Paragangliomes latérocervicaux (Suite)

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Première partie

2- Formes malignes :

* Malignité locale :

Les paragangliomes ont une croissance lente mais inexorable avec destruction progressive des structures anatomiques adjacentes.

Cette malignité locale bien réelle justifie les risques chirurgicaux pris pour permettre une exérèse tumorale totale et incite à ne pas trop attendre avant de poser l’indication opératoire pour une tumeur qui le plus souvent évolue déjà depuis de nombreuses années.

Paragangliomes latérocervicaux (Suite)* Malignité à distance :

La malignité des tumeurs paraganglionnaires ne peut être affirmée sur des critères histologiques. Seule l’apparition de métastases ganglionnaires ou à distance permet de poser le diagnostic d’une forme maligne.

La fréquence de ces formes malignes est variable, de 8 à 30%.

Elle varie en fonction du site tumoral initial, plus fréquente pour les localisations vagales (18 %) que pour les localisations carotidiennes (2 à 10 %), d’autant qu’il s’agit d’une forme familiale.

Comme pour les sites primitifs, les localisations secondaires sont volontiers latentes et le diagnostic de métastase peut être retardé.

Certains ont ainsi décrit l’apparition de métastases 20 ans après le diagnostic initial.

De plus, une fois le diagnostic de paragangliome métastatique posé, l’évolution reste latente et la survie peut être prolongée par des mesures palliatives.

Les sites métastatiques par ordre de fréquence sont les adénopathies, le poumon, l’os et le foie. D’autres sites plus rares sont possibles (myocarde, thyroïde, rein, trachée, cerveau).

3- Potentiel sécrétoire :

Bien que d’origine neuroendocrinienne, la fonction sécrétoire d’une tumeur paraganglionnaire s’exprime rarement en pratique.

La prévalence des paragangliomes sécrétants varie entre 1 et 3 % dans les plus grandes séries.

À l’inverse, cette possibilité doit inquiéter le chirurgien en raison des désordres tensionnels peropératoires.

Les cellules paraganglionnaires ont la capacité de synthétiser plusieurs substances :

– principalement des catécholamines à l’exception de l’adrénaline par défaut d’une enzyme (phényléthanolamine-Nméthyltransférase) convertissant la noradrénaline en adrénaline.

Les dérivés inactivés peuvent être dosés dans les urines des 24 heures (acide homovanillique, métanéphrines, acide vanylmandélique) ;

– des substances diverses comme la somatostatine (à la base de l’imagerie par scintigraphie par analogues de la somatostatine tels l’octréotide et le pentétréotide), le vasoactive intestinal peptide (VIP), la sérotonine, la cholécystokinine… ;

– d’autres substances dont le marquage affine le diagnostic histologique : la chromogranine, la substance P, la métenképhaline, la bombésine.

Le caractère sécrétant d’un paragangliome ou d’une autre tumeur synchrone méconnue (phéochromocytome) doit être suspecté devant des signes d’imprégnation adrénergique, survenant par crise et associant des sensations de malaises, des sueurs, des palpitations, des céphalées, un « flush » vasculaire, des lipothymies ou même des syncopes.

Une tension artérielle élevée peut être mesurée de façon concomitante.

L’existence d’une hypertension a priori banale chez des sujets plutôt jeunes doit également attirer l’attention.

Un syndrome carcinoïde, qui se manifeste principalement par des débâcles diarrhéiques aqueuses, peut aussi être associé et doit faire rechercher une tumeur carcinoïde digestive ou un carcinome médullaire de la thyroïde.

En pratique, deux types de situation se présentent :

– une tumeur isolée sans signe sécrétoire : un dosage préopératoire des dérivés méthoxylés (métanéphrines, acide vanylmandélique) et du 5-hydroxy-indolacide acétique (5-HIAA) dans les urines des 24 heures est indispensable.

La recherche d’autres sites tumoraux s’impose ;

– une tumeur avec une hypertension et/ou des signes sécrétoires : il faut éliminer la présence d’un phéochromocytome, d’une forme multifocale de paragangliome ou d’une autre tumeur de la crête neurale. Une imagerie par scintigraphie (indium-111 ou 111 Inpentétréotide) à la recherche de tumeurs synchrones est nécessaire.

Tous les sites hyperfixants sont évalués par une imagerie (tomodensitométrie ou IRM).

4- Paragangliomes familiaux :

La prévalence des cas familiaux est variable selon les auteurs, entre 5 et 10 % pour la plupart, jusqu’à 50 % pour Van der Mey sur une série néerlandaise.

Les paragangliomes familiaux se distinguent par un âge de diagnostic plus précoce, 30-35 ans contre 45 ans en moyenne dans les séries non familiales, et une plus grande fréquence des formes multifocales et bilatérales.

Les recherches les plus récentes en matière de développement tumoral expliquent la transformation des paraganglions physiologiques en tumeurs par l’inactivation d’un gène suppresseur de tumeur (PGL1) situé sur le bras long du chromosome 11 au niveau des loci 11q13 et 11q22-q23.

Pour que les cellules se développent de manière tumorale, les deux gènes (un sur chaque allèle) doivent être inactivés.

Chez un sujet normal, une double mutation est donc indispensable afin d’initier le développement tumoral.

En revanche, si un sujet est déjà porteur d’une anomalie au niveau d’un de ses allèles (hétérozygote), il suffit d’une mutation sur l’allèle sain restant pour que la tumeur se développe : c’est la « perte de l’hétérozygotie ».

Dans les cas familiaux, une première mutation est déjà présente à la naissance et est transmise de façon dominante à l’ensemble des cellules de l’organisme.

Ceci explique la plus grande fréquence des paragangliomes multifocaux, l’âge d’apparition plus précoce et le développement d’autres tumeurs somatiques.

Les sujets porteurs de cette double inactivation de l’antioncogène PGL1 ont en effet un risque plus élevé de développer d’autres tumeurs malignes tels les cancers du col utérin, les carcinomes du cavum, les adénocarcinomes gastriques, les mélanomes, les cancers du sein….

F – HÉRÉDITÉ DES PARAGANGLIOMES ÉTIOPATHOGÉNIE :

La prédisposition génétique de certains sujets à développer des paragangliomes ou d’autres types de cancers par double mutation succède à la perte de l’hétérozygotie pour l’anti-oncogène PGL1.

Mais ceci n’explique pas le mode de transmission particulier des paragangliomes qui se fait de façon dominante (toutes les générations peuvent être atteintes) avec inactivation génomique maternelle (seuls les descendants d’hommes atteints développent la maladie).

Les enfants d’une femme atteinte ne développent pas de paragangliomes, mais en transmettent l’anomalie génétique.

Ce mode de transmission inhabituel repose sur la théorie récente de Van der Mey (1989) selon laquelle la seconde mutation serait inactivée pendant l’ovogenèse mais réactivée lors de la spermatogenèse : après transmission maternelle, le gène retrouve une forme active antitumorale.

Les loci du gène se situent au niveau du bras long du chromosome 11, sur les régions 11q13 et 11q22-23.

En matière de dépistage, une enquête familiale comportant au minimum un examen clinique de tous les membres de la famille au-dessus de 15 ans et un interrogatoire policier à la recherche de tout symptôme évoquant une tumeur glomique permet de suspecter une forme héréditaire.

Certains préconisent alors la réalisation d’examen de dépistage comportant une audiométrie tonale liminaire, une scintigraphie (méta-iodo-benzyl-guanidine [MIBG], octréotide) et une tomodensitométrie ou une IRM cervicofaciale.

En cas de négativité de ces différents examens, une surveillance tous les 5 ans doit être proposée. Actuellement, les enquêtes génétiques (biologie moléculaire) facilitent le dépistage des sujets atteints par la recherche de l’anomalie chromosomique au sein des membres de la famille.

Cette recherche se fait par biologie moléculaire et identifie les mutations prédisposantes des loci 11q13 et 11q22-23.

Malheureusement, ces techniques récentes ne sont pas toujours disponibles en routine.

G – IMAGERIE DES PARAGANGLIOMES :

Le diagnostic ainsi que le bilan préthérapeutique des paragangliomes repose sur l’imagerie.

L’examen tomodensitométrique et l’imagerie par résonance magnétique permettent de discuter les principaux diagnostics différentiels et de préciser l’extension locorégionale, indispensable pour définir la tactique chirurgicale.

L’angiographie peut, en cas de doute, apporter des éléments diagnostiques, mais sa place est actuellement restreinte au bilan préopératoire et à un éventuel geste d’embolisation, de moins en moins réalisé en pratique.

Les examens par scintigraphie sont indiqués dans le cadre d’un bilan plus général de ces tumeurs en dépistant d’autres localisations synchrones.

1- Échographie :

Elle est réalisée dans le bilan d’une masse cervicale d’évolution lente.

Sa spécificité est médiocre et n’autorise pas à différencier un paragangliome d’une adénopathie.

L’utilisation de l’effet doppler caractérise l’hypervascularisation de ces tumeurs et restreint le diagnostic différentiel aux autres tumeurs solides très vascularisées comme les adénopathies métastatiques des cancers de la thyroïde ou du rein.

2- Tomodensitométrie et imagerie par résonance magnétique :

* Tomodensitométrie :

La tomodensitométrie (TDM) est pour beaucoup l’examen clé du diagnostic.

Elle assure une analyse précise de la tumeur en définissant des caractéristiques morphologiques et topographiques.

Le paragangliome apparaît comme une masse tissulaire homogène, à contours nets, de densité tissulaire moyenne.

Lors de l’injection iodée, la prise de contraste est rapide, intense et fugace du fait de phénomènes de lavage vasculaire.

La distinction des vaisseaux carotidiens peut être difficile lorsqu’ils sont englobés par une tumeur du corpuscule.

C’est l’analyse topographique, en localisant la tumeur par rapport aux espaces parapharyngés et à la bifurcation carotidienne, qui est l’élément fondamental de l’étude TDM, en notant toutefois que les tumeurs du corpuscule de plus de 5 cm ont fréquemment un prolongement parapharyngé.

Le paragangliome est une tumeur vascularisée de l’espace rétrostylien.

Les tumeurs du corpuscule se situent entre le sternocléido-mastoïdien en avant et en dehors et le scalène en arrière.

Les tumeurs vagales sont plus hautes et plus médiales, jouxtant les espaces parapharyngés.

Elles refoulent la bifurcation et l’artère carotide interne vers l’avant alors que les paragangliomes carotidiens, se développant au niveau de la bifurcation, écartent celle-ci en déplaçant la carotide externe vers l’avant et l’interne vers l’arrière.

De plus, alors que les paragangliomes vagaux restent séparés des vaisseaux carotidiens (liseré graisseux), il est parfois difficile d’individualiser les artères carotidiennes d’une tumeur du corpuscule.

L’examen TDM précise l’extension tumorale vers la base du crâne et le foramen jugulaire et recherche des adénopathies ou d’autres localisations cervicales.

Les principaux diagnostics différentiels sont les tumeurs vascularisées de l’espace rétrostylien :

– les anévrismes artériels dont les parois sont épaisses et calcifiées et dont la cinétique de contraste est moins rapide que celle des paragangliomes ;

– les schwannomes qui mimeront volontiers un paragangliome vagal, mais dont la prise de contraste est moins intense et surtout prolongée ;

– les adénopathies inflammatoires qui prennent le contraste en périphérie ;

– les métastases ganglionnaires hypervascularisées des cancers du rein ou de la thyroïde qui posent le plus de difficultés diagnostiques et qui justifient la réalisation d’une IRM ou d’une angiographie.

* Imagerie par résonance magnétique :

Elle donne une évaluation précise de l’extension locorégionale par la réalisation de coupes dans les trois plans de l’espace.

Ces tumeurs demeurent homogènes, avec un signal intermédiaire en T1 et en T2.

Un aspect hétérogène avec des zones hyperintenses peut se rencontrer et traduit une nécrose ou une hémorragie intratumorale.

L’existence de signaux serpigineux linéaires, hypointenses, d’allure vasculaire est très évocatrice du diagnostic, donnant à la tumeur un aspect poivre et sel caractéristique.

L’injection de gadolinium montre le caractère très vascularisé et surtout augmente la sensibilité diagnostique en dépistant les tumeurs de 5 mm contre 15 mm pour les séquences sans injection.

La réalisation d’une angio-IRM apporte une bonne définition des rapports vasculaires mais ne peut que partiellement remplacer l’angiographie sélective en cas de contre-indication.

L’IRM serait en effet moins sensible dans le bilan de la vascularisation que l’angiographie.

3- Angiographie :

L’angiographie sélective n’est plus indispensable pour confirmer le diagnostic de paragangliome.

Elle conserve néanmoins certaines indications :

– diagnostiques : pour « trancher » devant un cas douteux, tels les petits paragangliomes pour lesquels l’IRM ne retrouve pas les images serpigineuses évocatrices ou les paragangliomes de topographie atypique, laryngés, sinusiens, orbitaires… ;

– dans le dépistage des formes multifocales de plus petite taille et chez les collatéraux de sujets atteints d’une forme familiale (angiographie des quatre axes) ;

– surtout en préopératoire lorsqu’un geste de plastie vasculaire est à envisager : l’angiographie doit répondre aux questions du chirurgien à propos du nombre de pédicules nourriciers de la tumeur, de l’existence d’une invasion de la paroi artérielle (signe de la morsure, rétrécissement artériel), de la distance de carotide accessible entre le pôle supérieur de la tumeur et la base du crâne et enfin, la fonctionnalité du polygone de Willis par une épreuve de clampage de 30 minutes ;

– lorsqu’elle constitue le premier temps d’une embolisation.

L’artériographie met en évidence le blush vasculaire caractéristique, intense, avec un lavage du contraste très rapide.

Pour les tumeurs cervicales, l’effet de masse sur la bifurcation carotidienne affirme le diagnostic topographique.

Les paragangliomes du X sont situés plus haut que la bifurcation et refoulent en bloc les vaisseaux carotidiens vers l’avant et le dehors selon une courbe harmonieuse.

Les tumeurs du corpuscule font diverger la bifurcation carotidienne en lui donnant le classique aspect en « lyre ».

4- Indications de l’embolisation tumorale :

L’embolisation préopératoire est restée longtemps un sujet de controverse, facilitant pour beaucoup le geste chirurgical en minorant le saignement peropératoire et en diminuant la taille tumorale.

Actuellement, la plupart des auteurs s’accordent pour ne pas réaliser d’embolisation préalable, inutile, voire source de difficultés opératoires du fait d’une réaction inflammatoire péritumorale.

Pour limiter cette difficulté, l’exérèse doit être pratiquée précocement après l’embolisation.

5- Scintigraphie :

La scintigraphie est une méthode peu invasive particulièrement adaptée au dépistage des tumeurs pour lesquelles on dispose d’un traceur sensible.

La substance administrée se fixe sur des sites qui lui sont spécifiques et une cartographie du corps entier est ensuite réalisée.

En ce qui concerne les paragangliomes, leur origine neuroendocrinienne les rend accessibles à un certain nombre de marqueurs :

– le technétium 99, peu sensible, a été délaissé car seules les tumeurs de plus de 2 cm pouvaient être détectées ;

– le MIBG (méta-iodo-benzylguanidine) marqué à l’iode 131 ou à l’iode 123 : ce traceur est proche de la structure de la noradrénaline. Il se concentre dans les granules denses des cellules paraganglionnaires.

Sa sensibilité est de 90 %. Il reste encore employé par de nombreuses équipes.

Le MIBG ne détecte que les tissus producteurs de catécholamines et ne permet pas le dépistage de toutes les tumeurs du SNED ;

– les analogues de la somatostatine, comme le pentétréotide, marqué à l’indium 111 (111 In-pentetreotide) représentent les substances les plus sensibles pour détecter les paragangliomes et certaines tumeurs dérivées de la crête neurale (phéochromocytome, insulinomes, gastrinomes, tumeurs carcinoïdes, cancers médullaires de la thyroïde).

Il est également capable de dépister les métastases des paragangliomes.

Ce marqueur est actuellement recommandé dans le bilan des formes familiales de paragangliomes, avec des sensibilités rapportées de 94 à 100 %, mais ne permet de détecter que des tumeurs centimétriques.

Toute hyperfixation est confirmée par une étude tomodensitométrique.

6- Tomodensitométrie par émission de positons :

Cette technique d’imagerie couplée à un examen scintigraphique permettrait d’en augmenter la sensibilité.

Cette méthode n’a été évaluée qu’avec le 123I-MIBG. De plus, ce matériel très coûteux n’est disponible que dans de rares centres en France.

En conclusion, devant un paragangliome, on doit réaliser un bilan qui permet :

– le dépistage d’une forme multifocale ou d’une autre tumeur de la crête neurale synchrone ;

– le diagnostic d’une forme familiale et des cas collatéraux ;

– la réalisation du bilan d’opérabilité de cette tumeur.

Les limites sont principalement la sensibilité des examens paracliniques, leur coût et leur disponibilité, la morbidité secondaire qu’ils engendrent.

En pratique, un bilan minimal doit inclure :

– le bilan topographique de la tumeur : TDM, IRM ;

– la recherche d’une autre localisation : examen clinique (otoscopie, palpation cervicale, pression artérielle…), audiogramme et impédancemétrie, dosages hormonaux urinaires sur 24 heures (métanéphrines, acide vanylmandélique, acide homovanillique, 5-HIAA), scintigraphie corps entier (123I-MIBG ou au mieux 111Inpentétréotide), TDM et IRM cervicale ;

– le bilan préopératoire : l’artériographie reste indispensable pour les tumeurs carotidiennes.

Principes du traitement des paragangliomes :

A – OPTIONS THÉRAPEUTIQUES :

1- Embolisation :

L’embolisation des paragangliomes est actuellement peu utilisée.

Son utilisation n’apporterait aucun avantage chirurgical et pourrait même majorer les difficultés de la dissection par une réaction inflammatoire secondaire.

En conséquence, et en accord avec de nombreux auteurs, nous ne réalisons plus d’embolisation systématique des paragangliomes latérocervicaux.

Nous réservons ce traitement aux tumeurs inextirpables et aux contre-indications opératoires, en association avec la radiothérapie.

2- Traitement chirurgical :

Le traitement chirurgical reste le seul traitement curatif des paragangliomes cervicocéphaliques.

Cependant, l’exérèse d’un paragangliome nécessite certaines précautions.

En préopératoire :

– un bilan topographique précis de la tumeur, ses rapports avec les structures nobles et les pédicules nourriciers ;

– le diagnostic d’une tumeur synchrone et notamment d’un phéochromocytome ;

– l’éventualité d’un geste de réparation vasculaire.

Dans ce cas, le bilan doit comporter au minimum une angiographie avec un test de clampage afin de tester la fonctionnalité du polygone de Willis et une évaluation clinique du réseau veineux des membres inférieurs.

Pendant l’intervention, la prise en charge est multidisciplinaire et nécessite la collaboration d’une équipe entraînée : médecin anesthésiste, chirurgien oto-rhino-laryngologiste (ORL), éventuellement, chirurgien vasculaire et neurochirurgien devant la nécessité d’une réparation vasculaire ou en cas de tumeur étendue endocrânienne.

La technique d’exérèse des paragangliomes cervicocéphaliques n’est pas détaillée ici.

En revanche, les points essentiels de l’abord chirurgical pour chaque localisation sont rappelés ci-dessous.

* Exérèse des paragangliomes cervicaux :

Parce que l’exérèse totale de ces tumeurs est le seul traitement curatif, le chirurgien doit pouvoir adapter la voie d’abord pour appréhender une éventuelle extension basicrânienne tout en assurant un parfait contrôle de l’axe carotidien.

La préservation des éléments nerveux doit rester une priorité.

L’abord de l’espace latéral du cou doit être large afin de faciliter la dissection de la tumeur le long de l’axe carotidien et de contrôler le trépied artériel si un geste de réparation vasculaire s’avère nécessaire.

Vers le bas, la carotide primitive doit être exposée.

Vers le haut, il est souvent nécessaire, surtout devant un paragangliome vagal, de réséquer l’apophyse styloïde et l’ensemble du rideau stylien pour bien exposer l’espace sous-parotidien postérieur dans sa partie haute, afin de contrôler la limite supérieure de la tumeur.

En cas d’extension céphalique plus importante, la mastoïde doit être fraisée jusqu’au foramen jugulaire.

Si on suspecte un prolongement tumoral dans le foramen (stade C), une déroutation partielle du nerf facial et une ligature du sinus latéral permettent d’exclure le golfe de la jugulaire.

L’abord du canal carotidien (portion verticale) permet l’exérèse de la plupart des extensions tumorales hautes.

En cas d’extension parapharyngée, la résection du rideau stylien, couplée à la luxation antérieure du condyle mandibulaire, suffit généralement à aborder de façon suffisante cette région.

L’exérèse tumorale des paragangliomes carotidiens doit obéir à certaines règles afin de minimiser les risques de complications vasculaires.

On doit débuter au pôle inférieur de la tumeur, en empruntant un plan de dissection sous-adventiciel.

L’exérèse doit se terminer dans la région du bulbe carotidien, zone d’adhérence plus importante.

En ce qui concerne les tumeurs du vague, le premier temps comporte la section du nerf pneumogastrique au-dessous de la tumeur.

La dissection le long de la carotide interne est plus aisée que pour une tumeur du corpuscule.

Cependant, la tumeur peut enserrer cet axe et rendre l’exérèse délicate.

Les difficultés les plus fréquentes se situent plutôt au niveau du pôle supérieur, souvent incarcéré sous la base du crâne.

La préservation de l’artère carotide externe et du grand hypoglosse est souvent plus délicate dans ces conditions.

Toute manoeuvre de traction sur le pneumogastrique est à proscrire, compte tenu du risque de collapsus réflexe.

* Complications de l’exérèse des paragangliomes cervicaux :

Les principales complications sont d’ordre vasculaire, neurologique et neuroendocrinien.

+ Complications vasculaires :

Elles sont, soit secondaires au traumatisme chirurgical accidentel, soit dues à la nécessité d’une réparation vasculaire peropératoire.

Dans les deux cas, le chirurgien vasculaire, normalement disponible, réalise dans l’urgence une réparation vasculaire, rarement par suture linéaire, surtout par interposition de matériel autologue (greffe de veine saphène) ou synthétique (prothèse).

Les données du bilan angiographique préopératoire et éventuellement du test de clampage sont précieuses dans ces circonstances.

+ Complications neurologiques :

Elles sont aussi de deux ordres, accidentel ou inévitable.

Les séquelles inévitables sont le fait de la section du nerf vague lors de l’exérèse d’un paragangliome du X.

Le patient doit être prévenu de cette éventualité et des conséquences de celle-ci tant sur la voix que sur la déglutition.

Du fait de la section tronculaire du pneumogastrique, la corde vocale homolatérale se trouvera plus fréquemment en abduction.

Certains ont donc proposé d’effectuer une médialisation vocale dans le même temps opératoire par l’incision de cervicotomie.

Le matériel utilisé ainsi que la technique sont variables (Teflon, Gore-Text, Silastic).

Les séquelles accidentelles sont le fait du traumatisme opératoire lors de l’exérèse tumorale, soit pendant la dissection, soit du fait de la voie d’abord.

Elles se voient surtout en cas de tumeur à extension basicrânienne.

Une paralysie faciale, outre les problèmes esthétiques, expose à des complications oculaires.

Les lésions des branches du IX et du XII exposent à des complications sur la fonction de déglutition, d’autant plus fréquentes qu’une section du X a été réalisée.

La médialisation de la corde vocale, une rééducation intensive précoce postopératoire et la protection des voies aériennes via une alimentation par sonde nasogastrique transitoire sont indispensables pour limiter la morbidité de telles lésions.

En cas de sidération simple, une rééducation prolongée pourra accélérer la récupération fonctionnelle.

Les atteintes du XI sont très invalidantes sur le plan moteur ; une rééducation précoce par kinésithérapie est indispensable. Une lésion du tronc sympathique cervical est responsable d’un syndrome de Claude Bernard-Horner.

+ Complications neuroendocriniennes :

Elles sont de deux types.

Le premier type est représenté par les décompensations tensionnelles lors de l’exérèse des tumeurs sécrétantes ou du fait de la présence méconnue d’un phéochromocytome.

Ces situations ne doivent plus se voir.

En effet, le bilan préopératoire dépiste la nature sécrétante de ces tumeurs et un traitement médical préventif et des précautions anesthésiques préviennent les accès hypertensifs.

Le second type de complications neuroendocrines relève de l’exérèse bilatérale des tumeurs du corpuscule carotidien.

Lors de la seconde exérèse, des anomalies de l’équilibre tensionnel ont été rapportées, à type de labilité tensionnelle : accès hypertensifs associés à d’authentiques épisodes d’hypotension orthostatique.

Cette situation est expliquée par la suppression bilatérale du fonctionnement du complexe « paraganglion carotidien-sinus carotidien » (voir « Physiopathologie des paraganglions »).

Une telle situation doit être prévenue par une surveillance tensionnelle étroite des patients en postopératoire.

Un traitement antihypertenseur est administré à la demande.

Netterville recommande l’administration de clonidine qui, par son action centrale alpha2-inhibitrice, prévient les poussées hypertensives et les accès de tachycardie.

L’administration de 9a-fluorohydrocortisone peut être préconisée dans les formes sévères d’hypotension orthostatique.

Cette situation s’améliore généralement en quelques jours.

Netterville a également décrit chez un certain nombre de patients (19 %), opérés d’un paragangliome du vague, des douleurs de la région parotidienne, souvent sévères, survenant lors des premiers repas postopératoires et accentuées par les sialagogues.

Il a retenu le nom de « syndrome de la première bouchée » (first bite syndrome).

Il explique cette symptomatologie par la suppression de l’innervation sympathique de la glande parotide.

3- Techniques de radiothérapie :

* Radiothérapie externe conventionnelle :

Cette thérapeutique ne doit être proposée que dans une optique non curative.

Les effets des rayons ionisants qui semblent prometteurs n’ont été évalués que pour de petites séries.

Une radiothérapie externe peut être utilisée à visée palliative dans le traitement des métastases, même si les auteurs soulignent que les métastases des paragangliomes sont peu radiosensibles.

En conséquence, la radiothérapie n’est souhaitable qu’en cas de contre-indication opératoire, de reliquat tumoral postchirurgical ou dans le traitement palliatif des métastases.

* Radiothérapie stéréotaxique multifaisceaux :

La radiothérapie stéréotaxique permet de délivrer une dose de radiation ionisante importante au sein d’un tissu cible de petit volume en limitant l’irradiation des organes nobles adjacents.

Certains points méritent d’être précisés :

– peu de centres en France et en Europe disposent du matériel nécessaire ;

– le volume tumoral doit être de taille modérée ;

– la tumeur doit avoir des coordonnées spatiales fixes dans les trois plans de l’espace.

Cette nécessité du repérage stéréotaxique restreint l’indication du « gamma-unit » aux seuls paragangliomes tympanojugulaires.

4- Chimiothérapie :

Seules les formes métastatiques ont pour l’instant bénéficié d’un traitement par chimiothérapie.

Les résultats sont discordants et le nombre de patients évalués reste faible.

Les drogues les plus efficaces sont le cyclophosphamide, les sels de platine, l’adriamycine et l’étoposide.

5- Irathérapie moléculaire :

Cette méthode est bien codifiée pour le traitement des carcinomes différenciés de la thyroïde.

Elle consiste à administrer par voie générale une dose d’une substance radioactive spécifique d’un tissu cible donné.

L’accumulation de cette substance dans le tissu cible permet de délivrer une grande quantité de rayonnement ionisants in situ en limitant l’irradiation des tissus sains.

Les métastases des paragangliomes sont généralement peu sensibles à la radiothérapie et à la chimiothérapie.

Ces thérapeutiques de dernière génération semblent donc prometteuses dans le traitement des formes métastatiques des paragangliomes.

Deux protocoles sont encore en évaluation dans le traitement des rares paragangliomes métastatiques.

* Iode 131 couplé au MIBG :

Le MIBG est une substance spécifique des tumeurs dérivées de la crête neurale.

Le MIBG est marqué par de l’iode 131 radioactif et le complexe iode-MIBG s’accumule au sein du tissu-cible.

Cette méthode nécessite de bloquer la captation thyroïdienne de l’iode par une saturation préalable en iode froid (Lugolt).

* Analogues de la somatostatine marquée à l’indium :

Selon le même principe, mais de façon plus spécifique, on peut utiliser comme traceur l’octréotide et comme agent ionisant l’indium.

B – INDICATIONS THÉRAPEUTIQUES :

Le seul traitement curatif ne peut être que chirurgical.

Les autres options ne se conçoivent à ce jour que pour des situations de contreindications opératoires ou de récidives tumorales inaccessibles.

1- Contre-indications opératoires :

Les contre-indications chirurgicales généralement admises relèvent de :

– l’altération de l’état général ou l’âge physiologique avancé ;

– la contre-indication anesthésique majeure ;

– la tumeur de petite taille chez un patient âgé ;

– la forme maligne d’emblée ;

– la tumeur inextirpable chirurgicalement.

Dans ces cas, trois attitudes se discutent : l’abstention thérapeutique avec une surveillance régulière, la radiothérapie externe et l’embolisation.

2- Paragangliomes carotidiens :

* Tumeur isolée :

Les stades I et II sont réséqués le plus souvent sans nécessité de réparation vasculaire.

Pour les stades IIIa, une réparation vasculaire doit être programmée.

Un bilan angiographique complet avec un test de clampage est indispensable.

Pour les stades IIIb, l’extension endocrânienne rend délicate la réparation vasculaire et l’exérèse.

Un geste étendu avec un abord intrapétreux de la carotide peut se discuter au cas par cas.

Ces situations constituent, pour certains, des contre-indications opératoires.

* Tumeur bilatérale :

La stratégie est délicate.

La plus petite tumeur est réséquée en premier pour minimiser les risques vasculaires et neurologiques.

Le second temps opératoire est réalisé 1 an après environ.

Les conséquences potentielles d’une exérèse bilatérale sont :

– la diplégie laryngée : en cas de paralysie laryngée controlatérale, le second paragangliome n’est pas opéré. Une radiothérapie est souhaitable.

L’exérèse peut néanmoins être permise sous couvert d’une surveillance étroite postopératoire.

Une détresse respiratoire nécessite une trachéotomie en urgence ;

– la réparation vasculaire bilatérale : une telle situation est à haut risque.

Le taux de complications vasculaires potentielles (accident vasculaire cérébral) est plus élevé ;

– la décompensation tensionnelle : la suppression du complexe « sinus carotidien-paraganglion carotidien » par exérèse chirurgicale ou désafférentation est responsable d’une labilité tensionnelle et cardiaque déjà évoquée plus haut.

Une surveillance étroite de ces patients est indispensable.

La situation s’améliore en quelques jours ; le relais fonctionnel étant assuré par d’autres structures baro- et chémoréceptrices (paraganglion interaortiques…).

3- Paragangliome carotidien associé à un paragangliome vagal controlatéral :

L’exérèse de la tumeur vagale est responsable d’une paralysie laryngée quasi constante.

La localisation carotidienne doit donc être réséquée en premier.

En l’absence de complications, le côté controlatéral est opéré à distance.

Dans le cas contraire, certains préconisent une radiothérapie.

4- Paragangliome du pneumogastrique :

* Tumeur isolée :

La résection s’effectue au prix du sacrifice du nerf vague dans la plupart des cas.

Certaines tumeurs juxtavagales pourraient être disséquées du tronc du X.

Les principales difficultés de l’abord chirurgical résident dans le contrôle du pôle supérieur basicrânien et du prolongement parapharyngé.

La résection du rideau stylien est systématique.

* Paragangliome vagal bilatéral :

Le sacrifice bilatéral du nerf vague n’est pas compatible avec une vie sociale normale et expose à une morbidité importante (trouble sévère de la déglutition, trachéotomie, déséquilibre tensionnel, tachycardie, désordres digestifs…).

En conséquence, la lésion la plus volumineuse est réséquée.

La tumeur controlatérale bénéficie d’une surveillance simple ou d’une radiothérapie.

En cas d’augmentation de volume, une exérèse peut s’envisager, mais se discute au cas par cas.

5- Paragangliomes malins :

Le diagnostic est affirmé par la présence de métastases.

Ces métastases ont une évolutivité lente et des survies prolongées sont possibles.

Leur traitement relève de la radiothérapie à visée symptomatique, de la chimiothérapie ou des traitements par irathérapie in situ.

6- Récidives tumorales :

Elles doivent bénéficier d’une nouvelle exérèse chirurgicale.

Si une nouvelle chirurgie est trop risquée, un traitement par radiothérapie palliative est envisagé.

Conclusion :

Les paragangliomes latérocervicaux sont des tumeurs rares, généralement bénignes et isolées.

Le bilan initial est essentiel, tant pour éliminer une forme sécrétante, multifocale ou maligne, que pour dépister d’autres cas familiaux dont la fréquence réelle est probablement sous-estimée.

Une forme héréditaire doit déboucher sur une enquête familiale et le dépistage des tumeurs présymptomatiques par biologie moléculaire.

La prise en charge thérapeutique nécessite une équipe multidisciplinaire entraînée (chirurgiens ORL, chirurgiens vasculaires, radiologues et anesthésistes).

Le bilan préthérapeutique doit pouvoir répondre à une question : y aura-t-il besoin d’un geste de réparation vasculaire ? Si tel est le cas, toutes les précautions devront être prises pour en limiter la morbidité.

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