Neuropathies de la lèpre

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Introduction :

Depuis qu’Hansen a découvert en 1874, à Bergen (Norvège), que Mycobacterium (M.) leprae, bacille acidoalcoolo-résistant, était l’agent de la lèpre, d’importants progrès ont été accomplis dans la connaissance et le traitement de cette affection.

Néanmoins, bien que pratiquement éradiquée des pays industrialisés, la lèpre demeure un important problème de Santé publique dans les pays en voie de développement des régions tropicales et subtropicales du globe.

La prévalence de la lèpre dans le monde avait commencé à décroître avant l’avènement de la chimiothérapie du fait de l’amélioration des conditions socioéconomiques.

Neuropathies de la lèpreCependant, le nombre de sujets atteints était encore récemment estimé à 11 ou 12 millions, avec une prévalence qui dépasse 10 pour 1 000 dans certaines régions d’Afrique, d’Amérique latine et du Sud-Est asiatique, et plus de 500 000 nouveaux cas diagnostiqués chaque année.

L’avènement de la polychimiothérapie a entraîné un raccourcissement important de la durée des traitements, si bien que le nombre de patients sous traitement est actuellement estimé à 5 ou 6 millions, et que les espoirs d’éradication de la lèpre dans un avenir proche sont permis.

Il reste cependant que même après guérison bactériologique, la lèpre va laisser dans la majorité des cas des dégâts irréversibles des nerfs périphériques, responsables de troubles trophiques, sensitifs et moteurs séquellaires.

M. leprae se transmet d’homme à homme probablement par voie aérienne, sans hôte intermédiaire, et sa période de latence très longue, de 5 à 15 ans ou davantage, fait que les manifestations cliniques surviennent généralement à l’âge adulte, alors que la contamination a souvent lieu dans l’enfance.

De ce fait, les mesures préventives ne peuvent faire sentir leurs effets que de nombreuses années plus tard.

Les aspects cliniques et pathologiques des différentes formes de neuropathies lépreuses sont connus depuis longtemps, mais la lèpre continue de poser des problèmes spécifiques aux chercheurs et aux cliniciens, car le contrôle de l’infection par les traitements modernes ne suffit pas toujours, pour des raisons sur lesquelles nous reviendrons, à contrôler la neuropathie et à en atténuer les conséquences.

Parfois même le traitement entraîne des réactions de l’hôte avec accentuation des lésions nerveuses, ou apparition de lésions nouvelles.

Dans la lèpre, en effet, les manifestations cliniques dépendent autant des réactions immunitaires du patient aux antigènes de M. leprae que de la prolifération de bacilles dans l’organisme.

Le spectre des neuropathies de la lèpre s’étend de l’extrémité, où l’immunité cellulaire aux antigènes de M. leprae est la plus faible, et la pullulation bactérienne la plus intense, en l’occurrence la forme polaire lépromateuse, à la forme polaire tuberculoïde où l’immunité cellulaire est la plus forte et les bacilles très rares.

Manifestations neurologiques de la lèpre :

Les neuropathies de la lèpre s’installent très insidieusement.

Rarement douloureuses, elles ne sont souvent révélées qu’à l’occasion de traumatismes ou de brûlures indolores qui font prendre conscience d’une analgésie pathologique, ou encore lors de la survenue des troubles trophiques classiques, très tardifs.

Rarement, une névrite aiguë douloureuse fait découvrir un nerf hypertrophique douloureux et palpable, évocateur du diagnostic.

A – DÉPISTAGE DE LA NEUROPATHIE :

Le dépistage de la neuropathie, qui repose sur l’étude de la perception des différents modes de sensibilité s’impose à l’évidence quand existent des signes cutanés évocateurs de l’affection.

À l’opposé, ce dépistage devient plus problématique lorsque les signes cutanés sont discrets ou absents.

Ces formes purement neuropathiques sont à l’origine de diagnostic tardif, au stade des complications neurotrophiques, c’est-à-dire à un moment où les nerfs des territoires concernés, détruits en totalité ou presque, laissent peu d’espoir pour une amélioration fonctionnelle après traitement.

C’est dire la nécessité d’instruire les populations à risque de l’importance et de la signification des signes d’appel que sont les lésions cutanées, les pertes de sensibilité localisées ou l’hypertrophie de troncs nerveux.

Les lésions cutanées spécifiques, macules et lépromes, révèlent la lèpre dans plus de la moitié des cas.

Elles sont presque constantes dans les formes lépromateuses.

La présence de zones limitées de perte de sensibilité, de perte de sudation ou d’alopécie, l’apparition d’une paralysie faciale, d’une tache achromique ou d’une zone d’atrophie cutanée, peuvent venir également révéler l’affection.

Il peut en être de même de l’apparition de l’hypertrophie douloureuse d’un tronc nerveux. Les maux perforants plantaires ou d’autres troubles trophiques sont des manifestations très tardives sur la physiopathologie desquelles nous reviendrons.

B – PERTES DE SENSIBILITÉ :

On peut pratiquement dire qu’il n’y a pas de lèpre sans troubles sensitifs.

Ces troubles, qui résultent des lésions des nerfs cutanés et des troncs nerveux, ont une distribution très variable.

Ils peuvent s’étendre à la plus grande partie du corps, tout en respectant les plis cutanés.

Dans les lésions précoces existe une relative conservation de certains modes de sensibilité, avec une atteinte prédominant sur le tact fin, les sensibilités thermique et douloureuse, tandis que la stéréognosie est conservée, si bien que les sujets peuvent toujours utiliser leurs membres malgré l’anesthésie cutanée.

Les régions froides de l’organisme paraissent plus affectées.

Dans certains cas, la perte complète des sensibilités thermique et douloureuse contraste avec la conservation du tact.

Ce type de dissociation classique des sensibilités est rarement complet dans la lèpre.

Dans la plupart des cas, toutes les sensibilités superficielles sont affectées.

La perte de sensibilité dans le territoire cutané correspondant aux macules témoigne de l’atteinte des branches terminales des nerfs sensitifs du territoire correspondant.

Les gros troncs nerveux peuvent être également affectés, en particulier le nerf cubital et le nerf sciatique poplité externe.

Le médian, le tibial postérieur, la branche superficielle du nerf radial sont un peu moins souvent atteints.

Au niveau de l’extrémité céphalique, le grand auriculaire et le nerf facial sont les plus touchés.

La distribution des troubles sensitifs est extrêmement variable.

La perte de sensibilité peut avoir une distribution en îlots, de forme et de nombre variables, qui peuvent se superposer ou non à des macules.

Ces manifestations, qui peuvent rester stables pendant des années, peuvent s’associer à d’autres manifestations telles qu’anhidrose, alopécie ou aréflexie vasomotrice.

Ces troubles sont liés à des lésions des terminaisons nerveuses cutanées ou à l’atteinte de certains fascicules seulement d’un tronc nerveux.

Dans certains cas, la perte de sensibilité peut affecter une distribution pseudoradiculaire consécutive à des lésions extensives d’un ou de plusieurs gros troncs nerveux.

Dans les formes ayant eu une évolution prolongée, la perte sensitive prédomine à la partie distale des membres, s’étend vers sa partie proximale, mais n’affecte que rarement le tronc.

Quand ce dernier est touché, la perte de sensibilité a une distribution en îlots et non pas une topographie dépendant de la longueur des fibres touchées, comme dans les polyneuropathies axonales ascendantes progressives du diabète, de l’amylose ou d’autre origine.

C – HYPERTROPHIE DES TRONCS NERVEUX :

Elle s’observe chez un tiers environ des patients atteints de lèpre, parfois bien avant la survenue de troubles sensitifs dans le territoire correspondant.

Les nerfs du plexus cervical superficiel, la branche sus-orbitaire du trijumeau, ou les gros troncs des membres dont le cubital au-dessus du coude, le nerf radial superficiel, au bord externe de la partie inférieure de l’avant-bras ou le nerf sciatique poplité externe sont souvent concernés.

L’hypertrophie nerveuse est parfois associée à des impressions de picotements ou à des douleurs spontanées, rarement provoquées par la palpation du tronc nerveux hypertrophié.

Le nerf peut être régulièrement épaissi ou donner une impression moniliforme.

Il est important de savoir que l’hypertrophie nerveuse est souvent difficile à affirmer cliniquement.

Il existe par ailleurs d’autres causes d’hypertrophie nerveuse que la lèpre : les neuropathies hypertrophiques héréditaires, l’amylose et la neurofibromatose par exemple.

Pour ces raisons, une hypertrophie nerveuse isolée ne suffit pas pour affirmer un diagnostic de neuropathie lépreuse, lequel doit être confirmé par la présence de lésions cutanées spécifiques ou par l’étude, par une équipe entraînée, d’un fragment biopsique d’un nerf hypertrophié.

L’hypertrophie nerveuse manque souvent dans les formes tuberculoïdes, et peut même être remplacée par une atrophie des troncs nerveux devenus complètement fibreux.

D – TROUBLES MOTEURS ET AMYOTROPHIE :

Ce sont les phénomènes habituellement tardifs qui évoluent de pair. Dans certains cas cependant, l’amyotrophie paraît plus marquée que le déficit.

Tous deux prédominent dans les territoires du nerf médian et du cubital à la main où ils donnent une atrophie de type Aran-Duchenne caractéristique quand elle s’associe à des mutilations digitales.

Aux membres inférieurs, c’est le territoire du nerf sciatique poplité externe qui est le plus touché.

Amyotrophie et troubles moteurs progressent de façon grossièrement symétrique.

E – RÉFLEXES OSTÉOTENDINEUX :

L’habituelle conservation des réflexes ostéotendineux des membres touchés par des troubles sensitifs et trophiques majeurs peut surprendre.

Elle est liée à la prédominance de l’atteinte nerveuse périphérique à la partie distale, superficielle, des nerfs cutanés, trop distale donc pour interrompre éventuellement un arc réflexe.

F – ATTEINTE FACIALE :

En dehors du faciès léonin dû à l’infiltration cutanée, une paralysie faciale avec lagophtalmie uni- ou bilatérale, sans atteinte des autres muscles innervés par le facial, est classique.

L’exploration chirurgicale du nerf a montré une atteinte des branches du facial destinées au frontal et à l’orbiculaire des paupières.

Cette atteinte s’associait à une perte sensitive de la région malaire.

L’anesthésie cornéenne associée est souvent à l’origine de troubles trophiques.

G – TROUBLES TROPHIQUES DES EXTRÉMITÉS :

Les maux perforants plantaires fréquents et classiques compliquent la perte de sensibilité plantaire. Ils résultent des microtraumatismes indolores facilités par la conservation d’une force suffisante pour marcher.

La perte de sensibilité de protection des extrémités des membres conduit à des blessures indolores, des infections répétées, et au développement de déformations du même type que celles observées dans les neuropathies sensitives d’autre origine, diabétique souvent, ou dans l’indifférence congénitale à la douleur.

Les troubles trophiques résultent en effet des traumatismes de la vie courante sur des régions qui ont perdu toute sensibilité douloureuse.

Fractures pathologiques et ostéolyses distales sont souvent bilatérales, et ont une évolution centripète, affectant progressivement les phalanges, les métacarpiens et métatarsiens, à l’origine des déformations classiques des extrémités.

L’atrophie concentrique progressive constatée radiologiquement intéresse les surfaces articulaires et progresse sans causer de réaction osseuse.

La neuropathie lépreuse est, en dehors des réactions lépreuses sur lesquelles nous reviendrons, une neuropathie « froide », ne s’accompagnant ni de fièvre, ni d’altération de l’état général.

Les lésions touchent les troncs nerveux distaux de façon diffuse ou, plus souvent, multifocale respectivement dans les formes lépromateuses ou tuberculoïdes.

Diagnostic différentiel :

Bien qu’elle soit la plus fréquente des neuropathies en zone d’endémie, la lèpre n’en est pas pour autant la seule, et toute neuropathie survenant chez un sujet vivant en zone d’endémie ne doit pas être considérée sans preuve comme une lèpre.

Les problèmes diagnostiques ne se posent pratiquement pas dans les formes lépromateuses, car les bacilles peuvent y être facilement mis en évidence dans le mucus nasal ou dans les prélèvements biopsiques ; il suffit d’y penser, encore que des associations pathologiques soient possibles.

Dans les formes tuberculoïdes, en revanche, le diagnostic peut devenir aléatoire, car le bacille y est difficile ou impossible à mettre en évidence.

La détection d’acide désoxyribonucléique (ADN) bacillaire par les techniques d’amplification génique pourrait en faciliter le diagnostic dans certains centres bien équipés.

En cas de doute, des investigations complémentaires doivent être entreprises, et en dernier recours une biopsie nerveuse, étudiée dans un laboratoire spécialisé, permet pratiquement toujours le diagnostic.

Il ne faut pas perdre de vue la possibilité d’intrication éventuelle de plusieurs causes, comme le diabète, la malnutrition, l’alcoolisme, les infections par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) et par le human T-cell lymphoma virus (HTLV)-1, très fréquentes dans certaines régions d’endémie lépreuse.

Chez les patients traités, la survenue de neuropathie médicamenteuse, par le thalidomide par exemple, efficace dans le traitement des érythèmes noueux lépreux, doit aussi parfois être envisagée.

Neuropathies et état immunitaire :

L’aspect de la neuropathie de la lèpre dépend essentiellement de l’immunité cellulaire du patient vis-à-vis de M. leprae.

Le spectre de la neuropathie va d’une forme dite « polaire lépromateuse », encore qualifiée de multibacillaire, au cours de laquelle la très faible réponse cellulaire permet une prolifération bacillaire et une contagiosité importante, à la forme « polaire tuberculoïde », ou lèpre paucibacillaire, au cours de laquelle la réponse immunitaire cellulaire est élevée et les bacilles rares.

A – LÈPRE LÉPROMATEUSE OU LÈPRE MULTIBACILLAIRE :

Dans la forme polaire lépromateuse, les lésions cutanées sont nombreuses, faites de macules, de papules et de nodules avec infiltration et épaississement de la peau.

Ces lésions affectent préférentiellement les régions froides du corps.

À ce stade, une atteinte bilatérale diffuse et généralement symétrique des nerfs apparaît. Des nerfs hypertrophiques peuvent fonctionner normalement pendant une durée variable.

Chez ces patients, les bacilles ont été constamment retrouvés dans le sang, la majorité d’entre eux étant intracellulaires, dans les polynucléaires neutrophiles, les monocytes et les histiocytes circulants.

Dans cette forme, le manque de réponse spécifique de l’hôte aux antigènes de M. leprae est à l’origine de la prolifération incontrôlée des bacilles.

Cette non-réponse de l’hôte se traduit in vivo par une anergie cutanée aux antigènes de M. leprae avec une réaction de Mitsuda négative.

Dans les infiltrats inflammatoires des lésions cutanées de la lèpre lépromateuse, 50 à 75 % des cellules appartiennent à la lignée monocyte-macrophage, le reste étant constitué essentiellement de lymphocytes T8-suppresseurs.

La prolifération et la dissémination de M. leprae affectent aussi les nerfs, mais le mécanisme des lésions des fibres nerveuses reste un sujet de controverse.

Au stade de neuropathie symptomatique, les lésions inflammatoires et les dégénérescences des fibres sont telles qu’il devient pratiquement impossible d’en tirer des conclusions physiopathologiques.

Dans une étude récente des lésions de nerfs hypertrophiques mais ne s’accompagnant pas encore de déficit sensitif dans le territoire correspondant chez des patients atteints de lèpre lépromateuse, nous avons noté une diminution de la vitesse de conduction de la branche superficielle du radial dans tous les cas, avec conservation relative du potentiel d’action sensitif, qui lui s’effondre quand apparaissent les troubles sensitifs.

L’abaissement précoce de la vitesse de conduction nerveuse, qui témoigne de démyélinisations segmentaires du nerf, peut être utile au dépistage des lésions nerveuses asymptomatiques.

Morphologiquement, les nerfs hypertrophiques ne s’accompagnant pas de déficit sensitif dans le territoire correspondant ont une structure générale conservée, avec présence de lésions inflammatoires très asymétriques, certains fascicules étant massivement atteints tandis que d’autres, voisins, sont respectés .

À l’intérieur même de certains fascicules, les lésions ne sont pas homogènes.

L’anomalie la plus spectaculaire est l’énorme réaction inflammatoire qui affecte tous les compartiments du nerf, avec dans certains un aspect en « pelure d’oignon » du périnèvre.

Rappelons que l’épinèvre est l’espace rempli de tissu conjonctif lâche situé entre les fascicules, eux-mêmes limités par le périnèvre dans lequel cheminent les vaisseaux nourriciers du nerf.

Au début, les lésions de ces formes hypertrophiques prédominent sur les structures conjonctives et vasculaires des nerfs.

L’hypertrophie des troncs nerveux qui résulte de l’atteinte inflammatoire de ces structures peut conduire à des lésions mécaniques supplémentaires dans les défilés anatomiques, comme la gouttière épitrochléoolécrânienne pour le nerf cubital.

Des décompressions chirurgicales des nerfs ne peuvent avoir qu’un effet limité car le périnèvre hyperplasique qui enserre chaque fascicule n’est pas affecté par ces décompressions.

Une vascularite lymphocytaire est constante, mais les vaisseaux restent perméables.

L’intervention d’un mécanisme ischémique est donc improbable à cette phase.

Dans la lèpre lépromateuse, les bacilles sont très nombreux sur les lames colorées par la méthode de Ziehl. L’étude en microscopie électronique permet de mieux préciser la nature des cellules infectées.

Les M. leprae sont très abondants dans les cellules périneurales, les fibroblastes des différents compartiments du nerf, les cellules de la lignée histiocytomacrophagique, les cellules de Schwann et les cellules endothéliales.

Dans nos observations, le cytoplasme de nombreuses cellules de Schwann était en cours de dégénérescences sans que ce phénomène soit obligatoirement lié à la présence de bacilles au sein de leur cytoplasme.

Des bacilles sont présents dans de rares axones, mais la pathologie éventuellement induite par ces bacilles intra-axonaux est probablement marginale du fait de la rareté du phénomène.

Les démyélinisations segmentaires prédominent chez certains patients.

Les fibres démyélinisées sont souvent groupées et associées à des macrophages chargés de débris de myéline. Les dégénérescences axonales prédominent chez d’autres.

Mais il faut se rappeler que la survenue de déficit neurologique dans le territoire correspondant à un nerf affecté est toujours associée à une perte axonale importante.

On trouve aussi beaucoup de fibres enserrées dans du tissu conjonctif.

Un autre aspect remarquable de la pathologie endoneurale de patients atteints de lèpre lépromateuse, et que l’on retrouve d’ailleurs dans les formes tuberculoïdes, est l’intense prolifération fibroblastique associée à une synthèse accrue de collagène, qui conduit à une fibrose endoneurale.

L’absence de déficit sensitif dans le territoire correspondant à un nerf hypertrophié dans lequel l’examen histologique met en évidence des lésions inflammatoires importantes et de très nombreux bacilles, tient au fait que les lésions précoces prédominent sur les structures conjonctives épineurales et périneurales et ne détruisent, à cette phase, qu’un nombre limité de fibres nerveuses.

Les lésions nerveuses ne deviennent symptomatiques que lorsqu’un grand nombre d’axones a été détruit, c’est-à-dire longtemps après les premières atteintes histologiques du nerf.

B – LÈPRE TUBERCULOÏDE OU LÈPRE PAUCIBACILLAIRE :

Dans la majorité des cas, la destruction du contenu endoneural est telle qu’il ne reste pratiquement plus de fibres.

Du fait de l’existence de la forte réaction d’immunité cellulaire aux antigènes de M. leprae dans la lèpre tuberculoïde, qui se traduit par la positivité de la réaction de Mitsuda, la prolifération bacillaire est contenue et les lésions de la lèpre tuberculoïde moins disséminées que celles de la lèpre lépromateuse.

Dans la lèpre tuberculoïde, les lésions des nerfs sont souvent peu nombreuses et asymétriques.

Elles siègent fréquemment au voisinage de lésions cutanées hypo- ou anesthésiques, hypopigmentées.

Mais ici aussi il faut se garder de récuser le diagnostic en l’absence de lésions cutanées.

Il existe un faisceau d’arguments pour penser que, dans la lèpre tuberculoïde, les lésions nerveuses périphériques ne sont pas causées par M. leprae mais plutôt par la réponse d’immunité cellulaire aux antigènes bacillaires.

Morphologiquement, les lésions sont caractérisées par la présence de granulomes avec des cellules épithélioïdes associées à une importante infiltration lymphocytaire.

Dans certains cas, la structure du nerf n’est même plus reconnaissable et des abcès endoneuraux par nécrose caséeuse se forment dans l’endonèvre.

Ces abcès peuvent se calcifier par la suite.

Dans ces formes, les bacilles sont rares ou indétectables dans les lésions.

Cependant, des antigènes bacillaires ayant une réaction croisée avec des antisérums antibacille bilié Calmette-Guérin (BCG), ont été mis en évidence.

La détection d’ADN bacillaire par amplification génique pourrait être utilement appliquée au diagnostic de ces formes.

La destruction spectaculaire des structures endoneurales est attribuée à une réaction d’hypersensibilité retardée, au cours de laquelle des cellules T-helper spécifiques réagissent avec des antigènes de M. leprae présentés par les macrophages endoneuraux et/ou peut-être par des cellules de Schwann qui expriment l’antigène human leukocyte antigen (HLA)-DR sous l’effet de l’interféron gamma sécrété par les cellules T-helper.

L’activation des macrophages dans ce contexte conduit à la libération de produits de sécrétion très nocifs pour les cellules et les fibres avoisinantes.

C – RÉACTIONS LÉPREUSES :

Une des préoccupations majeures lors du traitement des neuropathies lépreuses est la possibilité de survenue d’une altération soudaine de l’équilibre immunitaire du patient pouvant conduire au développement de réactions lépreuses.

L’augmentation de la réponse d’immunité cellulaire aux antigènes de M. leprae apparaît couramment pendant l’année qui suit la mise en route du traitement, ou plus tard, essentiellement chez les patients ayant une forme borderline-lépromateuse.

Cette réaction est caractérisée par le gonflement et l’exacerbation des lésions cutanées et nerveuses préexistantes, associés à une altération fébrile de l’état général.

L’augmentation douloureuse de volume des troncs nerveux peut s’accompagner d’un déficit aigu dans le territoire correspondant. Dans certains cas, des nerfs jusque là cliniquement indemnes peuvent devenir brutalement déficitaires.

Des granulomes endoneuraux, des cellules géantes multinucléées, une infiltration lymphocytaire, des phénomènes de vascularite et de périnévrite sont observés dans les lésions nerveuses.

La présence de zones de nécrose peut ici aussi conduire à la formation d’abcès endoneuraux dans lesquels on ne détecte pas de bacilles.

Ainsi, l’amélioration de la réponse d’immunité cellulaire qui survient au cours du traitement peut aggraver ou révéler des lésions des nerfs, qu’elles peuvent détruire.

L’érythème noueux lépreux est une autre forme de réaction qui se rencontre presque exclusivement dans la forme polaire lépromateuse, multibacillaire, lorsque l’instauration d’une chimiothérapie efficace a conduit à la destruction massive de bacilles.

L’érythème noueux affecte environ 50 % des patients avant la fin de la première année de traitement.

Les nodules douloureux, multiples, caractéristiques, sont souvent associés à de la fièvre, des arthrites, de l’oedème, des myalgies, une iridocyclite et des lésions aiguës des troncs nerveux.

Cette réaction est considérée comme une manifestation d’un phénomène d’Arthus avec dépôts de complexes immuns autour des vaisseaux dermiques.

Dans les nerfs, l’érythème noueux s’accompagne d’une intense réaction inflammatoire qui, du fait de sa survenue au cours du traitement, risque de compromettre la régénération axonale, base de la récupération fonctionnelle.

Lésions tardives des nerfs :

Nous avons eu à plusieurs reprises l’occasion d’examiner des nerfs de patients traités depuis plusieurs années pour différentes formes de lèpre, du fait de la survenue d’une réversion tardive, ou de troubles trophiques faisant craindre une reprise évolutive.

Nous avons très souvent trouvé des nerfs totalement sclérosés, dans lesquels cheminaient éventuellement de rares groupements de fibres de régénération.

Inversement, dans les formes d’évolution favorable, la sclérose endoneurale était limitée et la régénération axonale abondante.

Souvent, même après des années de traitement, la sclérose reste associée à des infiltrats lymphocytaires périneuraux, prédominant autour des vaisseaux, témoignant de la persistance de phénomènes inflammatoires alors même que l’affection paraissait éteinte.

Dans l’ensemble, les chances de récupération fonctionnelle sont meilleures au cours des lèpres lépromateuses qu’au cours des lèpres tuberculoïdes, encore faut-il qu’elles aient été dépistées assez tôt et que le patient ne fasse pas de complications sévères sous traitement.

Ainsi, une bonne immunité cellulaire permet à l’hôte de se débarrasser de la plupart des bacilles et de limiter la diffusion des lésions, mais les dégâts provoqués par les réactions d’hypersensibilité aux antigènes de M. leprae dans le nerf sont malheureusement souvent graves.

Traitement :

De gros progrès ont été faits dans la chimiothérapie de la lèpre grâce aux programmes de contrôle de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Pour le traitement des formes paucibacillaires, qui comprennent les formes tuberculoïdes et borderline-tuberculoïdes, on recommande l’administration de dapsone à raison de 100 mg/j et de rifampicine à raison de 600 mg/j pendant 6 mois.

Dans les formes lépromateuses, on recommande 24 mois de polychimiothérapie avec dapsone (100 mg/j), rifampicine (600 mg/j) et clofazimine (300 mg/j).

Le sujet doit rester sous surveillance pendant 5 ans.

La corticothérapie, à raison de 1 mg/kg/j en moyenne, est utile dans les réactions de réversion.

La décroissance des doses se fait progressivement sur plusieurs mois.

La corticothérapie est toujours administrée sous couvert d’un traitement antibacillaire.

Dans l’érythème noueux lépreux, la thalidomide peut être utile, à des doses de 100 à 300 mg/j.

On n’oublie pas que la thalidomide, évidemment contre-indiquée chez les femmes enceintes ou susceptibles de l’être, est très neurotoxique et que son utilisation prolongée se complique régulièrement de polynévrite axonale.

Une surveillance régulière de la sensibilité distale des pieds et l’arrêt du traitement s’imposent en cas de paresthésies et/ou d’hypoesthésie distales.

Il ne faut pas perdre de vue que les séquelles sensitives, sources de troubles trophiques, sont habituelles, et que même bactériologiquement guéris, les sujets restent exposés à des complications de ce type.

Enfin, l’amélioration des conditions socioéconomiques et de l’encadrement sanitaire dans les pays en voie de développement sont des facteurs majeurs d’éradication de la maladie.

Les résultats des différentes campagnes de vaccination donnent une protection allant de 20 à 80 % des sujets vaccinés, selon le vaccin utilisé et le pays.

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