Neurotoxicité des substances naturelles

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Introduction :

Le but de ce chapitre est d’aider le clinicien à évoquer une cause toxique naturelle devant une histoire neurologique aiguë ou chronique, et de fournir un inventaire des « neurotoxiques » environnementaux.

Cependant, cet inventaire ne peut prétendre être exhaustif.

Neurotoxicité des substances naturellesSpencer et Schaumburg, en 2000, dans un manuel encyclopédique sur la neurotoxicologie expérimentale et clinique, recensent plus d’une centaine de familles de toxines naturelles connues à ce jour.

Leur description des plantes neurotoxiques est basée sur les ouvrages de référence de Bruneton, qui décrit la toxicité de plusieurs centaines de plantes, chez l’homme et l’animal.

De plus, de nombreuses plantes contiennent vraisemblablement des neurotoxines non connues à ce jour.

Il en est de même pour les neurotoxines synthétisées par certaines espèces d’insectes, ou d’animaux marins.

Par exemple, les acétogénines, puissantes neurotoxines inhibant le complexe I de la chaîne respiratoire mitochondriale (qui seront évoquées plus loin), viennent d’être découvertes chez une espèce marine : le stolonica, et dans des larves d’insectes.

Enfin, la mise en évidence d’une toxicité chronique est souvent le fait du hasard et sa confirmation est particulièrement laborieuse.

Prouver la toxicité à long terme de substances naturelles chez l’homme nécessite non seulement une démonstration épidémiologique claire, mais aussi la création d’un modèle animal reproduisant à la fois le syndrome clinique et les lésions neuropathologiques.

Sur l’île de Guam dans l’archipel des Mariannes, où la prévalence de la sclérose latérale amyotrophique et de syndromes parkinsoniens atypiques fut jusqu’à 100 fois supérieure à celle des États-Unis ou de l’Europe, de nombreuses hypothèses étiologiques ont été émises, et furent la source d’un débat scientifique international.

L’hypothèse d’une toxicité de la farine des graines de cycas circinalis a été battue en brèche, après avoir été défendue pendant plus de 20 ans ; c’est le meilleur exemple de la difficile tâche des neurotoxicologues cliniciens.

Syndromes neurotoxiques d’allure épidémique :

La toxicité de plantes alimentaires a été reconnue depuis plus de 2000 ans, avec le lathyrisme.

Le cassavisme fut décrit ultérieurement.

Les neuromyélites optiques tropicales dont l’origine toxique n’est pas formellement prouvée constituent un groupe hétérogène d’affections, dans lesquelles prédomine tantôt l’atteinte myélitique, tantôt l’atteinte périphérique.

Enfin, le syndrome « lytico-bodig » de l’île de Guam représente un modèle très intéressant de pathologie d’origine environnementale, bien que la cause exacte demeure mystérieuse pour la plupart des observateurs.

A – LATHYRISME :

Les plantes légumineuses ou fabales, dont de nombreuses espèces sont toxiques, constituent un groupe de 17 000 espèces d’aspect très différent.

Elles se divisent en deux groupes principaux : d’une part, des plantes tropicales (dont la neurotoxicité sera évoquée plus loin), d’autre part des plantes européennes, qui sont le plus souvent de petites herbacées dont les fruits sont des gousses ou « légumes ».

Les graines de ces gousses permettent la fabrication d’une farine. Celles de certaines espèces : jarosse (Lathyrus sativus), gesse chiche (Lathyrus cicera), gesse pourpre (Lathyrus clymenum) furent (et sont encore parfois) l’aliment de base en période de grande famine.

La consommation de cette farine est à l’origine du lathyrisme, déjà décrit par Hippocrate au IVe siècle avant JC, puis par Pline l’Ancien et Galien.

C’est un syndrome médullaire stéréotypé marqué par une paraparésie spastique isolée, sans trouble sensitif, ni ataxie.

Les anciens auteurs avaient déjà mis en évidence le lien entre le syndrome clinique et la plante toxique.

Au XVIe, en Allemagne, un édit du duc de Wurtemberg en interdit la consommation.

Malgré cela, la consommation de farine de lathyrus s’est pérennisée au cours des périodes de famine du XVIe au XVIIIe siècle. De nombreuses « pseudoépidémies » de lathyrisme surviennent en Italie entre 1690 et 1873.

Durant cette période, Cantani décrit pour la première fois la maladie sous le nom de lathyrisme.

De nombreux cas surviennent aussi en Inde vers 1860, bien corrélés à l’importance de la vente de lathyrus sur les marchés, qui devient un index de la pauvreté des villages ou des familles.

Des survivants de camps de concentration, victimes du lathyrisme et vivant actuellement en Israël ont été décrits avec précision et suivis au long cours.

Une atteinte de la corne antérieure a été mise en évidence dans certains de ces cas.

Les manifestations neurologiques de la phase aiguë ne sont pas seulement liées à un facteur toxique, mais aussi aux profondes carences alimentaires et vitaminiques.

Il ne s’agit donc pas d’un modèle neurotoxique « pur ».

Le lathyrisme n’a pas disparu : en 1999, une nouvelle épidémie fut décrite en Éthiopie.

Le diagnostic repose sur quatre critères :

– la consommation de farine de lathyrus comme base de l’alimentation durant les mois précédents ;

– le développement d’une paraparésie pure ;

– la stabilisation clinique après l’arrêt de la consommation de lathyrus ;

– l’absence d’autre cause évidente.

S’il n’existe pas de doute sur les dangers de l’alimentation par la farine de gesse, en revanche, il n’est pas certain que la toxine candidate, extraite de la graine du Lathyrus soit la cause de la maladie.

Il s’agit d’un dipeptide : l’acide bêta-N-oxalylamino-L-alanine (BOAA), dont l’administration à l’animal reproduit de façon très inconstante un syndrome clinique apparenté au syndrome médullaire de l’homme.

Le BOAA serait un agoniste glutamatergique.

B – CASSAVISME :

Le manioc est une des racines les plus consommées dans les régions tropicales pauvres.

La farine de manioc ou cassave, est connue en France sous le nom de tapioca.

Il existe deux principales variétés de manioc : le manioc doux et le manioc amer.

Le manioc contient un dérivé cyanogène (le linamaroside), qui se localise dans la variété douce dans l’enveloppe et est facilement éliminé après épluchage et lavage.

Dans la variété amère, il est présent dans tout le tubercule et n’est éliminé qu’après trempages et rinçages itératifs de la pulpe dans l’eau.

L’intoxication aiguë après ingestion de manioc amer se traduit par des troubles digestifs, voire un état de choc et parfois un décès.

Plusieurs pathologies neurologiques ont été associées à la consommation chronique de manioc amer, malgré sa détoxification telle qu’évoquée ci-dessus.

Des troubles cognitifs ont été décrits, liés à une hypothyroïdie résultant d’une inhibition de la fixation de l’iode sur la thyroïde par le thiocyanate.

Les manifestations le plus fréquemment rapportées sont des neuropathies et des myélites, avec atteinte du nerf optique, et parfois d’autres nerfs crâniens.

Les neuropathies tropicales ataxiantes décrites au Nigeria associent à des degrés divers une neuropathie sensitivomotrice, une myélopathie, une atrophie optique bilatérale.

Le konzo, décrit dans différents pays d’Afrique noire, comporte une paraparésie spastique d’installation aiguë, associée à une atteinte optique. Plus de 3 700 cas ont été rapportés, surtout en zones rurales.

L’existence de foyers endémiques, voire épidémiques, a pu faire croire à une cause infectieuse.

Plus fréquent au Zaïre, le konzo a été décrit également en Tanzanie, au Sénégal, en Sierra Leone, au Mali, en Côte d’Ivoire, au Ghana, au Togo, en Ouganda, en Afrique du Sud et au Mozambique.

Quelques cas ont été observés en Inde. Plusieurs hypothèses étiologiques ont été discutées.

Si une origine toxique environnementale est vraisemblable, aucune certitude n’existe quant au lien avec la consommation de manioc.

De plus, l’exposition à des dérivés cyanogènes provenant d’autres sources n’est pas associée à ce type de troubles.

La toxine candidate varie selon les auteurs.

Pour certains, il s’agit du thiocyanate, pour d’autres, il s’agit du 2-iminothiazolidine-4-carboxylic acid, dont la neurotoxicité est avérée in vitro.

Les patients victimes de ces troubles ne bénéficient habituellement pas des examens morphologiques et neurophysiologiques qui permettraient d’authentifier les lésions médullaires et d’obtenir un diagnostic syndromique formel.

Le konzo et la neuropathie ataxiante sont considérés comme deux formes de cassavisme.

Il est vraisemblable que ce groupe hétérogène de troubles sensitivomoteurs où prédomine tantôt l’atteinte périphérique, tantôt l’atteinte médullaire, englobe en fait deux syndromes distincts : d’une part une neuropathie périphérique, peut-être d’origine carentielle, d’autre part une myélite avec atteinte optique, proche des neuromyélites optiques et dont l’origine pourrait être toxique.

Ces neuromyélites sont très proches de celles décrites dans la Caraïbe.

C – NEUROMYÉLITES OPTIQUES TROPICALES DE LA CARAÏBE :

Les neuromyélites optiques ont bénéficié récemment d’une redéfinition de leur cadre diagnostique.

Cette pathologie, rare aux États-Unis et en Europe, semble avoir une prévalence plus importante sur les îles de la Caraïbe.

L’histoire clinique est marquée par la survenue d’une paraplégie ou d’une tétraplégie rapidement spastique, chez une femme jeune, associée à des phénomènes douloureux sévères, et une neuropathie optique souvent bilatérale évoluant vers la cécité.

Les patients, après plusieurs épisodes d’aggravation, le plus souvent par poussées, décèdent de détresse respiratoire lorsque les lésions médullaires atteignent la moelle cervicale haute.

Décrites dès 1897 par Strachan à la Jamaïque, les neuromyélites optiques caribéennes paraissent plus homogènes que celles rapportées en Afrique.

Les patients, qui sont habituellement d’origine africaine, développent d’abord des douleurs latérovertébrales, dorsales ou lombaires, puis des paresthésies des extrémités, une hyperpathie, des douleurs constrictives en ceinture de topographie abdominale ou thoracique.

Une paraparésie spastique survient secondairement, dont l’évolution est variable. Une atteinte optique est fréquemment associée.

En 1964, Montgomery rapporte dans les petites Antilles (îles de Trinidad, Barbade, Montserrat et Antigua) une série de 181 cas de myélites aiguës, dont la sémiologie est très comparable.

L’étiologie reste mystérieuse.

La « pseudoépidémie » de neuropathies et neuromyélites de Cuba, au début des années 1990, est, elle, très hétérogène.

Plus de 50 000 personnes développent entre 1992 et 1993 une pathologie neurologique aiguë ou subaiguë, le plus souvent une neuropathie optique (près de 70 % des cas), plus rarement une neuromyélite (24 % des cas), ce qui représente tout de même plus de 10 000 cas !

Les études épidémiologiques menées par des médecins étrangers suggèrent diverses hypothèses, mais la piste toxique est rapidement abandonnée au profit d’une étiologie carentielle, qui émeut l’opinion internationale et permet à Cuba d’obtenir un aménagement du blocus économique et l’envoi de suppléments vitaminiques du groupe B par l’aide humanitaire internationale.

Malgré cet apport vitaminique, il semble persister de nouveaux cas de neuromyélites à Cuba.

Dans les Antilles françaises, trois à quatre nouveaux cas de neuromyélite optique surviennent chaque année pour une population respective de 380 000 et 420 000 habitants.

Vernant et al ont rapporté en 1997, huit cas de neuromyélite optique, associée parfois à une endocrinopathie (galactorrhée, hypothyroïdie), et démontré la sévérité de la maladie (6 décès sur 8), qui ne répond pas aux traitements immunosuppresseurs classiques. Neuf autres cas ont été colligés ultérieurement.

En Guadeloupe, dix observations de neuromyélites optiques ont été recensées entre 1995 et 2000, survenant chez des femmes jeunes, neuf fois sur dix, et consommant des plantes médicinales de façon régulière.

Un lien avec le SMON (subacute myelitis with optic neuritis) a été suggéré en raison d’une communauté sémiologique (myélites, syndrome algique prédominant) et d’un facteur causal proche.

Le SMON, survenu sur un mode épidémique au Japon à partir de 1964, associe une myélite, une neuropathie périphérique et une atteinte optique rétrobulbaire, dont l’intensité respective est variable.

Le SMON a été rattaché à la consommation (importante à cette époque au Japon) de clioquinol, antiseptique intestinal.

Le suivi épidémiologique a permis de confirmer cette hypothèse, puisque le SMON a disparu après l’arrêt de la commercialisation du clioquinol.

Il fut rarement décrit en dehors du Japon, et exceptionnellement après la consommation d’autres formes d’isoquinolines.

Le mécanisme toxique pourrait être la formation de complexes lipophiles, formés par le clioquinol, chélateur de métaux lourds.

Ces complexes pourraient pénétrer les cellules gliales, et être à l’origine d’une lésion inflammatoire, primum movens de la maladie.

Des isoquinolines proches du clioquinol sont présentes dans des plantes médicinales utilisées aux Antilles comme tisanes pour leurs possibles vertus purgatives et sédatives.

L’origine environnementale des neuromyélites a été évoquée récemment en Afrique du Sud.

D – « LYTICO-BODIG » DE L’ÎLE DE GUAM :

Le « lytico-bodig » recouvre deux affections distinctes et qui n’ont aucun lien, en apparence, avec les maladies inflammatoires décrites ci-dessus.

Il fut essentiellement observé sur l’île de Guam, l’île la plus méridionale de l’archipel des Mariannes, situé à 5 000 kilomètres à l’ouest d’Hawaii, et à 3 000 kilomètres au sud du Japon.

Cette île fut conquise par les Espagnols au XVIe siècle, puis reprise par les Américains au début du XXe siècle.

Elle est essentiellement peuplée d’Indiens Chamorros, d’origine indonésienne, mais depuis 50 à 60 ans, les Philippins y représentent le deuxième groupe ethnique.

Ces derniers ne sont qu’exceptionnellement affectés par la maladie.

Dès le début du XIXe siècle (vers 1805), une affection ressemblant à la sclérose latérale amyotrophique (SLA) fut décrite chez les Chamorros.

Sa prévalence a pu atteindre dans le sud de l’île, 50 pour 100 000 habitants dans la population masculine.

Pour une raison inconnue à ce jour, la commune d’Umatac (qui n’a jamais compté beaucoup plus de 2 000 habitants) fut l’épicentre de la maladie.

C’est là que la fréquence de la SLA fut jusqu’à 100 fois supérieure à celle de l’Europe.

Un syndrome parkinsonien atypique avec démence a été rapporté dans la même zone au cours de la Seconde Guerre mondiale par des médecins militaires américains.

Néanmoins, il est vraisemblable qu’il fut contemporain du syndrome SLA, mais qu’il suscita initialement moins d’intérêt.

En effet, les certificats de décès, disponibles sur l’île depuis plus d’un siècle, révèlent une cause très fréquente de décès : « la sénescence » au début du XXe siècle, y compris chez des sujets jeunes, ce qui pourrait correspondre à une description banalisée du syndrome parkinsonien atypique avec démence, dans un environnement peu médicalisé.

Ce complexe Parkinson-démence (PDC) est surnommé « bodig » par les Chamorros dont la langue s’apparente à l’espagnol. Le terme « bodig » semble avoir été attribué à un des patients atteints, qui possédait un bar (ou « bodega »).

Le syndrome SLA fut surnommé « lytico », toujours par les Chamorros.

Le PDC comporte un syndrome parkinsonien doparésistant, associé à une démence sous-corticale.

Le syndrome parkinsonien est habituellement symétrique, avec une prédominance axiale de la rigidité.

Il s’associe parfois à une attitude dystonique d’un membre ou du cou, indépendante de la Ldopa.

Corollaire de la doparésistance, il n’existe habituellement pas de dyskinésies de milieu de dose.

Le tremblement est possible, mais inconstant.

La durée d’évolution est très variable, de quelques années à plus de 20 ans.

En fin d’évolution, les patients sont encore capables de comprendre les ordres simples, voire de communiquer, mais ont un syndrome pseudobulbaire sévère.

Le PDC est exceptionnellement associé à la forme SLA.

Steele, qui fut en 1964 un des auteurs de la description de l’ophtalmoplégie supranucléaire progressive ou PSP, a montré depuis son arrivée sur l’île de Guam en 1983, qu’environ 30 % des cas de PDC ont aussi une ophtalmoplégie supranucléaire progressive, suggérant une forte ressemblance avec la PSP.

Le « lytico-bodig » fut également observé dans l’île voisine de Guam : Rota.

La forme SLA a presque disparu et la prévalence du PDC ne cesse de diminuer. Parallèlement à la disparition du « lytico-bodig », l’apparition de cas probables de maladie de Parkinson depuis quelques années est un fait clinique intéressant ; sur la base d’un même patrimoine génétique de susceptibilité aux maladies neurodégénératives, l’exposition à un facteur environnemental pourrait influencer de façon importante le phénotype le plus fréquent.

De nombreux arguments plaident en faveur d’une cause toxique environnementale à Guam : le « lytico-bodig » disparaît, ce qui n’est jamais le cas des maladies à déterminisme génétique prépondérant, dès lors que l’espérance de vie permet d’avoir une descendance.

Il ne survient jamais chez les Chamorros qui sont nés et ont toujours vécu loin de Guam (comme en témoigne un groupe important, ayant émigré en Californie).

Diverses hypothèses environnementales ont été proposées, mais aucune ne fut démontrée : déficit en calcium et magnésium de l’eau courante, alimentation riche en aluminium, parasite à tropisme oculaire et neurologique.

L’hypothèse qui rencontra l’adhésion plus durable est celle de la toxicité d’un acide aminé potentiellement excitotoxique : la L-b-N-méthylamino-L-alanine (L-BMAA).

Cet acide aminé est présent dans la farine des graines de cycas circinalis (espèce ressemblant à un palmier, mais phylogénétiquement différente).

Cette farine était consommée par les habitants de l’île de Guam, sous forme de galettes cuites.

Cependant, l’administration de L-BMAA à l’animal ne produit pas les symptômes, ni les lésions neuropathologiques observées chez l’homme.

De plus, le L-BMAA, thermolabile, disparaît lors de la préparation des galettes.

Plus tard, l’hypothèse de la toxicité de la cycasine, autre toxique de la graine, fut proposée, mais n’obtint pas l’adhésion des cliniciens et chercheurs travaillant sur l’île.

La cycasine a une toxicité aiguë, systémique et non neurologique, bien connue des Chamorros, et la préparation de la farine de cycas permet d’éliminer la cycasine.

Pourquoi le « lytico-bodig » a-t-il principalement sévi à Umatac ?

Aucune réponse ne fut apportée clairement.

Umatac est un petit village, pauvre, longtemps isolé du reste de l’île, faute d’axes routiers.

Cette zone, dans le sud de Guam, est aussi la zone la moins sèche de l’île.

Il y coule plusieurs rivières.

Entre 1968 et 1983, une grande enquête épidémiologique fut réalisée.

Elle apportait un maigre résultat : le « lytico-bodig » est fortement associé à un mode de vie traditionnel (consommation de viandes fumées, de poissons crus…), mais aucun lien précis n’était démontré.

Deux autres foyers de PDC, d’importance confidentielle, ont été rapportés dans la péninsule de Kii au Japon et en Nouvelle-Guinée.

La description d’un nouveau foyer de syndrome parkinsonien atypique ressemblant au « lytico-bodig » dans les Petites Antilles relance les interrogations sur l’origine environnementale de ce type de maladie neurodégénérative.

Séparées par près de 20 000 kilomètres, ces deux îles ont cependant en commun un climat tropical, et une occupation plus ou moins longue par les Espagnols, qui y ont introduit de nombreuses plantes communes, originaires d’Amérique centrale.

Description des principaux syndromes neurotoxiques :

A – TOXICITÉ AIGUË :

Des symptômes d’appel très divers peuvent faire rechercher une cause toxique, mais c’est souvent l’absence d’étiologie qui peut amener à une hypothèse toxique, après plusieurs jours d’exploration d’un syndrome neurologique lorsque, ni une anomalie métabolique, ni une anomalie morphologique n’a été identifiée. Il est alors souvent trop tard pour détecter un toxique dans le sérum ou dans les urines.

Il est donc utile de penser à collecter des urines dès l’admission d’un patient ayant un syndrome confusionnel d’origine indéterminée.

En effet, les manifestations neurologiques les plus fréquentes des syndromes toxiques sont : confusion, hallucinations, convulsions et troubles sensitifs ou visuels.

L’interrogatoire précis et répété de l’entourage, voire du patient permettra parfois de préciser la suspicion clinique.

D’autres tableaux cliniques sont classiques : neuropathie périphérique, syndrome associé à un dysfonctionnement aigu des canaux ioniques avec détresse respiratoire, syndrome myasthénique et myopathie.

Les signes associés : troubles digestifs inauguraux, signes cutanés, ou signes végétatifs pourront parfois orienter vers une origine toxique.

Par exemple, une diarrhée associée à une hypoesthésie et des dysesthésies péribuccales après la consommation de poisson font penser à une ciguatera chez un patient ayant une neuropathie sensitivomotrice aiguë.

Un screening toxicologique large offre rarement la preuve de la présence d’un toxique dans les liquides biologiques.

De plus, il est très onéreux.

Il n’existe pas de dosage précis pour la majorité des substances naturelles, mais des laboratoires expérimentés en toxicologie peuvent identifier une toxine nouvelle et fournir un dosage semi-quantitatif, si toutefois la toxine a été isolée et sa structure caractérisée par spectrométrie de masse ou par imagerie par résonance magnétique (IRM) en deux dimensions.

Le recours à ces techniques doit être exceptionnel.

Selon le contexte, il peut être utile de doser l’activité anticholinestérasique du sérum.

Les examens morphologiques en IRM ou scanner de l’encéphale n’apportent habituellement pas d’indice étiologique, sauf dans les rares observations de nécrose bilatérale des noyaux gris centraux, après piqûre d’insecte.

B – TOXICITÉ CHRONIQUE :

Il existe très peu de preuves de la toxicité différée, ou à long terme de neurotoxines environnementales.

Elle est suspectée dans deux circonstances :

– un foyer de maladies neurologiques a été détecté dans un espace géographiquement restreint ;

– une neurotoxine avérée est connue dans l’environnement.

Les exemples les plus connus sont ceux décrits plus hauts : syndrome parkinsonien, myélite ou atteinte du motoneurone.

Dans un contexte de recherche clinique, il est possible de rechercher le toxique dans les phanères, mais seules les molécules de petite taille s’y fixent.

Les cheveux, dans la région occipitale, peuvent être le témoin d’une exposition à un toxique durant les 6 mois qui précèdent.

Les poils pubiens qui se renouvellent plus lentement peuvent refléter une exposition à une toxine durant les 12 à 24 mois qui précèdent le prélèvement.

La technique est identique à celle réalisée pour la recherche de cocaïne ou de crack dans un contexte médico-légal.

Données épidémiologiques sur les intoxications par les plantes :

En France, les principales sources d’information sur les intoxications par les plantes sont les centres antipoisons.

Près de 5 % des appels y sont relatifs à des intoxications par les plantes.

La moitié de ces appels concernent des baies et fruits bacciformes et l’ingestion est survenue chez des enfants de moins de 3 ans.

Ces chiffres sont variables selon les pays, mais les intoxications par les plantes représentent habituellement 5 à 10% des cas enregistrés par les centres antipoisons d’Europe, sauf en Espagne où les intoxications par les plantes seraient très rares.

Cependant, ces intoxications ont exceptionnellement des conséquences graves.

Sur 598 décès par empoisonnement d’enfants recensés en 20 ans en Angleterre, deux seulement étaient liés aux plantes.

Recherche d’imputabilité :

Cinq critères ont été définis pour établir l’origine toxique d’un syndrome neurologique.

– La présence du toxique est confirmée par l’anamnèse, et/ou par sa mise en évidence par l’analyse chimique de tissus biologiques ou de l’environnement.

– La date de début des troubles est corrélée à la période d’exposition au toxique et la sévérité des symptômes à l’intensité de l’exposition.

– Les troubles sont régressifs lorsque l’exposition au toxique est interrompue.

– D’autres cas similaires ont été rapportés et le lien avec le toxique déjà évoqué.

– L’existence d’un modèle animal et/ou cellulaire de toxicité apporte seule la certitude du lien entre le toxique et les manifestations cliniques.

Cependant, la relation dose-effet n’est pas toujours patente, et peut être modulée par des facteurs endogènes : âge, sexe, poids, conditions prémorbides, en particulier pathologies rénales ou hépatiques.

Par exemple, les troubles sensitifs de la ciguatera peuvent persister plusieurs mois ou années après l’intoxication initiale, voire être réactivés.

Une intoxication peut être responsable d’une affection asymptomatique, telle qu’une paraparésie très discrète, observée chez des fermiers indiens, exposés aux toxines du lathyrisme.

Une interaction avec une seconde toxine ou une carence alimentaire peut aussi modifier l’expression clinique.

Différents syndromes cliniques peuvent résulter de l’exposition à une seule et même neurotoxine.

Enfin, la structure chimique n’est pas toujours prédictive d’un effet neurotoxique.

Phytothérapie, médecines traditionnelles et risque neurotoxique à travers le monde :

La médecine par les plantes ou phytothérapie est une pratique ancestrale.

Au cours des trois dernières décennies, en dépit d’un exceptionnel enrichissement de la pharmacopée chimique classique, de nombreux extraits de plantes nouvelles ou déjà connues sont arrivés sur les étalages des pharmacies et des supermarchés, parallèlement à l’engouement des pays occidentaux pour les médecines dites naturelles.

Cependant, les herboristes ont peu à peu disparu en France, et il n’existe plus de diplôme d’herboriste officiellement reconnu dans notre pays.

Que les plantes soient commercialisées par une officine d’herboriste ou de pharmacien, on peut regretter que la commercialisation des spécialités contenant des plantes ne soit pas conditionnée à une évaluation scientifique des effets thérapeutiques et du risque iatrogène aussi rigoureuse que pour les substances de synthèse, et à un dossier d’autorisation de mise sur le marché aussi exigeant.

Dans les pays pauvres, en particulier en Afrique noire et en Haïti, l’accès aux médicaments fabriqués par les pays industrialisés est très limité.

Le recours à la médecine traditionnelle par les plantes est logiquement préconisé.

L’usage des plantes est transmis par la tradition orale, dans les zones rurales et pauvres.

Cet usage fait l’objet d’un recensement minutieux. Les modalités d’emploi des plantes, leurs indications thérapeutiques sont décrites avec précision.

Cependant, aucune évaluation scientifique de la toxicité à long terme, ni de la réelle efficacité (étude randomisée, double aveugle…) n’a pu être menée à ce jour.

Dans les Antilles françaises, la médecine traditionnelle reste très présente.

La connaissance des plantes médicinales est véhiculée par la culture et la langue créole, mais aussi par des ouvrages de synthèse de plus en plus nombreux.

Ces ouvrages sont écrits par les membres du groupe TRAMIL qui regroupent les spécialistes de pharmacognosie (science de l’identification des plantes et de leur composition chimique) et de phytothérapie de l’arc antillais (îles sous influence anglaise, espagnole ou française).

Il existe cependant quelques différences d’utilisation entre les îles : une même plante peut avoir une indication traditionnelle totalement différente d’une île à l’autre.

La plante la plus utilisée pour soigner un symptôme fréquent (troubles digestifs, troubles du sommeil) peut varier d’une île à l’autre.

Le groupe TRAMIL, sur la base d’études sommaires de toxicité animale, ou d’efficacité thérapeutique, en particulier antiparasitaire, a tenté de séparer les plantes tropicales en trois groupes : celles qui ont un intérêt thérapeutique, celles qui sont toxiques, et celles sur lesquelles les connaissances sont insuffisantes.

Ce travail préliminaire est cependant long et ambitieux, en raison de la grande richesse de la flore tropicale.

Par exemple, l’étude de la flore de Guadeloupe (dont le territoire est 300 fois plus petit que celui de la France métropolitaine) a permis de dénombrer un nombre total d’espèces végétales équivalent à celui de l’hexagone.

Au Japon, et plus encore en Chine, la consommation de plantes médicinales est importante et les pharmacies japonaises proposent de nombreuses spécialités de phytothérapie, dans des catalogues préconisant l’utilisation de plusieurs dizaines de plantes médicinales spécifiques, souvent en association.

Inventaire des substances neurotoxiques issues de plantes :

– L’absinthe : la toxicité de l’huile essentielle d’Artemisia absinthium est liée à la thyone.

Elle semble avoir un effet convulsivant, et favoriser la survenue d’une encéphalopathie.

Commercialisée par Henri Louis Pernod, elle fut interdite à partir de 1915.

D’autres plantes contiennent de la thyone : thuya, tanaisie, sauge officinale.

D’autres huiles essentielles pourraient avoir un effet toxique comparable, par exemple le pinocamphome issu de l’hysope.

– Les acétogénines sont des dérivés aliphatiques, apparentés aux lipides.

Ils sont essentiellement produits par des arbres tropicaux : les annonaceae.

Ce sont de puissants inhibiteurs du complexe I de la chaîne respiratoire mitochondriale, comme le MPTP.

Ils ont un effet cytotoxique documenté sur différents types de culture cellulaire.

Leur toxicité, ou cotoxicité est évoquée dans les syndromes parkinsoniens atypiques anormalement fréquents en Guadeloupe.

– L’aconitine, alcaloïde issu des aconits, a pu être utilisée par méprise botanique ou surdosage dans le cadre d’une utilisation phytothérapeutique.

Elle est responsable de troubles sensitifs, et d’un syndrome myasthénique.

L’intoxication peut être mortelle.

Les aconits sont employés pour la fabrication des poisons de flèches.

– Les alcaloïdes des fabales : parmi les 17 000 espèces de fabales, certaines sont cosmopolites, d’autres sont tropicales.

Les alcaloïdes et autres substances apparentées synthétisés par ces plantes sont très divers.

Les plantes les plus toxiques sont :

– la jéquirity (responsable de confusion, coma avec mydriase),

– le crotalaria, utilisé comme plante médicinale dans toute la zone Caraïbe, il induit une encéphalopathie hépatique par syndrome de Budd-Chiari, souvent mortelle chez l’enfant,

– la cytise dont les effets sont de type nicotinique, avec rarement un syndrome délirant,

– les lupins dont la toxicité aiguë est de type anticholinergique, et dont la toxicité chronique pourrait se manifester par un syndrome SLA et une dystonie.

– Les alcaloïdes des solanaceae : ces alcaloïdes de type tropanique sont les anticholinergiques de référence.

Les plus connus sont la belladone, la stramoine ou datura et la jusquiame noire.

Utilisés dans l’industrie pour la fabrication de l’atropine et de la scopolamine, ils étaient déjà employés au Moyen-Âge, dans les pratiques de sorcellerie, et provoquaient des scènes de lévitation et d’hallucinations collectives.

Le datura, qui est une plante commune des pays tempérés et tropicaux, est parfois l’arme d’homicides volontaires, si elle est administrée à fortes doses.

– L’amanite muscaria, ou amanite tue-mouches, parfois cultivée, est hallucinogène et peut induire des crises convulsives et des myoclonies.

Une des substances toxiques est l’acide iboténique.

– L’anisatine, issue du badianier du Japon, utilisée comme plante médicinale en Asie et en Amérique peut induire des convulsions, par effet antagoniste de l’acide gamma-aminobutyrique (GABA).

La confusion avec l’anis étoilé est à l’origine d’intoxications récentes chez l’enfant.

– La bicuculline, qui est une phtalyltétrahydro-isoquinoléine, est convulsivante.

Elle est présente dans les fumaraceae.

Inhibitrice du GABA, elle est utilisée dans plusieurs modèles animaux de lésions focales réversibles, en particulier au niveau des noyaux gris centraux.

– Le cannabis (cannabaceae) dont le principe actif est le cannabinol, est connu pour ses propriétés psychoactives, amnésiantes et hallucinogènes à fortes doses.

Il pourrait prévenir l’effet émétique des chimiothérapies anticancéreuses, mais la dépendance qu’il induit est peu compatible avec un usage thérapeutique.

– La ciguë vireuse (apiaceae) plante aquatique des zones humides, contient dans ses racines, la cicutoxine, responsable d’un état de mal convulsif, parfois mortel.

L’intoxication n’est pas rare : elle est due à une confusion avec les racines de ginseng.

Dans la même famille, l’oenanthe safranée produit les mêmes symptômes.

La grande ciguë qui contient essentiellement la coniine, bloque la transmission neuromusculaire. Une intoxication par la grande ciguë aurait provoqué la mort de Socrate.

– La cocaïne, issue des feuilles de coca, agit en bloquant la recapture de la dopamine, de la norépinephrine et de la sérotonine.

Elle est responsable d’encéphalopathies aiguës, de crises convulsives, d’accidents vasculaires cérébraux ischémiques ou hémorragiques et d’un syndrome de dépendance.

– La coriamyrtine, issue du redoul (coriaria myrtifolia, arbrisseau poussant dans le sud de la France) peut induire des convulsions, un coma avec myosis.

– Les curares naturels ont des structures très différentes en fonction des familles qui les produisent : ce sont des bisbenzylisoquinoléines dans la famille des menispermaceae, des benzyltétra-isoquinoléines tétracycliques dans les erythrina (très toxiques), et des alcaloïdes bisindoliniques dans les loganiaceae.

Ce sont des poisons de guerre fréquemment utilisés en Amérique du Sud.

– La digitale qui borde les chemins de campagne en été, contient la digitaline, isolée par Nativelle en 1868.

Si ses effets bradycardisants et inotropes positifs sont bien connus, l’intoxication comporte aussi des signes neurologiques : troubles de la vision des couleurs, encéphalopathie aiguë avec convulsion, atteinte du trijumeau.

– Les ergolines : l’ergot du seigle (claviceps purpurea), champignon saprophyte de la céréale, fut responsable des épidémies d’ergotisme, ou « feu sacré », décrites dès l’an mil en Europe, et jusqu’au début du XXe siècle en Russie. Le lien avec la consommation de pain de seigle parasité ne fut démontré qu’à la fin du XVIIe.

L’ergotisme se manifestait sous deux formes : une gangrène sèche des extrémités ou une confusion mentale avec délire et convulsions appelé « mal des ardents ».

– Les euphorbes : de nombreuses variétés contiennent un latex ayant un effet irritant pour la peau et les muqueuses, et purgatif.

Exceptionnellement, chez l’enfant, l’ingénol, substance toxique de ce latex peut provoquer des convulsions.

Certaines euphorbes sont utilisées dans la médecine traditionnelle antillaise.

– Les hypoglycines sont produites par les ackees dont les fruits non mûrs entraînent des convulsions et un coma.

Le ackee ou blighia sapida fut importé d’Afrique par Bligh, le capitaine du Bounty.

La toxicité est liée à une inhibition de la voie énergétique mitochondriale.

– Les isoquinolines : suspectée depuis plus de 20 ans, l’hypothèse de la toxicité des benzyltétrahydro-isoquinolines (Be-TIQ) est évoquée en Guadeloupe où une fréquence anormalement élevée de syndromes parkinsoniens doparésistants a été mise en évidence.

Cette affection ressemble au syndrome de l’île de Guam.

Dans ces deux maladies, des dépôts de protéine tau constituent les principales lésions cérébrales.

En Guadeloupe, les patients atteints consomment régulièrement des tisanes et des fruits d’annonaceae (corossol, pomme-cannelle, cachiman).

Le suivi des patients pendant 3 à 6 ans a révélé une amélioration ou une stabilisation du syndrome parkinsonien chez les plus jeunes d’entre eux, après l’arrêt de la consommation de ces plantes.

Les tisanes réalisées avec les feuilles des annonacées sont utilisées en médecine traditionnelle comme purgatifs, hypnotiques ou encore aphrodisiaques, dans de nombreuses régions tropicales et subtropicales, y compris sur l’île de Guam.

Feuilles et fruits contiennent des alcaloïdes de type Be-TIQ (concentration inférieure ou égale à 0,5 %).

Les Be-TIQ de synthèse ont une toxicité spécifique pour les neurones dopaminergiques in vitro et chez l’animal, et une affinité spécifique pour les récepteurs dopaminergiques, inhibant la recapture de la dopamine.

Les alcaloïdes totaux et quelques fractions purifiées, extraits des annonacées de la Guadeloupe, et testés sur des cultures de cellules dopaminergiques mésencéphaliques de rat se sont révélés cytotoxiques, et capables d’inhiber la recapture de la dopamine.

L’alcaloïde le plus toxique est un dérivé des Be-TIQ : une tétrahydro-protoberberine (THPB), dont seule l’affinité pour les récepteurs dopaminergiques était connue, et non la neurotoxicité.

– Le khat, arbuste commun d’Afrique de l’Est et du Yemen, contient un analogue de la D-amphétamine, la cathinone, anorexigène et mydriatique, qui crée une dépendance psychologique.

– La mescaline, issue d’un cactus d’Amérique centrale (le peyotl) est une phénéthylamine hallucinogène dont les effets cliniques sont proches du LSD.

Elle peut aussi provoquer une encéphalopathie hypertensive et des hémorragies intracrâniennes.

– Les morphinanes : ces alcaloïdes sont spécifiques des papaveraceae.

Leur précurseur est la réticuline, présente dans d’autres plantes, telles que les annonaceae.

La plante la plus connue dans la famille des papaveraceae est le pavot, utilisée depuis plus de 4 000 ans.

Le latex du pavot est l’opium qui contient essentiellement la morphine, la codéine, la narcotine et la thébaïne.

Les effets centraux sont dominés par une analgésie, une dépression respiratoire, un myosis et un syndrome de dépendance.

– La nicotine, alcaloïde des feuilles de tabac, peut être responsable en cas d’intoxication aiguë chez l’enfant de crises convulsives, d’un syndrome confusionnel et d’un coma.

Chez l’adulte, l’intoxication chronique est anorexigène et entraîne un syndrome de dépendance.

– Les patates douces : les graines de certaines variétés de patates douce (ipomoea) contiennent des alcaloïdes hallucinogènes.

– Piper methysticum, ou kava poivrier des îles de la Polynésie a des effets sédatifs et antalgiques, liés aux styrylpyrones qu’il contient.

– Les protoberbérines : dérivées des tétrahydro-isoquinolines, sont présentes dans plusieurs plantes médicinales : l’hydrastis, très utilisé en Amérique du Nord (golden seal), le fumeterre, la chélidoine, la sanguinaire, le pavot de Californie, les annonacées et diverses plantes chinoises.

Elles sont inhibitrices dopaminergiques. Leur toxicité cellulaire a été démontrée récemment.

Chez l’homme, elles pourraient avoir une toxicité à long terme.

– Les pyréthrines naturelles sont des insecticides et des antiphtiriasiques connues depuis l’antiquité.

Elles sont produites par différentes plantes : l’artemisia, la lavande, le pyrèthre de Dalmatie…

Elles sont de plus en plus utilisées.

L’intoxication aiguë se manifeste par une asthénie, des troubles de la conscience et des convulsions.

– La quinine, alcaloïde de l’écorce de quinquina peut provoquer une encéphalopathie aiguë avec crises convulsives et coma.

Elle est par ailleurs ototoxique et induit une rétinopathie en cas d’utilisation prolongée à doses thérapeutiques.

– La ricine serait le poison des parapluies bulgares (des espions de l’Europe de l’Est), qui ont défrayé la chronique dans les années 1970.

Elle est contenue dans l’écorce des graines de ricin, mais pas dans l’huile de ricin.

L’ingestion de quelques graines peut être mortelle (hépatite fulminante, coma, déshydratation).

– La réserpine est un alcaloïde de la rauwolfia (sarpangandha de l’Inde).

Cette plante fut utilisée par la médecine ayurvédique, médecine indienne traditionnelle, pour soigner l’épilepsie.

La réserpine fut très prescrite dans les années 1950, pour ses effets antihypertenseurs et neuroleptiques.

Le corollaire est l’induction d’un syndrome parkinsonien et de dyskinésies orofaciales.

– Les rhododendrons (ericaceae) contiennent des grayanotoxines (diterpènes tétracycliques), qui bloquent la transmission neuromusculaire, entraînant une paralysie extensive.

– La roténone, insecticide naturel, est produit par des fabales de régions tropicales.

C’est un puissant ichtyotoxique, utilisé par les Indiens d’Amazonie pour pêcher dans les rivières à petit débit.

Elle est produite par des lianes (derris), par des plantes tropicales communes et par des plantes asiatiques utilisées dans la pharmacopée chinoise.

La roténone est un inhibiteur du complexe I de la chaîne respiratoire mitochondriale.

L’intoxication subaiguë chez l’animal peut se manifester par un syndrome parkinsonien.

La toxicité à long terme chez l’homme n’est pas connue. – La solanine, alcaloïde des morelles (plante herbacée) peut produire des hallucinations et des convulsions.

– La strychnine est un alcaloïde du vomiquier (strychnos nuxvomica).

La dose mortelle chez l’homme est de 0,2 mg /kg.

L’intoxication ressemble au tétanos, avec des spasmes musculaires, des crises convulsives et une détresse respiratoire.

Enfin, pour d’autres plantes, une neurotoxicité a été démontrée uniquement chez l’animal (se référer à l’ouvrage de Bruneton), l’homme n’étant pas exposé à ces toxiques.

Intoxication par des venins :

Les agatoxines, synthétisées par une araignée (Agelenopsis) ont un effet insecticide paralysant, bloquant l’activité des canaux ioniques, il en est de même des latrotoxines.

Les piqûres d’hyménoptères peuvent produire des syndromes neurologiques divers, par toxicité directe (apamine) ou par réaction anaphylactique.

Elles peuvent être responsables d’une encéphalopathie avec nécrose putaminopallidale. Certaines espèces de tiques ont une salive venimeuse, bloquant la transmission neuromusculaire.

Des grenouilles de Colombie ou de Nouvelle-Guinée synthétisent de puissantes neurotoxines : la batrachotoxine, inhibiteur des canaux ioniques, les histrionicotoxines, inhibiteur des récepteurs nicotiniques.

Certains concombres de mer dans les eaux tropicales, sécrètent les holothurines et les holotoxines, inhibant la transmission neuromusculaire.

Des escargots de mer (Philippines) synthétisent les conotoxines.

Une espèce d’abeille (apis mellifera) et de guêpe (philantus triangulum) sécrètent la delta-philanthotoxine, inhibant les canaux calciques et antagoniste glutamatergique.

Différents serpents synthétisent des neurotoxines : la ceruleotoxine, la nereistoxine, la crotoxine, la dendrotoxine, les fasciculines, la pelamitoxine, la taicotoxine.

Les neurotoxines des scorpions sont les charybdotoxines, l’iberiotoxine, la kaliotoxine, la leiurotoxine, la margatoxine, la noxiustoxine.

Intoxication par des poissons :

La ciguatera est due à la ciguatoxine synthétisée par une algue microscopique : Gambierdiscus toxicus, endémique dans les mers chaudes.

Dans les zones d’endémie, les poissons consomment l’algue et le toxique est stocké dans le tube digestif.

La consommation du poisson par l’homme produit dans tous les cas une gastroentérite durant 24-48 heures.

Dans 60 % des cas, 6 à 12 heures après le repas surviennent des paresthésies distales et périorales, une grande asthénie, une neuropathie sensitivomotrice aiguë où prédominent le déficit sensitif et les dysesthésies et des signes dysautonomiques avec hypotension orthostatique.

Cette polyneuropathie aiguë est le plus souvent bénigne et ne nécessite jamais une ventilation assistée.

Cependant, des séquelles douloureuses, avec paresthésies et une réactivation des manifestations neurologiques lors de la consommation de poissons (y compris non contaminés) est possible.

Les barracudas et les murènes sont des espèces souvent responsables de la ciguatera, mais d’autres peuvent l’être aussi.

D’autres algues, moins connues, contiennent des toxines plus ou moins puissantes : la clupeotoxine (algue des côtes de Madagascar) est souvent mortelle, la charatoxine (antagoniste cholinergique), la saxitoxine, l’acide domoïque, et la neurotoxic shellfish.

La tetrodotoxine, puissant poison stocké dans les gonades, le foie, la peau ou les oeufs de divers poissons japonais, plus rarement tropicaux, est mortelle dans 50 % des cas.

L’intoxication se manifeste par une neuropathie aiguë, des convulsions et une dépression respiratoire.

Il n’existe pas d’antidote.

Conclusion :

Cet inventaire des plantes neurotoxiques et des principaux venins démontre que des neurotoxines naturelles peuvent avoir des effets pharmacologiques aussi puissants et spécifiques que des drogues synthétiques.

La pharmacognosie est une science qui offre un large potentiel d’avenir et d’espoir thérapeutiques.

Cependant, démontrer une origine environnementale et le mécanisme toxique causal est souvent une gageure, et peut ne jamais aboutir complètement dans l’analyse de certains foyers de maladies chroniques.

La neurotoxicologie analytique des substances naturelles, actuellement peu développée, pourrait apporter un éclairage utile à l’étude de ces affections.

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