Ostéoporoses (Suite)

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Première partie

2- Indications :

* Prévention avant la ménopause :

La prévention de l’ostéoporose s’exerce d’abord au cours de l’enfance et de l’adolescence, avec pour objectif d’optimiser l’acquisition du capital osseux.

Ostéoporoses (Suite)Si les facteurs génétiques interviennent pour une large part dans la détermination du pic de masse osseuse, des apports calciques alimentaires suffisants et une activité physique régulière en charge sont utiles.

L’amélioration de la ration calcique passe par l’hygiène alimentaire et non par une supplémentation pharmacologique.

L’activité physique doit être raisonnable, notamment chez la jeune fille, pour éviter la survenue d’une aménorrhée primaire ou secondaire, conséquence d’une activité trop intense associée à des déficits nutritionnels qualitatifs (déficit protéique) et quantitatifs (déficit calorique).

Chez l’adulte, outre la poursuite d’une activité physique, il faut surtout veiller à limiter la consommation d’alcool et de tabac, et prendre en charge les endocrinopathies responsables d’une ostéoporose secondaire et en particulier l’hypercorticisme.

* Prévention à la ménopause :

Des mesures générales méritent d’être proposées à l’ensemble de la population concernée : lutte contre la sédentarité, le tabagisme et l’alcoolisme, renforcement des apports alimentaires calciques, exercice physique régulier et surtout hormonothérapie substitutive de la ménopause pour une durée minimale de 5 à 10 ans.

Lorsqu’il existe une contre-indication ou un refus du traitement hormonal, il est indispensable de prévoir une surveillance densitométrique tous les 3 ans pour redéfinir, s’il existe une ostéopénie franche, une nouvelle attitude thérapeutique.

* Prévention chez le sujet âgé après 75 ans :

La prévention du risque de chutes est ici capitale : aménagement du domicile (tapis, sols glissants, baignoires, lumières…), traitement des maladies neurologiques, correction des déficits sensoriels, éviction progressive des tranquillisants et des somnifères, adaptation de la posologie des antihypertenseurs, et forte incitation des patients à une activité physique minimale (marche à pied, gymnastique collective).

Chez tous les patients présentant des facteurs de risque d’ostéoporose ou une tendance à la chute, une supplémentation calcique et vitaminique D doit être réalisée.

* Traitement curatif de l’ostéopénie et de l’ostéoporose primitive :

Les schémas thérapeutiques doivent prendre en compte plusieurs paramètres : l’âge de la patiente, le contexte pathologique et les maladies associées, la sévérité de l’ostéopénie ou de l’ostéoporose, l’existence ou non de fractures, et le degré d’adhésion de la patiente aux différents traitements (oestrogènes notamment).

+ Ostéopénie (T-score entre -1 et – 2,5) ou ostéoporose sans fracture (T-score inférieur à – 2,5) :

Il paraît raisonnable de conseiller, outre les mesures d’hygiène générale (apports calciques suffisants, équilibre protidique, régime normosodé, activité régulière de marche à pied, éviction du tabac), une hormonothérapie substitutive, en l’absence de contre-indication, pour une durée minimale de 5 ans, associée à une supplémentation en calcium (environ 1 g/j) et en vitamine D (800 UI/j de vitamine D2).

Si l’hormonothérapie est contre-indiquée ou refusée par la patiente, il n’existe aujourd’hui aucune indication officielle aux « alternatives » que représentent les bisphosphonates, les calcitonines, les antioestrogènes ou le fluor.

Les résultats des essais multicentriques contrôlés devraient clarifier, dans un proche avenir, les modalités de prescription de ces agents, non seulement en termes de prévention de la perte osseuse, mais surtout en termes de prévention des fractures ostéoporotiques.

+ Ostéoporose fracturaire :

L’existence d’une seule fracture par fragilité, quelle qu’en soit la localisation (avant-bras, côtes, vertèbres, col huméral, ESF, sacrum, bassin…) conduit à considérer l’ostéoporose comme fracturaire ou « sévère ».

Plusieurs mesures spécifiques sont à mettre en oeuvre.

– Le traitement de la fracture en fonction de sa localisation.

Pour le tassement vertébral, réduire la douleur facilite la reprise des activités et limite la résorption osseuse liée à l’immobilisation.

La prescription d’antalgiques ainsi qu’un repos au lit pendant 8 à 15 jours, sont suivis d’une reverticalisation progressive.

On peut y adjoindre un traitement par de la calcitonine (50 à 100 UI/j de calcitonine salmine ou 0,50 mg/j de calcitonine humaine, pendant 2 semaines).

La reprise de la marche est facilitée par la confection d’un corset en coutil, dont la hauteur doit être adaptée à la localisation des tassements vertébraux : CMCT12 (tassement entre L2 et L5), CMCT9 (tassement entre T10 et L2). Entre T4 et T9, en raison des mouvements de la cage thoracique, le corset rigide est rarement prescrit car trop contraignant.

– On débute aussi un traitement de fond de l’ostéoporose, en expliquant que cette thérapeutique, sans influence à court terme sur les douleurs, a pour but de réduire la fragilité osseuse et de diminuer le risque de survenue d’une nouvelle fracture.

Les oestrogènes, les sels de calcium, les mesures hygiénodiététiques, toujours utiles, sont alors associés au traitement séquentiel par étidronate (Didronelt) ou au traitement continu par l’alendronate (Fosamaxt).

Ostéoporoses secondaires :

La recherche d’une ostéoporose secondaire est une étape clé du diagnostic de l’ostéoporose, d’autant plus indispensable que le patient est un homme ou une femme non ménopausée.

A – Ostéoporose cortisonique :

C’est la plus fréquente et la plus sévère des ostéoporoses secondaires, le plus souvent dans le contexte d’une corticothérapie prolongée pour une maladie asthmatique, un rhumatisme inflammatoire chronique ou une transplantation d’organe.

1- Physiopathologie :

Les points d’impact des glucocorticoïdes (GC) sur le tissu osseux et le métabolisme phophocalcique sont multiples. Ils négativent la balance calcique en réduisant l’absorption digestive du calcium et en inhibant la réabsorption tubulaire rénale du calcium.

Ils agissent sur le tissu osseux en déprimant directement l’activité des ostéoblastes et leurs capacités de synthèse protéique.

En revanche, la résorption osseuse est légèrement augmentée pendant les premiers mois du traitement, en raison de l’hyperparathyroïdie secondaire à la carence calcique.

De plus, les GC freinent la fonction gonadotrope chez l’homme, et provoquent chez la femme une aménorrhée ou une ménopause précoce dont les effets délétères sur le squelette s’additionnent aux effets nocifs directs.

Enfin, la myopathie cortisonique et la maladie causale se conjuguent souvent pour entraîner une immobilisation relative qui participe à la perte osseuse.

2- Diagnostic :

La densitométrie permet une évaluation individuelle et précoce de la raréfaction osseuse induite par la corticothérapie et donne, par là même, des indications sur le risque fracturaire potentiel.

La perte osseuse, prédominante dans le secteur spongieux, est rapide la première année de traitement (de l’ordre de 5 à 10%), puis se poursuit plus lentement les années suivantes (environ 2 % par an).

Ce retentissement osseux, particulièrement variable d’un sujet à l’autre, est influencé par le capital osseux préalable, le statut hormonal (ménopause), la nature de la maladie initiale, les doses quotidiennes ou cumulées de corticostéroïdes.

Si les fortes doses sont particulièrement délétères à la phase initiale du traitement, un effet néfaste est également possible pour des posologies de prednisone inférieures à 7,5 mg/j.

L’évolution de la masse osseuse après arrêt de la corticothérapie est mal connue.

En revanche, la guérison du syndrome de Cushing semble s’accompagner d’une amélioration de la densité squelettique.

En l’absence de traitement, des fractures vertébrales, costales et de l’ESF surviennent chez 30 à 40 % des patients poursuivant une corticothérapie prolongée.

Le risque de fracture de l’ESF est doublé chez les patients souffrant d’une polyarthrite rhumatoïde et prenant des GC.

3- Moyens thérapeutiques :

* Adaptation de la cortisonothérapie :

La prescription de la dose minimale efficace est une mesure de bon sens, en utilisant si possible les voies locales : aérosols bronchiques, voie cutanée, et infiltrations locales intra- et extra-articulaires.

La prescription des GC, 1 jour sur 2, ne réduit pas le risque d’ostéopénie.

* Amélioration de la balance calcique :

Elle est obtenue par la supplémentation calcique.

Le recours à des préparations ne contenant ni sel, ni glucose, prescrites per os à la dose de 1 000 à 1 500 mg/j, vise à compenser partiellement la baisse de l’absorption intestinale du calcium et à réduire l’hyperparathyroïdie secondaire.

La prescription de vitamine D, à doses physiologiques (800 UI/j), est également utile pour favoriser l’absorption intestinale du calcium.

Les dérivés 1-alphahydroxylés (alpha-calcidiol, calcitriol) améliorent la densité lombaire, mais l’hypercalciurie fréquente et des épisodes d’hypercalcémie (25 %des cas) en limitent l’indication.

Le régime sans sel est utile pour limiter la fuite urinaire du calcium.

La prescription d’hydrochlorothiazide (à la dose de 25 à 50 mg/j) est plus délicate en raison des risques d’hypokaliémie.

* Correction de la carence en hormones sexuelles :

Le traitement hormonal substitutif chez la femme ménopausée est d’autant plus conseillé qu’il semble capable de prévenir la perte osseuse liée à la corticothérapie.

Une supplémentation en androgènes est possible chez l’homme en cas d’hypogonadisme avéré, après une exploration endocrinologique spécialisée.

* Traitements à tropisme osseux :

+ Calcitonine :

Au cours de l’ostéoporose cortisonique avérée, la calcitonine (utilisée par voie parentérale à la dose quotidienne de 100 U) permet d’augmenter la densité osseuse à l’avant-bras et de diminuer l’incidence de nouvelles fractures.

Son intérêt sous forme de spray nasal dans la prévention de la perte osseuse a été suggéré, mais les calcitonines ne disposent pas d’AMM dans cette indication.

+ Bisphosphonates :

Des essais contrôlés montrent que l’étidronate en traitement intermittent et le pamidronate sont capables d’augmenter la densité osseuse lombaire chez les patients ostéopéniques et préviennent la perte osseuse s’ils sont administrés précocement au début de la corticothérapie.

L’étidronate possède l’AMM dans l’indication de prévention de la perte osseuse induite par une corticothérapie, si les doses sont supérieures à 7,5 mg/j d’équivalent prednisone et si la durée de la corticothérapie est supérieure à 3 mois.

+ Sels de fluor :

En stimulant la formation osseuse, ils s’opposent à l’effet dépresseur des corticoïdes sur ces cellules.

En association avec une supplémentation calcique, ils augmentent la densité osseuse.

Toutefois, leur capacité à réduire l’incidence des nouvelles fractures vertébrales n’est pas établie.

* Conduite pratique du traitement :

Lors de la prescription d’une corticothérapie au long cours, il est utile d’évaluer les facteurs de risque d’ostéoporose (âge élevé et ménopause surtout) et de disposer d’une mesure initiale de la densité osseuse lombaire et fémorale.

Les mesures générales doivent être largement appliquées : maintien d’une activité physique, arrêt des toxiques (alcool et tabac), prescription de calcium, de vitamine D et d’un traitement hormonal si ménopause.

Tous les patients présentant une ostéopénie (T-score inférieur à -1) ou une ostéoporose (Tscore inférieur à -2,5) peuvent bénéficier en plus d’un traitement séquentiel par étidronate et calcium.

Chez les patients dont la DM Oinitiale est normale, une surveillance densitométrique est indispensables tous les 6 mois la première année, puis tous les ans, pour réévaluer les indications thérapeutiques.

B – Hypogonadisme masculin :

L’enquête étiologique réalisée devant une ostéoporose masculine découvre un hypogonadisme chez environ 15 % des patients.

La fréquence de cette pathologie est toutefois très variable en fonction des séries publiées (entre 5 et 33 %), en raison de biais de recrutement et de variations dans la définition même de l’hypogonadisme.

1- Étiologies et conséquences osseuses :

Le syndrome de Klinefelter, l’hypogonadisme d’origine hypophysaire, l’hyperprolactinémie, les séquelles d’une orchite (ourlienne), l’hémochromatose génétique et les traitements par les agonistes de la GNRH (gonadotrophin releasing hormone) sont les étiologies les plus fréquentes de l’hypogonadisme masculin.

Les conséquences de l’hypogonadisme sur le squelette semblent dépendre de la période de la vie où survient cette carence en hormone mâle.

Avant la puberté, l’hypogonadisme est responsable chez l’animal et chez l’homme d’un retard d’acquisition du capital osseux, avec un déficit marqué sur le secteur cortical.

Les études animales suggèrent que le mécanisme histologique en cause est un défaut de la formation osseuse périostée, avec diminution de l’épaisseur corticale.

Le simple retard pubertaire semble également associé à une réduction de la densité osseuse.

Chez l’homme adulte, le déficit en androgènes est responsable d’une perte osseuse plus marquée dans le secteur spongieux.

L’analyse des travaux réalisés chez l’homme ou chez le rat castré suggère fortement qu’une privation brutale en androgènes est immédiatement suivie :

– d’une accélération du remodelage osseux au profit de la résorption et d’une perte rapide en secteur spongieux (7 %par an), proche de ce que l’on observe après la ménopause chez la femme ;

– d’une augmentation de la résorption endostéale et de la porosité corticale.

Toutefois, une phase de dépression de la formation osseuse pourrait suivre cette période initiale.

2- Conduite à tenir :

Il est nécessaire, avant tout traitement hormonal, de rechercher une étiologie curable et tout particulièrement un adénome à prolactine : un bilan endocrinologique spécialisé est donc indispensable.

La supplémentation précoce en testostérone permet d’obtenir une croissance et une maturation osseuse satisfaisantes chez l’adolescent hypogonadique, corrige l’augmentation du remodelage osseux provoqué par la carence.

Elle majore la densité osseuse, tout particulièrement durant la première année de traitement, chez les patients ostéopéniques, peut-être en stimulant dans certaines circonstances la formation osseuse.

La poursuite au long cours du traitement par voie intramusculaire, mais également transcutanée, est efficace pour maintenir la densité osseuse dans les limites de la normale.

En revanche, sa prescription tardive laisserait persister un déficit du CMO au niveau du col fémoral.

C – Dysthyroïdies :

1- Hypothyroïdie :

Chez l’adulte, l’hypothyroïdie non traitée s’accompagne d’une réduction du remaniement cellulaire osseux, sans retentissement patent sur la densité minérale osseuse ou sur le risque fracturaire.

En revanche, le traitement substitutif de l’insuffisance thyroïdienne peut entraîner, dans la première année, une accélération significative de la perte osseuse lombaire ou fémorale chez la femme.

Le mécanisme en est inconnu, mais il est possible que cette perte osseuse rapide résulte de l’augmentation brutale du remaniement cellulaire osseux et du retour à une sensibilité de l’os à l’action de la PTH et de la 1,25-dihydroxyvitamine D.

Chez l’homme hypothyroïdien, en revanche, après 3 ans de traitement substitutif, il n’a été observé aucune perte osseuse corticale.

À plus long terme, le rétablissement d’un nouvel état d’équilibre du remodelage osseux peut expliquer l’amélioration de la densité minérale, plus ou moins complète selon les sites.

Des études transversales montrent qu’à doses suppressives, responsables d’une baisse des taux de TSH, le traitement par la L-thyroxine réduit la densité radiale, fémorale et lombaire et pourrait ainsi aggraver le risque ostéoporotique en période postménopausique.

Dans cette situation, la prescription d’agents antiostéoclastiques à titre préventif a été suggérée, mais son efficacité n’est pas connue.

En revanche, lorsque la L-thyroxine est administrée à doses substitutives et que le taux de la TSH se maintient dans la zone de normalité, il n’y a pas de perte osseuse significative, tout au moins en région lombaire.

2- Hyperthyroïdie :

Les hormones thyroïdiennes stimulent le remaniement cellulaire osseux.

Dans l’hyperthyroïdie, l’augmentation de l’activité des ostéoclastes se traduit par l’élévation des marqueurs biochimiques de l’ostéoformation (ostéocalcine) ou de la résorption osseuse (excrétion urinaire du calcium, de l’hydroxyproline ou de la déoxypyridinoline), et parfois même par une hypercalcémie.

L’hyperthyroïdie prolongée s’accompagne aussi d’une raréfaction osseuse trabéculaire et d’une accentuation de la porosité corticale, démontrée par les études histomorphométriques ou densitométriques, sans relation directe avec la sévérité du désordre hormonal.

Bien que le traitement de l’hyperthyroïdie permette de réduire le remaniement cellulaire osseux et d’améliorer le contenu minéral, une partie de la raréfaction osseuse reste irréversible.

Cette ostéopénie contribue à accroître le risque de fractures, notamment chez la femme ménopausée.

L’existence d’un antécédent d’hyperthyroïdie renforce donc, en postménopause, l’indication de l’oestrogénothérapie.

D – Alcoolisme :

1- Physiopathologie :

Les effets de l’alcool sur la densité osseuse et le risque fracturaire ne sont pas univoques et dépendent du niveau de la consommation d’alcool.

Une consommation modérée d’alcool (environ 150 g d’alcool par semaine, soit environ trois verres de vin par jour) est associée, dans plusieurs études épidémiologiques récentes, à une densité osseuse plus élevée sur l’ESF, le rachis lombaire ou le radius.

Cet effet « protecteur » semble plus franc chez les femmes que chez les hommes.

Le rôle protecteur d’une faible consommation d’alcool vis-à-vis de la survenue de fractures est également suggéré dans une étude récente.

Le mécanisme de cet effet favorable de l’alcool sur la densité osseuse pourrait résulter d’une interaction avec le système endocrinien, l’alcool favorisant la production d’androgènes par les surrénales et l’aromatisation de la testostérone en oestradiol.

En revanche, la maladie alcoolique s’accompagne souvent d’une ostéoporose fracturaire.

Les études portant sur l’évolution des marqueurs biochimiques du remodelage osseux après ingestion d’alcool et les études histomorphométriques montrent que l’alcool déprime directement la fonction ostéoblastique et la formation osseuse.

En revanche, ses effets sur les ostéoclastes sont discutés : la résorption est réduite dans certaines études, mais normale dans d’autres.

L’existence ou non d’une cirrhose, la variabilité dans le degré d’intoxication des patients et les différences d’âge et de recrutement des populations étudiées expliquent vraisemblablement ces résultats contradictoires.

D’autres cofacteurs expliquent également la perte osseuse de l’alcoolique : l’intoxication tabagique, les carences en protéines, en calcium, en vitamine D et en magnésium, l’insuffisance gonadique (au cours de la cirrhose), la diminution du poids, de la masse musculaire et de l’activité physique.

La masse osseuse corticale et trabéculaire de ces patients, mesurée par absorptiométrie monophotonique, biphotonique ou par tomodensitométrie, est inférieure à celle des sujets normaux dans la majorité des études.

L’ostéopénie, une myopathie, une neuropathie périphérique, des chutes liées aux intoxications aiguës, se conjuguent chez ces patients pour provoquer des fractures périphériques et des tassements vertébraux.

2- Conduite à tenir :

La réversibilité potentielle de l’ostéopénie après sevrage alcoolique est suggérée par certaines études, mais n’est pas actuellement tout à fait établie.

Le sevrage alcoolique est difficile à réaliser chez l’alcoolique dépendant.

Il est en revanche possible, dans notre expérience, d’obtenir une franche réduction de l’abus d’alcool chez les patients dont la consommation, non dissimulée, s’inscrit dans des habitudes alimentaires familiales ou professionnelles.

L’information du patient sur les effets directs de l’alcool sur le tissu osseux est alors efficace chez environ la moitié d’entre eux.

Elle doit s’inscrire dans une démarche nutritionnelle plus globale qui vise à corriger l’ensemble des erreurs alimentaires et en particulier la carence calcique et vitaminique D souvent associée.

E – Tabagisme :

Le rôle du tabac dans la survenue d’une ostéoporose masculine est suspecté depuis les travaux de Seeman montrant que le risque de fracture vertébrale était multiplié par 2,3 chez les grands fumeurs de plus de 60 ans, indépendamment de la consommation d’alcool.

Slemenda et al ont montré que le taux de perte osseuse mesuré au radius était plus important chez les fumeurs et semblait corrélé au nombre de cigarettes.

Hollenbach et al ont confirmé que la perte osseuse était mesurable sur l’ESF, corrélée au nombre de cigarettes, et potentiellement réversible à l’arrêt du tabac.

En revanche, la preuve formelle du rôle du tabac dans la survenue des fractures n’a pas été apportée pour le moment.

Il a été montré chez les femmes que la consommation de tabac était associée à un petit poids, une diminution de l’absorption calcique et un taux plus bas d’oestrogènes (facteurs influençant négativement la masse osseuse).

Aucune explication physiopathologique spécifique n’est en revanche disponible chez l’homme.

F – Maladies hépatodigestives :

Il est incontestable que les maladies hépatodigestives sont souvent associées à la survenue d’une ostéoporose chez l’homme et chez la femme.

L’analyse de ce cadre étiologique se heurte toutefois à trois difficultés majeures.

– Les pathologies impliquées sont tout d’abord multiples : la gastrectomie est certes au premier plan, mais il s’agit également de résections intestinales, d’entérocolopaties inflammatoires, de syndromes de malabsorption, de cirrhoses alcooliques ou non, de pancréatites chroniques, de transplantations hépatiques.

– Les déterminants physiopathogéniques sont également nombreux et souvent associés chez un même patient : carence calcique ou vitaminique D, carence protéique, consommation d’alcool ou de tabac, traitement par les GC, prise répétée d’antiacides (qui provoquent une hypophosphorémie).

– Enfin, les résultats histomorphométriques, inévitablement hétérogènes, montrent rarement une vraie ostéomalacie, parfois une ostéomalacie focale ou atypique, et plus souvent une ostéoporose.

La prise en charge préventive de ces patients est indispensable avant que ne survienne une perte osseuse corticale sévère, peu réversible et responsable de fractures répétées.

Après une gastrectomie, la calcémie et la phosphorémie sont longtemps normales.

La baisse du taux de la 25-hydroxyvitamine D et l’apparition d’une perte osseuse (détectable par la densitométrie) sont des signes plus précoces qui doivent conduire à la réalisation d’une histomorphométrie.

L’histologie osseuse montre alors une ostéomalacie chez environ 20 %de ces patients, et dans les autres cas confirme l’existence d’une ostéoporose à bas niveau de remodelage.

Aucune explication claire n’est actuellement proposée pour expliquer le fait qu’une fraction seulement des patients développe une ostéomalacie.

G – Hypercalciurie :

1- Est-elle une étiologie de l’ostéoporose ?

Deux approches méthodologiques distinctes sont possibles pour répondre à cette question.

– La première consiste à apprécier la fréquence de ce trouble métabolique chez des hommes ostéoporotiques.

Contestable du point de vue méthodologique, en raison d’évidents biais de recrutement, elle apporte des résultats hétérogènes, discordants d’une équipe à l’autre.

Seeman, puis Francis n’ont pas retrouvé une fréquence accrue de la lithiase ou de l’hypercalciurie dans deux séries distinctes de patients.

Au contraire, d’autres auteurs ont identifié de petits groupes de patients présentant une ostéoporose associée à une hypercalciurie idiopathique, en l’absence de tout autre facteur étiologique.

Ainsi, Ringe retrouve, sur une grande série de 254 hommes ostéoporotiques, une hypercalciurie idiopathique dans 23 observations.

– La deuxième approche, scientifiquement plus satisfaisante, consiste à mesurer la densité osseuse et/ou la prévalence des fractures chez les patients porteurs d’une hypercalciurie, recrutés en milieu urologique ou néphrologique.

Les études publiées montrent l’existence d’une réduction de la densité osseuse (sans fractures) dont l’importance semble variable en fonction des sites et de la technique de mesure, du profil intestinal ou rénal de l’hypercalciurie, du morphotype et du sexe des patients.

Cette diminution de la densité osseuse est le plus souvent modérée, inférieure à une déviation standard et semble souvent favorisée par un antécédent de diète calcique prolongée.

Dans l’étude la plus récente, qui porte sur une cohorte de 110 hommes lithiasiques (dont 49 porteurs d’une hypercalciurie), la réduction de densité osseuse, minime sur le site tibial, n’est pas retrouvée sur le triangle de Ward, le col fémoral et le rachis lombaire.

Enfin, il a été montré que les régimes pauvres en calcium, non seulement étaient probablement nocifs pour le tissu osseux, mais de plus ne constituaient pas un moyen efficace de prévenir la récidive lithiasique.

2- Conduite à tenir :

* Diagnostic :

Rechercher la cause de l’hypercalciurie est indispensable car elle peut correspondre à :

– une hypercalciurie diététique liée à l’excès de sel, de protéines animales ou de calcium, étiologie la plus fréquente ;

– une hyperparathyroïdie normocalcémique, une hyperthyroïdie ou un hypercorticisme susceptibles d’expliquer la perte osseuse ;

– une tubulopathie avec diabète phosphoré associé (rare) ;

– une ostéoporose fracturaire souvent cause et non conséquence de l’hypercalciurie, en raison de l’immobilisation, des fractures répétées, ou de la prise de vitamine D à l’insu du médecin.

Il faut également rechercher une autre étiologie pour l’ostéoporose et ne pas se contenter de l’explication « hypercalciurie ».

3- Mesures thérapeutiques :

Si l’hypercalciurie est primitive ou diététique, il ne faut pas prescrire un régime pauvre en calcium, délétère pour la masse osseuse et inefficace pour prévenir la récidive lithiasique.

Limiter la consommation de sel (ne plus saler dans l’assiette) et de protéines animales (une seule ration de viande par jour) est une mesure souvent suffisante pour normaliser la calciurie (contrôle après 3 mois de régime).

Si l’hypercalciurie idiopathique persiste, la prescription de diurétiques thiazidiques qui positivent la balance calcique, préviennent la récidive lithiasique, et semblent diminuer l’incidence des fractures est très utile (25 à 50 mg d’hydrochlorothiazide par jour, en surveillant la kaliémie).

H – Ostéoporoses secondaires plus rares :

Une raréfaction osseuse ou des fractures peuvent révéler ou s’associer à des maladies rares endocriniennes, génétiques, toxiques ou inflammatoires.

La prise en charge dépend de la maladie initiale et dépasse largement le cadre de cet article.

L’anorexie mentale est la cause la plus habituelle des ostéoporoses de la femme jeune, non ménopausée.

Elle est parfois responsable de tassements vertébraux dont la survenue est précoce, avant 30 ans.

L’hémochromatose primitive, fréquente dans l’Ouest de la France, est une surcharge en fer d’origine génétique, responsable d’une mélanodermie, d’une cirrhose non alcoolique, d’un diabète, d’un hypogonadisme et d’une ostéoporose.

Les rôles respectifs de la surcharge en fer et de l’hypogonadisme dans la genèse de l’ostéoporose sont encore incomplètement élucidés.

Les formes mineures de la maladie de Lobstein, ou ostéogenèse imparfaite, sont parfois révélées à l’âge adulte en raison de fractures multiples, dans un contexte familial, associées à une éventuelle surdité et à des sclérotiques bleutées.

D’autres maladies génétiques rares peuvent être associées à une ostéoporose : syndrome de Marfan, syndrome d’Ehlers-Danlos et homocystinurie.

La mastocytose est une affection systémique, d’étiologie inconnue, caractérisée par une prolifération anormale de mastocytes qui sont présents dans la peau (et responsables d’une urticaire pigmentaire) et parfois dans les ganglions, la moelle osseuse, le foie, la rate et le tube digestif.

Les manifestations osseuses, présentes chez environ 70 % des patients, peuvent comporter une ostéoporose et des fractures vertébrales parfois inaugurales dans le cours de la maladie.

La prise d’anticonvulsivants pendant plusieurs années peut être responsable de modifications du métabolisme phosphocalcique (hypocalcémie, hypovitaminose D et hyperparathyroïdie secondaire) et d’une raréfaction osseuse dont l’importance et même la réalité sont actuellement discutées.

La polyarthrite rhumatoïde est une cause non rare d’ostéoporose dans les deux sexes, en raison de l’inflammation chronique, de l’immobilisation relative, mais surtout de la corticothérapie dont le rôle semble essentiel dans le déterminisme de la perte osseuse et des fractures qui surviennent chez ces patients.

Ostéoporoses masculines :

L’ostéoporose masculine est singulière par bien des aspects épidémiologiques, étiologiques et cliniques.

La faible incidence des fractures non traumatiques avant 65 ans contraste chez l’homme avec l’important retentissement des fractures vertébrales et surtout avec la fréquence et la gravité des fractures de l’ESF, dont le taux de mortalité à 1 mois est près de deux à trois fois supérieur à celui de la femme.

Les facteurs étiologiques qui conditionnent la perte osseuse sont multiples, intriqués, et rendent la démarche diagnostique complexe.

En l’absence d’une définition claire des seuils d’intervention, la tâche du clinicien est particulièrement difficile, d’autant plus que les études thérapeutiques contrôlées sont actuellement quasi inexistantes chez l’homme.

A – Pourquoi l’ostéoporose est-elle plus rare chez l’homme ?

L’espérance de vie plus faible et l’absence d’un équivalent de la ménopause sont les raisons habituellement apportées pour expliquer la moindre incidence de l’ostéoporose chez l’homme.

Mais depuis une dizaine d’années, en raison des progrès réalisés pour évaluer la masse osseuse (absorptiométrie biphotonique et tomodensitométrie [TDM] quantitative) et étudier l’architecture osseuse (analyse stéréologique de la biopsie osseuse), on connaît avec plus de précision l’évolution du capital osseux cortical et trabéculaire chez l’homme et ses conséquences sur le risque fracturaire.

1- Capital osseux :

Chez l’homme normal, le capital osseux maximal est acquis au début de la troisième décennie.

Il est alors supérieur d’environ 30 %à celui de la femme (1 200 g de calcium contre 900 g chez la femme), essentiellement en raison de la plus grande taille des os masculins.

La croissance prépubertaire, qui conditionne largement la taille des pièces osseuses, est plus longue de 2 ans en moyenne chez l’homme ; le diamètre des os longs et les surfaces vertébrales sont ainsi plus élevés d’environ 20 à 25 % (contribuant à une résistance biomécanique accrue).

En revanche, la densité osseuse vraie, mesurée par scanner dans un compartiment strictement trabéculaire (le centre de la vertèbre), est similaire dans les deux sexes.

2- Perte osseuse liée à l’âge :

La TDM montre également que, hormis dans les quelques années qui suivent immédiatement la ménopause, la perte osseuse trabéculaire liée à l’âge est identique dans les deux sexes, tout particulièrement au rachis.

L’évolution de la structure des os longs est en revanche différente : la porosité corticale et la résorption endostéale, communes aux deux sexes, sont moins élevées chez l’homme ; l’apposition périostée est au contraire plus forte.

La circonférence des os longs, facteur de résistance mécanique, va donc s’accroître avec l’âge chez l’homme, tout particulièrement pour le col fémoral.

3- Architecture osseuse :

L’évolution avec l’âge de l’architecture osseuse trabéculaire, évaluée à l’aide de l’histomorphométrie, semble également différente : les perforations trabéculaires sont moins fréquentes chez l’homme.

Pour Mosekilde et al, la microarchitecture osseuse serait plus préservée chez les hommes : certes les travées deviendraient plus fines avec l’âge, mais elles seraient moins perforées et moins fragmentées que chez la femme.

Contrairement aux idées admises, ce n’est donc pas en raison d’une densité osseuse plus élevée que l’homme est protégé vis-à-vis du risque ostéoporotique, mais en raison de la taille de ses pièces osseuses, de la surface de ses vertèbres, de l’augmentation avec l’âge du diamètre de ses os longs, et de la relative préservation de la microarchitecture osseuse.

De plus, pour certains auteurs, le risque de chutes serait plus faible chez l’homme âgé que chez la femme, en raison peut-être de sa masse musculaire plus grande.

B – Déterminants du risque fracturaire :

1- Masse osseuse :

Plusieurs études transversales ont montré que la densité osseuse mesurée par absorptiométrie mono- ou biphotonique ou par TDM quantitative était significativement abaissée chez les hommes souffrant de tassements vertébraux ou de fractures de l’ESF.

On dispose également des résultats de trois études longitudinales et prospectives.

Gärdsell et al, en mesurant la densité osseuse à l’avant-bras par absorptiométrie monophotonique chez 654 hommes âgés de 30 à 89 ans, ont calculé que le risque fracturaire était multiplié par six pour les patients dont la densité osseuse était située dans le quintile inférieur par rapport à ceux dont la densité osseuse était située dans le quintile le plus élevé.

De même, Nguyen et al ont montré que toute diminution de la densité osseuse fémorale d’un écart type multipliait par trois le risque de fracture de l’ESF et par deux celui de tassement vertébral.

Enfin, Ross et al ont suggéré que la mesure du CMO à l’avant-bras prédisait de façon équivalente le risque de fractures chez l’homme et chez la femme.

Cette étude suggère également que pour une densité osseuse donnée (exprimée en valeur absolue, c’est-à-dire en g/cm2), le risque fracturaire est équivalent dans les deux sexes.

Les études épidémiologiques qui ont cherché à établir la prévalence de l’ostéoporose, définie seulement par un critère densitométrique, chez l’homme, sont encore peu nombreuses.

En utilisant les critères proposés par un groupe d’expert de l’OMS, on a pu établir que 5,8 % des hommes de plus de 50 ans (cohorte britannique) présentaient une densité sur le col fémoral inférieure à 0,545 g/cm2 (valeur qui correspond à un scoreTinférieur à -2,5 chez la femme pour la courbe de référence Hologic), contre 22,5 %des femmes.

L’analyse d’une cohorte californienne de 218 hommes, âgés de 50 à 64 ans, montre que 17 % d’entre eux présentent une ostéoporose densitométrique à l’un au moins des trois sites mesurés (rachis, ESF, radius).

Il existe une bonne cohérence entre ces chiffres et le risque de survenue d’une fracture ostéoporotique chez un homme âgé de 50 ans pendant le reste de sa vie, qui est estimé entre 13,1 % et 25,6 % pour l’ensemble des fractures possibles, et à 6 % pour la fracture de l’ESF.

2- Âge :

C’est un facteur de risque essentiel pour la survenue de fractures par fragilité.

L’incidence des événements fracturaires non traumatiques est très faible avant 65 ans chez l’homme.

En revanche, l’augmentation de l’âge de 10 ans multiplie, dans une étude, le risque de fracture par cinq, indépendamment de la densité osseuse.

3- Macroarchitecture osseuse :

Il a été montré chez l’homme que la survenue de fractures vertébrales était associée à une réduction de la surface vertébrale d’environ 30 %, et que l’épaisseur du col fémoral était plus petite chez les hommes souffrant d’une fracture de l’ESF par rapport aux sujets indemnes.

4- Microarchitecture osseuse :

Nous avons montré récemment que l’histomorphométrie couplée à l’analyse d’images était capable de quantifier les perturbations architecturales du réseau trabéculaire au cours de l’ostéoporose masculine cortisonique et non cortisonique.

Ces perturbations architecturales, qui comportent des perforations et des fragmentations des travées osseuses, semblent augmenter de façon rapide lorsque le volume trabéculaire osseux devient inférieur à 11 % et l’épaisseur des travées inférieure à 80 mm.

Elles sont plus importantes chez les hommes qui présentent des tassements vertébraux (par rapport aux patients ostéopéniques sans fractures) et semblent fortement corrélées, dans cette étude transversale, au nombre de ces fractures.

5- Facteurs extraosseux :

Les études prospectives récentes ont démontré que d’autres facteurs extraosseux influencent le risque fracturaire. Ainsi, dans l’étude longitudinale de Gärdsell et al, le risque fracturaire est relié à quatre variables indépendantes :

– la densité osseuse ;

– l’existence de fractures vertébrales préalables ;

– la force musculaire ;

– les antécédents de chute. Une autre étude prospective et longitudinale apporte des informations comparables : après ajustement en fonction de la densité osseuse fémorale, les facteurs de risque de fracture sont :

– le degré d’instabilité ;

– un antécédent de chute ;

– un faible poids ;

– une diminution de la force musculaire quadricipitale, chacun de ces facteurs multipliant le risque de fractures par un coefficient d’environ 1,2.

Ces facteurs, clairement associés au risque de chutes, doivent être impérativement pris en compte dans une politique de prévention chez l’homme âgé.

C – Facteurs étiologiques de la perte osseuse :

La survenue d’une ostéoporose chez un homme résulte de l’existence de facteurs étiologiques susceptibles de modifier l’acquisition du capital osseux, la cinétique de la perte osseuse, l’intégrité de la microarchitecture trabéculaire, ou de majorer le risque de chutes.

Les déterminants étiologiques les plus pathogènes possèdent plusieurs points d’impact : l’alcool, par exemple, accélère la perte osseuse en déprimant la formation osseuse, facilite l’apparition de perforations trabéculaires, majore les perturbations microarchitecturales, mais augmente également le risque de chutes en raison de la neuropathie et de la succession des intoxications aiguës.

Pour clarifier l’analyse des facteurs étiologiques, il est possible de séparer ces déterminants en quatre catégories : facteurs génétiques ou familiaux, facteurs anthropométriques, facteurs d’environnement et de mode de vie, et enfin facteurs pathologiques, déterminants essentiels de la perte osseuse chez l’homme adulte.

1- Facteurs génétiques et familiaux :

Il est acquis que 60 à 80 % de la variance du pic de masse osseuse dépend de facteurs génétiques.

En revanche, les conséquences d’un faible capital osseux initial sur la genèse tardive d’une ostéoporose masculine, primitive ou secondaire, sont encore peu documentées.

De plus, il est actuellement difficile de faire la part dans les résultats entre les facteurs génotypiques et les facteurs d’environnement liés à la famille (habitudes nutritionnelles ou sportives et tabagisme).

L’analyse d’une cohorte de 600 hommes (60 à 89 ans) par Soroko et al montre qu’après ajustement pour les variables confondantes (âge, body mass index [BMI], consommation de tabac, utilisation de thiazides), les patients qui ont un antécédent paternel d’ostéoporose ont une densité osseuse plus basse sur le rachis et l’ESF, tandis que la liaison avec un antécédent maternel d’ostéoporose n’existe que pour la densité osseuse de l’ESF.

2- Facteurs anthropométriques :

Plusieurs études transversales montrent que la densité osseuse est positivement influencée par le poids et la taille, chez l’homme comme chez la femme.

De même, un faible poids est un facteur de risque pour la survenue de fractures vertébrales ou fémorales.

En revanche, les résultats apportés par Poor et al, qui suggèrent que les hommes avec une fracture du col fémoral sont plus grands que les sujets témoins, concordent avec les travaux récents réalisés dans des cohortes féminines.

3- Activité physique :

Une faible activité physique exerce un effet négatif sur la densité osseuse rachidienne chez l’homme vers 50 ans. De façon plus précise, Warhatig Glynn et al montrent que la densité osseuse fémorale des hommes de 65 ans ne dépend pas de leur activité physique actuelle, mais de leur force musculaire quadricipitale et de leurs antécédents sportifs.

Les effets cumulés de l’inactivité sur la masse osseuse et sur la survenue de chutes expliquent que ce facteur étiologique multiplie le risque de fracture de l’ESF par trois.

4- Ration calcique :

Influence-t-elle le risque fracturaire chez l’homme ?

Il est actuellement impossible d’apporter une réponse claire à cette question.

D’une part la relation positive entre ration calcique et densité osseuse n’est retrouvée que dans certaines études, d’autre part elle varie en fonction du site de mesure de la densité osseuse, de l’âge des patients étudiés, et du mode d’appréciation de la ration calcique.

Parmi les cinq études prospectives qui ont évalué chez l’homme les relations entre la ration calcique et le risque de fractures de l’ESF, deux travaux seulement montrent un effet protecteur du calcium.

5- Facteurs pathologiques :

Si de très nombreux facteurs étiologiques sont associés à la survenue d’une ostéoporose chez l’homme, la fréquence et l’impact pathologique réel de ces différents déterminants sont encore controversés. Seeman, Francis, Ringe et Kelepouris ont analysé les pathologies associées à la survenue d’une ostéoporose vertébrale.

Ces études descriptives, dont la fiabilité méthodologique est limitée (hormis le travail de Seeman qui comporte un groupe témoin), suggèrent que 50 à 75 % des patients présentent une ostéoporose secondaire et que les pathologies les plus impliquées sont l’hypercorticisme, l’hypogonadisme, l’intoxication alcoolique ou tabagique, les maladies hépatodigestives.

Les facteurs pathologiques susceptibles d’accélérer la perte osseuse chez l’homme sont nombreux et souvent associés chez un même patient.

L’hypercorticisme, l’hypogonadisme, la maladie alcoolique et certaines maladies digestives sont capables de provoquer, isolément, la survenue de fractures.

Au contraire, il est probable que l’hypercalciurie idiopathique, le tabagisme, la carence calcique et vitaminiqueDn’agissent que comme cofacteurs sur un terrain génétiquement prédisposé (faible capital osseux) ou lorsqu’ils sont associés à d’autres pathologies.

D – Quels patients explorer ? Quels patients traiter ?

La définition de l’ostéoporose masculine, c’est-à-dire l’identification des patients qu’il est nécessaire d’explorer et de traiter n’est pas facile à établir.

Ce point est pourtant crucial en raison du coût élevé des explorations biologiques et du traitement inévitablement prolongé pendant plusieurs années.

C’est dire l’importance de la détermination d’une population à haut risque de fractures, qui représenterait environ 10 % de la population masculine générale.

En pratique, la question de la prise en charge peut se poser dans trois circonstances différentes.

1- Connaissance d’un facteur de risque majeur chez un patient :

La corticothérapie générale prolongée, l’hypogonadisme et la maladie alcoolique et les pathologies hépatodigestives chroniques sont quatre circonstances incontournables pour réaliser une densitométrie lombaire et fémorale qui permettra d’apprécier le retentissement osseux et de débuter la prévention.

2- Découverte d’une ostéopénie :

L’interprétation de la mesure de densité osseuse doit être prudente chez l’homme pour quatre raisons.

– L’incidence des événements fracturaires non traumatiques reste très faible avant 65 ans chez l’homme.

– L’augmentation de l’âge de 10 ans multiplie le risque fracturaire par trois à cinq, indépendamment de la densité osseuse.

– Des résultats récents apportés par notre équipe suggèrent fortement que les paramètres appréciant l’architecture osseuse trabéculaire sont plus discriminatifs que la mesure de la densité osseuse pour séparer les patients ostéopéniques des patients ostéoporotiques.

– Enfin, on doit souligner que, si à densité égale (exprimée en g/cm2), le risque fracturaire est sensiblement équivalent dans les deux sexes, cette règle n’est pas valable pour le T-score qui tient compte du capital osseux maximal, plus élevé chez l’homme.

Ainsi que l’ont souligné, dans leur article princeps, le groupe d’experts de l’OMS, la définition densitométrique de l’ostéoporose postménopausique (T-score inférieur à -2,5) ne s’applique pas dans les mêmes termes à l’homme, chez qui il vaut sans doute mieux utiliser comme critère une valeur de T-score inférieure à -3.

3- Découverte de tassements vertébraux :

L’existence de fractures vertébrales ou périphériques n’est pas toujours synonyme d’ostéoporose.

Cette situation, simple en apparence, n’est pas en effet exempte de pièges diagnostiques.

Le risque de confusion entre tassement vertébral et déformation rachidienne d’une part, entre fracture traumatique et fracture ostéoporotique d’autre part est particulièrement important chez l’homme.

La réalisation d’une densitométrie osseuse est donc indispensable pour affirmer que les fractures vertébrales sont bien liées à une ostéoporose.

E – Conduite à tenir :

1- Diagnostic :

La stratégie diagnostique, proche de celle utilisée chez la femme, comporte plusieurs étapes :

– confirmer le caractère ostéoporotique des fractures en vérifiant l’existence d’une franche ostéopénie, en s’assurant de l’absence de pathologies malignes ou d’ostéomalacie ;

– rechercher soigneusement une ostéoporose secondaire présente chez près de 70 % des patients ; parmi les explorations biologiques, le dosage de la testostérone couplé à celui de la LH est indispensable ;

– discuter l’indication d’une biopsie osseuse dès lorsqu’il existe un contexte clinique ou biologique évoquant une ostéomalacie, une hémopathie ou une mastocytose ;

– rechercher des éléments de gravité : présence de facteurs étiologiques associés, ostéopénie sévère (T-score inférieur à -3, 5 sur le rachis, ou à -3 sur l’ESF), fracture vertébrale indiscutable, fractures multiples, fracture de l’ESF, handicap neurosensoriel, âge inférieur à 70 ans.

2- Traitement :

Le traitement étiologique des ostéoporoses secondaires est bien sûr indispensable.

* Moyens thérapeutiques non spécifiques :

Les informations scientifiques disponibles pour traiter une ostéoporose masculine primitive sont encore éparses et incomplètes.

+ Exercice physique :

Les effets cumulés de l’inactivité physique sur la masse osseuse et sur la survenue de chutes expliquent que ce facteur étiologique multiplie le risque de fracture de l’ESF par trois chez l’homme.

En plus de ses bénéfices directs pour le tissu osseux, la reprise d’une activité physique progressive et régulière (trois fois 45 minutes par semaine environ) paraît donc souhaitable chez l’homme jeune pour favoriser la réinsertion professionnelle, et chez le sujet âgé (marche à pied) pour diminuer le risque de chutes en améliorant le tonus musculaire des membres inférieurs.

+ Calcium et vitamine D :

L’efficacité de la supplémentation calcique et vitaminique D n’a été évaluée que dans une seule étude contrôlée et ne s’avère pas efficace pour prévenir la perte osseuse chez des hommes sains âgés de 60 ans.

En revanche, il a été montré chez l’homme que le taux de la PTH s’élève avec l’âge, et que les taux de la 25-hydroxyvitamine D et de la 1-25-dihydroxyvitamineDdiminuent au cours du vieillissement.

Ces modifications biologiques sont clairement associées à la perte osseuse qui survient chez l’homme âgé.

La supplémentation calcique et vitaminique D est capable de normaliser le taux de la PTH chez l’homme âgé.

Sa prescription paraît indispensable si le patient est âgé, institutionnalisé, carencé, alcoolique, ou porteur d’une maladie digestive chronique.

La publication récente d’une étude prospective montrant que le risque de cancer de prostate était multiplié par 2,5 chez les patients prenant plus de 2 g/j de calcium incite à bien respecter les apports recommandés par les conférences de consensus, en ne dépassant pas 1,5 g/j, calcium alimentaire compris.

+ Bisphosphonates :

Aucune grande étude thérapeutique contrôlée n’a été conduite au cours de l’ostéoporose masculine primitive avec les bisphosphonates.

Les résultats des études ouvertes (étidronate, alendronate, pamidronate), qui doivent être interprétés avec beaucoup de prudence en raison de biais méthodologiques, plaident en faveur d’une efficacité en termes de densité osseuse.

En revanche, l’effet antifracturaire n’a pas été évalué.

+ Sels de fluor :

Ringe et al ont rapporté les résultats d’une étude randomisée portant sur 64 hommes ostéopéniques, comparant le monofluorophosphate (MFP) prescrit à faibles doses au calcium seul (1 g/j).

Après 3 ans de traitement, le gain de densité osseuse est de +8,9 % au rachis lombaire et +1,9 % au col fémoral dans le groupeMFP, et le taux de nouvelles fractures vertébrales est de 12/100 patients-années contre 35,4 dans le groupe calcium.

La faiblesse des effectifs doit rendre prudent dans l’analyse de ces résultats.

De plus, il faut rappeler que l’efficacité des sels de fluor n’a pas été démontrée, en termes de réduction de l’incidence fracturaire, dans l’ostéoporose postménopausique.

+ Androgènes et parathormone :

L’utilisation de la testostérone par voie intramusculaire a été évaluée récemment pour traiter l’ostéoporose primitive.

Les résultats montrent un gain de densité osseuse lombaire de 5 % sur 6 mois, associé à une réduction significative des marqueurs biochimiques de la résorption osseuse, sans effets secondaires importants cardiovasculaires, psychologiques ou sexuels.

En raison d’un manque de recul clinique évident, ce traitement ne peut cependant être actuellement utilisé, en l’absence d’hypogonadisme.

L’utilisation de la PTH ou de certains fragments synthétiques de cette hormone pourrait s’avérer prometteuse, en raison de son pouvoir de stimulation de la formation osseuse.

* En pratique :

En pratique, la prise en charge de l’ostéoporose masculine doit être adaptée à chaque patient, en définissant à chaque fois les facteurs étiologiques en cause, le degré de sévérité de l’ostéoporose, son évolutivité et donc les moyens thérapeutiques utiles.

Le traitement des facteurs étiologiques, largement développé dans cet article, est toujours indispensable, quelle que soit la sévérité de l’ostéoporose.

La supplémentation en calcium et en vitamine D doit être proposée aux patients âgés, institutionnalisés, carencés ou alcooliques.

La mise en route d’un traitement curatif par les bisphosphonates pourrait constituer, dans l’état actuel de nos connaissances, la meilleure solution pour l’ostéoporose primitive et pour les ostéoporoses secondaires, en réservant ce traitement aux patients présentant un ou plusieurs critères de gravité.

Enfin, chez le sujet âgé, la prévention du risque de chutes, souvent oubliée, est capitale, en agissant sur l’environnement sensoriel (améliorer la vue), matériel (aménagement du domicile) et médicamenteux (diminution progressive des somnifères et des tranquillisants).

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