Neurobiologie cellulaire et moléculaire

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Introduction :

Le fonctionnement cérébral ne saurait être réduit à celui du neurone, et la fonction émerge des propriétés des réseaux neuronaux, comme le montrent par exemple les données toujours plus nombreuses de l’imagerie cérébrale fonctionnelle.

Il n’en est pas moins vrai cependant que, sans tomber dans un réductionnisme qui n’est pas de mise, le neurone reste l’unité de base de l’organisation anatomique et fonctionnelle du système nerveux.

Cette assertion est illustrée à plusieurs niveaux.

Neurobiologie cellulaire et moléculaireD’abord, les données de la pathologie, et en particulier celles liées aux caractéristiques de certaines maladies neurodégénératives, montrent que l’atteinte, plus ou moins sélective, de populations neuronales clairement identifiées, est à l’origine de l’expression de plusieurs de ces maladies ; telle, à titre d’illustration, la dégénérescence relativement limitée aux neurones dopaminergiques dans la maladie de Parkinson.

Ensuite, indépendamment des dégénérescences, il s’avère que de nombreux médicaments à visée neuropsychopharmacologique ont pour cible des mécanismes neuronaux bien définis.

Dans ce domaine, il est utile de rappeler par exemple l’action des neuroleptiques, exerçant leur effet thérapeutique principalement au travers du blocage de récepteurs dopaminergiques, ou encore celle de certains antidépresseurs, bloqueurs quant à eux de l’inactivation par « recapture » des monoamines, et en particulier de la sérotonine ou de la noradrénaline.

Ceci amène à considérer, avec une légitimité toutefois quelque peu contestable, que normaliser le fonctionnement de ces neurones rétablit le comportement.

Enfin, à un niveau moléculaire, le dysfonctionnement cérébral s’accorde de plus en plus souvent avec des altérations réduites à l’expression génique et affectant le fonctionnement neuronal lui-même.

Dans ce domaine, les illustrations sont nombreuses, grâce aux progrès de la génomique moléculaire montrant par exemple des relations de causalité entre certaines mutations et une pathologie donnée.

Ces données contribuent aussi à l’élaboration de concepts nouveaux, tel celui de canalopathies pour rendre compte de graves atteintes du fonctionnement cérébral, qui trouvent leur origine dans une simple mutation d’un gène codant pour l’une ou l’autre des protéines constituant par exemple l’un des multiples canaux ioniques qui régissent l’excitabilité membranaire du neurone, ou contrôlent les processus de sécrétion des agents impliqués dans la signalisation intercellulaire.

Plus généralement, le développement actuel des méthodes d’inactivation génique chez la souris en ce qui concerne les mammifères, offre de nouvelles illustrations de relations causales entre un gène et un phénotype susceptible de reproduire certains aspects des pathologies humaines.

Ainsi, si le fonctionnement cérébral ne peut être réduit au fonctionnement du neurone, il n’en est pas moins vrai qu’au-delà de la nécessaire approche de l’organisation anatomique et fonctionnelle des réseaux neuronaux, la connaissance du neurone et de la signalisation intercellulaire dans le système nerveux est une dimension essentielle pour comprendre de nombreux aspects de la pathologie et développer de nouvelles approches thérapeutiques.

Bref inventaire de l’organisation générale du système nerveux :

A – RELATIONS NEURONE-GLIE :

Depuis Cajal, l’idée n’est pas remise en question que l’unité de base de l’organisation cérébrale est le neurone.

Un siècle durant, environ, les données nombreuses d’une anatomie de plus en plus résolutive, associée à une électrophysiologie parfois triomphante, ont apporté une connaissance sans égal de l’organisation des réseaux nerveux, reconnue par exemple en termes de systèmes ; tel le système moteur ou encore le système visuel caractérisé, comme beaucoup d’autres systèmes sensoriels, par une organisation topographique très précise dont il apparaît aujourd’hui qu’elle dépend à la fois de l’activité nerveuse et de l’expression de gènes de développement.

La connaissance approfondie de la jonction neuromusculaire des muscles striés contribue par ailleurs à parfaire cette image d’un système nerveux associé de façon étroite à une musculature finement placée sous son extrême dépendance.

Si le neurone est un, il n’en est cependant pas pour autant unique et, relativement rapidement, les études microscopiques, en particulier, ont révélé une très grande hétérogénéité, initialement basée sur la diversité des formes du neurone et de ses prolongements et, plus tard, sur la nature de ses neurotransmetteurs.

Néanmoins, les neurones ne sont pas les seuls constituants du système nerveux, et la part des cellules gliales est en voie de large revalorisation après des décennies de quasi-ignorance.

Par exemple, d’abord cantonnée à un rôle de gaine protectrice dans le cas des oligodendrocytes du système nerveux central (SNC) ou des cellules de Schwann des nerfs périphériques, la myéline a ainsi bien été comprise comme un élément clé de la conduction saltatoire des influx nerveux (avec la formation des noeuds de Ranvier), et donc de la rapidité de transmission des informations dans les réseaux nerveux, avec des conséquences désastreuses dans les pathologies démyélinisantes, comme la sclérose en plaques (SEP).

Néanmoins, c’est dans le domaine d’une autre catégorie de cellules gliales, les astrocytes, que les progrès les plus déterminants ont été récemment réalisés.

Il est aujourd’hui manifeste que les astrocytes contribuent directement au fonctionnement cérébral, par des relations privilégiées avec certaines catégories de neurones, notamment.

Sans que leur distribution présente un caractère homogène dans le SNC, il est généralement admis que, chez les mammifères, ces astrocytes sont en fait environ dix fois plus nombreux que les neurones eux mêmes.

De façon intéressante, on note qu’il pourrait exister une évolution phylogénétique du rapport entre le nombre de neurones et le nombre d’astrocytes.

Par exemple, chez le nématode Caenorhabditis elegans, qui est un modèle de prédilection des biologistes au même titre que la drosophile, le rapport n’est que d’un neurone pour cinq astrocytes.

Il a été ainsi suggéré que le rapport entre neurones et astrocytes puisse être un élément déterminant des capacités du traitement de l’information cérébrale.

De ce point de vue, le cerveau de rats élevés dans un environnement enrichi comporterait par exemple plus de cellules gliales par neurone que celui de congénères ayant vécu dans un environnement appauvri.

Dans le cas des neurones qui utilisent les acides aminés excitateurs (AAE), tel le glutamate, comme neurotransmetteurs, il est reconnu aujourd’hui une interdépendance anatomique et fonctionnelle avec les astrocytes situés dans l’environnement immédiat des terminaisons nerveuses de ces neurones.

Lorsque le glutamate est ainsi libéré dans l’espace synaptique, ce sont les astrocytes qui vont en fait contribuer principalement à éliminer le neurotransmetteur de la synapse, après qu’il ait agit au niveau des récepteurs synaptiques, pour permettre à la signalisation intercellulaire d’intervenir à nouveau et pour prévenir une éventuelle action cytotoxique du glutamate, liée à son accumulation dans l’espace synaptique.

Dans ce contexte, le processus d’élimination du neurotransmetteur fait intervenir des transporteurs spécifiques, qui sont sélectivement exprimés par les astrocytes et présents à leur membrane.

Les astrocytes, cellules excitables au même titre que les neurones, pourraient ainsi jouer un rôle clé dans la régulation de l’activité des réseaux nerveux, en faisant partie intégrante des processus de signalisation intercellulaire.

Les données les plus récentes montrent, par exemple, qu’au-delà du rôle bien connu de ces cellules gliales dans l’élimination du potassium extracellulaire, les astrocytes pourraient contribuer activement à cette signalisation, en libérant notamment du glutamate selon un processus actif, dépendant du calcium, leur activité étant susceptible d’être contrôlée grâce à différents types de récepteurs pour les neurotransmetteurs situés sur leur membrane.

Par ailleurs, ces astrocytes seraient également à même de contribuer à une certaine sauvegarde neuronale et jouer ainsi un rôle dans la neuroprotection, dans des conditions pathologiques mais peut-être aussi plus physiologiques, en libérant un grand nombre de facteurs à action neurotrophique.

Un certain nombre de données récentes montre en plus que les astrocytes pourraient intervenir aussi dans des processus de synchronisation de l’activité de populations neuronales, en jouant par exemple de façon assez fascinante sur la conductance calcique ou la géométrie des synapses, par un mécanisme impliquant dans ce cas la rétraction et l’allongement des pieds astrocytaires qui contribuent à modifier les relations synaptiques entre les afférences neuronales et les neurones cibles, en rapport avec l’activité neuronale.

Ce type de mécanisme modifierait les propriétés anatomiques des réseaux nerveux, et confèrerait ainsi des propriétés fonctionnelles nouvelles, corrélées notamment à des états physiologiques particuliers, tels les changements intervenant dans certains noyaux hypothalamiques chez la ratte au cours de la lactation ou dans certaines conditions de déshydratation.

B – BARRIÈRE HÉMATOENCÉPHALIQUE :

Les astrocytes ont également la particularité d’être situés à l’interface entre les neurones et la microcirculation cérébrale qui amène aux cellules nerveuses les nutriments, notamment le glucose et l’oxygène, dont elles sont extrêmement dépendantes.

De fait, le cerveau est très richement irrigué à partir d’un dense réseau de fins capillaires sanguins, en particulier dans les zones de substance grise, et à un degré moindre dans la substance blanche.

Les fines artérioles pénètrent dans la substance grise et forment des anastomoses avec des veinules très nombreuses et de très fin calibre.

Ces capillaires forment une « barrière » qui limite les échanges de soluté entre le sang et le cerveau, la barrière hématoencéphalique, formée de cellules endothéliales associées par des jonctions serrées et de péricytes présents au niveau de la membrane basilaire des vaisseaux, qui contrôlent le tonus vasculaire.

Cette barrière implique aussi des astrocytes dont les prolongements viennent, à une extrémité, au contact de la membrane basilaire des capillaires sanguins et assurent la liaison avec les neurones, à l’autre extrémité.

Les cellules endothéliales présentent sur leur membrane toute une série de transporteurs spécifiques, parmi lesquels les transporteurs de glucose ou encore d’acides aminés neutres, permettant naturellement l’apport de glucose aux neurones mais aussi, par exemple, celui de L-dopa chez les patients parkinsoniens.

Ainsi les astrocytes, parties intégrantes de la barrière hématoencéphalique, peuvent être considérés comme des éléments d’interface entre le compartiment sanguin et les neurones.

Organisation du neurone :

Le concept de neurone remonte à Ramon y Cajal, mais il faut se souvenir que la preuve formelle de l’existence de discontinuités anatomiques entre les cellules formant les réseaux nerveux n’a été obtenue qu’avec l’avènement du microscope électronique dans les années 1950, même si le concept de synapse, quant à lui, est beaucoup plus ancien.

Caractérisés par des formes, des arborisations neuritiques, des connexions et des neurotransmetteurs différents, les neurones innombrables ne peuvent ainsi être reconnus comme représentant une population cellulaire unique, mais plutôt un ensemble de populations neuronales aux caractéristiques structurales et fonctionnelles communes.

Néanmoins, l’ensemble de ces cellules obéit à une organisation générale où l’on reconnaît que les différents compartiments cellulaires (soma, axones et dendrites) présentent des caractéristiques communes, liées en particulier à l’existence d’une membrane plasmique entourant complètement la cellule et d’un cytosquelette, qui confèrent aux neurones un certain nombre de spécificités.

A – SOMA :

La caractéristique principale du soma est de contenir le noyau, siège de l’expression génique.

Le soma représente ainsi, de façon conventionnelle, le site de la synthèse protéique.

Au niveau du noyau, l’expression génique à partir de l’acide désoxyribonucléique (ADN) fait appel à un processus complexe, la transcription, conduisant à la formation d’un transcrit, l’acide ribonucléique messager (ARNm) qui est secondairement transféré dans le compartiment cytosolique, où intervient la traduction en protéines impliquant les ribosomes, le réticulum endoplasmique et l’appareil de Golgi.

Même si la synthèse protéique est considérée comme intervenant au niveau du soma, des données récentes suggèrent que, dans certains cas, une synthèse protéique puisse aussi intervenir dans d’autres compartiments cellulaires et notamment les dendrites, où des polyribosomes ont pu être mis en évidence juste dans la partie postsynaptique de certaines synapses.

Un tel mécanisme pourrait permettre d’ajuster en permanence la composition moléculaire de ces éléments postsynaptiques, dont on verra qu’elle pourrait intervenir dans la réponse synaptique.

Le soma constitue assurément une partie vitale de la cellule qui contribue à l’établissement de son phénotype.

Si l’on admet de plus que le neurone est un élément fonctionnellement polarisé, le soma contribue au transfert des informations captées et intégrées au niveau des dendrites, vers l’axone et les terminaisons axoniques.

Le soma comporte également de nombreuses mitochondries, présentes aussi dans l’ensemble du neurone, et qui sont le siège de la respiration cellulaire, fournissant l’adénosine triphosphate (ATP) indispensable au métabolisme cellulaire.

La membrane plasmique du neurone enveloppe la totalité de la cellule et, au-delà de la bicouche lipidique qui caractérise sa structure élémentaire, elle contient de très nombreuses protéines spécialisées dans le maintien du gradient ionique à la base de son excitabilité (canaux ioniques) et dans sa capacité de répondre à toute une série de signaux externes (récepteurs aux neurotransmetteurs).

La membrane a ainsi un rôle d’interface avec l’environnement cellulaire, puisqu’elle présente aussi par endroit des différenciations qui lui permettent notamment de transmettre des signaux (sites de sécrétion et de libération des neurotransmetteurs), en rapport avec son niveau d’excitation.

B – DENDRITES :

Les dendrites représentent conventionnellement la partie « réceptrice » du neurone.

De nombreuses synapses sont formées sur une arborisation très développée, contribuant à faire converger un grand nombre d’informations sur le même neurone.

Une vaste majorité de neurones est porteuse, sur la partie la plus distale de ces dendrites, d’une différenciation particulière, l’épine dendritique, qui représente un lieu privilégié de formation des synapses où sont concentrés les récepteurs des neurotransmetteurs.

Les épines dendritiques retiennent toute l’attention des neurobiologistes, en ce sens qu’elles sont douées d’une grande plasticité : leur nombre est susceptible de variation en rapport avec l’activité neuronale et, dans certaines régions cérébrales, des changements de leur forme et de leur densité ont été mis en rapport avec des altérations des fonctions cognitives, notamment avec des troubles du développement.

C’est au niveau de ces épines dendritiques que des ARNm ont été identifiés, suggérant une synthèse locale de protéines.

Au plan moléculaire, les dendrites présentent des caractéristiques structurales particulières, liées à leur implication dans les processus synaptiques (protéines des densités postsynaptiques) et avec une organisation du cytosquelette impliquant de nombreux microtubules (protéines de la famille MAP pour microtubule-associated protein).

C – AXONES :

Prolongement unique à fonction efférente, l’axone prend son origine au niveau du soma, dans une région dénommée cône axonique.

Comme dans le cas des dendrites, les axones sont le plus souvent très ramifiés, contribuant dans les cas extrêmes à « distribuer » l’information neuronale jusqu’à plusieurs régions cérébrales à la fois.

Contrairement aux dendrites qui se limitent à la région du corps cellulaire (quelques centaines de micromètres), les axones peuvent s’étendre très largement dans le système nerveux et connecter entre elles des régions cérébrales parfois très éloignées, tels les axones des cellules pyramidales du cortex moteur qui, chez l’homme, peuvent atteindre les niveaux les plus bas de la moelle épinière, jusqu’à près de 1 m du soma, voisinant dans la même région corticale avec des neurones à projection locale dont l’axone n’est que de quelques micromètres.

Selon le type de neurone, l’axone est soit recouvert d’une gaine de myéline, soit amyélinique.

Les terminaisons axoniques forment la partie présynaptique des synapses, s’organisant soit au contact d’autres neurones, soit au contact de cellules musculaires, au niveau périphérique.

Comme dans le cas des dendrites, on trouve au niveau du cytosquelette des protéines de structure, telle l’actine, formant des microfilaments présents dans l’ensemble des neurites.

Ces microfilaments sont régulés de la même façon que les microtubules par des signaux neuronaux.

Ainsi, dans certaines pathologies comme la maladie d’Alzheimer, certaines de ces protéines comme la protéine tau pourraient contribuer à une certaine déstructuration du cytosquelette et ainsi à la mort neuronale.

Les axones font l’objet d’un trafic intense, amenant notamment à des translocations de protéines nécessaires au fonctionnement de la synapse par exemple, et à des transferts d’organites dans la cellule ; tel est le cas des mitochondries et des vésicules synaptiques produites en grande partie à partir du soma.

Ces transports axoniques interviennent principalement dans le sens soma-terminaisons nerveuses, et impliquent des protéines spécialisées dans ce transport qualifié d’antérograde, comme la kinésine.

Il existe aussi un flux axonal transférant certains éléments en sens inverse à partir de l’extrémité des neurites vers le soma.

Ce transport, qualifié quant à lui de transport rétrograde, est comparable au transport antérograde mais implique d’autres protéines, comme notamment la dynéine.

D – SYNAPSES :

Les synapses représentent un lieu privilégié de transfert de l’information entre deux neurones ou entre un neurone et une cellule musculaire.

Au point de contact, la distance entre l’élément présynaptique, représenté par la terminaison nerveuse, et l’élément postsynaptique, est extrêmement réduite.

Dans le cas le plus fréquent, chez les mammifères, la dépolarisation de la terminaison nerveuse a pour effet la libération d’un neurotransmetteur qui, présent dans l’espace synaptique, va activer des récepteurs membranaires situés en regard sur l’élément postsynaptique.

L’activation des récepteurs se traduit par la mise en jeu de divers systèmes de transduction du signal, contribuant à générer une réponse spécifique de l’élément postsynaptique.

Ce principe simple est à la base de la transmission de l’information dans les réseaux nerveux, en préservant la spécificité de l’information.

Contrairement au potentiel d’action qui est autorégénératif, le message généré au niveau postsynaptique est différent de celui qui l’a déclenché, au niveau présynaptique.

Cette notion est fondamentale pour comprendre que la réponse synaptique contribue à enrichir le message nerveux, qui est soumis à des processus intégratifs à chaque relais synaptique.

Le concept de synapse s’est considérablement enrichi depuis l’origine et, aujourd’hui, on est loin de la vision quelque peu réductrice présentée ci-dessus.

Par exemple, la pluralité des neurotransmetteurs impliqués dans la transmission des messages nerveux au niveau d’une seule synapse, associée à la pluralité des récepteurs membranaires mis en jeu, eux-mêmes couplés à divers systèmes de transduction du signal, confère à la synapse des propriétés d’intégration de l’information nerveuse inégalées.

De même, il existe de nombreux exemples de transmission « non conventionnelle » des signaux nerveux au niveau synaptique, utilisant par exemple des messagers différant sensiblement des autres neurotransmetteurs, comme le populaire monoxyde d’azote (NO).

Ce type de mécanisme illustre en plus une caractéristique de certaines synapses, qui sont susceptibles d’une transmission rétrograde des signaux nerveux, sur laquelle nous reviendrons.

Enfin, le concept même de synapse n’est plus confiné à une structuration rigide du lieu de passage de l’information nerveuse : si le gain de l’activité synaptique est connu pour être modulable, contrairement à l’idée initiale d’un transfert bimodal de l’information, nous avons aussi appris qu’il existe en plus une plasticité synaptique structurale, comme nous l’avons évoqué pour les astrocytes et les épines dendritiques.

Propriétés du neurone :

La caractéristique principale de la membrane neuronale est son excitabilité.

Cette membrane présente la particularité de générer et de transmettre les potentiels d’action jusqu’à l’extrémité des axones, en assurant un transfert d’information rapide (vitesse de conduction jusqu’à 120 m/s) et fiable pour ne pas perdre l’information en cours de route.

Il est généralement admis que la fréquence et le mode de décharge du neurone assurent le codage d’une partie de l’information nerveuse.

Ce codage prend alors toute sa signification lorsque des populations entières de neurones sont mobilisées dans des réseaux nerveux bien spécifiés.

A – POTENTIEL DE MEMBRANE ET EXCITABILITÉ :

Lorsque la cellule ne génère pas de potentiel d’action, elle est dite au repos.

Dans ces conditions, l’intérieur de la cellule présente une charge négative par rapport à l’extérieur, et la différence de charge représente le potentiel de repos de la membrane.

Le potentiel d’action se manifeste comme un bref renversement de la situation qui fait que, transitoirement, pour quelques millisecondes, la face interne de la membrane devient positive par rapport à l’extérieur.

La différence de charge est liée à une répartition différentielle de quatre ions principaux de part et d’autre de la membrane : les ions Na+, K+, Cl– et Ca2 +.

Pour chacun de ces ions, il existe donc un gradient de concentration qui fait que, lorsque des pores sont ouverts dans la membrane, les concentrations ont tendance à s’équilibrer.

La conductance membranaire représente pour chaque ion la capacité à traverser la membrane, dans une direction ou dans une autre.

Au repos, la répartition des ions est telle qu’en prenant en compte les concentrations intra- et extracellulaires, la charge de l’ion, ou encore la température, on peut rendre compte par l’équation de Nernst d’un potentiel de membrane de l’ordre de -65 mV, en moyenne.

Ces gradients ioniques sont maintenus par des pompes représentant des protéines membranaires, et en particulier par la pompe sodiumpotassium et la pompe calcium.

Ces pompes ont pour vocation d’agir contre les gradients de concentration, maintenant par exemple la concentration de K+ dans la cellule supérieure à la concentration externe, et réciproquement pour le Na+ et le Ca2+.

Lorsque la cellule est excitée, il se produit des changements de conductance ionique, qui modifient la répartition des ions de part et d’autre de la membrane.

Une entrée de Na+ dans la cellule ou une sortie de K+ contribuent ainsi à modifier le potentiel de membrane, de telle manière que la cellule est dite dépolarisée.

Si le résultat est une modification inverse des concentrations ioniques, la cellule est alors considérée comme hyperpolarisée.

Dans ce cas, les changements de conductance ionique sont actifs et nécessitent la contribution de canaux ioniques spécialisés.

B – CANAUX IONIQUES :

Les changements d’excitabilité font intervenir des canaux ioniques.

Ils ont la particularité d’induire l’activation de certains canaux dits dépendants du potentiel, actifs notamment dans la genèse du potentiel d’action.

Ces canaux représentent des protéines transmembranaires relativement sélectives, dont l’ouverture (en anglais, le gating) est conditionnée par l’activité neuronale et divers signaux externes agissant sur les cellules excitables.

La sélectivité ionique est déterminée par le diamètre du pore et la structure même du canal.

Au cours de la dernière décennie, des avancées considérables ont été faites dans le domaine de la structure de ces canaux ioniques, révélant une très grande diversité de ces protéines et le rôle critique de certains sous-types de canaux, par exemple potassiques, dans le maintien du potentiel de repos ; telles les mutations de gènes intervenant pour certains de ces canaux potassiques qui deviennent moins sélectifs au K+ et laissent transiter du Na+, ce qui rend les cellules plus dépolarisées.

De telles mutations pourraient rendre compte de diverses formes de maladies neurologiques humaines, notamment dans le domaine de l’épilepsie.

Les canaux potassiques sont formés d’un assemblage de quatre sousunités protéiques transmembranaires, de façon à former un pore dans la membrane.

Dans le cas des canaux sodiques dépendants du potentiel, le pore est formé par une seule protéine présentant cependant plusieurs domaines se répétant quatre fois, chacun étant quant à lui formé par six hélices a.

Le pore est fermé lorsque la membrane est hyperpolarisée. Lorsqu’elle est dépolarisée, la protéine change de conformation, et le pore laisse passer les ions Na+.

L’activation du canal dépend ainsi d’un senseur de potentiel qui détecte les changements de polarisation de la membrane.

Les études électrophysiologiques en patch clamp, permettant l’analyse des changements de conductance ionique au niveau d’un canal unique, ont révélé que la sélectivité de la conductance est relative.

Dans le cas de ces canaux sodiques, la conductance est principalement sodique, mais les canaux peuvent également laisser passer des ions K+ ; simplement, la conductance sodique est 12 fois plus élevée que la conductance potassique.

Ces travaux ont également montré que l’ouverture du pore n’était que de courte durée (de l’ordre de 1 milliseconde), conduisant à l’inactivation rapide du canal.

Le potentiel d’action nécessite la mise en jeu de centaines de canaux sodiques dépendants du potentiel.

Ceci explique pourquoi il existe un seuil de dépolarisation nécessaire à la propagation du potentiel d’action.

Dans ce cas, l’ouverture rapide des canaux explique aussi la dépolarisation brutale (en moins de 1 milliseconde) de la membrane soudain perméable au Na+, jusqu’à des valeurs positives (de l’ordre de +40 mV).

Puis intervient l’inactivation tout aussi rapide des canaux sodiques, qui contribue à la repolarisation de la membrane.

Ce processus est facilité par l’ouverture de canaux potassiques, également sensibles au potentiel, mais qui s’activent plus tardivement que les canaux sodiques.

Pour cette raison, les courants induits par ces canaux et qui contribuent à la repolarisation de la membrane de façon conjointe avec les canaux sodiques dépendants du potentiel, sont qualifiés de courants de rectification tardive du potentiel de membrane.

La propagation du potentiel d’action est liée à son caractère autorégénératif.

Le long de l’axone, la dépolarisation provoque un afflux de charges positives à l’intérieur, ce qui va induire l’activation en cascade des canaux ioniques situés à proximité immédiate, en aval de la zone membranaire dépolarisée et, partant, un nouveau potentiel d’action dès que le seuil d’activation des canaux sodiques est atteint.

Compte tenu de l’inactivation durable des canaux préalablement activés, la vague de dépolarisation ne se propage que dans une seule direction, normalement du cône axonique au niveau du soma vers l’extrémité de l’axone.

Dans certaines conditions, cependant, un potentiel antidromique peut être généré, si la dépolarisation initiale touche des régions distales de l’axone.

La vitesse de conduction moyenne des potentiels d’action est de l’ordre de 10 m/s.

Cette vitesse est inversement proportionnelle au diamètre de la fibre, les axones les plus fins conduisant les potentiels d’action de la façon la plus lente ; par exemple, dans le cas des très fines afférences nociceptives, la vitesse de conduction n’est qu’au maximum de 2 m/s.

De plus, ces axones sont moins excitables par rapport aux axones de plus gros diamètre.

Ils sont également plus sensibles aux anesthésiques locaux, qui agissent sur les canaux sodiques dépendants du potentiel en bloquant le flux d’ions Na+ résultant de l’activité neuronale.

Chez les vertébrés, la gaine de myéline contribue à accroître considérablement la vitesse de conduction des axones.

Comme nous l’avons mentionné, cette gaine de myéline n’est pas continue et forme de loin en loin des régions, les noeuds de Ranvier, où les canaux ioniques sont particulièrement denses par rapport aux zones myélinisées qui sont isolées du milieu extracellulaire.

Dans ce cas, la dépolarisation va intervenir seulement au niveau de ces noeuds de Ranvier, dans un processus qualifié de conduction saltatoire beaucoup plus rapide qu’en l’absence de myéline, qui peut atteindre jusqu’à 120 m/s pour les plus gros axones myélinisés, dans le cas des afférences sensorielles primaires.

Signalisation intercellulaire :

De façon conventionnelle, la signalisation intercellulaire a d’abord été analysée par les techniques électrophysiologiques, principalement au niveau des jonctions neuromusculaires.

Celles-ci ont notamment permis de corréler la contraction musculaire à la production de potentiels postsynaptiques excitateurs (PPSE) résultant d’une entrée massive de sodium dans la cellule musculaire sous l’effet de la stimulation du nerf moteur.

L’abord de l’action de certaines hormones (stéroïdes sexuels, hormones thyroïdiennes, en particulier) mais aussi de nombreux neurotransmetteurs, a permis de sortir de ce schéma quelque peu réducteur et de considérer que, dans le système nerveux, la signalisation intercellulaire pouvait se traduire de façon très fréquente par l’activation de processus de transduction du signal au niveau membranaire impliquant, entre autres, la production de seconds messagers (c’est même le mode de signalisation quasi unique pour certains neurotransmetteurs comme la dopamine ou la sérotonine).

Si l’on ajoute à ces deux mécanismes principaux des processus impliquant des récepteurs membranaires particuliers, comme les récepteurs tyrosine kinase (Trk), indépendants des seconds messagers, et d’autres processus encore impliquant par exemple des messagers intercellulaires diffusibles, comme le NO mais aussi l’acide arachidonique, il est évident que la signalisation intercellulaire ne peut être réduite aux changements d’excitabilité traduits en termes de PPSE ou de potentiels postsynaptiques inhibiteurs (PPSI), même si ceux-ci contribuent de façon primordiale au fonctionnement des réseaux nerveux.

L’idée est avancée qu’il existe en fait deux modes distincts de signalisation intercellulaire :

– une signalisation dite rapide, impliquant les changements de conductance ionique résultant en des PPSE et PPSI (de l’ordre de la milliseconde) ;

– une signalisation aux caractéristiques cinétiques qui la rendent beaucoup plus lente, impliquant de façon primordiale les systèmes de transduction du signal couplés à l’action des seconds messagers (de l’ordre de la seconde, voire de la minute).

Il est évident que ces deux modes de signalisation intercellulaire n’ont pas la même finalité, la signalisation rapide étant à la base du fonctionnement des réseaux nerveux organisés, notamment en rapport avec les très fins processus sensorimoteurs, alors que la signalisation lente pourrait préférentiellement intervenir dans les processus neuromodulateurs et l’expression de fonctions plus globales, telles que le contrôle de la vigilance, des processus émotionnels, motivationnels ou encore attentionnels, qui ne nécessitent pas un fonctionnement neuronal d’une très grande célérité mais qui sont plutôt basés sur la mise en jeu coordonnée de larges populations neuronales.

A – POTENTIELS SYNAPTIQUES :

La mise en jeu d’une synapse excitatrice se traduit par la dépolarisation de l’élément postsynaptique, qu’il s’agisse d’un neurone ou d’une cellule musculaire.

Dans ce cas, la réponse peut être mesurée par les techniques d’enregistrement intracellulaires classiques ; elle est constituée d’une première phase de dépolarisation, locale, graduable et limitée en amplitude et dans le temps, le PPSE, suivi, lorsque la dépolarisation se développe pour atteindre le seuil d’excitation, par une extension de cette réponse locale, le potentiel d’action, qui se propage dans la cellule et provoque, dans le cas des cellules musculaires, la contraction.

Dans le cas de synapses inhibitrices, cette réponse, également locale, graduable et limitée en amplitude et dénommée PPSI, est perçue au contraire comme une réduction de l’excitabilité de l’élément postsynaptique dont la membrane devient hyperpolarisée par rapport au potentiel de repos.

Ces réponses postsynaptiques présentent un certain nombre de caractéristiques qui leurs sont communes :

– elles sont liées à l’activité de l’élément présynaptique et disparaissent en son absence ;

– elles n’apparaissent qu’après une latence relativement incompressible, de l’ordre de 0,5 ms, dénommée délai synaptique, qui représente un processus actif, dépendant par exemple de la température ;

– dans leur extrême majorité, elles sont dépendantes de la concentration extracellulaire de calcium ionisé, de l’ordre de 2 mM chez les mammifères ;

– elles présentent un caractère spécifique par rapport à l’action d’un certain nombre de molécules impliquées dans la signalisation intercellulaire, les neurotransmetteurs.

De fait, l’application locale de ces neurotransmetteurs ou de leurs analogues (agonistes) au niveau des synapses permet de reproduire les réponses postsynaptiques, qui peuvent, à l’inverse, être bloquées par des agents pharmacologiques spécifiques (antagonistes).

Les caractéristiques électrophysiologiques des réponses postsynaptiques, telles qu’elles peuvent être analysées par les méthodes de patch-clamp, montrent que, tant les PPSE que les PPSI sont la résultante de la sommation de multiples courants élémentaires impliquant des canaux ioniques associés à l’action des neurotransmetteurs sur les membranes.

Ces effets spécifiques des neurotransmetteurs sur les membranes sont ainsi liés à la mise en jeu de récepteurs-canaux susceptibles d’apporter la spécificité de la réponse par leur interaction sélective avec les neurotransmetteurs. C’est dans le cadre de l’étude de ces interactions entre les neurotransmetteurs et leurs récepteurs qu’est apparue une diversité des réponses cellulaires.

En effet, dans leur grande majorité, celles-ci ne se limitent pas à des changements directs de l’excitabilité membranaire liée à l’action des récepteurs-canaux, mais se traduisent fréquemment par des modifications du métabolisme à l’intérieur de la cellule, au niveau du site d’action du neurotransmetteur, affectant durablement l’activité de la cellule cible.

Dans ce cas, les récepteurs sont qualifiés de métabotropiques, et la réponse cellulaire présente des aspects multiples : modification de l’expression génique, de la synthèse et de la libération des neurotransmetteurs, de l’activité de protéines-kinases et protéinesphosphatases, de l’excitabilité membranaire, voire de processus de division et de différenciation cellulaire.

Dans ce contexte de réponses de caractère physiologique d’une grande diversité, il est ainsi apparu qu’un même neurotransmetteur pouvait agir à la fois sur de nombreux sous-types de récepteurs membranaires, contribuant à rendre les processus intégratifs synaptiques considérablement plus sophistiqués qu’une simple sommation, spatiale ou temporelle, de courants.

B – NEUROTRANSMETTEURS :

De façon conventionnelle, les études ayant pour objet d’identifier les neurotransmetteurs présents dans le SNC ont permis de caractériser trois familles de molécules : les amines, les acides aminés et les peptides, qui représentent l’essentiel des agents impliqués dans la signalisation intercellulaire.

Ces trois familles de neurotransmetteurs n’interviennent pas de façon équivalente, certaines étant plus représentées que d’autres.

Par ailleurs, de plus en plus fréquemment, il est démontré que ces neurotransmetteurs n’agissent en général pas seuls, mais qu’il existe une synergie à leur action liée à un processus de colocalisation de plusieurs de ces neurotransmetteurs à l’intérieur de la même terminaison nerveuse.

Les amines sont principalement représentées par l’acétylcholine et les monoamines suivantes : dopamine, noradrénaline, adrénaline, histamine et sérotonine.

L’ensemble des neurones monoaminergiques, qui par ailleurs joue un rôle critique dans le contrôle de nombreuses fonctions cérébrales, des processus sensorimoteurs aux processus limbiques et cognitifs, ne représente en fait que moins de 0,5 % de la population neuronale globale du système nerveux.

Les acides aminés appartiennent à deux familles impliquant principalement, mais pas exclusivement, des récepteurscanaux : les acides aminés excitateurs, dont les principaux représentants sont le glutamate et l’aspartate, et les acides aminés inhibiteurs et leurs dérivés comme l’acide gamma-aminobutyrique (GABA) et la glycine ou la taurine.

Contrairement aux monoamines, les systèmes neuronaux utilisant les acides aminés sont très représentés, vraisemblablement jusqu’à plus de 50 % du total des neurones, et sont préférentiellement impliqués dans la transmission rapide des informations.

Enfin, les peptides représentent une large famille de neurotransmetteurs, au rôle pas toujours clairement bien défini, mais riche de près de 200 membres inégalement représentés.

Ces peptides sont, pour une part, des neuropeptides à action spécifique dans le système nerveux, mais représentent, pour une grande partie d’entre eux, des molécules agissant par ailleurs dans l’organisme, par exemple comme hormones.

En ce qui concerne les neuropeptides, il est notable que deux grandes familles de plusieurs membres sont bien connues : celle des peptides opiacés (endorphines, enképhalines, en particulier) et celle des tachykinines (substance P, neurokinine A, neurokinine B, etc).

Pour ce qui concerne les hormones, nombre d’entre elles sont en fait produites par des neurones, au niveau du système nerveux.

Cette synthèse neuronale est indépendante de leur production au niveau périphérique, en rapport avec leur intervention dans les processus liés à la mise en jeu du système hypothalamohypophysiotrope (somatostatine, hormone thyréotrope, par exemple) ou encore du tractus digestif (cholécystokinine, neuropeptide Y, etc), à titre d’illustration.

Une particularité intéressante est liée à la colocalisation, maintenant unanimement reconnue et évoquée ci-dessus, de plusieurs de ces neurotransmetteurs dans les mêmes neurones.

De très nombreuses illustrations existent dans la littérature, et certains neurotransmetteurs, comme le GABA, paraissent faire l’objet d’une colocalisation quasi systématique avec d’autres neurotransmetteurs.

Le rôle fonctionnel de ces colocalisations est loin d’être connu avec précision, même si des spéculations intéressantes sur une synergie dans l’action des neurotransmetteurs colocalisés ont été formulées, en particulier en rapport avec une propension différentielle des deux neurotransmetteurs à être activement libérés par les neurones, susceptibles de conférer à chacun un rôle spécifique dans la signalisation intercellulaire.

À ce jour, il est reconnu que ces associations ne se font cependant pas au hasard, et qu’il existe des principes d’organisation.

Par exemple, la sérotonine, la dopamine ou la noradrénaline, et plus généralement les amines, ne sont jamais colocalisées entre elles, alors que le GABA est pratiquement toujours associé à un peptide mais pas à une amine, ou encore il est peu probable que GABA et glutamate soient associés dans la même terminaison nerveuse.

Cependant, ces travaux sur la colocalisation restent partiels, et on peut supposer aussi que, dans de nombreux cas, les neurones ne présenteraient qu’un seul neurotransmetteur.

Une autre avancée récente est liée à l’identification de molécules paraissant jouer un rôle non conventionnel comme agent de signalisation intercellulaire.

Tel est le cas de l’ATP ou de l’adénosine agissant au travers de récepteurs membranaires, mais aussi des facteurs neurotrophiques (type nerve growth factor [NGF], brainderived neurotrophic factor [BDNF], glial derived nerve growth factor [GDNF], etc) agissant parfois de façon rétrograde au niveau synaptique par l’intermédiaire de récepteurs Trk, susceptibles de contribuer à une signalisation particulière à la base du développement et de la survie même des neurones.

Enfin, il est important de mentionner à nouveau le rôle du NO ou encore de l’acide arachidonique, assimilables à des seconds messagers parce que produits en réponse à l’activation de récepteurs membranaires, mais ayant la particularité de diffuser hors de la cellule parce que de nature extrêmement lipophile.

Dans ce cas, il est intéressant de noter en plus que la signalisation perd de sa spécificité en termes d’action rigoureusement synaptique, puisque le NO notamment, synthétisé par une NO synthase à partir de l’arginine, est susceptible d’une large diffusion autour de son site de production, contribuant vraisemblablement à la mise en jeu de populations de neurones.

1- Libération des neurotransmetteurs : exocytose et couplage excitation-sécrétion

Les neurotransmetteurs produits par les neurones sont stockés dans les vésicules synaptiques qui les incorporent pour la plupart grâce à un mécanisme de transport spécifique représenté par des transporteurs vésiculaires exprimés à la membrane des vésicules synaptiques.

En général, le transport correspond à un antiport neurotransmetteur/proton, utilisant l’ATP.

À l’inverse, les peptides, comme les hormones, sont incorporés d’emblée dans un compartiment vésiculaire dans l’appareil de Golgi et le réticulum endoplasmique.

Le processus de transport est saturable, en ce sens que les vésicules ont une capacité limitée, de l’ordre de 1 000 à 5 000 molécules d’acétylcholine au maximum, par exemple, pour une vésicule d’une terminaison nerveuse d’un neurone moteur, au niveau du muscle strié.

En se propageant jusqu’à la terminaison axonique, le potentiel d’action déclenche la libération des neurotransmetteurs dans l’espace synaptique, principalement à partir de ces vésicules.

Le processus de sécrétion lié à l’excitation de la terminaison nerveuse s’avère d’une grande complexité au plan moléculaire.

Par sa spécificité, à l’échelon de la synapse, il contribue au codage de l’information à transmettre à l’élément postsynaptique.

Comme on l’a vu, la première caractéristique du codage est d’ordre qualitatif, et fait intervenir un ou plusieurs neurotransmetteurs spécifiquement produits par l’élément présynaptique.

Une deuxième caractéristique du codage est d’ordre quantitatif : en première approximation, on considère que l’information transmise est proportionnelle à la quantité de neurotransmetteur libéré.

Si on admet que les vésicules synaptiques ont une capacité de stockage du neurotransmetteur finie, c’est alors le nombre de vésicules engagées dans le processus de sécrétion qui contribue à amplifier le signal, chaque vésicule ayant un effet de « tout ou rien », à l’échelon élémentaire.

Enfin, une troisième caractéristique du codage est à la fois qualitative et quantitative, puisque les neurotransmetteurs sont susceptibles d’agir sur divers sous-types de récepteurs postsynaptiques.

Comme cela est développé plus loin, il s’avère que l’activation d’un récepteur, à l’échelon unitaire, est également dépendante de la quantité de neurotransmetteur présente dans l’espace synaptique, comme d’ailleurs ses propriétés d’inactivation permettant de régénérer la réponse synaptique.

Ainsi, dans des conditions standards, des PPSE ou PPSI de plusieurs dizaines de millivolts sont liés à la libération de plusieurs milliers à centaines de milliers de molécules de neurotransmetteurs libérés à partir d’un millier au moins de terminaisons nerveuses ; le temps global de l’opération étant de l’ordre de la milliseconde.

Dans le cas de certaines synapses excitatrices, les expériences montrent que le blocage de l’activité présynaptique, c’est-à-dire des potentiels d’action, par exemple par la tétrodotoxine (TTX), un bloquant des canaux sodiques, fait cependant apparaître des PPSE miniatures spontanés d’amplitude à peu près constante, de l’ordre de 0,5 à 1 mV, de basse fréquence et d’apparition aléatoire, mais liés à la présence de l’élément présynaptique dont la suppression est associée à la disparition de ces potentiels particuliers.

Ces observations sont à l’origine de la théorie vésiculaire (ou quantique) de la libération des neurotransmetteurs élaborée par Katz, dans les années soixante.

L’intervention des vésicules synaptiques dans le processus de sécrétion des neurotransmetteurs avait été initialement suspectée, sur la base d’images obtenues dès les années cinquante par étude au microscope électronique de l’ultrastructure des synapses et montrant des profils de fusion des membranes des vésicules synaptiques avec celles des membranes basales des neurones, dans un mécanisme correspondant à une exocytose des neurotransmetteurs.

Ces processus de fusion se produisent dans une région particulière de la synapse qualifiée de zone active.

Ainsi, on admet que, pour un seul potentiel d’action intervenant à une seule jonction neuromusculaire du muscle strié, le contenu d’environ 300 vésicules synaptiques (300 quanta) est concerné, libérant de l’acétylcholine pendant environ 1,5 ms.

Dans le cas du SNC, le nombre de quanta concerné paraît plus faible, de l’ordre de 5 à 10 pour une synapse GABAergique ou glutamatergique située au niveau d’une épine dendritique, ce qui suffit à augmenter la concentration synaptique du neurotransmetteur jusqu’à des valeurs de 1 mM et, par conséquent, à activer entre 10 et 1000 récepteurscanaux postsynaptiques.

Le couplage excitation-sécrétion a donc pour point de départ la dépolarisation de la membrane présynaptique, et se termine par la libération du neurotransmetteur dans l’espace synaptique.

La dépolarisation de la terminaison nerveuse a d’abord pour effet de provoquer l’ouverture des canaux calciques dépendants du potentiel fortement concentrés au niveau des zones actives.

C’est l’augmentation de la concentration de calcium ionisé dans la terminaison nerveuse qui va initier le processus de fusion de la vésicule avec la membrane, comme l’ont démontré initialement les travaux de Miledi dans les années soixante-dix, montrant le déclenchement d’effets postsynaptiques à partir d’une injection intracytoplasmique de Ca2+ dans la terminaison nerveuse.

L’entrée de calcium est un processus rapide, de l’ordre de 200 à 400 µs.

L’exocytose est déclenchée pour des concentrations intracellulaires de calcium de l’ordre de 100 à 300 µM, chez les vertébrés le délai entre le début des courants calciques présynaptiques et le début des PPSE étant de 400 à 600 µs.

Les techniques d’imagerie calcique montrent que les canaux calciques sont concentrés au niveau des zones actives des synapses, formant des microdomaines le long de la membrane plasmique.

À ce niveau, les concentrations intracytoplasmiques de calcium sont transitoirement très élevées, de l’ordre de 500 µM au contact de la membrane, pendant un temps inférieur à 1 ms.

La sommation des microdomaines résulte en une sorte de « vague calcique » déterminant une zone efficace de l’ordre de 50 nm où intervient l’exocytose.

On estime qu’environ une centaine de canaux calciques forme une zone active et, qu’à ce niveau, la concentration de calcium ionisé chute très vite dès que l’on s’éloigne de la membrane, de telle manière que la concentration de calcium ne serait plus que de 10 µM à seulement 50 nm de la membrane.

Au niveau de la jonction neuromusculaire, l’exocytose impliquerait préférentiellement des canaux calciques de type N, alors qu’au niveau du SNC il s’agirait plutôt de canaux de type P/Q.

Le processus d’exocytose peut être décomposé en trois phases, correspondant respectivement à l’arrimage des vésicules synaptiques à la membrane plasmique (docking), à la fusion de la membrane de la vésicule synaptique avec celle de la membrane plasmique, correspondant effectivement à l’exocytose après « priming » des vésicules, et à une troisième phase de recyclage des vésicules synaptiques par un processus d’endocytose.

Sur le plan moléculaire, des avancées considérables ont été faites montrant la complexité du processus, qui fait intervenir des interactions entre de nombreuses protéines exprimées pour une part à la surface des vésicules synaptiques (protéines vésiculaires), pour une part au niveau cytosolique, et pour une troisième part au niveau de la membrane plasmique de la terminaison nerveuse.

À titre d’illustration, les principales protéines vésiculaires intervenant dans le cycle des vésicules synaptiques sont les synapsines, la synaptobrévine, la synaptotagmine ou encore la synaptophysine, alors qu’au niveau de la membrane plasmique le rôle de la syntaxine, des neurexines ou encore de la SNAP-25 commence à être connu, grâce à des expériences de délétion de gènes ou d’utilisation de toxines qui interfèrent avec la libération des neurotransmetteurs ; telles les toxines tétanique ou botuliques qui inactivent sélectivement par clivage la synaptobrévine (toxine tétanique et botuliques de type B, D, F, et G), la SNAP-25 (toxine botulique A, C et E) ou la syntaxine (toxine botulique C1).

De façon intéressante, on considère aujourd’hui que le modèle moléculaire de l’exocytose des neurotransmetteurs serait une variante d’un modèle général de sécrétion de protéines impliquant des vésicules, y compris chez les eucaryotes.

Ce modèle est connu comme l’hypothèse SNARE (pour synaptosomal novel associated protein receptors), impliquant un appariement entre protéines membranaires et protéines cytosoliques, qui forment des complexes dits SNARE.

Ainsi la phase de docking peut être réduite en première approximation à la formation d’un complexe protéique associant synaptobrévine, syntaxine, SNAP-25 et synaptotagmine, qui fixe la vésicule synaptique à proximité des canaux calciques.

Dans ce contexte, c’est la synaptotagmine qui se comporte comme le « senseur » de calcium.

Celui-ci favorise son association avec la syntaxine, et détermine la phase de fusion de la vésicule avec la membrane de la terminaison nerveuse.

À partir de la formation d’un pore entre les deux membranes, le neurotransmetteur diffuse alors librement dans l’espace synaptique, selon le gradient de concentration.

La dissociation ultérieure du complexe SNARE ferait intervenir des protéines cytosoliques, peut-être de type HSP70, contribuant à l’endocytose et au recyclage de la vésicule.

Outre l’action d’endopeptidase des toxines botuliques, utilisées par exemple avec succès par injection locale dans différentes formes de dystonies pour réduire temporairement la transmission neuromusculaire, il s’avère que les protéines vésiculaires pourraient être impliquées dans certaines pathologies impliquant des déficits de la commande musculaire ; telle la myasthénie de Lambert-Eaton, maladie auto-immune produisant des anticorps dirigés contre la synaptotagmine, qui bloquent la libération de l’acétylcholine au niveau neuromusculaire.

2- Récepteurs synaptiques :

La signalisation intercellulaire implique l’action des neurotransmetteurs sur des protéines situées sur l’élément postsynaptique, les récepteurs, susceptibles de reconnaître le neurotransmetteur.

Cette interaction est à l’origine d’une réponse de l’élément cible, résultant de l’activation d’un système de transduction plus ou moins complexe.

Comme cela a été mentionné plus haut, la transduction du signal initiée par l’association transitoire du neurotransmetteur avec son récepteur, implique soit un changement de conductance ionique qui modifie rapidement l’excitabilité membranaire dans le cas des récepteurs-canaux, soit l’activation en cascade de systèmes protéiques passant par la production et l’action de seconds messagers dans le cas des récepteurs métabotropiques.

Dans tous les cas, le principe général de l’interaction des neurotransmetteurs avec leurs récepteurs obéit aux trois principes suivants : cette interaction est spécifique (et même stéréospécifique), elle est saturable (le nombre de sites de liaison du neurotransmetteur sur le récepteur est défini) et elle est réversible, ce qui garantit à la fois la spécificité du transfert de l’information et la possibilité de transmettre des informations de façon itérative.

En rapport avec ce qui a été décrit ci-dessus, il apparaît que l’élément critique de la signalisation intercellulaire est donc la disponibilité du neurotransmetteur au niveau des récepteurs, c’est-à-dire sa concentration, facteur déterminant de l’activation secondaire des récepteurs.

L’une des avancées les plus importantes en ce qui concerne le domaine des récepteurs est liée à la découverte qu’un seul neurotransmetteur est en fait à même d’agir sur une kyrielle de récepteurs, quelquefois simultanément ionotropiques et métabotropiques.

De ce fait, la spécificité de la réponse cellulaire à un neurotransmetteur n’apparaît plus tant liée à la nature du neurotransmetteur qu’à celle du récepteur par lequel celui-ci exerce son action.

À titre d’illustration, la dopamine paraît ainsi pouvoir agir au travers d’au moins six sous-types de récepteurs, la sérotonine au travers d’au moins une quinzaine de sous-types différents, et les AAE, au travers de près d’une vingtaine, ce qui rend compte d’actions cellulaires d’une extrême diversité.

Dans ce contexte, il va de soi que la caractérisation de l’effet d’un neurotransmetteur passe par celle du type de récepteur qui relaie son action.

* Récepteurs ionotropiques :

Dans le cas des récepteurs-canaux, encore qualifiés de récepteurs ionotropiques, il s’agit ni plus ni moins que de canaux ioniques dont la conductance est contrôlée par les neurotransmetteurs.

Ces canaux ioniques (conductances Na+, K+, Cl– ou Ca2 +) sont toutefois moins sélectifs que les canaux dépendants du voltage. Ils sont mis en jeu lors de la signalisation rapide, à l’échelle de quelques dizaines de millisecondes.

Sur le plan structural, l’ensemble de ces récepteurs ionotropiques représente une superfamille de protéines aux caractéristiques fonctionnelles relativement similaires, dont les principes généraux de fonctionnement ont été largement tirés des études utilisant le récepteur cholinergique nicotinique de la jonction neuromusculaire.

De fait, au niveau de la jonction neuromusculaire, l’application d’acétylcholine permet d’enregistrer un potentiel de plaque motrice correspondant principalement à un courant entrant de sodium dépolarisant dans la fibre musculaire, avec un Km de l’ordre de 30 à 100 µM et une stoechiométrie faisant intervenir deux molécules d’acétylcholine pour l’activation d’un seul récepteur.

Sur le plan pharmacologique, l’action de l’acétylcholine est ici mimée par la nicotine, et elle est bloquée par les curares.

La mesure du potentiel d’inversion du courant généré par l’activation de l’élément présynaptique le situe autour de 0 mV, ce qui permet de déterminer une contribution dominante à la réponse synaptique d’une conductance sodique, associée à une conductance potassique (rapport gNa/gK = 1,6).

Enfin, les données des études réalisées en patch-clamp sur des myoblastes montrent que l’application de l’acétylcholine permet l’ouverture des canaux qui oscillent entre un état « ouvert » et un état « fermé », la durée moyenne de l’ouverture du canal étant de l’ordre de 1 à 6 ms.

De façon intéressante, ces études vérifient que l’augmentation de la concentration d’acétylcholine au niveau des récepteurs augmente la probabilité d’ouverture du canal, mais qu’une exposition « prolongée » du récepteur au neurotransmetteur se traduit par une perte de la réponse synaptique, résultant d’un processus de désensibilisation du récepteur qualifié de désensibilisation homologue.

De fait, l’exposition du récepteur à un agoniste pendant seulement 10 secondes, même à faible concentration, suffit à bloquer l’ouverture des canaux en dépit de la présence du neurotransmetteur.

Cette désensibilisation, correspondant à un mécanisme allostérique, est donc un processus très rapide, qui pourrait par exemple intervenir lorsque l’on bloque la dégradation de l’acétylcholine par des inhibiteurs de l’acétylcholinestérase, et qui est favorisé par le calcium, l’hyperpolarisation membranaire et des processus de phosphorylation impliquant des protéines kinases.

Il s’agit d’un processus progressif, qui rend le récepteur de plus en plus réfractaire à l’action du neurotransmetteur, en revanche, la dépolarisation membranaire réduit la désensibilisation. Il s’agit néanmoins d’un processus réversible, d’autant plus rapidement que les stades les plus achevés de la désensibilisation ne sont pas atteints.

Toutefois, la resensibilisation d’un récepteur ionotropique très désensibilisé est un processus lent, à l’échelle de plusieurs heures.

L’une des avancées les plus importantes en ce qui concerne la caractérisation de ce récepteur résulte de la découverte, à la fin des années soixante, de l’action curarisante plus ou moins irréversible d’un peptide purifié à partir d’un venin de serpent, l’a-bungarotoxine, qui a servi de marqueur du récepteur lors de sa purification biochimique.

Le récepteur nicotinique cholinergique se présente comme une glycoprotéine d’un poids moléculaire d’environ 267 kDa, possédant deux sites de liaison de l’a-bungarotoxine.

La dénaturation de cette protéine permet de révéler l’existence de quatre sous-unités protéiques différentes, initialement notées a, b, c et d, la sous-unité a, qui seule a une affinité pour la toxine, étant présente en double exemplaire dans la protéine qui est donc un pentamère.

Les études structurales subséquentes ont montré que ces différentes sous-unités protéiques avaient un profil relativement similaire, présentant un caractère transmembranaire.

À partir du séquençage de ces sous-unités protéiques, un modèle conformationnel unique fut établi au début des années 1980, selon lequel les extrémités N- et carboxyterminales sont extracellulaires, chacune des protéines présentant quatre segments transmembranaires.

La symétrie du récepteur résulte de l’association des cinq sous-unités « en rosette », déterminant un pore central dont les études de mutagenèse dirigée ont révélé qu’il était formé par l’association des segments transmembranaires dits « TM2 » présents dans chacune des sous-unités.

Dans ce modèle, l’association de deux molécules d’acétylcholine avec les parties aminoterminales des 2 sous-unités a de la protéine permet un changement conformationnel du récepteur se traduisant par l’ouverture du pore et l’augmentation transitoire de la conductance ionique sodique par ce mécanisme allostérique.

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