Neuroplasticité (Suite)

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Première partie

Dynamique des interactions cellulaires dans le cerveau de l’adulte : illustrations de changements structuraux de caractère physiologique

Au-delà des processus développementaux, un certain nombre de données récentes tendent à montrer que le cerveau adulte ne présente pas la fixité anatomique que l’on a bien voulu lui prêter, mais qu’il pourrait en fait être le siège de remaniements permanents allant jusqu’à des réarrangements structuraux.

Neuroplasticité (Suite)Les évidences les plus directes de tels réarrangements structuraux sont venues récemment d’études d’anatomie fonctionnelle à l’échelon ultrastructural, montrant que, en réponse à des changements d’états physiologiques, certaines régions cérébrales sont effectivement le siège de réorganisations.

De tels changements des relations intercellulaires présentent, dans ce cas, un caractère réversible et ils ont été mis en rapport direct avec des modifications de propriétés fonctionnelles liées à l’évolution de l’état physiologique.

Les données obtenues sur les noyaux magnocellulaires et l’aire préoptique de l’hypothalamus revêtent, à cet égard, un caractère exemplaire.

Cependant, c’est dans le cadre de la recherche d’un substrat du stockage à long terme des souvenirs en rapport avec les processus mnésiques, que les idées sur la capacité du système nerveux à modifier ses connexions anatomiques ont d’abord été formulées.

Ici, malgré des résultats parfois encourageants, il faut cependant reconnaître que nous sommes toujours à la recherche du processus de stockage des souvenirs à long terme, qui prend sans doute une forme plus complexe qu’une simple augmentation du nombre d’épines dendritiques et de synapses en rapport avec l’acquisition des souvenirs.

Dans ce domaine, les données les plus intéressantes portent sur l’analyse de l’évolution des cartes corticales sensorielles au cours d’apprentissages chez l’animal adulte.

Ces études, en dépit de leur caractère global, fournissent un modèle particulièrement intéressant du caractère dynamique des représentations corticales, même si, dans ce cas, les changements structuraux paraissent plus difficiles à caractériser au niveau cellulaire.

Mais, de façon incontestable, les données obtenues sur ces modèles contribuent à relativiser la part de la fixité du câblage dans le fonctionnement cérébral et permettent d’entrevoir certains mécanismes des récupérations de fonctions postlésionnelles.

A – Modifications structurales transitoires des noyaux magnocellulaires hypothalamiques en réponse à différents stimuli physiologiques :

De nombreux travaux ont été consacrés aux modifications neuronogliales intervenant au niveau des noyaux magnocellulaires de l’hypothalamus dans diverses situations physiologiques comme la lactation, la parturition, une augmentation des taux cérébraux d’ocytocine, ou encore en rapport avec un stress hydrique (déshydratation).

Particulièrement étudiés par le groupe de Théodosis à Bordeaux chez le rat, ces modèles fournissent des évidences directes pour des changements structuraux dans les noyaux hypothalamiques supraoptique et paraventriculaire.

Ces processus mettent en exergue le rôle de l’activité nerveuse dans les changements structuraux qui peuvent ainsi être corrélés à des modifications d’états physiologiques en rapport avec des évolutions de l’activité neurosécrétoire de ces régions hypothalamiques, dans la plupart des cas.

Dans ces modèles, plusieurs types de modifications structurales ont été notés, allant de simples changements d’aspect des neurones neurosécrétoires qui traduisent une activité accrue des neurones, jusqu’à la description d’un accroissement du nombre de contacts synaptiques lors de stimulations physiologiques, et des changements de relations entre neurones et astrocytes dans le microenvironnement neuronal.

Ainsi Théodosis a-t-elle noté des augmentations importantes du volume des péricarya et de leurs dendrites, ainsi que du contenu des neurones en organites de type corps de Nissl ou appareil de Golgi, traduisant une activité accrue de ces neurones.

De façon intéressante, on note au cours de l’allaitement une augmentation importante du nombre de synapses dites « partagées », de nature principalement GABAergique, formant des contacts à la fois avec plusieurs éléments postsynaptiques, ce qui n’est pas le cas lorsque la femelle n’allaite pas.

Enfin, considérant que, en dehors de ces phases d’activation physiologique particulière, les soma des neurones magnocellulaires forment des associations denses mais délimitées par d’étroites lamelles astrocytaires faisant que les contacts interneuronaux sont très limités, il est intéressant de noter que des stimulations résultant en une activation des sécrétions d’ocytocine ou de vasopressine se traduisent par un accroissement des contacts interneuronaux dans les noyaux magnocellulaires, qui serait le résultat d’une rétraction des prolongements astrocytaires.

On note que l’ensemble de ces modifications présente un caractère réversible, l’arrêt de la stimulation s’accompagnant, dans tous les cas, d’un retour à la situation initiale.

Il est alors envisageable que ces régions hypothalamiques soient, en permanence, le siège de remaniements structuraux traduisant une dynamique des relations intercellulaires en rapport avec la nécessité de la fonction.

À titre d’illustration, l’état de base est retrouvé dans le noyau supraoptique environ 1 mois après la fin de la période d’allaitement qui dure, chez la rate, autour de 3 semaines.

D’autres noyaux hypothalamiques sont le siège de réorganisations structurales lors de stimulations visant à leur activation spécifique.

C’est en particulier le cas des noyaux ventromédians soumis à l’action des oestrogènes, où il semble qu’au-delà de modifications similaires à celles notées dans les régions magnocellulaires, il y ait en plus une augmentation significative du nombre d’épines dendritiques et de la densité synaptique.

Les changements induits par les variations des taux d’hormones interviennent en 48 heures environ, ce qui est très rapide pour de tels remaniements structuraux.

Si l’on admet alors que le niveau d’oestrogènes est fluctuant, il est ainsi possible d’imaginer un perpétuel mouvement synaptique au niveau de cette région hypothalamique, en rapport avec les taux d’hormones circulant, ce qui donne une idée de ce que pourrait être la dynamique synaptique.

De façon similaire, les noyaux de l’aire préoptique et de l’hypothalamus médian impliqués dans la sécrétion des hormones gonadotropes sont soumis aux mêmes influences hormonales, l’ovariectomie étant suivie d’une augmentation de la surface des contacts neuronogliaux, réversée par l’apport d’oestrogènes.

Dans ce modèle, le caractère physiologique de la modulation de l’organisation hypothalamique est illustré par les variations saisonnières de la densité synaptique et de la surface des rapports neuronogliaux chez des animaux, rythmées par les saisons ou, plus directement, par la photostimulation.

Enfin, comme dans les régions magnocellulaires, l’âge est un facteur de réorganisations structurales se traduisant par un accroissement du nombre de contacts axosomatiques, vraisemblablement en rapport avec les modifications de l’état endocrinien.

Les observations effectuées dans les noyaux hypothalamiques plaident en faveur de mécanismes impliquant une action coordonnée entre les neurones et les cellules gliales de leur microenvironnement, dans la dynamique des interrelations cellulaires.

Ces changements coordonnés sont dépendants de l’activité nerveuse et passent vraisemblablement par une signalisation utilisant les messagers connus par ailleurs dans la communication intercellulaire, les astrocytes, notamment, étant pourvus de tout un ensemble de récepteurs aux neurotransmetteurs, au même titre que les neurones.

Il est notable que les facteurs d’adhérence cellulaire jouent un rôle primordial dans ces changements structuraux, la forte présence de la forme polysialylée de NCAM au niveau de ces régions hypothalamiques chez l’adulte apparaissant, là encore, comme un facteur qui favorise cette forme de plasticité, sans exclure la participation de facteurs trophiques.

De façon intéressante, durant la lactation, il se produit une réduction progressive de la présence de la forme polysialylée de N-CAM dans le noyau préoptique et la neurohypophyse, mais sans altération des acides ribonucléiques messagers (ARNm) codant pour la N-CAM.

Cela suggère que la modulation de l’expression de ce facteur d’adhérence porte sur des processus post-traductionnels mis en rapport avec les augmentations d’activité neuronale intervenant dans le système hypothalamo-neurohypophysaire.

Dans le même temps, l’expression d’une autre protéine neuronale, la protéine MAP-1B (methylaccepting protein), sous forme phosphorylée, est fortement accrue par la lactation au niveau des neurones hypothalamiques innervant la neurohypophyse.

Dans ce cas, les modifications d’expression de MAP-1B pourraient rendre compte des changements intervenant au niveau des épines dendritiques lors de la lactation.

La distribution de la MAP-1B phosphorylée chez l’adulte montre que cette protéine, fortement liée au développement neuronal, est exprimée dans les régions cérébrales où des réorganisations structurales ont été constatées, et notamment certaines régions hypothalamiques, mais aussi dans les tubercules olfactifs, l’hippocampe, le septum, les afférences primaires et certains axones des neurones moteurs au niveau du tronc cérébral, entre autres structures concernées également par la N-CAM polysialylée.

B – Apprentissage et mémorisation :

L’hypothèse a depuis longtemps été avancée que la mémorisation à long terme pourrait impliquer des modifications structurales synaptiques, mais ce type de proposition se heurte à des difficultés méthodologiques qui limitent la vérification expérimentale.

Certains travaux avancent l’idée de processus mixtes impliquant à la fois des changements d’activité synaptique et des modifications structurales.

Dans ce cas, les réseaux nerveux adopteraient une « configuration » fonctionnelle susceptible de représenter une trace des souvenirs en rapport avec la mise en jeu de processus liés aux synapses de Hebb et cette trace serait renforcée secondairement par des changements structuraux.

De nombreux modèles ont été développés qui illustrent tous des changements structuraux plus ou moins importants en rapport avec différents types de processus mnésiques, allant de simples tâches associatives chez les invertébrés à de véritables processus cognitifs chez les mammifères.

En fait, au-delà d’un simple accroissement du nombre de synapses avec la mémorisation, les données obtenues montrent d’abord tout un ensemble de modifications structurales affectant la nature même des synapses.

Ainsi est-il possible de noter des changements de la morphologie de synapses existantes, se traduisant notamment par des élargissements de la zone active, avec

accroissement apparent du nombre de vésicules synaptiques présentes à ce niveau, des modifications de la géométrie des appositions pré- et postsynaptiques, ou encore des changements spécifiques des densités postsynaptiques, en particulier au niveau des épines dendritiques.

Ces changements structuraux peuvent être mis en rapport avec une efficacité synaptique accrue, traduisant une activité renforcée dans les circuits concernés.

Au-delà des premiers travaux de Hubel etWiesel sur la plasticité du système visuel au cours du développement, les travaux les plus marquants du domaine sont ceux sur l’expérience sensorielle d’animaux élevés dans des environnements enrichis ou appauvris montrant, à l’âge adulte, des variations intercatégories de 25 à 40 % du nombre de synapses et des branchements dendritiques au niveau cortical, accompagnés d’une augmentation des profils gliaux, en faveur des animaux élevés en milieu privilégié.

Ces données illustrent le rôle possible des facteurs épigénétiques dans le développement cérébral, mais elles ont été aussi mises en relation avec le stockage des informations d’origine sensorielle.

De façon plus directe, chez le rat adulte, des apprentissages moteurs intenses pendant plusieurs semaines se traduisent, selon Black et al, par une augmentation importante du nombre de synapses par cellule de Purkinje, au niveau du cortex cérébelleux. Des expériences de conditionnement d’un réflexe visuel chez le lapin vont dans le même sens, montrant des modifications des épines dendritiques au niveau des mêmes cellules de Purkinje.

Enfin, au-delà de tout un ensemble de données chez les invertébrés montrant des changements structuraux liés à des conditionnements et des apprentissages, la relation a été établie entre la longterm potentiation (LTP) et les modifications structurales, en particulier au niveau hippocampique.

C’est d’abord Lynch et al qui ont montré une augmentation du nombre de synapses en rapport avec les stimulations provoquant la LTP, à la fois au niveau des épines et des troncs dendritiques.

Ces données ont été reproduites par de nombreuses équipes, spécifiquement dans les régions hippocampiques où se développe la potentialisation, et peutêtre de façon plus importante au niveau de synapses épineuses particulières dites « synapses perforées ».

Dans une forme de conditionnement où la potentialisation se traduit progressivement par un « embrasement » de l’activité cellulaire, en rapport avec des manifestations épileptiques, dénommé kindling, des augmentations du nombre de synapses perforées de près de 50 %ont été notées dans l’hippocampe, ces changements synaptiques étant accompagnés d’une hypertrophie des profils astrogliaux.

L’idée est alors avancée que les modifications synaptiques notées tant dans la LTP que dans le kindling impliquent les cellules gliales.

Dans le contexte de ces changements structuraux, il est ainsi possible d’imaginer que des troubles mnésiques puissent effectivement être mis en relation avec des changements du nombre de synapses.

De façon intéressante, on note que les modifications structurales qui suivent l’induction de la LTP peuvent intervenir très rapidement, en 40 minutes environ, laissant penser qu’il s’agit d’abord de modifications de synapses préexistantes.

Les mécanismes de ces réorganisations structurales intervenant en rapport avec des apprentissages ne sont pas connus, mais il paraît exister une relation, comme cela a déjà été mentionné, entre l’expression des molécules impliquées dans l’adhérence cellulaire et cette forme de plasticité.

Chez l’aplysie par exemple, dans un modèle de conditionnement, l’expression de la forme polysialylée de N-CAM est réduite dans des noyaux sensoriels alors que, dans le même temps, d’autres protéines comme la clathrine et la tubuline voient leur expression augmentée.

Plus généralement, les facteurs de transcription de type fos, jun ou encore Zif 268 interviendraient dans ces processus. Dans des modèles plus intégrés, des changements d’activité synaptique ont été constatés dans des apprentissages moteurs, considérés comme des concomitants électrophysiologiques de ces apprentissages conduisant à la formation de véritables « représentations mentales » des comportements à acquérir et qui, de ce fait, deviendraient progressivement plus ou moins automatiques.

Dans ce domaine, les premières données ont été obtenues au niveau cortical dans un protocole de conditionnement visuel chez le singe où l’apprentissage s’accompagne en quelques jours d’une augmentation très conséquente de l’amplitude de potentiels transcorticaux, spécifiquement au niveau des aires préfrontales, en rapport peut-être avec la mise en jeu de processus mnésiques.

D’autres travaux réalisés à la même époque ont montré que la mise en jeu d’afférences sensorielles en vue de réaliser un apprentissage s’accompagnait de phénomènes de potentialisation à long terme au niveau des aires motrices corticales, contribuant à une forme de « mémoire motrice » susceptible d’être à la base de l’automatisation des mouvements ; ces processus impliquant des changements d’activité durables dans les relations cérébellocorticales passant par le thalamus, comme l’ont montré les travaux du groupe de Rispal-Padel, en rapport avec des données plus anciennes, obtenues sur le noyau rouge par le groupe de Tsukahara dans les années 1970, ayant montré que des changements d’activité des afférences corticales et/ou cérébelleuses à cette structure mésencéphalique pouvaient aller jusqu’à des réorganisations structurales.

L’accès aux techniques modernes d’imagerie non invasive chez l’homme utilisant tant la tomographie par émission de positons (PETscan) que l’imagerie d’activation par résonance magnétique (IRMf) a permis de suivre ces processus d’apprentissage sur la base d’activations locales du métabolisme cérébral.

Comme chez le singe dans les expériences de Sasaki et Gemba, l’activation cérébrale concerne particulièrement le cortex préfrontal tant que le mouvement appris, mobilisant des processus attentionnels, n’a pas de caractère automatique.

À ces stades précoces de l’apprentissage, le cortex moteur (aire M1) montre également une activation importante qui fait rapidement l’objet d’une habituation au fur et à mesure de l’apprentissage, mais avec un accroissement de la zone motrice concernée.

De façon intéressante, on note que ces modifications d’activité métabolique peuvent être observées pendant plusieurs mois, suggérant une réorganisation à long terme de cette représentation corticale qui témoigne d’une plasticité dans ce processus acquis.

C – Plasticité des représentations corticales somesthésiques :

Dans une série de travaux récents, les limites des théories localisationnistes ont bien été montrées par la mise en évidence de modifications des représentations corticales lors d’apprentissages chez les primates.

La base des représentations somatosensorielles au niveau des aires primaires implique, comme chacun sait, une organisation de type somatotopique où les territoires engagés dans les actions les plus fines font, schématiquement, l’objet des représentations les plus développées, telle la représentation de la main, avec un chevauchement relativement faible entre les territoires corticaux recevant les informations de régions adjacentes.

En fait, les premières données sur l’influence des afférences sensorielles sur la « configuration » des représentations corticales ont été obtenues à partir d’expériences de désafférentation montrant que, au cours du développement, la suppression de certaines vibrisses chez le rat nouveau-né est suivie de la non-représentation de ces vibrisses au niveau du cortex somatosensoriel, en rapport avec l’hypothèse du déterminisme de cette représentation par l’activité générée à partir des récepteurs sensoriels ; cette proposition étant fortement inspirée des idées de Sperry qui, dans les années 1950, avait suggéré cette possibilité au niveau du système visuel. De nombreuses expériences de désafférentation dans divers systèmes sensoriels ont ensuite abouti aux mêmes conclusions.

Au cours d’apprentissages de discrimination tactile impliquant un seul doigt d’une main, le groupe de Merzenich a montré, à l’aide de techniques électrophysiologiques, des modifications des zones corticales recevant les informations sensorielles de ces régions : l’apprentissage se traduit par un accroissement tout à fait sensible des zones de représentation corticale du doigt impliqué, au détriment des zones adjacentes qui apparaissent réduites.

De même, si une zone limitée du cortex somatosensoriel est détruite, le territoire adjacent prend en compte cette absence de représentation corticale par une réponse aux informations sensorielles qui n’ont plus de cible corticale du fait de la lésion.

Ces résultats traduisent donc une réorganisation fonctionnelle spécifique du cortex somatosensoriel chez l’adulte, en rapport avec une utilisation accrue des afférences sensorielles en cas d’apprentissage et montrant, par ailleurs, que des cellules qui recevaient des informations de régions cutanées localisées deviennent à même, en conséquence d’une lésion corticale localisée, de répondre à d’autres afférences. Weinberger a particulièrement étudié ces propriétés qui ne paraissent pas limitées au système somatosensoriel mais qui pourraient concerner aussi le système visuel et le système auditif.

De façon intéressante, de tels changements de représentations corticales ont pu être mis en évidence chez l’homme soumis à des tâches de discrimination sensorielle ou d’apprentissage intenses.

C’est le cas chez des aveugles lisant en braille de longue date où il semble, au travers d’études utilisant des stimulations magnétiques transcrâniennes par exemple, que la zone corticale recevant les informations du doigt actif dans la lecture fait l’objet d’un développement anormalement large, par comparaison à celle du même doigt, mais de l’autre main, non engagé dans la lecture, dans la région corticale homologue controlatérale.

De la même manière, il paraît exister une représentation accrue des territoires proximaux chez les patients ayant subi des amputations.

Enfin, des études d’imagerie fonctionnelle suggèrent que, chez des violonistes très entraînés, la zone de la main fait l’objet d’une surreprésentation au niveau des territoires somatosensoriels, par rapport à des témoins.

Ces travaux illustrent donc la possibilité de modifications des représentations corticales en fonction de l’utilisation des informations sensorielles, ce qui est en accord avec l’idée du caractère dynamique de ces représentations qui seraient effectivement configurées sur la base de l’activité neuronale.

Dans ce contexte, il a pu être montré qu’une activation soutenue des afférences corticales par stimulation thalamique répétitive induit au niveau cortical un accroissement important (de l’ordre de 25 %) du nombre de contacts synaptiques en faveur d’une synaptogenèse réactionnelle.

Ces données suggèrent l’existence, chez l’adulte, d’une plasticité fonctionnelle et structurale au niveau du système somatosensoriel susceptible, notamment, d’être mis en rapport avec les apprentissages moteurs.

Il est vraisemblable que les changements d’activité neuronale soient le déterminant primaire de mécanismes agissant dès lors sur les programmes à la base de l’organisation structurale de ces systèmes somatosensoriels.

Dans le contexte de l’approche des mécanismes à la base des récupérations de fonction postlésionnelles, ces propriétés pourraient alors rendre compte d’une flexibilité dans la prise en charge de fonctions inhérentes à des territoires cérébrolésés.

Neuroplasticité et récupération de fonction postlésionnelle : aspects physiopathologiques

Dans le domaine de la pathologie cérébrale liée aux accidents vasculaires ou à la traumatologie, les exemples sont nombreux de récupérations fonctionnelles plus ou moins complètes et s’étendant parfois sur des périodes de temps extrêmement longues, de l’ordre de plusieurs mois, voire de plusieurs années.

En l’état actuel de nos connaissances, rien ne permet d’expliquer des récupérations de caractère aussi lent, sauf peut-être l’idée de la régénération nerveuse qui pourrait effectivement nécessiter un délai important avant de pouvoir être fonctionnelle.

Les cliniciens connaissent bien ces exemples où la rééducation fonctionnelle pourrait jouer un rôle critique, mais tant sur le plan thérapeutique que sur les bases neurobiologiques, les informations sont rares pour agir efficacement.

Au cours des dernières années cependant, le développement des méthodes d’imagerie fonctionnelle non invasive a assurément permis de mieux connaître les processus en cause, et notamment d’imaginer que, y compris très tardivement après les lésions, le système nerveux est capable de réorganisations et d’adaptations susceptibles de contribuer à des améliorations de son fonctionnement, sinon de ses fonctions.

A – Facteurs limitants des récupérations de fonction :

Faute de comprendre, pour le moment, les bases neuronales de récupérations fonctionnelles qui, pour spectaculaires qu’elles puissent être dans quelques cas, sont dans leur grande majorité plutôt à caractère limité, les facteurs prédictifs de l’ampleur de la récupération possible sont en revanche mieux cernés.

Dès lors, leur analyse permet objectivement de formuler un pronostic quant à l’évolution de l’état des patients.

Parmi les facteurs susceptibles de rendre compte d’une plasticité plus ou moins importante du système nerveux, depuis longtemps l’âge du patient est considéré comme l’un des facteurs critiques, même si cette notion est parfois discutée.

Les travaux de Kennard, dans les années 1930, ont montré à cet égard que, pour une lésion donnée impliquant une zone limitée du cortex sensorimoteur chez le singe, les récupérations étaient d’autant plus importantes que l’animal était jeune ; l’adulte présentant des capacités de restructuration limitées par rapport au jeune au cours du développement, comme l’a montré ultérieurement toute une série de travaux où l’approche comportementale était corrélée à l’analyse de l’organisation anatomique des voies mises en place après le processus lésionnel.

Toutefois, si cette corrélation avec l’âge existe bien pour les lésions impliquant le cortex cérébral qui fait l’objet d’un développement postnatal important, cela semble moins évident pour les structures sous-corticales déjà plus développées à la naissance.

Ainsi, le degré de récupération fonctionnelle paraît-il, en fait, plus en rapport avec le degré de développement de la structure impliquée dans la lésion au moment de son atteinte, qu’en rapport direct avec l’âge du sujet.

Un deuxième paramètre susceptible d’agir sur les récupérations est certainement l’ampleur de la lésion.

Sans reprendre les données de Lashley sur les lésions corticales chez le rat montrant que l’ampleur des déficits mnésiques était globalement proportionnelle à la zone corticale détruite, il apparaît que plus la lésion est importante, plus les déficits sont importants et plus faibles sont les chances de récupérer.

Dans le cas des lésions ischémiques ou hémorragiques chez les patients, les territoires impliqués sont en général importants et les destructions très diffuses, notamment lorsqu’elles impliquent des territoires sous-corticaux thalamiques ou capsulaires.

Dans ce contexte, il appartient de faire la part de la zone effectivement détruite par rapport à la zone de pénombre environnante : les données de l’imagerie tendent ici à montrer que la capacité à reperfuser rapidement les tissus, dans le cas d’accidents ischémiques par exemple, est un facteur limitant les déficits permanents et, par là, favorisant les récupérations, d’autres types de mécanismes de compensation intervenant pour limiter l’expression clinique des lésions lorsque celles-ci présentent un caractère progressif, dans le cas des processus neurodégénératifs par exemple.

Dans le contexte d’une limitation des effets de la lésion, les interventions pharmacologiques qui utilisent des médicaments visant à reperfuser les tissus (vasodilatateurs), à limiter les effets délétères (antioxydants, anticalciques, bloquants des récepteurs aux acides aminés neuroexcitateurs) ou stimulant des mécanismes de « protection » endogènes (stimulants des récepteurs bêta-adrénergiques, facteurs trophiques, facteurs antiapoptotiques, etc) par exemple, sont susceptibles de favoriser les récupérations fonctionnelles lorsque leur administration suit rapidement le processus lésionnel.

Enfin, eu égard au rôle apparemment joué par l’activité neuronale dans les processus à la base de la plasticité cérébrale et de certaines réorganisations, il est possible de suggérer que la rééducation fonctionnelle (exercice, activité, apprentissage) puisse effectivement contribuer à promouvoir les récupérations fonctionnelles, en agissant sur le caractère dynamique des interactions cellulaires.

Dans ce contexte, indépendamment des effets sur le trophisme musculaire qui est strictement dépendant de l’activité musculaire elle-même, il est possible que la mise en jeu des réafférences sensorielles puisse contribuer à ces réorganisations fonctionnelles.

Mais, dans ce cas, l’un des facteurs importants de la contribution de ces informations sensorielles à un rétablissement d’activité est la notion de période critique, période pendant laquelle l’efficacité de cette stratégie serait optimale et au-delà de laquelle, a contrario, cette activation des afférences serait inopérante.

B – Mécanismes possibles des récupérations de fonction postlésionnelles :

Selon Singer, trois grands types de processus seraient mis en oeuvre dans le cadre des récupérations de fonction postlésionnelles, impliquant des mécanismes de réparation des circuits nerveux, de substitution ou encore de compensation.

Il est intéressant de noter que ces propositions peuvent être mises en rapport avec les théories anciennes, notamment celles de la vicariance ou encore celle de la diaschisis.

Par ailleurs, ces propositions ne présentent pas de caractère exclusif et plusieurs types de mécanismes pourraient contribuer à l’amélioration de l’état des patients cérébrolésés.

Enfin, en fonction de l’âge du patient, même les réparations qui impliquent des réorganisations anatomiques des réseaux neuronaux pourraient présenter un rôle fonctionnel ; ce pourrait être le cas chez le jeune, au cours du développement.

De nombreuses expériences ont été réalisées, utilisant les techniques les plus modernes de la neurobiologie, pour tenter de préciser l’efficacité de tel ou tel de ces mécanismes dans les processus de récupération fonctionnelle.

Selon les modèles, l’accent est mis depuis longtemps sur des possibilités de restructuration anatomique des réseaux nerveux, sans doute plus importantes que ne l’avaient indiqué les premières observations de Cajal.

Ce serait notamment le cas pour certains types de neurones, et en particulier pour ceux utilisant les monoamines comme neurotransmetteur et qui joueraient un rôle dans la modulation de la communication intercellulaire.

Mais d’autres possibilités existent de modifications réactionnelles de la communication intercellulaire suite à des lésions cérébrales, qui pourraient contribuer à la prise en charge plus ou moins complète de certaines fonctions rendues déficientes par les lésions, dans un mécanisme de substitution.

Enfin, les données les plus actuelles de la neurobiologie montrent que les processus adaptatifs de la communication intercellulaire peuvent aller, en réponse à des lésions, jusqu’à des modifications durables du phénotype de certains neurones impliquant des modifications de l’expression génique de certaines molécules impliquées dans la signalisation intercellulaire.

À un niveau plus global, les progrès sont venus de l’imagerie cérébrale qui montre de nombreux exemples de substitution, où la mise hors circuit de certaines régions cérébrales implique la mobilisation de certaines autres initialement non impliquées dans la réalisation de la fonction.

Cette forme de plasticité fait aujourd’hui l’objet d’un très grand nombre d’études et, dans ce domaine, les résultats rejoignent alors souvent les données de l’expérimentation animale qui avaient proposé de telles solutions pour rendre compte des récupérations.

1- Processus de restitution de fonction par « réparation » :

Si les processus neurorégénératifs sont parfaitement documentés en ce qui concerne certains modèles, surtout périphériques, chez les vertébrés inférieurs, et notamment les amphibiens ou les poissons, chacun s’accorde sur le fait qu’ils sont extrêmement limités chez l’homme, même si, dans quelques rares cas, il a pu être suggéré des phénomènes locaux de bourgeonnement axonique ; tels ceux notés à l’autopsie dans l’hippocampe de patients épileptiques, ou encore susceptibles d’intervenir dans le striatum de patients atteints de maladie de Parkinson. Dès lors, l’idée s’impose d’une gradation de ce type de phénomène selon une double dimension, phylogénétique et ontogénétique.

Les données expérimentales, pourtant, amènent à nuancer cette proposition en ce sens qu’il a été établi avec certitude que certains systèmes neuronaux seraient à même de présenter des capacités de régénération plus fortes que d’autres.

C’est, semble-t-il, au moins le cas des neurones monoaminergiques dont la lésion spécifique chez le rat, par exemple, est suivie de longues périodes de régénération bien documentées. Les travaux les plus importants dans ce domaine ont été réalisés par le groupe de Bjorklund, à la fin des années 1960, sur la régénération des neurones noradrénergiques et sérotoninergiques bulbospinaux : après la destruction des fibres, la régénération est progressive, sur plusieurs mois.

Cette réinnervation aminergique de la moelle épinière s’établit selon un gradient proximodistal conduisant à une réinnervation importante, bien que partielle, notamment dans les régions les plus distales de la moelle.

D’autres expériences, basées sur la transplantation de neurones embryonnaires sérotoninergiques au niveau de la partie distale d’une moelle sectionnée, contribuent à illustrer le fait que ces neurones sont à même de réinnerver la moelle autour de la zone transplantée et que cette réinnervation sérotoninergique présente un caractère fonctionnel.

Cette capacité de régénération des axones monoaminergiques pourrait être liée au fait que ce type d’innervation présente plutôt un caractère diffus par rapport à d’autres systèmes neuronaux agissant au niveau de synapses globalement plus différenciées, et que les fibres sont de type amyélinique, ce qui peut favoriser leur régénération par rapport à des fibres très myélinisées.

Cependant, dans d’autres modèles, des capacités de réorganisation structurale ont été montrées chez l’adulte, par exemple après désafférentation de la moelle épinière.

Dans ce cas, la suppression de certaines afférences sensorielles s’accompagne de l’extension des territoires spinaux véhiculant normalement les informations issues des racines sensorielles adjacentes.

De même, après suppression des afférences cérébelleuses au noyau rouge chez le chat adulte, des réorganisations anatomofonctionnelles d’une autre voie afférente au noyau rouge, d’origine corticale, ont également été constatées, montrant que les réorganisations anatomiques, qui ne se limiteraient donc pas aux neurones monoaminergiques, peuvent intervenir peut-être plus largement qu’il n’a été initialement envisagé, et que ces restructurations pourraient, au moins dans certains cas, présenter un caractère fonctionnel.

S’agissant alors des patients, la question reste posée de l’occurence de ce type de phénomène de réparation et de leur signification fonctionnelle éventuelle.

La notion de synaptogenèse réactionnelle développée par Cotman et Nadler pourrait ainsi correspondre à une réponse d’occupation de sites synaptiques laissés vacants par une lésion, à partir de fibres épargnées par la lésion.

La réactivité axonique se traduit par un processus de bourgeonnement collatéral dénommé axonal collateral sprouting et serait ainsi considérée comme à même de rétablir de nouvelles connexions synaptiques.

Initialement, Raisman a démontré, au niveau du septum, que la suppression d’un type d’afférence était suivie par un processus de prolifération de terminaisons axoniques correspondant à un autre type d’afférence, dénommé sprouting hétérotypique.

Dans ce cas, compte tenu de la nature différente des messagers impliqués dans la communication synaptique au niveau de ces deux types d’afférences distinctes, le déplacement et la formation de nouvelles synapses à partir des fibres restées intactes doivent s’accompagner de changements concomitants de la cellulecible qui doit, par exemple, exprimer de nouveaux récepteurs correspondant à la synapse néoformée, alors même que ces récepteurs n’existaient pas à cet endroit de l’arborisation dendritique.

Cela indique que ces processus impliquent des changements profonds concernant à la fois l’élément pré- et postsynaptique, qui sont sans doute plus limités dans le cas où la collatéralisation axonique à l’origine de la formation de nouvelles synapses concerne des fibres de même nature que celles qui ont été lésées, dans un processus que, par opposition, on peut qualifier de sprouting homotypique.

Indépendamment de la réactivité des afférences laissées intactes lors d’un processus de dénervation partielle d’une cible, d’autres données expérimentales sont en faveur d’une possible réactivité des cellules dénervées.

Par exemple, au niveau de l’hippocampe chez le rat adulte, la lésion de certaines afférences se traduit par une synaptogenèse locale qui concerne des populations d’interneurones GABA-ergiques qui présenteraient, en réponse à la lésion de leurs afférences, un nombre accru de terminaisons nerveuses.

De façon intéressante, il a été noté à l’autopsie, chez certains patients épileptiques, un sprouting des interneurones GABAergiques au niveau de la même région de l’hippocampe, suggérant que ce type de réponse puisse également intervenir chez les sujets humains.

Sur le plan cellulaire et moléculaire, dans un certain nombre de cas, les lésions sont suivies localement d’une réactivité astrogliale impliquant, par exemple, une surexpression des ARNm codant pour de nombreuses protéines, dont des transporteurs des acides aminés excitateurs tel que GLT-1, susceptibles d’être impliqués dans des mécanismes de neuroprotection sans doute en rapport avec les processus lésionnels.

Dans ce contexte, des changements ont été constatés aussi sur des protéines du cytosquelette telles que la tubuline, l’actine ou encore la protéine MAP-1B, en plus de modifications de protéines impliquées dans l’adhérence cellulaire telle que N-CAM dont la forme embryonnaire réapparaît.

En ce qui concerne MAP-1B par exemple, une lésion thalamique induite par une administration locale d’une substance neurotoxique, l’acide kainique, est suivie rapidement, et pour plusieurs semaines, d’une induction locale de la forme phosphorylée de la protéine dans les afférences somatosensorielles et noradrénergiques au thalamus, suggérant la contribution de cette protéine aux réorganisations structurales qui suivent le processus lésionnel.

Plus généralement, la propension des neurones à réagir à la désafférentation par une synaptogenèse réactionnelle pourrait être en rapport avec l’intervention de mécanismes agissant pendant l’ontogenèse mais représentés localement chez l’adulte, telle l’expression de la forme embryonnaire de NCAM ou d’autres facteurs impliqués dans l’adhérence cellulaire, ou encore dans une action locale des facteurs de croissance.

2- Processus de substitution :

C’est probablement dans ce domaine que les données de l’imagerie sont les plus convaincantes sur la prise en charge de tout ou partie d’une fonction initialement dévolue à un territoire lésé par un autre territoire resté intact, mais initialement non impliqué dans la fonction.

Dans ce contexte, l’hypothèse sous-tendant ces mécanismes est celle de la vicariance, ou encore celle de l’existence d’un certain nombre de systèmes redondants qui pourraient être partiellement non utilisés dans les conditions normales.

Ainsi, par exemple, la réorganisation des cartes corticales mise en évidence par l’équipe de Merzenich, qui suit la destruction d’une partie localisée d’un territoire cortical dans le domaine sensorimoteur, pourrait correspondre à une redistribution de ressources préexistantes, en rapport avec le modèle substitutionniste de Munk ou avec le concept de multireprésentation.

Ce concept est illustré, par exemple, dans le cas de la représentation cérébrale de la notion d’espace, par le fait que l’on peut reconnaître des territoires distincts tous en rapport avec le cortex pariétal postérieur, mais concernés par différents aspects de l’espace tant au niveau cortical que sous-cortical : espace oculomoteur pour le cortex préfrontal et le colliculus supérieur, espace mnésique pour le cortex parahippocampique et l’hippocampe, espace visuomoteur pour d’autres régions du cortex préfrontal et des noyaux gris centraux.

Ce concept de multireprésentation s’accorde aussi avec l’idée de Jackson d’une organisation « hiérarchique » des fonctions nerveuses où la prise en charge d’une fonction pourrait se faire à plusieurs niveaux, cortical et sous-cortical, avec en plus l’idée que, dans les conditions normales, c’est le niveau le plus élevé qui prend en charge la fonction en exerçant une action inhibitrice sur les territoires sous-jacents concernés par la même fonction.

Dès lors, dans tous les cas, la mise hors circuit de l’étage supérieur, par exemple cortical, se traduirait par la prise en charge de la fonction par le territoire sous-cortical correspondant qui se trouverait, du fait de la lésion, libéré de l’action inhibitrice descendante ; un tel schéma étant transposable à une organisation hiérarchique qui existerait entre différentes aires corticales et entre les deux hémisphères cérébraux pour certaines fonctions latéralisées tel que le langage.

Ainsi il a été noté, par exemple, chez des patients souffrant de lésions de la capsule interne unilatéralement, que le métabolisme local et cortical dans l’hémisphère correspondant était très réduit, mais que cela s’accompagnait d’une hyperactivité réactionnelle dans l’hémisphère controlatéral.

Les données du PETscan montrent que la récupération de l’utilisation du membre correspondant au territoire striatocapsulaire lésé s’accompagne d’une activation corticale bilatérale et plus large que dans les conditions normales ou que celle produite par la mobilisation de l’autre membre non affecté par la lésion, chez le même patient.

De plus, dans certains cas, les données de l’imagerie fonctionnelle montrent que la réalisation d’un mouvement des doigts après récupération se traduit, au niveau des aires motrices, par l’activation d’un territoire qui s’étend vers la zone de représentation du visage, en rapport avec les données du groupe de Merzenich chez les singes.

Ces données sont en faveur d’une mobilisation de ressources plus importantes que dans les conditions normales pour la réalisation d’un acte moteur simple, en particulier dans le domaine attentionnel en rapport avec l’activation anormalement importante de régions corticales cingulaires et préfrontales.

Il apparaît aussi que, dans une conception de fonctionnement du système moteur parallèle plus que séquentielle, le cortex moteur primaire, le cortex prémoteur et l’aire motrice supplémentaire puissent agir de façon synergique et, ainsi, contribuer à prendre en charge les effets d’une atteinte de l’une des parties de ce système à trois composantes motrices.

Enfin, considérant le caractère plus important des récupérations, en ce qui concerne la motricité axiale et proximale versus la motricité distale, et notamment des doigts de la main, les données de l’imagerie suggèrent aussi que les processus de récupération fonctionnelle qui suivent une lésion hémiplégique puissent être mis en rapport avec une utilisation accrue des voies motrices ipsilatérales, principalement axiales et proximales.

Dans le domaine des récupérations des aphasies, des résultats similaires ont été obtenus.

Les observations montrent, dans ce cas, une prise en charge par l’hémisphère droit, traduisant un changement tardif et progressif de la latéralisation des aires du langage, qui accompagne la récupération, notamment dans le cas des aphasies de Wernicke.

Compte tenu de ces observations et de celles qui concernent le système sensorimoteur, il faut alors remarquer qu’en ce qui concerne les fonctions latéralisées, les lésions de caractère bilatéral se présenteraient comme d’un pronostic plus mauvais vis-à-vis de la récupération des patients concernés.

Pour ce qui est de l’idée de la mobilisation de systèmes neuronaux non utilisés dans les conditions normales, dans le cadre des récupérations, elle repose sur le concept de neurones « silencieux » ou quiescents postulé parWall.

Dans ce contexte, différentes données expérimentales utilisant les méthodes modernes de la neurobiologie montrent qu’en dehors de toute neurogenèse, il est possible de révéler la présence de neurones qui ne sont pas détectables dans les conditions normales, tels certains neurones peptidergiques du striatum chez le rat adulte, suite à une lésion des afférences dopaminergiques ou d’origine corticale.

Un autre concept en émergence est axé sur la notion de pluripotentialité des réseaux neuronaux, qui pourraient être impliqués, selon les nécessités, dans la réalisation de plusieurs types de fonction.

Cette idée est particulièrement bien illustrée par des travaux réalisés au niveau des structures bulbaires impliquées dans la coordination des activités neurovégétatives : certains neurones de cette région dont la décharge est clairement corrélée à l’activité respiratoire, par exemple, sont susceptibles d’intervenir dans d’autres types d’activité motrice, telles que celles liées à la déglutition ou à la toux.

L’hypothèse a donc été avancée que certains réseaux neuronaux présenteraient une pluripotentialité et seraient à même d’être reconfigurés en fonction des besoins.

Dans ce contexte, la substitution n’impliquerait pas seulement des réseaux neuronaux non utilisés comme le suggérait Wall, mais possiblement aussi des réseaux neuronaux normalement engagés dans certaines fonctions et à même d’en réaliser d’autres, selon les besoins.

3- Processus de compensation :

Il s’agit de considérer ici que la lésion va se traduire par des modifications du caractère dynamique des interactions cellulaires, et que la récupération fonctionnelle pourra utiliser ces changements de relation entre systèmes neuronaux.

L’idée de changements dynamiques de relations intercellulaires en rapport avec des récupérations fonctionnelles a été avancée implicitement par von Monakow qui expliquait le concept de diaschisis par une disfacilitation de territoires en rapport avec le territoire lésé ; la récupération de la fonction pouvant intervenir par une « normalisation » progressive de l’activité de la zone ayant subi la disfacilitation.

De façon intéressante, il est notable que cette hypothèse était à même de rendre compte d’un délai dans la récupération de fonction postlésionnelle, en rapport avec le temps nécessaire à cette normalisation.

Dans ce domaine, l’exemple le plus étudié est celui de la compensation vestibulaire : la labyrinthectomie unilatérale tout comme, d’ailleurs, l’hyperstimulation labyrinthique unilatérale se traduit par un syndrome tout à fait dramatique, marqué par des asymétries posturales intolérables.

Cependant, ce syndrome va régresser en quelques semaines et la situation sera dès lors tout à fait normale sur le plan postural.

Le rétablissement de la situation est attribué, dans ce cas, à une normalisation de l’activité du noyau vestibulaire désafférenté ; la lésion ayant initialement provoqué des modifications des interrelations existant normalement entre les deux noyaux, au niveau du tronc cérébral.

Ce modèle a fait l’objet de très nombreuses études montrant que le processus compensatoire implique la contribution de structures nerveuses centrales comme le colliculus supérieur ou le cervelet, qui pourraient aussi intervenir en dehors de toute lésion dans des processus d’apprentissage impliquant une modification des entrées vestibulaires.

Cela suggère que les mécanismes intervenant dans les processus d’apprentissage pourraient effectivement contribuer aux récupérations fonctionnelles, en rapport avec des modifications d’entrées sensorielles et des mécanismes dépendants de l’activité nerveuse.

Le modèle des lésions partielles de Lashley, dans lequel les effets de la destruction partielle d’un système neuronal pourraient être compensés par une hyperactivité réactionnelle de la partie du système restant intacte, est très bien illustré par des expériences portant sur un modèle animal de la maladie de Parkinson humaine.

Dans ce modèle, la lésion du système nigrostrié dopaminergique, qui reproduit la dégénérescence neuronale intervenant progressivement dans la maladie, n’est suivie de déficits comportementaux que lorsque celle-ci atteint un seuil estimé à environ 70 à 80 % des neurones dopaminergiques.

De très nombreux travaux ont contribué à analyser les mécanismes de cette compensation d’une efficacité telle qu’elle prévient l’apparition des symptômes, alors même que deux tiers à quatre cinquièmes des neurones dopaminergiques sont détruits.

Il s’agit, dans ce cas, d’une hyperactivité réactionnelle compensatoire qui accompagne la dégénérescence neuronale et qui concerne les neurones restant intacts.

L’invariance comportementale serait assurée par un accroissement de l’efficacité synaptique des afférences dopaminergiques striatales préservées par la lésion, et ce ne serait que lorsque ce mécanisme est dépassé, probablement parce que le nombre de neurones restant fonctionnels n’est plus suffisant, que la symptomatologie motrice apparaîtrait dans une sorte de processus de décompensation.

À ce moment d’ailleurs, le système est encore à même de réagir et s’expriment alors, pour des lésions très importantes, des modifications de l’activité synaptique qui portent notamment sur une surexpression des récepteurs dopaminergiques de type D2 traduisant une hypersensibilité de dénervation, qui est sans doute à l’origine de l’efficacité thérapeutique des agents pharmacologiques agissant, directement ou indirectement, sur ces récepteurs hypersensibles au neurotransmetteur.

Dans d’autres modèles, il est notable que cette forme de plasticité peut se traduire par la réapparition de propriétés embryonnaires qui avaient été occultées chez l’adulte.

Par exemple, dans le cas bien connu de la jonction neuromusculaire des vertébrés, les travaux du groupe de Changeux ont montré, au cours de l’ontogenèse, que la mise en place de la transmission cholinergique s’accompagne à la fois d’une redistribution des récepteurs nicotiniques qui ne persistent qu’au niveau des jonctions synaptiques et d’un changement de nature de l’une des sous-unités formant le récepteur, la sousunité γ étant substituée par une sous-unité e.

Chez l’adulte, il est alors notable que les propriétés embryonnaires réapparaissent après dénervation des fibres musculaires avec, à nouveau, une large distribution des récepteurs sur l’ensemble des fibres et le retour à l’expression d’un récepteur comportant une sous-unité γ.

De telles observations portant sur des modifications du phénotype cellulaire ont été réalisées sur d’autres modèles, par exemple au niveau de certains noyaux hypothalamiques.

La technique d’hybridation in situ, facilitant la localisation des ARNm sur des coupes histologiques, permet de montrer, par exemple, qu’après stimulation osmotique il existe une population de neurones présentant à la fois les ARNm de l’ocytocine et de la vasopressine, par rapport à la situation normale où les deux populations de neurones sont relativement ségrégées, suggérant que la stimulation permet, à certains neurones, d’exprimer une double potentialité.

Cette plasticité phénotypique serait encore plus importante qu’il n’apparaît ici puisque, dans d’autres conditions physiologiques comme la lactation, la proportion de neurones exprimant la double potentialité est encore plus forte, et qu’en plus ces mêmes neurones expriment un autre neuropeptide, la galanine.

Enfin, la stimulation osmotique est encore à même d’induire, dans une sous-population de neurones à vasopressine, une expression de tyrosine hydroxylase, enzyme impliquée dans la biosynthèse des catécholamines.

De ce point de vue, l’un des meilleurs modèles de plasticité phénotypique pourrait être représenté par les changements intervenant au niveau de l’iris chez le rat adulte, suite à l’ablation du ganglion cervical supérieur.

Dans ce modèle, l’ablation de ce ganglion, source de l’innervation sympathique de l’iris, est suivie rapidement d’une disparition du contingent de fibres catécholaminergiques contenant à la fois de la noradrénaline et un neuropeptide, le neuropeptide Y.

De façon intéressante, on note, après quelques jours, une réinnervation de type sympathique comme en témoignent les réactions immunocytochimiques utilisant des anticorps dirigés contre la tyrosine hydroxylase et le neuropeptide Y, alors même que la source des fibres sympathiques est définitivement abolie.

Bjorklund et al, qui ont réalisé ces expériences en 1985, suggèrent alors que les marqueurs des fibres sympathiques seraient exprimés par les neurones parasympathiques cholinergiques du ganglion ciliaire qui continuent à innerver l’iris.

D’ailleurs, même si des arguments directs en faveur du changement du phénotype de ces neurones ciliaires n’ont pas été apportés, les auteurs montrent que l’ablation secondaire du ganglion ciliaire sur des animaux préalablement privés de leur ganglion cervical supérieur se traduit, cette fois, par une disparition définitive des marqueurs de type sympathique.

Enfin, un autre modèle de plasticité phénotypique bien connu est celui des expériences de réinnervation croisée des muscles chez l’adulte, illustrant le rôle de l’activité neuronale et le poids de l’activité synaptique dans le déterminisme des caractéristiques morphofonctionnelles musculaires.

Considérant deux muscles qualifiés de « lent » et « rapide » comme le soléaire et le long fléchisseur des doigts, respectivement, l’inversion de leur innervation par des expériences de sutures croisées transforme littéralement le soléaire en muscle rapide et le long fléchisseur en muscle lent, selon les critères électrophysiologiques. De façon intéressante, ces changements ne se limitent pas aux caractéristiques fonctionnelles mais se traduisent par des modifications du phénotype, notamment au niveau des enzymes impliquées dans le métabolisme oxydatif.

Ces phénomènes de plasticité s’accompagnent de modifications concomitantes des ARNm codant, pour les chaînes de myosine spécifiques, des fibres de type rapide et des fibres de type lent, respectivement.

Les mécanismes de telles modifications de l’expression génique ne sont pas connus, mais il est vraisemblable que ces réponses impliquent les facteurs de transcription.

Ainsi a-t-il pu être mis en évidence des activations des protooncogènes c-fos et c-jun susceptibles d’interférer avec l’expression génique, suite à des expériences de désafférentation.

Pris dans son acception la plus large, le concept de neuroplasticité n’est pas nouveau et a été décliné dans tout le champ des neurosciences, des niveaux les plus moléculaires à ceux, très intégrés, des neurosciences cognitives et de la neuropsychologie dans le domaine fondamental, en passant par la neurologie et la rééducation fonctionnelle dans le domaine clinique.

Ce qui paraît, en revanche, présenter un aspect plus novateur est l’idée que le développement ne façonne pas une structure destinée à présenter un caractère rigide lorsqu’il est achevé, mais qu’il existe, tout au long de la vie de l’individu, un caractère dynamique des interactions neuronales garant de l’intégrité du fonctionnement cérébral.

Cette conception dynamique de l’organisation anatomofonctionnelle du système nerveux permet ainsi d’envisager l’existence de propriétés susceptibles de permettre des adaptations allant jusqu’à des restructurations des réseaux nerveux, y compris chez le sujet âgé.

Les processus à la base des récupérations fonctionnelles chez l’adulte peuvent ainsi apparaître comme n’étant pas une simple réexpression de potentialités de l’ontogenèse à la base de la construction du cerveau, mais plutôt comme l’expression de propriétés propres des réseaux neuronaux, facilitée par la capacité de la réexpression de ces potentialités de l’ontogenèse.

L’idée est alors avancée qu’il est possible de faciliter l’action des mécanismes cellulaires et moléculaires à la base des récupérations fonctionnelles en agissant sur les mécanismes du développement.

Dans ce contexte, l’espoir pourrait alors venir de stratégies de transfert de gènes qui pourraient ainsi permettre une optimisation de ces mécanismes, voire leur expression dans des territoires où ils ne sont pas présents chez l’adulte.

Mais le neurobiologiste qui découvre chaque jour un peu plus les potentialités considérables de cette neuroplasticité doit cependant se garder de tout triomphalisme et faire preuve d’une grande modestie face à la détresse du patient cérébrolésé chez qui les progrès sont, de toute façon, toujours très lents et de caractère très limité.

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