Parapsoriasis en plaques (excepté le pityriasis lichénoïde)

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Historique et définition

Dans un article en 1902, Brocq crée le terme « parapsoriasis » pour désigner un groupe de dermatoses érythématosquameuses idiopathiques, distinctes entre elles, ayant des ressemblances superficielles avec les variétés de psoriasis, et réunissant certaines caractéristiques communes : évolution prolongée ou chronique, absence de prurit, résistance aux traitements topiques et infiltrat de cellules arrondies autour de vaisseaux dilatés.

Parapsoriasis en plaques (excepté le pityriasis lichénoïde)Brocq avait reconnu trois parapsoriasis différents : parapsoriasis en gouttes, parapsoriasis lichénoïde et parapsoriasis en plaques.

Le parapsoriasis en gouttes a été clairement séparé des autres parapsoriasis avec deux formes, aiguë (Mucha-Habermann) et chronique.

D’un autre côté, parapsoriasis en plaques et parapsoriasis lichénoïde sont restés liés par la question de leur rapport respectif avec le mycosis fongoïde.

Grâce aux travaux notamment de Degos et Bonvalet se trouveront distingués d’une part le parapsoriasis en petites plaques digitiformes, d’évolution constamment bénigne, et d’autre part le parapsoriasis en grandes plaques poïkilodermiques (parapsoriasis lichénoïde de Brocq), susceptible d’une évolution lymphomateuse.

La terminologie francophone révisée en 1994 retiendra finalement seulement deux dénominations distinctes, parapsoriasis digitiforme et parapsoriasis poïkilodermique, en recommandant l’abandon des termes suivants, source de confusion :

– xanthoerythroderma perstans, remplacé par parapsoriasis digitiforme ;

– parakeratosis variegata, parapsoriasis lichénoïde, poïkiloderma atrophicans vasculare, remplacés par parapsoriasis poïkilodermique.

Consensuelle, la terminologie est le reflet condensé de la conception sur ces dermatoses.

On remarque qu’il s’agit d’une terminologie purement clinique.

Le terme parapsoriasis créé par Brocq à l’origine des premières descriptions et consacré par l’usage a été conservé.

L’identité du terme générique parapsoriasis pour désigner deux affections suggère l’identité ou la proximité du processus pathologique.

La distinction est opérée par des qualificatifs sémiologiques, considérés comme les plus discriminants, à savoir « digitiforme » plutôt que « en petites plaques » et « poïkilodermique » plutôt que « en grandes plaques ».

La conception anglo-saxonne distingue small plaque parapsoriasis et large plaque parapsoriasis mais c’est le terme digitate dermatosis ou small plaque (digitate) parapsoriasis qui correspond véritablement au parapsoriasis digitiforme de la conception francophone.

Parapsoriasis en petites plaques ou digitiforme

L’affection est rare sans être exceptionnelle et touche plus fréquemment les hommes avec un sex-ratio de 3/1.

L’âge de prédilection se situe entre 30 et 50 ans. L’affection est très rare chez l’enfant.

A – CLINIQUE

Le parapsoriasis digitiforme est une dermatose facile à reconnaître à l’aspect très particulier des macules érythémateuses finement squameuses bien limitées de forme ovalaire ou allongée en « traces de doigts » (dermatose digitiforme).

Leur coloration est peu intense, rose, rose jaunâtre, leur taille dépasse rarement 5 cm de long.

Elles sont nombreuses, généralement plusieurs dizaines, prédominant sur le tronc et la partie proximale des membres, de disposition grossièrement symétrique suivant les lignes de tension de la peau, horizontales sur le tronc et longitudinales sur les membres.

Le visage, les paumes et les plantes sont épargnés. L’éruption est remarquablement monomorphe.

Les traits essentiels sont l’absence de caractère atrophique des lésions, ce qui oppose, plus nettement encore que la taille des plaques, le parapsoriasis digitiforme au parapsoriasis poïkilodermique, et leur absence d’infiltration.

L’éruption est habituellement non ou peu prurigineuse.

La fixité des lésions, leur chronicité sont des éléments distinctifs importants.

La stabilité ou l’amélioration sur une longue durée, l’évolution bénigne, sans apparition d’une pathologie lymphomateuse sont des éléments de confirmation rétrospective du diagnostic.

B – HISTOPATHOLOGIE

1- Histologie standard

Les lésions histologiques manquent de spécificité.

Elles associent un infiltrat inflammatoire dermique discret, superficiel, périvasculaire, un oedème des papilles dermiques, une spongiose et inconstamment des foyers de parakératose.

L’exocytose est habituellement absente ou très discrète.

L’infiltrat dermique est lymphohistiocytaire, avec de rares mastocytes.

Fait essentiel, cet infiltrat est dépourvu d’atypie cellulaire et ne forme ni disposition en bande, ni microabcès de Pautrier.

L’interprétation anatomopathologique ne peut souvent conclure qu’à un aspect compatible avec un parapsoriasis digitiforme.

2- Immunophénotypage de l’infiltrat lymphocytaire

Les lymphocytes T, cellules de Langerhans et macrophages composent l’essentiel de l’infiltrat.

Les cellules de l’infiltrat sont de phénotype CD2+, CD3+, CD5+, TCR bêta+ et en majorité CD4+, le ratio CD4/CD8 étant de 2 à 4.

Les immunomarquages sont négatifs pour les antigènes CD56, CD57 (Leu 19 et Leu 7) marqueurs des cellules natural killer (NK) et pour KI-67, marqueur de prolifération. Les lymphocytes B (CD20, CD22) sont peu représentés.

3- Étude de clonalité :

L’analyse des réarrangements du gène du TCR (récepteur des lymphocytes T pour l’antigène) a montré la possibilité de réarrangements clonaux, démontrant dans deux cas sur trois étudiés la présence d’une population monoclonale T.

C – ÉVOLUTION :

Le parapsoriasis digitiforme a une évolution bénigne.

L’évolution est cependant chronique et les guérisons sont rares, tardives, et plutôt de nature spontanée qu’attribuables à un traitement quelconque.

À long terme, la dermatose peut s’accentuer ou à l’inverse s’atténuer partiellement dans des proportions voisines.

Une amélioration des lésions sous l’influence des expositions solaires est parfois notée.

Pour la plupart des auteurs, le risque évolutif vers un lymphome est inexistant ou infime, cette donnée à elle seule justifiant l’intérêt d’individualiser cette affection.

Pour Burg, sur 84 cas suivis pendant 5 à 35 ans, il n’y a aucune démonstration de la transformation d’un parapsoriasis digitiforme typique en mycosis fongoïde ou en une autre forme de lymphome cutané à cellules T (deux cas rétrospectivement douteux avec composante poïkilodermique).

Lambert ne trouve aucun cas dans la littérature de progression d’un parapsoriasis digitiforme en un autre parapsoriasis, ni d’évolution vers un lymphome cutané T.

Pour Bonvalet, aucune évolution lymphomateuse parmi 40 cas. Des cas exceptionnels ont toutefois été rapportés.

D – DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL :

Le principal diagnostic différentiel concerne le mycosis fongoïde dont le stade initial peut avoir le masque d’un parapsoriasis.

Le parapsoriasis digitiforme cliniquement typique ne pose pas de problème diagnostique avec un mycosis fongoïde et la biopsie cutanée écarte facilement ce diagnostic en montrant l’absence de tout caractère agressif de l’infiltrat, d’épidermotropisme et d’atypies cellulaires significatives.

À l’inverse, des lésions non typiques doivent faire douter du diagnostic de parapsoriasis digitiforme et considérer avec attention la possibilité d’un mycosis fongoïde à son début, au stade d’érythème prémycosique.

Dans ce cas, il y a toutes les chances que l’histologie elle-même n’ait aucune spécificité.

La seule solution consiste à suivre l’évolution de près en répétant les biopsies, et en détectant les signes d’appel d’une évolution lymphomateuse : modification atrophique ou au contraire infiltration papuleuse des plaques, accentuation du caractère inflammatoire, prurit, adénopathie.

Des cas de diagnostic ambigu pendant plusieurs années sont rapportés.

Les autres diagnostics différentiels ne se posent guère qu’avec les eczématides dites « parapsoriasiformes », surtout lorsque les lésions sont peu nombreuses, discrètes, peu inflammatoires, mais les eczématides donnent des lésions moins nettement digitiformes, moins monomorphes, et distribuées plus irrégulièrement.

La nette délimitation plaide en faveur du parapsoriasis, et surtout la fixité des lésions, constatée souvent par le patient depuis plusieurs mois.

La médiocre sensibilité aux traitements locaux, y compris les dermocorticoïdes, et finalement la chronicité des plaques les différencient de simples eczématides.

Parapsoriasis en grandes plaques ou poïkilodermique :

A – CLINIQUE :

Le parapsoriasis poïkilodermique est formé de plaques de grande taille, d’une dizaine de centimètres ou davantage, arrondies ou de forme grossièrement quadrilatère, peu nombreuses, réparties préférentiellement sur le tronc et la racine des membres.

Elles n’occasionnent pas de prurit.

C’est leur caractère atrophique qui permet la meilleure discrimination avec le parapsoriasis digitiforme.

L’atrophie est superficielle, donnant aux plaques un aspect légèrement fripé, parfois un peu brillant.

La surface est parcourue de télangiectasies et souvent parsemée de petites élevures érythémateuses.

Enfin, une composante pigmentaire d’aspect réticulé, lorsqu’elle est présente, achève de caractériser la poïkilodermie.

Au maximum se trouve réalisée la forme dite « parakeratosis variegata » très rarement observée avec atteinte diffuse poïkilodermique en nappes atrophiques et papuleuses réticulées.

B – HISTOLOGIE :

L’aspect histologique n’est pas toujours spécifique, et il peut être superposable à celui du parapsoriasis digitiforme.

Toutefois, il existe habituellement des lésions plus caractéristiques, surtout dans les formes où l’atrophie épidermique est marquée.

Une image très caractéristique est la présence d’une exocytose de cellules lymphocytaires en « flammèches » ou en véritables thèques.

Dans le derme, on trouve un infiltrat lymphohistiocytaire en « bande » ou multifocal.

La présence d’atypies cellulaires plus ou moins marquées est source de difficultés habituelles avec le mycosis fongoïde, l’infiltrat pouvant être pratiquement superposable à celui du mycosis fongoïde stade 1.

La composante atrophique superficielle dermoépidermique et les télangiectasies permettent d’évoquer le parapsoriasis poïkilodermique.

C – ÉVOLUTION :

Le parapsoriasis poïkilodermique a une évolution chronique qui, dans la grande majorité des cas, reste bénigne pendant de longues années, voire indéfiniment.

D’un autre côté, l’évolution vers un état lymphomateux est une réalité dans un certain nombre de cas, sans pouvoir formuler de pronostic individuel précis d’une telle évolution, et des cas sont rapportés d’évolution lymphomateuse très tardive jusqu’à 30 ans après le début du parapsoriasis.

Dans le mycosis fongoïde, des débuts par des lésions à type de parapsoriasis poïkilodermique jusqu’à 40 ans plus tôt sont aussi rapportés.

Manifestement, les évolutions vers un mycosis fongoïde avéré ne concernent pas uniquement les formes atrophiques de parapsoriasis.

Cependant, l’évolution lymphomateuse paraît d’autant plus prévisible que le parapsoriasis affecte un aspect davantage poïkilodermique.

Le risque serait maximal dans la variété diffuse réticulée.

La progression vers un stade plus agressif de mycosis fongoïde est cependant loin d’être inéluctable, étant estimée de 10 à 15 % jusqu’à 45 à 50%.

À l’inverse, seulement 16 % des mycosis fongoïdes sont précédés de lésions de parapsoriasis poïkilodermique.

D – DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL :

Le parapsoriasis poïkilodermique pose surtout des difficultés avec le mycosis fongoïde débutant.

Le caractère asymptomatique et l’absence de prurit, l’absence de toute lésion infiltrée, et les éléments de la sémiologie poïkilodermique sont des arguments cliniques importants pour le diagnostic de parapsoriasis et contre un état lymphomateux avéré.

De même, sur le plan histologique, l’atrophie épidermique, la liquéfaction de la couche basale, une incontinence pigmentaire et des dilatations vasculaires (télangiectasies) permettent d’évoquer le parapsoriasis.

La difficulté vient de l’interprétation des atypies cellulaires et de l’épidermotropisme car il n’y a pas de limite nette dans le degré d’atypies qui permette de séparer les deux affections, de même que la densité de l’infiltrat n’est pas un critère formel de distinction.

Cette difficulté même de la discrimination histopathologique entre parapsoriasis poïkilodermique et mycosis fongoïde et la possibilité d’évolution tumorale à partir du parapsoriasis poïkilodermique plaident pour l’assimilation du parapsoriasis poïkilodermique au mycosis fongoïde de stade 1.

Discussion nosologique :

La discussion nosologique entre le parapsoriasis poïkilodermique et le mycosis fongoïde stade 1 est reprise ailleurs dans l’ouvrage.

La discussion nosologique se limite ici à celle de l’identité anatomoclinique et évolutive du parapsoriasis digitiforme.

D’un côté, les cliniciens s’accordent sur la réalité de la « dermatose de Brocq » validée par l’expérience de sa fidèle reproduction d’un cas à l’autre à travers plus d’un siècle de descriptions.

D’un autre côté, les données histopathologiques montrent un type d’infiltrat lymphocytaire commun aux différents parapsoriasis et au mycosis fongoïde sur le plan du phénotype, et jusqu’à l’existence de population T monoclonale, démontrable, avec une fréquence variable, dans les parapsoriasis et le mycosis fongoïde.

Ces similitudes sont en faveur d’une conception uniciste des infiltrats lymphocytaires épidermotropes.

Faut-il pour autant assimiler les parapsoriasis les uns aux autres et au mycosis fongoïde ?

Certains n’hésitent pas à considérer le parapsoriasis digitiforme comme partie intégrante du mycosis fongoïde sur l’argument de l’analogie histopathologique avec ses formes débutantes (érythèmes « pré- » mycosiques), de fait indifférenciables sous le microscope.

Toutefois, les éléments d’ordre évolutif issus de l’expérience clinique et des grandes séries sont bien en faveur de la bénignité du pronostic du parapsoriasis digitiforme.

De fait, la plupart des auteurs considèrent le parapsoriasis digitiforme comme tout à fait différent du mycosis fongoïde, sans jamais d’évolution lymphomateuse avérée, sinon de façon exceptionnelle.

Malgré tout, certains parlent de « lymphome abortif » pour concilier l’évolution chronique bénigne du parapsoriasis digitiforme avec des données microscopiques superposables au mycosis fongoïde débutant.

La mise en évidence, inconstante, d’une population lymphocytaire à caractère clonal dans le parapsoriasis digitiforme est une donnée insuffisante pour trancher en faveur du caractère lymphomateux de l’infiltrat, tout comme son absence de détection ne permet pas d’exclure une telle évolution ultérieure.

Pour le moment, il manque des paramètres biologiques de la chronicité, de la régression ou au contraire de la progression tumorale et invasive.

Le meilleur critère prédictif reste clinique, à la base de la distinction des deux types de parapsoriasis et du mycosis fongoïde lorsque les lésions sont suffisamment caractéristiques.

La discussion nosologique reste ouverte sur la séparation en entités distinctes ou sur un continuum pathologique du parapsoriasis digitiforme, du parapsoriasis poïkilodermique et du mycosis fongoïde.

Traitement :

Le traitement des parapsoriasis en plaques n’a pas progressé au cours des 2 dernières décennies.

Dans le parapsoriasis digitiforme, la discrétion habituelle des lésions et du prurit ainsi que la quiescence évolutive incitent à la modération thérapeutique, d’autant que les traitements n’ont qu’un impact limité.

L’abstention thérapeutique peut se justifier en conseillant des produits d’hygiène cutanée non irritants et des crèmes émollientes vis-à-vis de la composante desquamative.

Les dermocorticoïdes méritent d’être essayés pendant quelques semaines ou davantage s’ils s’avèrent efficaces.

La photothérapie ultraviolette (UV) par PUVA ou UVBthérapie (UVB TL-01) peut être utilisée avec un succès transitoire.

La chimiothérapie locale par chlorméthine (Caryolysinet) ou carmustine (Bicnut) ne paraît pas indiquée.

Les traitements utilisés dans le parapsoriasis poïkilodermique se rapprochent davantage de ceux utilisés pour le mycosis fongoïde de stade 1.

La motivation à traiter est d’autant plus forte qu’on considère l’évolution lymphomateuse ultérieure comme un risque élevé, et donc surtout dans le cas des formes à composante atrophique marquée.

Les dermocorticoïdes sont peu efficaces et leur utilisation est limitée du fait de la composante atrophique de la dermatose.

La PUVAthérapie est habituellement très efficace dans le parapsoriasis poïkilodermique, même dans des cas d’aspect histologique proche du mycosis fongoïde.

La balnéoPUVAthérapie s’est montrée efficace aussi.

La chlorméthine (Caryolysinet) et la carmustine (Bicnut), utilisées de façon topique comme dans le mycosis fongoïde, sont efficaces.

Les applications sont quotidiennes sur la totalité du corps d’une solution dosée à 10 mg/60 mL.

L’utilisation de carmustine est possible aussi par préparation magistrale dans de la vaseline à 0,4 % (100 mg de Bicnut dissous dans 3 mL d’alcool absolu, incorporés à 25 g de vaseline).

Le risque de myélosuppression est réduit en utilisant moins de 600 mg de carmustine par période de traitement et sans dépasser 100 mg par semaine.

Les réactions cutanées sont un érythème, fréquent après 4 semaines de traitement, les plis de flexion étant particulièrement sensibles. Une hyperpigmentation secondaire est fréquente et des télangiectasies peuvent se voir.

Une réaction d’hypersensibilité de contact, observée plus souvent avec la chlorméthine qu’avec la carmustine, est dans la pratique la principale limite de ces traitements.

Les patients atteints de parapsoriasis en plaques doivent tous faire l’objet d’une surveillance régulière, adaptée selon les cas et particulièrement requise dans le cas de parapsoriasis poïkilodermique.

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