Paragangliomes tympaniques et jugulaires (Suite)

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Première partie

Classification :

Au terme du bilan clinique et radiologique, il est indispensable de classer le paragangliome.

La classification la plus fréquemment utilisée est celle de Fisch :

Paragangliomes tympaniques et jugulaires (Suite)– type A : tumeur localisée à la cavité tympanique ;

– type B : tumeur localisée à l’hypotympan, pouvant s’étendre aux cellules mastoïdiennes et au compartiment infralabyrinthique ;

– type C : tumeur jugulaire, distinguée en quatre sous-types selon son degré d’extension antérieure, carotidienne et pétreuse :

– C1 : invasion des berges osseuses du foramen jugulaire et du foramen carotidien ;

– C2 : invasion de la portion verticale de la carotide intrapétreuse jusqu’à son genou ;

– C3 : invasion des portions verticale et horizontale de la carotide interne ;

– C4 : invasion de toute la carotide interne intrapétreuse, du foramen lacerum, éventuellement du sinus caverneux ;

– type D : tumeur jugulaire avec extension intracrânienne et sousdivisée en fonction de son envahissement en :

– extradurale (De) : De1 inférieure à 2 cm et De2 supérieure à 2 cm ;

– intradurale (Di) : Di1 inférieure à 2 cm, Di2 supérieure à 2 cm et Di3, tumeur inopérable.

À noter qu’un paragangliome à extension pétreuse et intracrânienne peut être classé C et D.

Traitement :

Le traitement des paragangliomes tympanojugulaires fait appel soit à la chirurgie, le plus souvent précédée d’une embolisation, soit à la radiothérapie externe.

Le choix entre ces deux options dépend de nombreux facteurs : caractéristiques de la tumeur, du patient, expérience personnelle du chirurgien et iatrogénie respective des deux types de traitement.

Des alternatives thérapeutiques moins invalidantes sont actuellement en cours d’évaluation.

A – CHIRURGIE :

L’exérèse chirurgicale des paragangliomes tympaniques et jugulaires, même facilitée par une embolisation préalable, reste l’un des actes les plus complexes de l’oto-neuro-chirurgie.

Ceci s’explique par la situation profonde des structures à atteindre, par la nature très vascularisée de la tumeur et par les liens étroits qu’elle contracte avec certains éléments neurovasculaires.

Elle impose donc une parfaite maîtrise de l’anatomie de la base du crâne et un environnement multidisciplinaire, ce qui, en pratique, la réserve aux centres spécialisés.

Cette chirurgie pose toutefois des problèmes techniques de difficultés éminemment variables selon qu’il s’agit d’une forme tympanique ou jugulaire.

1- Paragangliomes tympaniques (type A) :

La chirurgie est effectuée sans embolisation préalable.

La voie d’abord est indifféremment endaurale ou rétroauriculaire. Une fois l’annulus désinséré et le tympan récliné, la tumeur est exposée et doucement décollée des parois osseuses du mésotympanum et de la chaîne ossiculaire à l’aide de boulettes de coton.

Elle est extirpée selon sa taille, soit en un seul bloc, soit par morcellement.

L’utilisation d’une fine pince bipolaire facilite l’hémostase et la manipulation de la tumeur.

Les suites sont habituellement très simples.

Quatre problèmes doivent toutefois être soulignés.

– Le contrôle de l’hémorragie nécessite celui des pédicules vasculaires :

– dans tous les cas, il existe un pédicule inférieur, satellite du nerf de Jacobson ; il est coagulé à la pince bipolaire fine ou à l’aide d’une fraise diamantée, à la partie inférieure du mésotympanum ;

– plus rarement existe un autre pédicule supérieur, issu d’une branche de la méningée moyenne émergeant dans le mésotympanum juste au-dessous du bec de cuiller ; son contrôle, plus délicat, est effectué à la pince bipolaire, au crochet coagulant ou à l’aide de Surgicelt mêlé de cire de Horsley, prudemment introduit sous le manche du marteau ;

– exceptionnellement, un troisième pédicule est en position postéroinférieure, provenant de l’artère stylomastoïdienne.

– L’exposition de l’hypotympanum est essentielle pour le contrôle du pôle inférieur de la tumeur ; elle peut être facilitée par l’alésage du conduit externe osseux, voire de l’annulus osseux.

En revanche, cet élargissement pose, en fin d’intervention, des problèmes d’adéquation avec le lambeau tympanoméatal, qu’il faut fendre pour en permettre la réapplication.

– La fine lamelle osseuse qui constitue le plancher de l’hypotympanum et qui sépare l’oreille moyenne du foramen jugulaire est parfois amincie ou lysée par une tumeur à extension inférieure.

Il convient donc d’être prudent dans cette région car une hémorragie veineuse massive par effraction du golfe jugulaire peut parfois survenir.

Elle est (difficilement) contrôlée par un tamponnement au Surgicelt.

– Une fois la tumeur macroscopiquement extraite, il faut toujours soigneusement vérifier l’intégrité des cellules de l’hypotympanum et surtout de la traînée antélimacéenne.

Le mode d’extension

Haversienne des paragangliomes explique en effet que, à leur niveau, soit parfois constatée la présence de minimes bourgeons tumoraux ne se manifestant souvent que par un aspect de muqueuse épaissie et hémorragique.

Il est donc impératif d’ouvrir de principe ces traînées osseuses pour s’assurer de leur normalité.

2- Paragangliomes tympanomastoïdiens (type B) :

Une embolisation préalable est utile.

La voie d’abord est là encore endaurale ou rétroauriculaire. L’extension tumorale guide le geste d’exérèse, qui peut conduire à fraiser le massif facial, les traînées osseuses sous-faciales ou le compartiment infralabyrinthique.

L’intervention peut donc aller jusqu’à la réalisation d’un classique évidement pétromastoïdien.

Le point chirurgical essentiel qui distingue ce type d’intervention de celui décrit pour les stades C est la préservation du plancher osseux du conduit auditif externe et donc celle de l’oreille moyenne.

En d’autres termes, le golfe jugulaire et la région cervicale ne sont pas abordés et l’oreille moyenne ne doit pas être exclue.

3- Paragangliomes jugulaires, jugulotympaniques et jugulopétreux (type C) :

Les problèmes techniques soulevés par ce type de lésion sont complexes.

Il faut, par une voie d’abord adaptée, contrôler le foramen jugulaire, point de départ de la tumeur, puis s’étendre en fonction du degré de son extension soit vers le rocher, soit vers la région cervicale, soit vers la fosse postérieure.

Nous envisagerons ici schématiquement les principales difficultés rencontrées.

* Voie d’abord :

En raison de sa situation profonde, basicrânienne, le foramen jugulaire nécessite une approche à la fois cervicale et auriculaire.

Le premier temps expose et contrôle les principaux éléments vasculonerveux du cou.

Le deuxième temps consiste dans le repérage du tronc du nerf facial dans la loge parotidienne, ce qui fournit un repère de niveau utile.

Le troisième temps est otologique.

L’incision cervicale est poursuivie en rétroauriculaire.

* Foramen jugulaire :

Son degré d’exposition varie :

– en cas de tumeur limitée au foramen et à extension postérieure, interne vers le compartiment infralabyrinthique, ou haute mais limitée vers l’hypotympanum, un abord postérieur transmastoïdien, avec exérèse des cellules sous- et/ou sus-faciales, et souslabyrinthiques, est possible tout en conservant le conduit auditif osseux ; la voie juxtacondylaire décrite par George et al facilite l’approche postéro-inférieure ; elle consiste notamment à réséquer l’apophyse transverse de l’atlas ;

– en cas d’extension antérieure et/ou latérale, il devient indispensable de sacrifier le tympanal, ce qui implique l’exclusion de l’oreille moyenne car la cavité opératoire alors constituée, éventuellement agrandie par un abord cervical complémentaire, devient trop vaste pour se drainer et pouvoir être contrôlée par le seul conduit auditif externe cutané ; ce temps représente l’un des points-clés de la voie infratemporale.

* Nerf facial :

Un autre problème est celui du VII.

Sa situation barre l’accès latéral au foramen jugulaire.

Deux types de techniques peuvent être décrits selon que ce nerf est ou non mobilisé.

+ Techniques ne mobilisant pas le nerf facial :

Le type en est la voie rétrofaciale et transjugulaire décrite par Jackson et al.

Schématiquement, l’incision est celle d’une parotidectomie avec refend mastoïdien ; le temps cervical identifie les nerfs crâniens VII, IX, X, XI, XII, les artères carotides et la veine jugulaire interne.

Cette technique permet de laisser le nerf facial dans son canal.

Le conduit externe et les structures de l’oreille moyenne sont conservés ou reconstruits, sauf en cas d’envahissement intracrânien imposant l’exclusion de l’oreille moyenne.

+ Techniques mobilisant le nerf facial :

La mobilisation du nerf facial, recommandée par de nombreux auteurs, est l’un des temps essentiels de la voie infratemporale codifiée par Fisch en 1978 et aujourd’hui considérée comme la technique de référence.

Les temps principaux en sont les suivants : approche combinée cervico-auriculaire ; transsection du conduit auditif externe ; identification cervicale des éléments vasculonerveux puis du tronc du nerf facial dans la loge parotidienne ; abaissement du massif facial ; mastoïdectomie radicale ; sacrifice tympano-ossiculaire et du conduit auditif externe ; découverte des portions tympanique et mastoïdienne du nerf facial transposé vers l’avant dans la glande parotide ; squelettisation de la carotide interne intrapétreuse en fonction de son envahissement ; fraisage de toutes les traînées cellulaires labyrinthiques.

Une fois la tumeur extirpée, la cavité opératoire est comblée par de la graisse abdominale et l’oreille exclue par suture du conduit auditif externe.

Cette technique chirurgicale, en déplaçant antérieurement le nerf facial, facilite incontestablement l’abord des structures basicrâniennes et donc l’exérèse tumorale.

Elle conduit à d’excellents résultats oncologiques tout en limitant, selon son auteur, les complications et séquelles neurologiques.

Toutefois, il semble possible, sinon recommandé, d’effectuer les principaux temps de la voie infratemporale sans déroutation du nerf facial.

* Artère carotide interne :

Son contrôle intrapétreux nécessite d’abaisser la paroi osseuse antérieure du conduit auditif externe, de récliner le condyle mandibulaire, voire de fraiser la racine du zygoma.

En cas de rocher peu pneumatisé, l’espace cellulaire intercochléocarotidien est parfois très peu développé et l’exposition de la face interne de l’artère carotide interne nécessite parfois le sacrifice de la cochlée.

La dissection adventicielle amorcée dans la région cervicale haute peut ainsi être poursuivie le long des portions verticale et horizontale.

Une hémorragie est fréquemment notée en regard du coude par blessure, non de l’axe artériel principal mais de sa branche carotidotubaire, dont le contrôle par simple tamponnement est habituellement suffisant.

* Cochlée :

Son sacrifice est nécessaire dans trois conditions :

– lorsqu’elle est envahie ;

– lorsqu’elle « s’assoit » sur le dôme du golfe jugulaire dont elle interdit le contrôle ;

– lorsque, en cas de rocher très éburné, elle vient au contact de l’axe carotidien et interdit l’accès à l’apex pétreux.

* Foramen lacerum et sinus caverneux :

Leur abord n’est nécessaire que pour les très rares paragangliomes de type C4.

Il réalise les voies infratemporales de type B et C.

La complexité du geste et la lourdeur des suites soulèvent le problème de la justification du geste chirurgical.

* Extension inférieure cervicale :

Elle pose des problèmes différents selon qu’elle se fait en endoluminale dans la jugulaire interne ou à partir du compartiment antérieur, nerveux, du foramen jugulaire.

Dans le premier cas, l’extension est aisément contrôlée par la ligature de la veine jugulaire.

L’invasion s’effectue sans envahissement de la paroi à la façon d’un thrombus et le bourgeon tumoral est extrait sans difficultés.

Dans le second cas, l’infiltration tumorale suit la gaine des nerfs mixtes qui apparaissent soufflés et pose le problème différentiel d’un paragangliome vagal associé. L’exérèse est constamment grevée de séquelles neurologiques, d’autant plus mal acceptées que l’envahissement des nerfs considérés n’a pas toujours d’expression clinique préopératoire.

4- Paragangliomes à extension intracrânienne (type D) :

Une notion importante doit être soulignée : en aucun cas un abord neurochirurgical isolé, par voie sous-occipitale ou rétrosigmoïde élargie, ne permet le contrôle satisfaisant du foramen jugulaire.

Ainsi, le traitement chirurgical d’un paragangliome né du foramen jugulaire et secondairement étendu à la fosse postérieure ne peut-il se concevoir sans abord otologique complémentaire, concomitant ou dissocié.

C’est d’ailleurs l’un des mérites de la voie infratemporale que d’avoir permis et codifié l’approche combinée de ce type de paragangliomes.

Vis-à-vis de la tumeur, deux situations doivent être distinguées selon que la dure-mère de la fosse postérieure est ou non franchie, ce que le bilan radiologique permet en règle de prévoir.

En cas de simple infiltration (type De), il est habituellement possible de cliver le paragangliome du plan dural.

Une coagulation à la boule de la méninge complète l’exérèse tumorale.

En cas de franchissement (type Di), en revanche, l’ouverture et la résection de la zone dure-mérienne tumorale deviennent indispensables, avec tous les risques et difficultés liés à l’ouverture de la fosse postérieure.

Pour ces raisons, il semble préférable de conduire ce type d’exérèse en deux temps : un premier temps cervicoauriculaire, suivi quelques semaines plus tard du temps neurochirurgical.

Ceci semble, en effet, limiter les complications liées à la fuite de liquide céphalorachidien par la brèche durale dans la région cervicale grâce à l’étanchéité fibreuse du premier lit opératoire.

5- Complications de la chirurgie :

Les vastes exérèses qu’autorisent aujourd’hui les progrès de la microchirurgie s’accompagnent d’un taux non négligeable de complications péri- et postopératoires.

Ces complications sont liées essentiellement à la proximité des structures nerveuses et vasculaires, parfois envahies infracliniquement avant l’intervention, et pouvant être lésées accidentellement ou à dessein, l’exérèse complète de la tumeur imposant leur sacrifice.

Quelques séries de la littérature confirment cette iatrogénie. Peuvent ainsi être observées :

– une atteinte des nerfs mixtes (23 % en postopératoire dans notre série récente), avec dysphonie, troubles de la déglutition avec fausses-routes, paralysie vélopharyngée avec reflux nasal des aliments et rhinolalie, diminution de la sécrétion salivaire parotidienne, atteinte de la motricité de l’épaule ; ces troubles peuvent secondairement se compliquer de pneumopathies ou de dénutrition pouvant mettre en jeu le pronostic vital ; leur prise en charge peut nécessiter rééducation vocale ou de la déglutition, laryngoplastie de médialisation, vélopharyngoplastie, trachéotomie, gastrostomie etc ;

– une atteinte du XII avec mobilité linguale altérée ;

– une atteinte du sympathique cervical réalisant le classique syndrome de Claude Bernard-Horner ; une autre complication plus rare, appelée first bite syndrome (ou syndrome de la première mastication) par dénervation des récepteurs sympathiques des cellules myoépithéliales de la glande a été décrite ; elle se traduit par une violente douleur de la région parotidienne à type de crampe ou de décharge électrique survenant en début de repas ; elle est en règle transitoire, mais peut être améliorée par la carbamazépine (Tégrétolt).

Mais la plus sévère des atteintes nerveuses postopératoires est la paralysie faciale, aux conséquences esthétiques toujours importantes pour le patient, souvent minimisées par le chirurgien mais difficilement acceptables pour une tumeur bénigne.

Son mécanisme de nature ischémique relève essentiellement de la mobilisation du nerf recommandée dans la technique de l’approche infratemporale décrite par Fisch, avec la dévascularisation qui en résulte.

Il est certain que cette mobilisation facilite l’exérèse tumorale, au prix, selon son auteur, d’un certain risque de parésie faciale.

Il apparaît en réalité que l’incidence d’une paralysie faciale sévère est fréquente : 33 % de paralysie grade III/IV à 1 an de l’opération dans notre série, chiffre en accord avec les 27 % colligés par Selesnick et al dans leur revue de la littérature.

Cette iatrogénie est indirectement attestée par les innombrables articles rapportant les détails techniques permettant d’en limiter la survenue : mobilisation limitée à la seule portion tympanique en bloc avec le tissu conjonctif de l’entonnoir stylomastoïdien ou le ventre postérieur du muscle digastrique, repositionnée en fin d’intervention etc.

Toutefois, malgré ces raffinements, la mobilisation du nerf facial induit un risque non négligeable de paralysie.

C’est pourquoi, avec Pensak et Jackler, nous recommandons de ne pas mobiliser le nerf intrapétreux au cours de la voie infratemporale.

Les complications vasculaires par lésion de la carotide interne ou de la vertébrale, à type d’hémiplégies ou d’infarctus cérébelleux, sont heureusement très rares mais gravissimes.

Elles doivent être prévenues par un bilan et un contrôle angiographique préopératoires très soigneux et par une exposition parfaite des axes artériels.

Des fuites de liquide céphalorachidien sont également observées après résection intracrânienne du paragangliome.

Quant à la surdité, elle constitue une conséquence pratiquement inévitable de l’exérèse des paragangliomes jugulotympaniques, impliquant un sacrifice des structures osseuses de l’oreille moyenne et, dans certains cas, celui de la cochlée.

La réalité et la sévérité de ces complications doivent toujours rester présentes à l’esprit du chirurgien lorsqu’il en vient à poser l’indication thérapeutique.

Il faut notamment insister sur la fréquente dissociation anatomoclinique, c’est-à-dire sur la discordance entre un examen neurologique préopératoire normal et la constatation macroscopique peropératoire d’un envahissement du nerf.

B – EMBOLISATION :

L’embolisation des branches de l’artère carotide externe et parfois de la carotide interne diminue considérablement le saignement peropératoire.

Son efficacité avérée en fait depuis longtemps une partie intégrante de la plupart des protocoles chirurgicaux. Son indication et sa technique sont fonction du type du paragangliome et de sa vascularisation.

1- Difficultés techniques :

En pratique, la procédure est réalisée sous neuroleptanalgésie ou sous anesthésie générale.

La voie fémorale est la voie d’abord artérielle quasi exclusive, car elle évite les complications liées à la ponction directe carotidienne : mobilisation de plaques athéromateuses, hématome, dissection etc.

Les branches de la carotide externe, qui participe de façon constante à la vascularisation tumorale, sont embolisées à l’aide de particules calibrées de 500 à 900 µm (Embosphèrest) puis de fragments de Curaspont.

Les afférences issues de l’artère vertébrale ne sont habituellement pas embolisées.

En effet, ses branches cervicales peuvent être aisément contrôlées chirurgicalement ; quant à ses branches intracrâniennes, elles sont courtes, ce qui expose au risque de reflux des particules d’embolisation vers le tronc basilaire.

En cas de vascularisation tumorale par la carotide interne, trois situations se présentent :

– si sa participation est modeste, aucune embolisation n’est effectuée car le contrôle chirurgical des pédicules carotidotympanique ou sphénocaverneux est possible ;

– si sa participation est importante, une embolisation hypersélective peut être effectuée à la condition que la taille des pédicules autorise leur cathétérisme ;

– si sa participation est massive, l’exclusion de l’artère est effectuée à l’aide de coils qui présentent sur les ballonnets l’avantage de ne pas migrer.

Cette exclusion ne peut être entreprise qu’après un test de clampage satisfaisant.

Celui-ci est mené sous neuroleptanalgésie avec abord bifémoral permettant l’introduction d’un cathéter à ballonnet du côté tumoral et d’un cathéter à injection du côté opposé.

Les critères de tolérance au clampage sont doubles :

– clinique : absence d’apparition de signes neurologiques déficitaires durant les 30 minutes qui suivent l’occlusion artérielle ;

– angiographiques : opacification de l’artère communicante antérieure par la carotide interne controlatérale d’une part et de l’artère communicante postérieure par l’artère vertébrale controlatérale d’autre part, et surtout qualité du retour veineux, qui doit être symétrique et rapide ; en cas de doute, le test peut être sensibilisé par une hypotension abaissant de deux points la valeur tensionnelle systolique.

Une dernière et récente modalité technique est représentée par l’embolisation in situ.

Cette technique consiste à injecter directement au sein de la tumeur un produit sclérosant associant cyanoacylate et lipiodol.

En raison de sa difficulté et des complications possibles, ses indications sont réservées aux paragangliomes récidivés après chirurgie, où l’artère carotide externe a déjà été liée.

2- Complications de l’embolisation :

L’angiographie interventionnelle a donc sans conteste transformé l’approche thérapeutique des paragangliomes.

Mais son remarquable essor s’est accompagné d’une iatrogénie significative.

Les accidents de l’embolisation ne sont pas spécifiques des paragangliomes, mais tiennent à l’origine de leur vascularisation.

Leur fréquence est diversement appréciée dans la littérature, allant de deux cas sur 97, soit 2 % pour Picard, à un cas sur 16, soit 6 % pour Manelfe et al.

Dans notre série personnelle de 72 paragangliomes tympanojugulaires, cinq d’entre eux, soit 7 %, présentèrent des complications neurologiques sévères à type d’hémiplégie avec aphasie, dont deux récupérèrent totalement, deux partiellement et l’un conserva une hémiplégie massive dont il décéda 18 mois plus tard.

Le mécanisme de ces accidents est multiple : migration du ballonnet d’occlusion, spontanée ou secondaire à la manipulation chirurgicale de l’axe artériel ; décollement de plaques d’athérome lors du cathétérisme carotidien ; spasmes artériels favorisant le reflux de microparticules dans les artères à destinée cérébrale ; ouverture d’anastomoses entre les systèmes carotidiens externe et interne.

Ailleurs, les accidents sont secondaires à une ischémie des nerfs crâniens ou à une nécrose tumorale extensive.

Il faut donc insister sur certaines précautions indispensables :

– embolisation à flux libre, le cathéter n’obstruant pas la totalité de la lumière artérielle, ceci afin d’éviter l’ouverture des anastomoses entre les systèmes carotidiens externe et interne ;

– test de clampage sensibilisé au moindre doute par l’épreuve d’hypotension ;

– utilisation de coils et non de ballonnets en cas d’exclusion de l’artère carotide interne ;

– prudence extrême dans la conduite d’une embolisation in situ en raison de la toxicité du produit sclérosant utilisé ;

– indications soigneusement posées par une équipe expérimentée sachant mettre en balance le bénéfice escompté et le risque encouru ; ainsi est-il aujourd’hui admis l’inutilité d’emboliser les petits paragangliomes purement tympaniques de type A.

C – RADIOTHÉRAPIE :

Initialement proposée comme traitement exclusif des paragangliomes en raison de leur caractère hémorragique, un moment détrônée par le développement des techniques chirurgicales et angiographiques, la radiothérapie connaît depuis quelques années un regain d’intérêt.

Ceci paraît lié d’une part à la publication de ses résultats à long terme, et d’autre part à la prise de conscience des limites et complications de la chirurgie et de l’embolisation.

De nombreux arguments militent en sa faveur : stabilisations tumorales de longue durée ; faible fréquence des récidives ; préservation anatomique et fonctionnelle des structures vasculonerveuses ; amélioration non exceptionnelle d’atteintes neurologiques.

À tous ces titres, la radiothérapie représente une indiscutable alternative à la chirurgie d’exérèse.

La dose administrée recommandée est de 45 Gy en 25 séances.

Le contrôle local est obtenu dans plus de 90 % pour des suivis supérieurs à 5 ans.

Ses indications semblent pouvoir être ainsi schématisées :

– paragangliomes bilatéraux ou inopérables en raison d’une extension très importante ou de contre-indications générales ;

– récidives survenant rapidement après une exérèse apparemment satisfaisante ;

– patients âgés de plus de 55 à 60 ans ne présentant aucun déficit neurologique ;

– refus opératoire. Récemment, la radiochirurgie stéréotaxique a été proposée, avec un contrôle tumoral et une amélioration clinique.

Complications de la radiothérapie :

Certaines complications postradiques ont été rapportées.

Elles sont en règle modérées, à type de radiomucite, d’érythème cutané, d’otite séromuqueuse ou d’alopécie transitoire.

Les ostéoradionécroses temporales et les labyrinthites sont aujourd’hui prévenues par une dosimétrie plus faible et mieux centrée.

Dans notre expérience, la complication la plus sérieuse fut la survenue plusieurs années plus tard d’une radiosténose carotidienne compliquée d’hémiplégie partiellement régressive, observée dans un cas de localisation carotidienne associée au paragangliome jugulaire.

Quant au risque d’induction de tumeurs malignes, il semble devenu nul avec l’abaissement des doses en dessous de 45 Gy.

D – ALTERNATIVE THÉRAPEUTIQUE :

La lourdeur du geste chirurgical et sa iatrogénie significative, la décision toujours difficile d’une irradiation externe incitent pour cette tumeur bénigne à chercher des solutions thérapeutiques alternatives moins invalidantes.

C’est pourquoi certains auteurs ont mis à profit certaines des caractéristiques des paragangliomes, et en particulier leur capacité à fixer la MIBG ou l’octréotide, à des fins thérapeutiques.

1- Radiothérapie métabolique par la 131I-méta-iodobenzylguanidine :

La substitution de l’iode 123, émetteur gamma, par l’iode 131, émetteur bêta, sur la molécule de MIBG permet une radiothérapie métabolique sans modifier les propriétés de captation de la molécule originelle.

Certains ont utilisé ce traitement dans les paragangliomes malins, en particulier métastasés, et obtenu des stabilisations, voire des régressions partielles ou complètes de certaines localisations.

2- Traitement par analogue de la somatostatine (octréotide) :

L’octréotide est un octapeptide de synthèse qui présente une séquence tétrapeptidique active, permettant sa liaison à certains sous-types de récepteurs cellulaires spécifiques de la somatostatine native, dont elle partage les propriétés naturelles.

En revanche, son action est plus longue et plus intense, autorisant ainsi son utilisation thérapeutique.

Son effet antisécrétoire a ainsi largement été exploité depuis 1980 dans le traitement de certaines pathologies tumorales, tant hypophysaires que gastro-entéro-pancréatiques, pour lesquelles une autorisation de mise sur le marché a été accordée. Des études in vitro ont montré un effet de l’octréotide sur la croissance de certaines lignées cellulaires.

Les mécanismes d’action semblent multifactoriels : inhibition de facteurs de croissance tels l’epidermal growth factor ou l’insulin-like growth factor 1, effets sur les parois des vaisseaux péritumoraux, conduisant à une inhibition de l’angiogenèse, mais également effet antiprolifératif direct ou induction de l’apoptose.

Des travaux chez l’homme ont confirmé ces résultats.

À l’instar d’autres équipes, nous avons montré des réductions tumorales dans les adénomes hypophysaires allant de 20 à 100 %.

Cet effet sur la croissance tumorale a également été rapporté dans les tumeurs gastro-entéro-pancréatiques.

Dans la maladie paraganglionnaire, cette action antitumorale a été retrouvée par quelques auteurs, avec des réductions tumorales allant jusqu’à 50 %.

Ces résultats préliminaires doivent être confortés par des études portant sur un plus grand nombre de patients.

Indications thérapeutiques :

Il n’est pas aisé de les schématiser, tant celles-ci doivent prendre en compte de nombreux facteurs tenant à la tumeur, au patient et à l’environnement médicochirurgical.

Dans tous les cas, une notion doit rester constamment présente à l’esprit : dans l’immense majorité des cas, le paragangliome est une tumeur bénigne ne menaçant qu’exceptionnellement le pronostic vital.

Le traitement doit donc améliorer ou guérir les symptômes existants sans induire d’iatrogénie significative.

Ce n’est donc qu’à titre indicatif et en reconnaissant les limitations de l’exercice que nous proposons les indications suivantes.

A – EMBOLISATION PRÉOPÉRATOIRE :

Les paragangliomes de type A ne sont, en règle, pas embolisés car les risques de complications, toujours possibles, semblent supérieurs au bénéfice que le chirurgien peut attendre de la dévascularisation tumorale.

Les paragangliomes de type B, C et D doivent l’être systématiquement si une chirurgie d’exérèse est prévue. L’embolisation doit intervenir dans les 48 à 72 heures qui précèdent le geste chirurgical.

Ce délai est indispensable pour s’assurer qu’elle n’a pas induit de complications neurologiques.

À l’inverse, il ne doit pas excéder cette durée, faute de quoi le bénéfice de l’embolisation s’estompe et une néovascularisation développée aux dépens du système carotidien interne ou vertébral risque de se développer, compliquant le contrôle chirurgical du saignement.

Le test de clampage doit être systématiquement effectué dès lors que la tumeur s’étend vers l’apex pétreux, circonscrit l’axe carotidien interne (types C2, 3 ou 4) et se situe du côté gauche.

Les données de l’angio-IRM ou de l’artériographie permettent de préciser l’état des parois artérielles et leur degré d’infiltration.

En cas de sacrifice chirurgical prévisible, l’exclusion artérielle est effectuée à l’aide de coils si le test est bien toléré.

L’embolisation in situ n’est utilisée qu’en cas de tumeurs récidivées et d’inaccessibilité par l’axe artériel carotidien externe préalablement exclu.

Dans tous les cas, les gestes de neuroradiologie interventionnelle doivent être réservés à une équipe entraînée et entretenant avec l’équipe chirurgicale des relations de parfaite loyauté.

B – CHIRURGIE :

Elle semble l’indication de choix dans les paragangliomes de type A et B, et ce quel que soit l’âge du patient.

Dans les types C et D, la décision mérite d’être prise si un ou plusieurs des paramètres suivants sont présents :

– âge inférieur à 50 ans ;

– unilatéralité lésionnelle, même multicentrique ;

– existence de déficits neurologiques ;

– environnement neurochirurgical, neuroradiologique et vasculaire ;

– envahissement intracrânien (qui ne peut être irradié sans danger).

Une fois décidée, la chirurgie doit tenter de réaliser une exérèse complète au prix d’une morbidité minimale.

Si les principales étapes de la voie infratemporale décrite par Fisch constituent le canevas technique, semble-t-il, le plus approprié, la mobilisation du nerf facial qu’elles comportent doit être discutée à la lumière de l’incidence non négligeable de paralysie faciale qui risque d’en résulter, même entre les meilleures mains, et du retentissement majeur qu’elle induit sur le schéma psychocorporel du patient.

Une exérèse quasi totale préservant au mieux la fonction des paires crâniennes est souvent préférable à une exérèse complète obtenue au prix de lourdes séquelles esthétiques et neurologiques.

C – RADIOTHÉRAPIE :

Elle constitue une alternative incontournable si un ou plusieurs des paramètres suivants sont présents :

– âge supérieur à 55 ans ;

– absence d’atteintes neurologiques ;

– bilatéralité lésionnelle ;

– inextirpabilité tumorale (envahissement carotidien interne avec test de clampage mal toléré) ;

– refus de la chirurgie et des transfusions sanguines ;

– contre-indications chirurgicales d’ordre général ;

– récidives après chirurgie extensive.

Dans tous les cas, la radiothérapie doit faire l’objet d’une surveillance prolongée.

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