Néoplasie endocrinienne multiple de type 1

0
2401

Introduction :

La néoplasie endocrinienne multiple de type 1 (NEM1), initialement décrite par Erdheim en 1903, fut secondairement documentée par Wermer qui, en 1954, en reconnut le caractère héréditaire.

La NEM1 est caractérisée par l’association, chez un même patient ou chez des sujets apparentés, d’une hyperparathyroïdie, d’un adénome hypophysaire et d’une tumeur endocrine pancréatique ou duodénale.

Néoplasie endocrinienne multiple de type 1D’autres atteintes, moins communes, sont possibles : tumeurs neuroendocrines (TNE) bronchiques, thymiques ou gastriques, tumeurs endocrines du cortex surrénalien, enfin lipomes souscutanés ou viscéraux.

L’éventail clinique est peut-être plus large, incluant des lésions tumorales thyroïdiennes et des proliférations non endocrines telles des tumeurs gliales ou d’autres lésions cutanées.

Qu’il s’agisse de formes sporadiques ou familiales, le diagnostic de NEM1 typique est fortement suspecté chez des patients présentant au moins deux des cinq lésions majeures que sont les atteintes tumorales des parathyroïdes, du pancréas endocrine, de l’antéhypophyse, du tissu neuroendocrine thymique ou bronchique et des glandes surrénales.

La maladie survient le plus souvent dans un cadre héréditaire et la transmission est autosomique dominante.

On parle de forme familiale lorsque deux lésions majeures surviennent chez le propositus et une lésion majeure chez un apparenté au premier degré.

La découverte récente du gène majeur associé à la prédisposition à la NEM1 ouvre la voie à de nombreuses applications cliniques et fondamentales.

Données épidémiologiques et cliniques :

A – Aspects généraux :

La prévalence de la NEM1 dans la population générale est mal connue, estimée entre 1 sur 30 000 et 1 sur 50 000 à partir d’études nécropsique et épidémiologique.

Cependant, sa pénétrance est très forte, 80 à 99 % des porteurs du gène muté exprimant biologiquement ou cliniquement la maladie après l’âge de 50 ans.

Quelques cas de porteurs sains dont l’âge dépassait 60 ans ont été rapportés.

Les formes symptomatiques sont habituellement diagnostiquées au cours de la troisième et surtout de la quatrième décennie.

Le diagnostic est parfois fait avec retard car certaines formes cliniques sont longtemps silencieuses.

Surtout, il s’agit d’une maladie mal connue dans le milieu médical non habitué à l’endocrinologie tumorale.

Le développement de programmes de dépistage systématique chez les apparentés des patients NEM1 a permis d’abaisser considérablement l’âge du diagnostic.

La première lésion endocrinienne peut, en effet, être repérée dès l’âge de 9 à 18 ans, parfois chez des sujets plus jeunes.

Les études phénotypiques ont montré que 75 % des patients se présentent initialement avec une lésion endocrinienne unique et que chacune des atteintes principales de la maladie peut être inaugurale.

Il semble que certaines lésions ou certaines associations lésionelles soient plus fréquentes dans certaines familles.

Enfin, dans certains cas, on note une tendance au développement de tumeurs à fort potentiel de malignité, et un possible phénomène d’anticipation a été évoqué.

B – Atteinte des parathyroïdes :

C’est l’atteinte la plus fréquente au cours de la NEM1, affectant 80 à 98 % des sujets génétiquement à risque.

Il s’agit de la première manifestation de la maladie chez une majorité de patients.

Cette précession, discutée par certains, est d’autant plus marquée que le dépistage de l’hyperparathyroïdie repose sur le dosage du calcium ionisé.

L’âge d’apparition se situe à la fin de la seconde décennie de la vie.

L’hyperparathyroïdie est d’installation souvent insidieuse et reste longtemps silencieuse.

Seuls 20 à 30 %des patients ont des symptômes.

L’évolution naturelle se fait habituellement dans le sens d’une lente aggravation.

Dans plus de deux tiers des cas, l’hyperparathyroïdie est en relation avec une hyperplasie diffuse des glandes parathyroïdes, y compris surnuméraires ou ectopiques.

Volontiers asymétrique et éventuellement nodulaire, cette hyperplasie peut en imposer pour un ou plusieurs adénomes.

Dans un tiers des cas, il s’agit d’adénomes parathyroïdiens, multiples dans 16 % des cas.

Ce développement multifocal asynchrone rend compte des difficultés thérapeutiques rencontrées.

C – Tumeurs neuroendocrines pancréatiques et digestives :

1- Tumeurs du pancréas endocrine :

Elles sont présentes dans environ la moitié des cas de NEM1.

* Gastrinomes :

Ce sont les plus fréquentes (65 %) des tumeurs endocrines digestives rencontrées chez les patients atteints de NEM1.

Ils sont à l’origine d’un syndrome de Zollinger-Ellison (ZE) qui est même souvent le signe révélateur de la NEM1 et c’est en surveillant régulièrement les patients atteins de ZE (même en l’absence d’autres endocrinopathies au moment du diagnostic) que l’on voit apparaître, dans 30 %des cas environ, et ceci parfois bien des années plus tard, d’autres lésions endocrines permettant alors de porter le diagnostic de NEM1.

* Insulinome :

C’est la deuxième lésion par ordre de fréquence : près d’une tumeur endocrine pancréatique sur quatre est un insulinome.

Les caractéristiques cliniques et biochimiques des insulinomes entrant dans le cadre d’une NEM1 ne diffèrent pas de celles des formes sporadiques, par ailleurs beaucoup plus fréquentes.

* Autres tumeurs endocrines pancréatiques :

Les autres tumeurs endocrines pancréatiques (glucagonomes, VIPomes, somatostatinomes, PPomes…) sont plus rarement décrites au cours des NEM1.

* Tumeurs pancréatiques non fonctionnelles :

Les tumeurs pancréatiques non fonctionnelles sont maintenant détectées avec une plus grande fréquence grâce aux progrès de l’imagerie.

On considérait généralement que ces tumeurs étaient potentiellement malignes.

En effet, avant le diagnostic génétique, elles étaient pratiquement toujours détectées à l’occasion de signes tumoraux (douleurs des métastases hépatiques, ictère, amaigrissement…).

En fait, le potentiel malin des tumeurs endocrines non fonctionnelles n’est probablement pas aussi élevé.

Le recours de plus en plus facile à l’échoendoscopie confirmera probablement, dans l’avenir, que la majorité des patients porteurs d’une NEM1 ont des tumeurs pancréatiques endocrines, non fonctionnelles pour la plupart.

2- Localisations digestives :

Dans le cadre d’une NEM1, les gastrinomes localisés à la paroi duodénale sont plus fréquents que les gastrinomes pancréatiques, auxquels ils peuvent être associés, et sont volontiers pluricentriques et de taille infracentimétrique.

Les tumeurs carcinoïdes nées des cellules entérochromaffines-like du fundus de l’estomac (EC-Lomes) sont observées dans un contexte de ZE, et ce essentiellement au cours de la NEM1.

D – Atteinte de l’antéhypophyse :

Si les études autopsiques notent une prévalence de 50 à 65 %, les bilans cliniques ne la retrouvent, en fait, que dans 15 à 42 % des cas.

Ceci suggère que le retentissement clinique des lésions authentifiées à l’autopsie est en fait limité.

Les adénomes hypophysaires survenant dans le cadre d’une NEM1 n’ont aucune particularité spécifique par rapport aux adénomes de survenue sporadique.

Ce sont plus souvent des adénomes à prolactine.

Les adénomes peuvent aussi être somatotropes, responsables d’acromégalie.

E – Autres atteintes :

1- Lésions surrénaliennes :

Des lésions surrénaliennes uni- ou bilatérales sont observées chez environ 30 % des patients NEM1.

Il s’agit le plus souvent d’hyperplasies, nodulaires ou non, et d’adénomes non fonctionnels de la corticosurrénale.

Exceptionnellement ont été observés des cas d’aldostéronome ou de corticosurrénalome.

Selon certains auteurs, les tumeurs surrénaliennes sont toujours associées à des tumeurs du pancréas endocrine et notamment à des insulinomes, ce qui suggérerait l’existence d’interrelations secondaires complexes entre ces deux sites lésionnels.

La responsabilité d’un facteur mitogène circulant apparenté à la famille des FGF (fibroblast growth factor) a été avancée.

D’ailleurs, contrairement à ce qui est observé dans les tumeurs du pancréas et des parathyroïdes, les pertes d’hétérozygotie sont rarement trouvées au niveau des tumeurs surrénaliennes.

2- Tumeurs neuroendocrines thymiques et bronchiques :

Chez 5 à 10% des patients NEM1 sont observées des TNE thymiques et bronchiques.

Ces tumeurs sont volontiers silencieuses et souvent découvertes à un stade tardif de syndrome tumoral, à l’occasion d’épisodes de toux, de bronchopneumopathies, d’hémoptysies ou en présence d’un syndrome médiastinal. Ailleurs, et plus rarement, elles ont une expression clinique ou biologique liée au produit sécrété : ACTH (adrenocorticotrophic hormone), FSH (follicle stimulating hormone), sous-unité á des hormones glycoprotéiques.

Ces tumeurs, notamment thymiques, correspondent souvent à des tumeurs carcinoïdes atypiques.

De par leur malignité potentielle, elles représentent une des plus graves atteintes au cours de la NEM1 car pouvant engager le pronostic vital au même titre que les atteintes pancréatiques.

C’est dire l’intérêt de leur recherche systématique et du traitement préventif par thymectomie de principe lors du traitement chirurgical d’une hyperparathyroïdie.

3- Atteintes cutanées :

De nombreux types d’atteintes cutanées ont été rapportés. Les lipomes cutanés, mais également viscéraux, sont observés chez 5 à 34%des patients NEM1.

D’autres manifestations sont de description récente : angiofibromes multiples de la face, collagénomes et plus rarement macules hypopigmentées en forme de confetti ou papules gingivales multiples.

Des délétions alléliques du gène NEM1 ont pu être observées dans des angiofibromes et des collagénomes de patients NEM1 et dans des lipomes.

Enfin, des cas de mélanomes ont été décrits dans des familles NEM1.

4- Tumeurs plus rares :

Des épendymones ont été observés chez de rares patients NEM1.

La mise en évidence d’une perte d’hétérozygotie dans un de ces cas laisse supposer que le gène NEM1 pourrait être impliqué dans la tumorigenèse du tissu épendymaire.

Diverses tumeurs de la thyroïde ont aussi été notées mais, dans la plupart des cas, elles ne sont pas considérées comme faisant partie intégrante du syndrome.

On a aussi décrit la présence de méningiomes, de rhabdomyosarcomes, sans souvent qu’il soit possible, pour le moment, de dire si ce type de tumeur s’intègre réellement à une NEM1 ou correspond à une association fortuite.

Aspects génétiques de la néoplasie endocrinienne multiple de type 1 et des pathologies associées :

A – Identification et structure du gène de la néoplasie endocrinienne multiple de type 1 :

Le gène de prédisposition à la NEM de type 1, localisé en 1988 sur le bras long du chromosome 11, a été cloné en 1997 par deux équipes indépendantes.

La mise en évidence de pertes d’hétérozygotie ou réarrangements microcytogénétiques dans le génome des tumeurs associées aux NEM1 suggère que le gène NEM1 appartient à la catégorie des gènes suppresseurs de tumeurs dont le rôle dans la physiologie normale de la cellule est la régulation négative de la croissance cellulaire.

Dans ce cas, l’inactivation des deux allèles explique, au niveau somatique, l’apparition de la tumeur.

Le gène NEM1 a une taille de 10 kilobases (kb) et contient dix exons, le premier exon et la partie distale de l’exon 10 étant non codants.

Le transcrit majeur de 2,8 kb est exprimé dans de très nombreux tissus endocrines et non endocrines.

L’existence de transcrits alternatifs de grande taille dans le pancréas, le thymus et le muscle n’a, à ce jour, reçu aucune explication valable mais suggère que la structure du gène et la régulation de son expression sont plus complexes, utilisant des promoteurs alternatifs tissuspécifiques.

Ces données sont confirmées par le clonage récent de l’homologue murin du gène NEM1 et sa comparaison structurale avec la séquence génomique du gène humain.

La protéine codée par le gène NEM1, dénommée menin, contient 610 aminoacides et ne possède pas d’homologie évidente permettant, à ce jour, de suggérer sa fonction physiologique précise.

La menin a une localisation prédominante nucléaire et contient, dans sa région C-terminale, deux signaux potentiels de localisation nucléaire (NLS ou nuclear localization signal) indiquant que la protéine peut subir un trafic nucléocytoplasmique.

Des études intensives sont en cours pour rechercher les interactions protéiques de la menin et, de ce fait, sa fonction précise dans la cellule.

B – Mutations germinales du gène NEM1 chez les patients atteints par la néoplasie endocrinienne multiple de type 1 :

Les mutations germinales identifiées chez les patients atteints de NEM1, plus d’une centaine à ce jour, sont dispersées sur toute la séquence codante du gène et très variables en nature.

Près de 70 %des mutations sont de type « non-sens », soit par altération ponctuelle d’un nucléotide au niveau d’un codon, soit par des délétions/insertions entraînant un décalage du cadre de lecture avec la genèse, en aval, d’un codon-stop.

Les autres mutations sont de type « faux-sens », modifiant un aminoacide ou sont des mutations touchant les sites d’épissage de l’ARN (acide ribonucléique) messager primaire et susceptibles d’engendrer la délétion complète de certains exons.

Aucune corrélation génotype-phénotype (relation entre le type de mutation et la pathologie présentée par le malade) n’a pu être mise en évidence à ce jour mais cette analyse nécessite l’étude à long terme d’une très grande série de familles.

En effet, le caractère métachrone et progressif des lésions impose un suivi clinique à long terme, et la complexité sémiologique des atteintes pourrait induire de nombreux biais dans la recherche d’un lien entre tel type de mutation et l’expression clinique.

Ces progrès récents sur la génétique de la NEM1 permettront une prise en charge mieux adaptée des personnes prédisposées au développement de ces lésions.

Le recours à ces outils génétiques dans la prise en charge actuelle des patients atteints de NEM1 est maintenant mieux codifié.

C – Comment utiliser l’outil génétique que constitue la recherche de mutations du gène NEM1 ?

– Près de 90 %des mutations germinales sont identifiables à ce jour dans les formes familiales de NEM1 clairement identifiées, et permettent donc, dans ces familles, un dépistage individuel chez les apparentés du cas-index.

– Les mutations du gène NEM1 sont le plus souvent associées à des formes complètes du syndrome et doivent conduire, chez les sujets à risque (porteurs du gène), à un minimum d’investigations à la recherche d’une hyperparathyroïdie primaire, d’une tumeur endocrine du tractus gastroduodénopancréatique, d’adénomes hypophysaire et surrénalien sécrétants ou non fonctionnels, et d’un carcinoïde des territoires thymobronchiques, selon des recommandations établies au sein du GENEM.

– La survenue d’une tumeur endocrine a priori sporadique des territoires thymobronchique et pancréaticoduodénal doit faire évoquer la NEM1 et la découverte d’une mutation germinale du gène NEM1 peut contribuer au diagnostic nosologique, notamment en cas d’atteinte endocrine associée dans la famille.

En effet, dans ces situations, il est possible d’identifier une mutation du gène NEM1 dans 20 à 50 %des cas et ce chiffre est probablement supérieur s’il existe une atteinte surrénalienne associée.

– La recherche d’une mutation du gène NEM1 pourrait être motivée devant une hyperparathyroïdie primaire sporadique lorsqu’elle affecte un sujet jeune (moins de 50 ans) et si l’atteinte est multiglandulaire.

– L’étude moléculaire de ce gène n’est pas envisageable chez les patients présentant un adénome hypophysaire isolé et sporadique car les données actuelles suggèrent que la rentabilité d’une telle analyse est inférieure à 1 %.

– L’analyse en génétique moléculaire du gène de la NEM1 ne doit être envisagée, dans tous les cas, qu’après une anamnèse clinique précise du patient-index et de sa famille et donc motivée par un ou plusieurs des arguments précédents.

D – Rôle du gène NEM1 dans les tumeurs endocrines sporadiques :

Une proportion significative des tumeurs endocrines sporadiques est associée à une inactivation somatique des deux allèles du gène NEM1 et la collecte exhaustive d’informations cliniques et biologiques est importante afin de corréler ces données de génétique moléculaire aux critères d’évolution de ces lésions, notamment en termes d’évaluation pronostique de malignité.

Le gène NEM1 semble impliqué dans une proportion significative (20 à 35 %) des TNE du pancréas survenant de manière sporadique, hors contexte de NEM1.

Des résultats similaires ont été obtenus pour les adénomes parathyroïdiens sporadiques et lesTNE thymobronchiques.

Dans les tumeurs de l’antéhypophyse, l’altération du gène NEM1 n’a pu être trouvée que dans une proportion infime (inférieure à 1 %) des cas.

Dans ces tumeurs sporadiques, le gène est altéré sur les deux allèles au niveau somatique, le premier allèle par une mutation de caractéristiques voisines de celles observées dans le contexte germinal, le second allèle par une délétion somatique.

Il existe peu d’éléments à ce jour pour corréler le type et la localisation des mutations somatiques aux caractéristiques cliniques (sécrétion, agressivité) des tumeurs, et ces données suggèrent que dans 70 % des cas, la genèse des tumeurs endocrines sporadiques du système digestif n’est pas associée au gène NEM1 mais à des mécanismes génétiques ou biologiques encore indéterminés.

E – Génétique des pathologies tumorales associées à la NEM1 :

L’une ou plusieurs des lésions tumorales décrites dans la NEM1 peuvent survenir dans le contexte d’autres syndromes de prédisposition génétique aux tumeurs, posant de ce fait un problème de diagnostic différentiel.

Ainsi, l’hyperparathyroïdie primaire isolée familiale représente soit un variant allélique de la NEM1, soit une forme syndromique et génétique indépendante qui peut s’associer dans son évolution plus tardive à des tumeurs ostéoclastiques du système osseux mandibulomaxillaire, des tumeurs kystiques du rein et des ovaires.

Cette affection (FHPT-Jaw tumor syndrome) est liée à un locus génétique encore non identifié à ce jour et localisé sur le chromosome 1.

Cette diversité syndromique justifie la réalisation d’un orthopantomogramme lorsque l’hyperparathyroïdie survient dans un contexte familial non évocateur de la NEM1.

L’hyperparathyroïdie primaire survient aussi dans le contexte de la néoplasie endocrinienne multiple de type 2 (NEM2), ou formes familiales du cancer médullaire de la thyroïde, dont le gène de prédisposition est le proto-oncogène RET, parfaitement analysable à ce jour.

De même, les TNE du pancréas ont été décrites dans le contexte de deux affections autosomales dominantes, la maladie de von Hippel-Lindau (VHL), prédisposant aux hémangioblastomes cérebelleux et rétiniens, au phéochromocytome et à des tumeurs rénales et pancréatiques, et plus rarement dans la neurofibromatose de Recklinghausen (neurofibromatose de type 1 ou NF1), prédisposant notamment aux neurinomes cutanés, à des tumeurs malignes du système nerveux central et au phéochromocytome.

Ces deux syndromes sont accessibles à une étude moléculaire puisque les gènes qui leur sont associés sont accessibles à l’analyse moléculaire respectivement sur les chromosomes 3 (VHL) et 17 (NF1).

On conçoit dès lors que le suivi de dossiers complexes nécessite une étroite concertation entre cliniciens et généticiens et entre les diverses spécialités concernées.

Dépistage de la maladie :

Un bilan lésionnel précis, recherchant soigneusement les diverses atteintes potentielles de la maladie telles qu’elles viennent d’être décrites, doit être engagé dans deux situations différentes : d’une part chez un sujet suspect d’être atteint de NEM1, parce qu’il présente au moins deux des atteintes endocrines « classiques » de la maladie, d’autre part chez les apparentés de patients ayant une NEM1 avérée et chez qui, après enquête familiale et dépistage génétique, on a la notion qu’ils sont porteurs d’une mutation délétère du gène NEM1.

A – Enquête génétique :

Elle consiste en une évaluation du caractère héréditaire de la maladie dans une famille donnée par l’anamnèse précise des collatéraux du propositus.

Ce dernier est le pivot de l’enquête familiale, et aucune étude n’est envisagée sans un consentement éclairé par écrit.

La constitution de l’arbre généalogique de la famille se fait donc sous contrôle des patients et apparentés, et le clinicien ne doit pas obtenir d’informations autrement que par la famille, selon des dispositions légales bien établies.

L’enquête clinicogénétique, parfois délicate, reste malgré tout l’élément clé du diagnostic syndromique et aucune étude moléculaire ne saurait être envisagée sans un minimum d’informations sémiologiques sur le propositus et les collatéraux du premier et du second degré.

B – Bilan lésionnel :

Lors de la prise en charge initiale d’une famille (c’est-à-dire lorsqu’on a la notion qu’au moins deux apparentés sont atteints) dans laquelle la mutation du gène NEM1 n’est pas connue, des bilans lésionnels complets sont réalisés chez les collatéraux au premier degré de ces deux patients NEM1, afin d’aboutir à une analyse de liaison informative.

Il faut aussi recruter au moins deux sujets apparentés assurément sains.

Ainsi, pour phénotyper et génotyper une famille, jusque-là non connue comme porteuse d’une NEM1, il faut disposer d’informations cliniques fiables chez au moins deux sujets atteints et chez au moins deux sujets sains.

Secondairement, en l’absence de suspicion clinique de NEM1, seule la mesure de la calcémie est proposée à titre systématique.

Chez les patients génétiquement à risque ou d’emblée, en cas de forte suspicion clinique, le bilan métabolique et hormonal comporte le plus souvent une mesure plasmatique du calcium total ou mieux ionisé, de la phosphorémie, de la glycémie, de la kaliémie, des concentrations de parathormone (PTH), prolactine, TSH (thyroid stimulating hormone), LH (hormone lutéinisante), FSH, testostérone, sous-unité á des hormones glycoprotéiques, insuline, glucagon, gastrine et du polypeptide pancréatique (PP), ainsi que la mesure du cortisol libre urinaire.

En fonction de l’âge et du contexte clinique peuvent être proposés des explorations hormonales plus complexes, un examen tomodensitométrique thoracoabdominal, un examen par imagerie par résonance magnétique hypophysaire, une échographie et une échoendoscopie digestives, une scintigraphie aux analogues marqués de la somatostatine.

Ces explorations doivent ensuite être renouvelées régulièrement.

Les détails et la justification des protocoles d’investigation, tels qu’ils ont été proposés par le GENEM, ont été récemment publiés.

C – En cas de lésion apparemment unique et a priori sporadique des parathyroïdes ou du pancréas endocrine ou de l’hypophyse, quand faut-il rechercher une NEM1 ?

Même si la découverte d’une lésion endocrine de type hyperparathyroïdie ou tumeur endocrine du pancréas ou encore adénome hypophysaire doit suggérer la possibilité qu’elle s’intègre dans une NEM1, il faut bien garder présent à l’esprit que l’immense majorité des hyperparathyroïdies ou des adénomes hypophysaires sont sporadiques et n’entrent pas dans le cadre d’une NEM1 : ils ne justifient donc pas un bilan exhaustif coûteux à la recherche d’une NEM1.

En cas d’hyperparathyroïdie, ce bilan à la recherche des autres lésions de NEM1n’est donc proposé que lorsque le caractère pluriglandulaire est attesté macroscopiquement (que le diagnostic histologique définitif soit celui d’adénome multiple ou celui d’hyperplasie) ou lorsqu’une seule glande apparemment pathologique est le siège d’une hyperplasie à l’histologie, a fortiori s’il s’agit d’une hyperplasie à cellules principales ou enfin lorsque l’on est en présence d’une hyperparathyroïdie récidivant après chirurgie.

En cas de tumeur endocrine pancréatique apparemment sporadique, surtout en cas de ZE, il faut être plus méfiant car 10 à 38 % des patients présentent une NEM1.

La recherche d’une hyperparathyroïdie, quasi constante en cas de ZE s’intégrant dans le cadre d’une NEM1, est souvent précocement positive, même à un stade de normocalcémie, si l’on utilise un test de freinage de la PTH par le calcium.

En présence de multiples tumeurs sécrétant de la gastrine et d’une localisation dans la paroi duodénale, la recherche d’une NEM1 est encore plus attentive.

Aspects thérapeutiques particuliers :

Il est impossible de passer en revue ici les différentes attitudes thérapeutiques proposées lorsque est mise en évidence une atteinte endocrine dans le cadre d’une NEM1.

Ceci est d’autant plus difficile que dans certains cas (en particulier en cas de tumeur endocrine pancréatique), le consensus est loin d’avoir été obtenu.

Nous résumerons donc simplement ici les propositions faites par le GENEM, au vu de l’expérience acquise par les cliniciens de l’Association française de chirurgie endocrinienne et du GRESZE (groupe de recherche sur le syndrome de Zollinger-Ellison) et des données disponibles dans la littérature.

A – Hyperparathyroïdie :

Le traitement chirurgical est indiqué en cas de formes symptomatiques ou si la calcémie dépasse 2,75 mmol/L.

Compte tenu de la multiplicité des lésions, une approche radicale est proposée.

La parathyroïdectomie subtotale laissant en place une quantité adéquate de tissu parathyroïdien (25 à 60 mg) au sein d’une glande d’apparence normale et bien perfusée est actuellement préférée à la parathyroïdectomie totale avec greffe autologue de fragments parathyroïdiens dans un muscle de l’avant-bras.

Une cryopréservation de tissu parathyroïdien est proposée en vue d’une éventuelle greffe différée.

Dans tous les cas, une thymectomie de principe est réalisée à la recherche d’une possible glande ectopique (et permet, de plus, le traitement préventif des TNE thymiques).

Ce type de procédure chirurgicale n’évite pas un taux élevé de récidives à long terme, risque qui augmente régulièrement avec le temps.

Le taux cumulé de récidives dépasse 50 % après 8 ans de suivi.

B – Tumeurs endocrines du pancréas :

Il faut d’abord souligner qu’en cas de NEM1, les tumeurs pancréatiques sont souvent multiples et de petite taille, voire microscopiques.

De plus, les hypersécrétions sont souvent multiples (l’association la plus fréquente est celle d’un gastrinome et d’un insulinome).

Du fait du caractère multiple des lésions endocrines pancréatiques, il serait vain de vouloir obtenir une guérison chirurgicale, sauf au prix d’une duodénopancréatectomie totale dont les conséquences, en termes de morbidité, dépassent largement celles de la pathologie causale.

Enfin, la détection et donc l’exérèse d’une tumeur sécrétante (par exemple un insulinome) peuvent être très difficiles dans ce contexte de tumeurs multiples.

1- Tumeurs endocrines non fonctionnelles du pancréas, détectées à l’imagerie :

La chirurgie est indiquée en cas de tumeur volumineuse non métastatique, lorsque la tumeur augmente de taille ou en cas de symptômes tumoraux.

Dans les autres situations, en particulier quand les tumeurs de petite taille ont été détectées par échoendoscopie, il faut être très prudent dans les indications opératoires agressives.

En effet, la morbidité et la mortalité de la chirurgie pancréatique sont loin d’être nulles et, pour proposer un geste chirurgical, il faudrait qu’elles soient inférieures à celles de la maladie elle-même, souvent très lentement évolutive.

De plus, puisque d’autres tumeurs pancréatiques se développeront ultérieurement, de nouvelles interventions seront nécessaires, augmentant encore le risque chirurgical au cours de la vie des patients.

2- Syndrome de Zollinger-Ellison :

* Contrôle de la symptomatologie liée à l’hypersécrétion de gastrine :

Le contrôle de la symptomatologie liée à l’hypersécrétion de gastrine ne pose pas de problème majeur avec l’utilisation des inhibiteurs de la pompe à protons.

* Traitement chirurgical des gastrinomes :

Le traitement chirurgical des gastrinomes fait toujours l’objet de controverses.

Les attitudes thérapeutiques les plus répandues ont récemment fait l’objet d’une revue.

Pour les équipes disposant de la plus grande expérience, les indications de la chirurgie sont très limitées : la chirurgie n’est obligatoire que si le gastrinome est associé à un insulinome ; pour certains groupes, l’indication opératoire est portée quand la tumeur visible au scanner ou à l’angiographie est volumineuse (supérieure à 3 cm).

À l’inverse, les partisans d’une chirurgie systématique arguent du potentiel malin de toutes les tumeurs endocrines quelles que soient leur taille et leur localisation.

* Duodénotomie :

Si un geste chirurgical est décidé, il faut systématiquement lui associer une duodénotomie qui permette de trouver et d’enlever des gastrinomes intraduodénaux, présents chez la majorité des patients.

Leur visualisation est facilitée par l’utilisation de l’échographie et de la transillumination peropératoires.

Les tumeurs pancréatiques (l’analyse histologique et immunocytochimique ultérieure montre qu’il ne s’agit pas de gastrinomes dans la majorité des cas) doivent être énucléées.

Pour certains auteurs, les résections pancréatiques, en particulier les duodénopancréatectomies et pancréatectomies totales doivent au maximum être évitées, tant leur morbidité est importante.

Rappelons que le consensus est loin d’être atteint dans ce domaine.

3- Insulinomes :

Le contrôle de l’hyperinsulinémie et des hypoglycémies fait appel au diazoxide et aux analogues de la somatostatine, dans la période préopératoire ou en cas d’échec de la chirurgie.

Le traitement des insulinomes est chirurgical.

Il est recommandé d’avoir recours à des procédés de visualisation tant pré- que peropératoires.

On peut alors réaliser une tumorectomie et une pancréatectomie gauche associée à l’énucléation des tumeurs palpables ou visibles en échographie peropératoire dans le pancréas restant.

La pancréatectomie totale n’est pas justifiée du fait de sa morbidité importante et du petit nombre d’insulinomes ectopiques ainsi que du faible nombre d’insulinomes malins et de l’évolutivité lente de ces tumeurs.

Il faut savoir que certaines de ces tumeurs peuvent changer de type sécrétoire et devenir des gastrinomes ou des vipomes.

4- Autres tumeurs endocrines pancréatiques sécrétantes :

L’attitude est chirurgicale, associée, lorsque cela est possible et nécessaire, à un traitement antisécrétoire ou à un analogue de la somatostatine.

C – Tumeurs hypophysaires :

Leur prise en charge n’est pas différente de celle des tumeurs hypophysaires sporadiques.

D – Tumeurs surrénaliennes :

Seule la preuve d’une hypersécrétion de cortisol, de minéralocorticoïdes ou d’androgènes doit conduire à une exérèse chirurgicale systématique.

Sinon, l’attitude thérapeutique est globablement la même que celle adoptée en cas d’incidentalome surrénalien : surveillance régulière et surrénalectomie si la tumeur augmente de volume ou si elle fait plus de 4 à 6 cm (risque de malignité).

E – Tumeurs neuroendocrines (carcinoïdes) :

Leur traitement est généralement chirurgical, éventuellement complété d’une chimiothérapie, voire d’une radiothérapie en fonction du type histologique.

La présence de symptômes endocriniens d’hypersécrétion peut justifier l’utilisation d’analogues de la somatostatine.

L’intérêt des traitements par interféron est en cours d’évaluation.

La NEM1 est une pathologie familiale rare mais de plus en plus fréquemment évoquée en endocrinologie.

Elle est potentiellement grave. La connaissance de cette pathologie, en particulier de son histoire naturelle, a grandement bénéficié du dépistage génétique.

Si plusieurs publications ont démontré le gain diagnostique des stratégies de dépistage des NEM1, aucune étude n’a encore réellement montré leur bénéfice en termes de morbidité ou de survie.

En fait, compte tenu de la lenteur de progression des tumeurs endocrines au cours des NEM1 (y compris lorsqu’elles sont malignes) il faudra certainement attendre plusieurs années pour prouver le bénéfice de ces dépistages.

L’attitude qui prévaut à l’heure actuelle est de proposer un dépistage large des formes présymptomatiques détectées par les études génétiques puis de rechercher activement les tumeurs afin d’en diminuer la morbidité associée.

Il ne faut cependant pas sous-estimer le caractère anxiogène de ce dépistage chez un sujet jeune et apparemment asymtomatique. Une information très complète avec un consentement éclairé sont donc nécessaires si l’on veut s’assurer de l’adhésion du patient et de ses proches, soulignant les bénéfices potentiels du dépistage.

L’annonce des résultats des tests génétiques et cliniques doit être faite par le même médecin, au même moment et avec tout le tact et le temps nécessaires.

Si le dépistage génétique et clinique peut « précipiter » un sujet jusque-là bien portant dans la maladie, il faut aussi souligner que le dépistage génétique, lorsqu’il prouve l’absence du gène pathologique, libère un membre de la famille de l’angoisse d’être malade et de la nécessité de se plier régulièrement aux contraintes des examens cliniques, biologiques et radiologiques de dépistage des tumeurs.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.