Neuropathies amyloïdes

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Introduction :

Les neuropathies amyloïdes comprennent l’ensemble des manifestations neurologiques en rapport avec l’atteinte du système nerveux périphérique associée à la présence de dépôts endoneuraux de substance amyloïde.

Depuis la description en 1924 du premier cas de polyneuropathie par amylose, de nombreux autres cas ont été rapportés, répartis en formes héréditaires et sporadiques.

Dans cet article, les aspects récents des formes héréditaires sont développés.

Au cours des 20 dernières années, la nature biochimique des protéines constituant les dépôts d’amylose a été précisée, ouvrant des perspectives thérapeutiques.

D’autre part, les mutations responsables de la synthèse des protéines anormales ont été identifiées, avec la possibilité d’un dépistage familial par des techniques de biologie moléculaire.

Classification :

Les neuropathies amyloïdes peuvent s’observer dans le cadre d’affections héréditaires ou bien au cours d’amyloses systémiques acquises.

A – NEUROPATHIES AMYLOÏDES HÉRÉDITAIRES :

Neuropathies amyloïdesLe mode de transmission des neuropathies amyloïdes héréditaires (NAF) est autosomique dominant.

Une classification anatomoclinique avait été proposée il y a 20 ans par Glenner et al, tenant compte du mode de présentation de la neuropathie et des manifestations viscérales associées.

La forme portugaise a été décrite initialement par Andrade dans la région de Porto au Portugal et représente, en raison de foyers endémiques, un important problème de santé publique.

Cette polyneuropathie sensitivomotrice avec troubles végétatifs survient chez des sujets d’une trentaine d’années.

Elle débute généralement par des troubles sensitifs aux membres inférieurs et est de pronostic sévère.

Les patients décèdent, après un délai moyen de 10 ans, de cachexie ou de complications de décubitus après aggravation progressive de la neuropathie.

Des cas similaires ont été rapportés par la suite au Japon et en Suède.

La variété finlandaise associe une atteinte multiple de nerfs crâniens, une atteinte cutanée et une dystrophie cornéenne avec parfois une polynévrite.

La classification actuelle est basée sur la nature de la protéine précurseur de la protéine plasmatique formant les dépôts amyloïdes : variante de transthyrétine (TTR) et fragments de gelsoline pour l’essentiel, les NAF-TTR étant de très loin les plus fréquentes dans le monde.

B – NEUROPATHIES AU COURS DES AMYLOSES SYSTÉMIQUES ACQUISES :

Une neuropathie peut s’observer au cours d’une amylose acquise à chaînes légères (type « AL »).

Elle s’associe généralement à une gammapathie et/ou à la production de chaînes légères monoclonales.

La neuropathie amyloïde peut survenir au cours d’un syndrome lymphoprolifératif malin découvert généralement à l’occasion : myélome multiple ou maladie de Waldenström.

On n’observe jamais de neuropathie lors de l’amylose secondaire de type « AA » qui complique des maladies inflammatoires ou des infections chroniques.

C – NEUROPATHIES AMYLOÏDES D’APPARENCE SPORADIQUE :

Un certain nombre de neuropathies amyloïdes posaient, jusqu’à il y a peu de temps, un problème pathogénique.

En effet, elles ne s’accompagnaient ni de contexte héréditaire, ni de dysglobulinémie qui auraient permis de les rattacher à une amylose « AL ».

L’étude génétique chez ces patients a permis en fait de les rattacher en quasitotalité à une mutation du gène de la TTR.

Aspects cliniques :

A – ÂGE DE DÉBUT ET SEX-RATIO :

Les neuropathies amyloïdes surviennent à l’âge adulte.

L’âge de début de la neuropathie est très variable, pouvant se situer au cours de la troisième décennie comme pour les neuropathies héréditaires de type portugais, ou être plus tardif, au cours de la sixième, voire la huitième décennie pour les neuropathies de l’amylose « AL » et pour les cas d’apparence sporadique.

Alors que pour les NAF, la répartition entre les sexes est identique, une prédominance masculine a été observée pour les neuropathies de l’amylose systémique « AL » et les formes d’apparence sporadique.

B – PRÉSENTATION CLINIQUE DE LA NEUROPATHIE :

Polynévrite avec troubles végétatifs :

La neuropathie amyloïde se présente généralement sous la forme d’une polynévrite sensitive ou sensitivomotrice avec ou sans troubles végétatifs.

* Troubles sensitifs :

Ils sont le plus souvent inauguraux.

Il s’agit de paresthésies, de sensations d’engourdissement, d’extrémités froides, de douleurs à type de brûlures ou de type pseudoradiculaire.

À l’examen, les troubles sensitifs superficiels sont souvent dissociés, avec une atteinte plus étendue pour les sensibilités thermique et douloureuse que pour la sensibilité tactile.

Les troubles sensitifs profonds sont peu marqués au début.

La topographie et l’extension progressive des troubles sensitifs superficiels rappellent ce qui est décrit au cours des polynévrites axonales ascendantes progressives d’autre origine.

En effet, les troubles sensitifs symétriques et distaux s’étendent au cours de l’évolution vers la partie proximale des membres inférieurs avant d’atteindre les mains.

Dans les formes évoluées, ils concernent les quatre membres, la partie antérieure et médiane du tronc en « tablier », le sommet du crâne en « calotte ».

Une astéréognosie s’observe après quelques années d’évolution.

Au cours des neuropathies de l’amylose « AL », les troubles sensitifs superficiels sont non dissociés dans la moitié des cas.

* Troubles moteurs :

Ils apparaissent après les troubles sensitifs. Ils prédominent à la partie distale des membres inférieurs et sont parfois asymétriques dans leur intensité, faisant évoquer une multinévrite.

Ils suivent également une progression « longueur-dépendante » touchant l’extenseur propre du gros orteil, puis les releveurs du pied avec steppage.

Après extension progressive du déficit moteur, une tétraplégie à prédominance distale se constitue, responsable d’une perte progressive de l’autonomie.

* Troubles végétatifs :

Ils sont fréquents et peuvent être révélateurs. Leur présence au cours d’une polynévrite doit faire suspecter le diagnostic d’amylose en l’absence de diabète.

Les troubles digestifs sont souvent observés : troubles du transit intestinal avec diarrhée motrice, constipation opiniâtre, ou de façon plus caractéristique, alternance de diarrhée et de constipation.

Quelquefois, il existe une gastroparésie marquée le plus souvent par une lenteur de digestion ou des vomissements survenant parfois dans le cadre de crises mensuelles de 3 à 4 jours de vomissements incoercibles.

Lorsque les troubles digestifs inaugurent et dominent le tableau clinique, ils peuvent favoriser un retard diagnostique.

L’hypotension orthostatique peut rester asymptomatique ou être responsable de lipothymies et parfois de syncopes.

Cette hypotension orthostatique peut dominer le tableau et confiner les patients au lit.

Parmi les troubles génitosphinctériens observés, une impuissance apparaît précocement.

Les troubles urinaires sont plus tardifs, marqués par une dysurie, une rétention urinaire ou une incontinence traduisant des mictions par regorgement.

Une infection urinaire peut révéler ces troubles sphinctériens.

Des troubles de la sudation, marqués surtout par des épisodes d’hyperhydrose du tronc, souvent rythmés par les repas, peuvent également s’observer. Des troubles vasomoteurs des membres à type de coloration violacée et d’extrémités froides sont parfois constatés.

Enfin, l’examen peut découvrir des anomalies pupillaires à type de pupilles paresseuses à la lumière, aux bords crénelés, voire un signe d’Argyll Robertson.

* Troubles trophiques :

Des troubles trophiques, secondaires à l’anesthésie thermoalgique, peuvent s’observer : maux perforants plantaires ou plus rarement arthropathies nerveuses.

Des brûlures indolores des extrémités ou des membres inférieurs peuvent révéler la neuropathie.

B – ÉVOLUTION DE LA NEUROPATHIE :

La neuropathie amyloïde est évolutive, responsable d’un handicap croissant.

Pour les neuropathies amyloïdes héréditaires de type portugais, l’évolution stéréotypée a permis de définir trois stades. Au cours du stade 1, la polynévrite essentiellement sensitive concerne les membres inférieurs.

Le stade 2 apparaît après un délai moyen de 5,6 ans, avec une polynévrite sensitivomotrice responsable de difficultés progressives à la marche qui s’étend aux membres supérieurs : steppage initialement, puis marche avec aide.

Au cours du stade 3, le patient est grabataire après un délai moyen de 10,4 ans d’évolution.

L’évolution des neuropathies amyloïdes de l’amylose systémique « AL » est superposable.

C – AUTRES TABLEAUX NEUROLOGIQUES :

Plus rarement, le tableau n’est pas celui d’une polynévrite, marquée par une atteinte des nerfs crâniens ou d’une neuropathie focale.

1- Atteinte de nerfs crâniens :

Pour la neuropathie héréditaire de type finlandais, il existe une atteinte très progressive des nerfs crâniens, épargnant les nerfs oculomoteurs, qui atteint initialement la branche supérieure du nerf facial vers l’âge de 40 ans suivi d’une atteinte des trijumeaux, du VIII avec surdité et des nerfs hypoglosses. Une polynévrite sensitive discrète s’y associe.

Il existe un foyer endémique en Finlande avec près de 400 patients atteints.

Une vingtaine d’autres cas ont été rapportés en dehors de la Finlande : au Japon et aux États-Unis.

Une atteinte de nerfs crâniens a également été rapportée au cours de l’amylose systémique « AL ».

2- Syndrome du canal carpien :

Il peut représenter la manifestation inaugurale des neuropathies héréditaires et précéder de plusieurs années une polynévrite.

Il peut survenir au cours de l’amylose « AL ».

Il est important de reconnaître ce syndrome car une décompression chirurgicale peut soulager ces patients.

Exceptionnellement, il s’agit d’une atteinte focale du plexus sacré ou d’une racine lombosacrée.

D – MANIFESTATIONS EXTRANEUROLOGIQUES :

Les patients atteints de neuropathies amyloïdes peuvent présenter des manifestations extraneurologiques en rapport avec la diffusion des dépôts d’amylose.

Les manifestations sont rares au cours des neuropathies amyloïdes portugaises, plus fréquentes au cours des amyloses systémiques « AL » et de certaines variétés de neuropathies héréditaires.

Un amaigrissement majeur de plusieurs kilogrammes (10 à 20 % du poids corporel) accompagne généralement la polynévrite amyloïde.

1- Manifestations cardiaques :

Les atteintes cardiaques sont fréquentes.

Elles sont le plus souvent infracliniques, à type de troubles de conduction ou du rythme cardiaque découverts à l’électrocardiogramme.

La prévalence et la sévérité des troubles de conduction cardiaque augmentent avec le temps au cours des neuropathies amyloïdes héréditaires.

Elles justifient une surveillance régulière des électrocardiogrammes en particulier.

Les troubles de conduction cardiaque sévères, à type de bloc auriculoventriculaire complet et de bloc sinoauriculaire, s’observent en général après 5 ans d’évolution, nécessitant alors la pose d’un stimulateur cardiaque.

L’insuffisance cardiaque est exceptionnelle au cours de la neuropathie portugaise.

Parmi les investigations paracliniques, la scintigraphie au technétium (99mTc) est l’examen le plus sensible pour détecter une infiltration amyloïde cardiaque.

Une cardiomyopathie sévère marquée par une insuffisance cardiaque s’observe au cours des amyloses acquises « AL » et de certaines neuropathies amyloïdes héréditaires et conditionnent alors le pronostic vital.

2- Autres manifestations :

Des atteintes rénales sont fréquentes et sévères au cours des amyloses « AL ».

Elles sont présentes au moment du diagnostic de la neuropathie dans 25 à 40 % des cas et se traduisent par un syndrome néphrotique ou une insuffisance rénale justifiant parfois une hémodialyse.

Des atteintes oculaires ont été rapportées : opacités du vitré ou glaucome chronique pouvant être responsables d’une gêne visuelle sévère au cours des NAF-TTR, ou une dystrophie cornéenne au cours des neuropathies de type finlandais.

Une macroglossie, un purpura, sont parfois rapportés au cours des amyloses « AL ».

E – ÉVOLUTION GÉNÉRALE. SURVIE :

Le pronostic vital des neuropathies amyloïdes est très mauvais, à l’exception des NAF liées à la gelsoline où le pronostic vital n’est jamais en jeu.

Au cours des NAF-TTR, les patients décèdent habituellement dans un délai de 10 ans après les premières manifestations, de complications de décubitus après aggravation progressive de la neuropathie ou de cachexie.

La durée de survie est plus brève pour les neuropathies de l’amylose primaire systémique, n’étant que de 3 ans après les premières manifestations, et les formes héréditaires associées à une cardiomyopathie sévère.

Ces patients décèdent d’insuffisance cardiaque ou de mort subite consécutives à des troubles du rythme ou de conduction cardiaques graves.

Aspects électrophysiologiques :

A – ÉTUDES ÉLECTROPHYSIOLOGIQUES :

L’étude électrophysiologique permet de mettre en évidence des signes en faveur d’une polyneuropathie axonale commençant par l’atteinte des fibres sensitives.

Les amplitudes de potentiels d’action sensitifs ne sont généralement pas enregistrables aux membres inférieurs au moment du diagnostic.

À un stade initial, les amplitudes de potentiels d’action sensitifs peuvent toutefois être préservées en rapport avec une atteinte prédominante des petites fibres.

B – TESTS VÉGÉTATIFS :

La neuropathie végétative peut être explorée par des tests non invasifs comme l’étude de la variation de la fréquence cardiaque (espace RR) au cours de la respiration normale, de la respiration profonde et de l’orthostatisme.

Ces tests ont montré une variation moindre de la fréquence cardiaque chez les patients atteints par rapport à un groupe contrôle.

Ces troubles s’accentuent au cours de l’évolution.

Aspects biochimiques :

Les dépôts amyloïdes se caractérisent par leur composition fibrillaire et leur structure b plissée.

La nature biochimique des protéines constituant ces dépôts varie selon qu’il s’agit d’une neuropathie héréditaire ou d’une neuropathie de l’amylose « AL ».

NEUROPATHIES AMYLOÏDES HÉRÉDITAIRES :

Il existe une hétérogénéité biochimique au sein des neuropathies amyloïdes héréditaires.

Il s’agit le plus souvent d’une TTR anormale avec substitution d’un acide aminé.

1- Neuropathies liées à une TTR anormale :

Costa et al ont montré que les dépôts amyloïdes au cours des neuropathies amyloïdes portugaises étaient constitués d’une substance immunologiquement proche de la TTR ou préalbumine.

En 1984, Saraiva et al ont démontré qu’il s’agissait d’une TTR anormale avec remplacement d’un acide aminé valine en méthionine en position 30.

La TTR est une protéine synthétisée essentiellement par le foie qui comporte 127 acides aminés.

Elle circule normalement dans le plasma sous forme de tétramères.

Chaque monomère a spontanément une structure b plissée qui le prédispose à former des fibrilles amyloïdes.

La TTR a des propriétés de fixation de la thyroxine et de la protéine porteuse de la vitamine A : retinol binding protein (RBP).

Plus récemment, d’autres TTR anormales avec substitution d’acide aminé différent ont été isolées pour d’autres familles atteintes de neuropathies amyloïdes.

2- Neuropathies héréditaires non liées à la TTR :

Pour le type finlandais des NAF, les dépôts amyloïdes sont constitués de fragments de gelsoline, protéine modulante de l’actine, avec substitution d’un acide aminé (asp-asn) en position 187.

Enfin, dans une famille américaine, les dépôts amyloïdes se sont avérés constitués de fragments d’apolipoprotéine A1, avec substitution d’une glycine en arginine en position 26.

3- Neuropathies de l’amylose primaire systémique :

Pour les neuropathies de l’amylose primaire systémique « AL », les dépôts amyloïdes sont constitués de fragments de régions variables de chaînes légères d’immunoglobulines (Ig).

Génétique et biologie moléculaire :

Au cours des 15 dernières années, d’importants progrès ont permis d’identifier les anomalies génétiques responsables de la synthèse des différentes protéines anormales qui constituent les dépôts d’amylose des neuropathies héréditaires.

Ceci a contribué à bouleverser la prise en charge des patients atteints de neuropathies amyloïdes.

A – NEUROPATHIES AMYLOÏDES HÉRÉDITAIRES LIÉES À LA TTR :

La majorité des NAF sont secondaires à une mutation du gène de la TTR.

Le gène codant pour la TTR se situe sur le chromosome 18, en 18q 11.2-12.1 et ne comporte qu’une seule copie de 6,9 kb.

Il est composé de quatre exons de 200 paires de bases chacun, et de trois introns qui ont été entièrement séquencés : le premier exon code pour les 17 acides aminés du peptide signal et pour trois acides aminés de la protéine mûre, le second code pour 44 acides aminés, le troisième pour 45 acides aminés et le quatrième pour 35 acides aminés.

1- Neuropathies amyloïdes héréditaires liées à une TTR val -> met 30 :

La modification structurale de la TTR (val -> met 30), résulte d’une mutation ponctuelle d’une base, une adénine remplaçant une guanine dans l’exon 2 du gène de la TTR.

Elle est la plus répandue à travers le monde : Portugal, Suède et majorité des familles au Japon. Plus récemment, elle a été démontrée en France dans la moitié des familles d’origine française identifiées.

Les études d’haplotypes utilisant le polymorphisme des introns de TTR ont écarté une origine ancestrale commune, aussi bien pour les familles japonaises et portugaises porteuses de cette mutation que pour les familles d’origines française et portugaise.

2- Autres neuropathies héréditaires liées à la TTR :

Il existe une importante hétérogénéité génétique pour les NAF-TTR puisque près de 50 mutations distinctes du gène de la TTR ont été rapportées à ce jour, la majorité décrite dans une ou quelques familles réparties à travers le monde.

Elles sont réparties dans les exons 2, 3 et 4. Récemment, une NAF a été rapportée secondaire à une délétion du gène de la TTR.

Le mode de présentation de la neuropathie rappelle le plus souvent la neuropathie portugaise, mais parfois précédée de plusieurs années par un syndrome du canal carpien ou associée à une cardiomyopathie grave ou à des symptômes d’amylose leptoméningée comportant des crises d’épilepsie et des hémorragies méningées répétées.

Les mutations peuvent être visualisées par l’utilisation de différentes techniques de biologie moléculaire : technique de southern, actuellement supplantée par des techniques plus rapides d’amplification génique in vitro ou polymerase chain reaction (PCR) et ses dérivés (amplification suivie de coupure par une enzyme de restriction, amplification ou hybridation spécifique d’allèle).

3- Étude génétique des neuropathies amyloïdes d’apparence sporadique :

Les études génétiques sont très utiles à la prise en charge des patients ayant une neuropathie amyloïde apparemment sporadique, car elles permettent de démontrer leur origine héréditaire dans des zones endémiques au Portugal, en Suède et au Japon, mais également dans des régions à moindre risque.

Ceci justifie l’étude systématique de l’acide désoxyribonucléique (ADN) chez les patients ayant une neuropathie amyloïde apparemment sporadique sans argument pour une amylose primaire de type « AL ».

Le fait que les ascendants de ces patients soient asymptomatiques suppose que cette mutation est survenue de novo, ou qu’en raison d’une pénétrance incomplète estimée à 85 % ou d’un âge de début plus tardif, le parent porteur de l’anomalie génétique n’ait pas exprimé phénotypiquement celle-ci.

4- Conseil génétique :

Il est primordial, dans les formes héréditaires à début précoce, comme dans les familles portugaises.

En effet, le mode de transmission est autosomique dominant, le pronostic de l’affection est sévère.

Un diagnostic prénatal est possible chez les mères porteuses de l’anomalie génétique après biopsie de trophoblastes dès la dixième semaine d’aménorrhée, ou ponction de liquide amniotique à la 15e semaine.

Ce dépistage permet de proposer une interruption thérapeutique de grossesse en cas de mutation.

Le conseil génétique doit tenir compte de la pénétrance incomplète du gène, estimée à 85 %.

Pour les formes héréditaires à début tardif , le conseil génétique est plus délicat puisque des porteurs asymptomatiques ont été rapportés après 80 ans, et il est actuellement impossible de prédire quand la maladie débutera.

B – NEUROPATHIES AMYLOÏDES HÉRÉDITAIRES NON LIÉES À LA TTR :

Dans les neuropathies de type finlandais, la modification structurale de la gelsoline résulte d’une mutation du gène codant pour cette protéine située sur le chromosome 9 que l’on peut détecter par une technique d’hybridation par oligonucléotides spécifiques d’allèle.

Une mutation ponctuelle du gène codant pour l’apolipoprotéine A1, situé sur le chromosome 11, a été découverte dans une famille atteinte de NAF associée à une néphropathie.

C – NEUROPATHIES AMYLOÏDES HÉRÉDITAIRES EN FRANCE :

En France, les atteintes de NAF sont toutes secondaires à une mutation ponctuelle du gène de la TTR.

Les patients atteints appartiennent à une double population : celle d’origine portugaise et celle d’origine française.

La première, originaire du nord du Portugal, présente les mêmes caractéristiques génétiques, étant secondaire à une mutation de l’exon 2 du gène de la TTR, et cliniques avec un âge de début précoce vers 30 ans.

La seconde population n’a été identifiée que depuis 10 ans et l’avènement de la génétique, probablement du fait que la majorité des cas ont un mode de présentation apparemment sporadique.

Ainsi, en France, plus de 50 cas index de NAF d’origine française ont été diagnostiqués.

Ils présentent un certain nombre de caractéristiques, telles que : une présentation sporadique dans deux tiers des cas, un âge de début tardif (la moyenne d’âge est de 53 ans) et une hétérogénéité génétique avec 12 mutations du gène de la TTR identifiées, à l’opposé du Portugal où seule une mutation a été rapportée.

Aspects histopathologiques :

Sullivan et al ont été les premiers à suggérer que le diagnostic de neuropathie amyloïde puisse être apporté du vivant du patient grâce à une biopsie nerveuse.

Celle-ci permet, le plus souvent, de caractériser des dépôts amyloïdes endoneuraux et montre constamment une neuropathie axonale évolutive.

A – ÉTUDE EN MICROSCOPIE OPTIQUE :

1- Dépôts amyloïdes :

Il s’agit de dépôts anhistes amorphes extracellulaires possédant certaines caractéristiques : coloration par le rouge Congo et biréfringence verte en lumière polarisée.

La taille et le nombre des dépôts sont très variables.

Ils peuvent être volumineux et nombreux, dans ce cas nodulaires ou diffus, prédominant dans l’espace sous-périneural ou autour des vaisseaux endoneuraux.

Ils sont parfois minimes, détectés uniquement après réalisation de coupes sériées du nerf inclus en paraffine.

Dans certains cas, les dépôts sont absents à la biopsie nerveuse et le diagnostic de neuropathie amyloïde est apporté après la caractérisation de dépôts amyloïdes lors d’une biopsie tissulaire autre (glande salivaire accessoire, sous-muqueuse rectale, cutanée, rénale).

2- Lésions nerveuses :

La biopsie nerveuse montre constamment des lésions axonales évolutives avec présence de fibres en dégénérescence wallérienne.

Il existe une raréfaction des fibres myéliniques qui prédomine sur les fibres de petit diamètre, visible sur les coupes en semi-fines.

3- Étude en immunomarquage :

L’étude en immunomarquage présente un intérêt théorique pour préciser la nature biochimique des dépôts d’amylose : TTR, chaînes légères, gelsoline, apolipoprotéine A1.

Malheureusement, dans notre expérience, la sensibilité et la spécificité sont imparfaites.

Ainsi, la confirmation de l’origine transthyrétinique d’une neuropathie amyloïde passe obligatoirement par une étape de biologie moléculaire.

4- Étude en microscopie électronique :

En microscopie électronique, les dépôts d’amylose se caractérisent par des agrégats de fibrilles de 7,5 à 10 nm de diamètre non branchés.

La microscopie électronique permet de visualiser une raréfaction majeure, voire une disparition complète des fibres amyéliniques.

5- Étude des fibres isolées par la méthode du « teasing » :

Elle montre des fibres en dégénérescence wallérienne et des anomalies de la myélinisation avec démyélinisation segmentaire et remyélinisation parfois au contact de dépôts amyloïdes.

Méthodes diagnostiques :

Jusqu’à tout récemment, le diagnostic de neuropathie amyloïde héréditaire nécessitait une biopsie nerveuse dans le but d’identifier les dépôts caractéristiques.

Les études génétiques ont permis d’éviter d’y recourir en cas de contexte héréditaire.

A – PATIENTS AVEC ANTÉCÉDENT DE NAF :

Chez les patients avec polynévrite et des antécédents familiaux de neuropathie amyloïde héréditaire, les études génétiques ont supplanté la biopsie nerveuse.

Dans les familles d’origine portugaise, au Portugal et en France, la détection d’une mutation ponctuelle de l’exon 2 du gène de la TTR permet d’établir le diagnostic.

Chez les patients d’origine française, les autres mutations du gène de la TTR peuvent être identifiées par séquençage du gène de la TTR.

B – PATIENTS AYANT UNE POLYNÉVRITE AMYLOÏDE D’APPARENCE SPORADIQUE :

En l’absence d’antécédents familiaux, quelques explorations biologiques simples sont utiles pour typer l’amylose car la spécificité de l’immunomarquage des dépôts tissulaire amyloïdes est imparfaite.

L’immunoélectrophorèse par immunofixation du sérum et des urines est nécessaire pour détecter une immunoglobuline ou une chaîne légère monoclonale.

Une protéine monoclonale est présente chez 75 % des patients avec amylose « AL » lors de la première visite ; elle est variable, de types IgG, IgM, IgA ou uniquement des chaînes légères.

Les chaînes légères monoclonales sont habituellement détectées uniquement dans les urines, mais peuvent manquer initialement.

En l’absence de protéine monoclonale, une analyse du gène de la TTR est nécessaire, à la recherche d’une mutation ponctuelle de celui-ci, permettant de la rattacher aux neuropathies amyloïdes héréditaires.

C – ÉTUDE DU LIQUIDE CÉPHALORACHIDIEN :

Lorsqu’une ponction lombaire est réalisée, l’étude du liquide céphalorachidien peut être normale ou montrer une hyperprotéinorachie avec dissociation albuminocytologique et parfois une protéinorachie supérieure à 1 g/L.

Physiopathologie :

Plusieurs hypothèses ont été soulevées pour expliquer la pathogénie de la neuropathie au cours de l’amylose.

La première supposait un mécanisme ischémique en raison de la découverte de dépôts d’amylose dans la paroi des vasa nervorum.

Cette hypothèse apparaît peu vraisemblable dans la mesure où les fibres non myéliniques et peu myélinisées qui sont le plus sévèrement et précocement touchées dans les neuropathies amyloïdes, sont en fait les moins sensibles à l’ischémie.

La seconde hypothèse est celle d’un processus mécanique qui tient compte de la compression des fibres nerveuses par les dépôts d’amylose.

Les lésions multifocales étagées des fibres nerveuses au niveau des racines postérieures rachidiennes, des plexus et des troncs distaux, pourraient expliquer une dégénérescence axonale distale des fibres au prorata de leur longueur.

Enfin, on ne peut écarter un effet toxique ou métabolique des dépôts amyloïdes sur les structures endoneurales.

L’atteinte préférentielle des fibres non myéliniques est inexpliquée, mais la myéline a peut-être un effet protecteur à l’égard des modifications du contenu de l’espace endoneural.

Traitement :

A – TRAITEMENT SYMPTOMATIQUE :

Il occupe une place importante dans la prise en charge des patients atteints de neuropathie amyloïde.

Les paresthésies peuvent être soulagées par du clonazépam ou l’association d’imipraminelévomépromazine à faibles doses.

En cas de douleurs fulgurantes, la carbamazépine peut être proposée.

La physiothérapie a une part importante dans la prise en charge de ces patients dès qu’il existe un déficit moteur.

Une hypotension orthostatique symptomatique peut être corrigée à l’aide de dihydroergotamine, à condition d’utiliser de fortes doses, de la 9-alphafluorohydrocortisone ou de la midodrine.

Certaines mesures, telles que le port de bas de contention élastiques des membres inférieurs et le fractionnement des repas dans la journée, sont utiles.

En présence d’un syndrome de canal carpien, on peut proposer une intervention de décompression qui permet d’obtenir une amélioration des douleurs et des paresthésies.

En cas de troubles urinaires, on peut proposer, en cas de rétention urinaire chronique, des autosondages, une sonde à demeure, voire une sphinctérotomie du sphincter lisse.

Si un traitement antidépresseur est nécessaire, il faut être prudent dans l’utilisation des dérivés tricycliques qui peuvent aggraver une hypotension orthostatique et des troubles mictionnels.

Le traitement des manifestations viscérales associées n’est pas à négliger.

En cas de bloc auriculoventriculaire de haut degré, un stimulateur cardiaque est implanté. En cas d’insuffisance rénale sévère, une hémodialyse peut se justifier.

B – TRAITEMENT SPÉCIFIQUE :

Il existe plusieurs approches potentielles pour le traitement des neuropathies amyloïdes.

La principale consiste à supprimer les cellules productrices de protéines amyloïdogènes et varie selon la nature biochimique de l’amylose.

1- Neuropathies amyloïdes héréditaires :

Les échanges plasmatiques ont été proposés il y a plus d’une dizaine d’années dans les NAF, dans le but de soustraire la protéine amyloïdogène du sérum et de réduire ainsi la formation de dépôts tissulaires amyloïdes.

L’échec de cette approche peut être expliqué par la demi-vie très courte de la TTR qui est de 2 jours.

* Transplantations hépatiques :

Des transplantations hépatiques ont été proposées pour les neuropathies amyloïdes héréditaires de la TTR dans le but de stopper la synthèse de la variante de TTR amyloïdogène.

En effet, le foie représente le lieu principal de synthèse de TTR, comme cela a été démontré par la réduction majeure de 95 % du taux sérique de variantes de TTR chez les patients avec neuropathie amyloïde héréditaire ayant reçu une greffe hépatique.

+ Résultats :

Les résultats préliminaires rapportés chez les premiers patients opérés en Suède montraient une réduction majeure du taux de variante de TTR sérique et suggéraient une amélioration clinique, voire une régression des dépôts amyloïdes viscéraux par scintigraphie corporelle de composant P de l’amylose.

Ces résultats ont encouragé de nombreux centres à travers le monde a proposer la greffe hépatique chez les patients atteints de NAF.

Alors que plus de 300 patients ont été opérés dans le monde, la plupart atteints d’une amylose liée à une variante met 30 de la TTR, les effets quantifiés de la greffe hépatique sur la neuropathie n’ont été que peu étudiés.

Seules trois études ont rapporté des résultats à plus de 2 ans de la greffe.

Les résultats dépendent du stade de la maladie lors du traitement.

Il existe une stabilité clinique et électrophysiologique de la neuropathie sensitivomotrice chez trois quarts des patients ayant une neuropathie modérée au moment de la greffe (marche sans aide) après un délai moyen de suivi de 4 ans. Une réduction majeure de la perte axonale a été démontrée par une étude histométrique comparative chez sept patients atteints de NAF opérés par rapport à quatre patients-contrôles non greffés.

Les résultats de la transplantation hépatique chez des patients greffés à un stade plus avancé sont décevants, avec possibilité de progression de la maladie au décours de la greffe, aucune régression objective de l’atteinte sensitivomotrice n’ayant été démontrée jusqu’à présent.

L’amélioration des troubles végétatifs rapportée initialement n’a pas été confirmée au cours de deux études ayant utilisé des tests cardiocirculatoires végétatifs non invasifs.

L’état général des patients s’est amélioré chez la moitié d’entre eux avec une prise pondérale.

L’aggravation des troubles oculaires rapportés chez les patients avec neuropathie amyloïde héréditaire après greffe hépatique pourrait s’expliquer par la poursuite de la sécrétion intraoculaire de variante de TTR par l’épithélium rétinien.

+ Indications :

Les résultats de la greffe hépatique incitent à proposer ce traitement précocement au cours de la maladie, mais uniquement chez des patients symptomatiques ayant une amylose de type transthyrétinique prouvée.

La greffe hépatique doit être contreindiquée chez des patients atteints de neuropathie amyloïde héréditaire sévère au moment de la greffe, ayant soit un score fonctionnel des membres effondré, soit une incontinence urinaire, car ces deux éléments représentent des facteurs de risque majeurs et indépendants à une mortalité postgreffe.

La mortalité survient généralement au cours de la première année après la greffe hépatique et est secondaire à des complications infectieuses favorisées par un très mauvais état général, une vessie neurogène et un traitement immunosuppresseur.

Une double greffe hépatique et rénale doit se discuter chez les patients ayant une néphropathie sévère et une neuropathie associée modérée.

De nombreuses questions restent en suspens concernant la greffe hépatique chez les patients atteints de NAF telles que les résultats à long terme de la greffe hépatique, la place de la greffe hépatique chez les patients âgés de plus de 60 ans ou porteurs d’une mutation différente de la met 30 de la TTR, situation fréquente chez les patients d’origine française, elle-même parfois associée à une cardiomyopathie sévère.

La poursuite de l’épaississement de la paroi ventriculaire a été en effet rapportée chez ces derniers patients au cours d’échocardiographies successives.

* Perspectives thérapeutiques :

D’autres stratégies thérapeutiques doivent être développées chez les patients atteints de neuropathie amyloïde héréditaire car la greffe hépatique représente un traitement lourd qui ne peut être proposé à tous les patients symptomatiques : au Portugal par manque de greffons ; pas à un stade avancé de la maladie ; pas pour les patients à début tardif.

Une thérapie génique pourrait se concevoir dans le but de corriger la synthèse de variantes de TTR du foie qui est la principale source de production des précurseurs de fibrilles.

Celle-ci nécessiterait une stratégie antisens pour bloquer spécifiquement la synthèse de variantes de TTR au niveau de l’ADN ou de l’acide ribonucléique (ARN).

D’autre part, de nouvelles molécules ont été récemment développées dans le but d’inhiber la formation des fibrilles amyloïdes TTR.

2- Neuropathies amyloïdes à chaînes légères :

Au cours des amyloses à chaînes légères « AL », une chimiothérapie est proposée dans le but de détruire le clone sécrétant plasmocytaire.

Le traitement par association de melphalan et corticoïdes permet de prolonger la survie de ces patients comme cela a été démontré dans une importante étude randomisée ainsi que chez des patients avec neuropathie prédominante.

Une chimiothérapie intensive par melphalan, associée à une greffe de cellules souches hématopoïétiques, a été récemment proposée au cours de l’amylose systémique « AL », mais cette procédure nécessite d’être évaluée.

Conclusion :

Les neuropathies amyloïdes représentent les plus sévères neuropathies de l’adulte.

Elles sont classées en formes héréditaires et acquises.

La plupart sont secondaires à des dépôts de variantes de TTR et sont secondaires à une mutation ponctuelle du gène de la TTR.

L’étude du gène de la TTR a modifié considérablement la prise en charge des neuropathies amyloïdes, permettant le diagnostic de neuropathies amyloïdes héréditaires, y compris les formes d’apparence sporadique, un conseil génétique avec un diagnostic prénatal pour les formes à début précoce et une détection présymptomatique par famille.

Les résultats actuels de la greffe hépatique encouragent à proposer ce traitement précocement chez les patients atteints de neuropathies amyloïdes héréditaires liées à la TTR.

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