Manifestations neurologiques liées au virus HTLV-1

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Introduction :

Le virus HTLV-1 est le premier rétrovirus humain.

Il a été isolé en 1980 à partir des lymphocytes d’un patient porteur d’un lymphome T.

En 1985, en Martinique, une haute prévalence d’anticorps dirigés contre HTLV-1 fut observée chez les patients souffrant de paraparésie spastique tropicale dont la description initiale avait été effectuée 20 ans auparavant chez des sujets Jamaïcains.

Manifestations neurologiques liées au virus HTLV-1L’association paraparésie spastique tropicale etHTLV-1 a ensuite rapidement été confirmée dans les autres zones d’endémie du virus HTLV-1, et en particulier au Japon où l’affection a été dénommée myélopathie associée au virus HTLV-1.

L’appellation TSP/HAM a finalement été acceptée pour désigner cette maladie, faisant ainsi abstraction du paramètre géographique.

Le virus HTLV-2, qui partage certaines similarités génétiques, structurelles et fonctionnelles avec le virus HTLV-1, et dont le lien avec la TSP/HAM n’est pas formellement établi, ne fera pas partie de notre propos.

Nous n’aborderons pas non plus les localisations neurologiques des leucémies/lymphomes T de l’adulte liées au virus HTLV-1.

Virologie de HTLV-1 :

A – Structure moléculaire du virus :

Le virus HTLV-1 est un rétrovirus de type C, appartenant à la sous-famille des oncovirus, bien qu’aucun oncogène n’ait encore été identifié.

Le génome proviral, d’une longueur de 9 032 paires de bases (pb), est caractérisé par la répétition de séquences nommées LTR5’ et LTR3’ (long terminal repeats), entre lesquelles sont localisés des gènes codants : gag, pol, env et Px.

Le gène gag code le core viral protéique.

Cette région est dans un premier temps traduite en une protéine précurseuse (Pr 55) qui est ensuite clivée en trois protéines matures p19, p24 et p15.

La protéase Pr est codée à cheval sur la région gag et pol.

Le gène pol, le plus grand, code pour une protéine de 896 acides aminés comprenant la transcriptase inverse et l’intégrase.

Le gène env code une protéine glycosylée (gp62), laquelle sera clivée en deux glycoprotéines matures de l’enveloppe, la gp46, protéine de surface, et la gp21, protéine transmembranaire.

Le gène Px est une séquence unique et spécifique de HTLV-1 de près de 2 Kpb, située en position 3’ du gène env ; elle contient trois gènes régulateurs transcrits en un acide ribonucléique (ARN) messager qui, après un double épissage, aboutit à la traduction des trois protéines p40 tax, p27 rex et p21 x : p40 tax agit au niveau des LTR5’ en activant la transcription virale ; p27 rex participe à la régulation posttranscriptionnelle en inhibant le double épissage de l’ARN messager transcrit à partir de Px, donc la synthèse de p40 tax.

Le statut de réplication virale dépend de l’activité dominante de p40 tax et de p27 rex.

Le rôle de p21 x demeure pour l’instant inconnu.

La protéine p40 tax permet d’augmenter l’activité transcriptionnelle de nombreux gènes de la cellule hôte.

Ainsi, son interaction avec le facteur transcriptionnel NFB aboutit à la transactivation des gènes codant pour l’interleukine 2 (IL2), la chaîne alpha du récepteur à l’IL2, le tumor necrosis factor-alpha (TNF-alpha), le TNF-bêta, le tumor growth factor-bêta (TGF-bêta). Par un mécanisme non encore précisé, p40 tax peut transactiver les gènes codant pour l’IL1, l’IL6, l’acide désoxyribonucléique (ADN) polymérase µ, les molécules du complexe majeur d’histocompatibilité de classe I (CMH-I) et la protéine d’adhérence OX40.

La dérégulation de la cellule hôte dans des fonctions aussi essentielles que la croissance, le cycle et l’adhérence cellulaires, ainsi que la production de cytokines pro-inflammatoires, rend compte de la pathogénicité du virus.

B – Viroépidémiologie :

L’infection HTLV-1 est endémique dans le Bassin caraïbéen, l’Amérique centrale et du Sud, l’Afrique intertropicale, l’Afrique du Sud et le Japon.

Les taux de séroprévalence sont en général inférieurs à 10 % : 2,2 % en Martinique, 4,2 % à la Barbade, 6,2 % à la Jamaïque, 6 % dans certains villages gabonais, 10 % chez les bonis de la Guyane française, mais peuvent atteindre 30 % au sud-ouest de l’archipel nippon.

L’analyse moléculaire des souches virales des différentes régions d’endémie a permis de constater une remarquable stabilité génomique de HTLV-1 n’excédant pas 2 à 8 % de variation entre les principaux génotypes.

Cette faible variabilité génomique constitue un outil précieux, pour l’étude à la fois de l’origine de ce vieux rétrovirus et de sa dissémination terrestre par le biais des migrations humaines les plus anciennes.

La forte homologie de séquences entre les souches camerounaises et gabonaises de HTLV-1 et le rétrovirus simien STLV-1 suggère une transmission humaine à partir des chimpanzés d’Afrique centrale.

Le foyer africain a permis la dissémination du virus dans le Bassin caraïbéen par la traite des esclaves à partir du XVIIe siècle, aboutissant secondairement à son apparition en Floride et dans certains pays du nord de l’Amérique du Sud.

Le foyer japonais de l’île d’Hokkaïdo se serait propagé sur la côte pacifique du Canada lors de la dernière période glacière par des migrations humaines à travers le détroit de Behring, tandis que le foyer des îles méridionales de l’archipel nippon se serait exporté au Brésil par le biais des populations chassées pendant l’entre-deux guerres.

Épidémiologie clinique :

A – Modes de transmission du virus HTLV-1 :

De nombreuses études épidémiologiques ont montré que la contamination intrafamiliale par HTLV-1 s’effectuait horizontalement par voie sexuelle (le plus souvent dans le sens homme-femme) et verticalement par l’allaitement maternel, voire plus rarement par voie placentaire.

Il a été démontré qu’au sein des couples où le mari est initialement séropositif et l’épouse séronégative, après 10 ans de vie commune, 60 % des femmes deviendront séropositives, alors que le risque de contamination dans le sens femmehomme reste négligeable, si l’épouse est initialement séropositive. Le risque de transmission du virus HTLV-1 de la mère à l’enfant par le lait maternel est estimé à 20 %.

La transfusion par produits cellulaires infectés est la troisième voie de transmission bien identifiée.

La transmission par des seringues contaminées chez les toxicomanes a également été décrite. HTLV-1 est toutefois considéré comme ayant une faible contagiosité et sa présence endémique, principalement parmi des populations insulaires (Jamaïque, Martinique, Seychelles, Japon) et amérindiennes isolées, illustre bien l’importance de l’isolement géographique et/ou culturel pour sa propagation.

B – Prévalence et incidence de la TSP/HAM :

La TSP/HAM s’observe principalement dans les zones d’endémie de HTLV-1 : Bassin caraïbéen, Amérique centrale et du Sud, Afrique équatoriale, Seychelles, Mélanésie, Afrique du Sud, Japon.

Des cas sporadiques ont été rapportés dans des pays non endémiques, tels que les États-Unis, l’Europe occidentale ou la Chine, habituellement chez des immigrants originaires de pays endémiques, mais aussi chez des autochtones.

Le mode de contamination, chez ces derniers, est lié le plus souvent à une transfusion de produits sanguins contaminés ou à une contamination sexuelle par un sujet porteur du virus.

Cependant, chez certains patients, aucune source de contamination n’a pu être identifiée et certains auteurs ont suggéré la possibilité de microfoyers endémiques, comme en Italie du Sud.

L’incidence de la TSP/HAM varie de 0,04/100 000 habitants/an à Kyushu, (Japon) à 6,3/100 000 habitants/an à Tumaco, (Colombie).

Le Bassin caraïbéen présente une incidence intermédiaire, tel le taux de 1,7/100 000 habitants/an observé à Trinidad et Tobago.

La prévalence de la maladie varie largement selon les pays, oscillant entre 8,6/100 000 habitants à Kyushu, Japon et 128/100 000 habitants à Mahé, (Seychelles).

Les données épidémiologiques sont éparses pour le continent africain où une prévalence de 50/100 000 habitants a été rapportée au Zaïre.

À l’intérieur d’un pays, la prévalence de la TSP/HAM augmente avec celle de la séropositivité pour le HTLV-1, mais cette corrélation est très loin de la linéarité.

Au Japon, la fréquence de la TSP/HAM parmi les individus porteurs de HTLV-1 est de 0,07 à 0,25 %.

Elle semble nettement supérieure en Martinique, environ 2 à 4%. Dans certaines communautés, le pourcentage des individus HTLV-1 positifs atteints de TSP/HAM peut être très élevé, comme dans les communautés juives iraniennes originaires de Mashad émigrées en Israël ou aux États-Unis, où 23 %des individus sont séropositifs et 68 % d’entre eux sont atteints de TSP/HAM.

Les facteurs génétiques et/ou environnementaux déterminant la survenue de l’affection chez, en général, une petite minorité de sujets infectés sont mal élucidés.

La TSP/HAM semblait initialement affecter majoritairement les sujets de race noire et de faible niveau économique vivant dans les régions tropicales.

Sa prédominance au Brésil dans la population blanche nuance toutefois cette hypothèse.

Une récente étude cas-témoins effectuée en Jamaïque a mis en évidence qu’un jeune âge lors du premier rapport sexuel et un nombre de partenaires supérieur à cinq au cours de la vie sexuelle entière augmentaient le risque de développer uneTSP/HAM.

Il est également acquis qu’un sujet victime d’une transfusion par produits sanguins contaminés peut présenter une séroconversion et une TSP/HAM dans les 6 mois suivant la contamination.

Manifestations cliniques de la TSP/HAM :

Quelle que soit l’origine géographique du patient, le tableau clinique de la TSP/HAM a une certaine homogénéité et correspond aux anciennes descriptions des paraparésies spastiques tropicales endémiques.

L’âge moyen de début de la TSP/HAM se situe peu après 40 ans.

La maladie apparaît rarement avant 20 ans et après 70 ans.

La survenue avant 15 ans est exceptionnelle.

Dans la majorité des séries, il existe une prédominance féminine, avec un sex-ratio femme/homme allant de 1,5/1 au Japon à 3,5/1 en Martinique.

A – Signes de début :

Le début est insidieux, sans prodromes ni facteurs déclenchants.

Les symptômes initiaux quasi constants sont les troubles de la marche et la faiblesse des membres inférieurs.

Le début est également souvent marqué par des lombalgies, irradiant ou non de manière mal systématisée dans les membres inférieurs, sièges d’une sensation de raideur.

Des paresthésies à type d’engourdissements, de brûlures ou de picotements des membres inférieurs sont parfois présentes dès ce stade.

Les troubles urinaires (mictions impérieuses, dysurie et pollakiurie) sont souvent inauguraux.

L’impuissance est fréquente.

L’installation des signes peut se faire sur un mode subaigu, en particulier dans les formes post-transfusionnelles, voire exceptionnellement aigu dans un tableau évoquant un infarctus de l’artère spinale antérieure.

L’interrogatoire s’attache à retrouver l’existence de cas familiaux de TSP/HAM.

Les formes familiales sont observées dans approximativement 10 %des cas, mais atteignent 23 %aux Seychelles.

Des cas conjugaux ont été observés en Colombie et en Martinique, ainsi que des cas multiples dans 10 des 25 familles étudiées au Zaïre.

Un antécédent transfusionnel potentiellement contaminant est mis en évidence à l’interrogatoire chez 13 à 20 % des patients au Japon, 17 % en Martinique.

B – Examen neurologique :

1- Troubles sensitivomoteurs :

La phase d’état est dominée par une paraparésie ou une paraplégie spastique symétrique dans deux tiers des cas et légèrement asymétrique dans le tiers restant.

La marche est constamment raide, le patient étant d’ailleurs souvent plus gêné par la spasticité que par la symptomatologie déficitaire, à tel point que l’absence de spasticité des membres inférieurs rend à elle seule le diagnostic de TSP/HAM improbable.

La faiblesse musculaire prédomine à la racine des membres inférieurs.

Les muscles le plus sévèrement atteints sont les moyens fessiers, les adducteurs et les psoas iliaques.

Les groupes musculaires distaux des membres inférieurs sont relativement épargnés, excepté les triceps suraux.

Les réflexes ostéotendineux sont pyramidaux.

Un signe de Babinski bilatéral est la règle, et une trépidation épileptoïde des chevilles est fréquemment retrouvée.

Les signes sensitifs objectifs des membres inférieurs sont présents chez 27 à 53 % des patients, mais leur discrétion contraste toujours avec l’intensité des symptômes moteurs.

Ils comportent des troubles légers de la sensibilité thermoalgésique témoignant de l’atteinte du faisceau spinothalamique ou des cordons postérieurs sous la forme d’une hypoesthésie vibratoire distale, voire d’un trouble de la sensibilité épicritique de même topographie.

La proprioception peut être touchée, mais de manière toujours discrète.

L’existence d’un niveau sensitif thoracique ou lombaire lors d’un examen fin est admise par les auteurs brésiliens et sud-africains, mais niée par les auteurs japonais.

Les réflexes cutanés abdominaux sont en revanche le plus souvent abolis.

Les anomalies les plus fréquentes des membres supérieurs consistent en un syndrome pyramidal réflexe, incluant fréquemment un signe de Hoffmann bilatéral.

Le retentissement fonctionnel est toutefois modeste puisque seuls les auteurs sud-africains décrivent un déficit moteur chez 50 %des patients.

Les signes sensitifs objectifs ne sont rapportés en revanche dans aucune série, et il n’existe jamais de maladresse gestuelle d’origine proprioceptive au cours de la TSP/HAM.

L’évaluation du handicap fonctionnel de la TSP/HAM utilise l’échelle d’invalidité d’Osame, qui comporte 13 grades quantifiant uniquement le retentissement moteur.

Elle présente, comme avantages certains, sa simplicité et sa très faible variabilité intra- et interobservateurs.

Son inconvénient majeur est celui d’une surreprésentation de certains stades intermédiaires aux dépens des stades extrêmes.

Par ailleurs, les stades 5 et 6 englobent des patients dont la gêne fonctionnelle est très variable en termes de déficit, de spasticité et de cinétique de marche.

2- Troubles génitosphinctériens :

Contrairement aux troubles sensitivomoteurs, ils ont fait l’objet de très peu de travaux spécifiques.

Il s’agit pourtant d’un symptôme cardinal de la TSP/HAM, source d’un handicap manifeste dans la vie sociale des patients.

Ils sont quasi constants en Martinique et au Brésil, et ont une fréquence élevée, voisine de 80 % dans d’autres régions.

La quantification des troubles génitosphinctériens a permis de constater en Martinique qu’ils sont étroitement corrélés avec l’évolution du handicap moteur. Une franche dissociation entre les troubles moteurs et les troubles génitosphinctériens semble donc une atypie clinique au cours de la TSP/HAM.

Les troubles sphinctériens urinaires sont dominés par les mictions impérieuses et la pollakiurie diurne et surtout nocturne, avec parfois jusqu’à dix mictions dans la nuit.

Une dysurie associée est fréquente ; elle était même notée chez 21 des 25 patients (84 %) d’Imamura et al qui présentaient des troubles vésicaux.

Ces symptômes urinaires s’aggravent progressivement et peuvent aboutir à une incontinence urinaire totale.

Outre la gêne fonctionnelle évidente, les troubles vésicosphinctériens font courir le risque d’infection urinaire et d’hydronéphrose.

Ainsi, Komine et al décrivent un résidu postmictionnel de 50 à 320 mL chez 14 de leurs 16 patients, et Imamura rapporte une fréquence d’infection urinaire dès la première visite de 34 % (17 sur 50 cas), tandis que 10 % d’entre eux avaient une hydronéphrose et 65,2 % une déformation de la vessie.

Une urétérostomie est parfois nécessaire, et les septicémies d’origine urinaire représentent la principale cause de mortalité prématurée au cours de la TSP/HAM. Une constipation opiniâtre est très fréquente et précoce, mais aucun travail ne lui a été spécifiquement consacré.

Même si la TSP/HAM est une affection du sujet d’âge mûr, voire âgé, les troubles génitaux (perte de libido, anorgasmie, dyspareunie, troubles de l’érection) sont péniblement ressentis chez les patients désireux de garder une activité sexuelle.

3- Symptômes sus-médullaires :

Quelques auteurs ont observé un down-beat nystagmus au cours de la TSP/HAM, suggérant que les lésions puissent s’étendre à la partie basse du tronc cérébral.

L’atteinte des nerfs crâniens est discutée, mais des cas de neuropathie optique ont été rapportés, comme dans 15 % des cas historiques jamaïcains, aux Seychelles et au Japon.

Dans ce cas, il est difficile de trancher entre uneTSP/HAM et une forme médullaire progressive de sclérose en plaques (SEP) associée à une sérologie HTLV-1 fortuitement positive.

L’atteinte cérébelleuse, limitée à un tremblement d’action, est présente chez 20 % des patients examinés aux Seychelles.

Elle semble beaucoup plus exceptionnelle aux Antilles.

L’atteinte des fonctions cognitives est rapportée de manière très anecdotique au cours de la TSP/HAM.

Il s’agit vraisemblablement de la coexistence d’une démence dégénérative chez des patients volontiers âgés.

C – Évolution :

Le profil évolutif de la TSP/HAM est progressif et les tableaux ponctués de rémissions rapportés par quelques auteurs japonais sont anecdotiques.

La majorité des séries de TSP/HAM concordent sur un point : l’existence d’une phase de plateau atteinte après quelques années.

La période précédant cette phase de plateau est néanmoins variable et jugée aussi courte que 1 an par les auteurs brésiliens, ce qui paraît étonnamment bref.

Globalement, après 10 ans d’évolution, un tiers des patients martiniquais se déplace sans aide, un tiers marche avec une ou deux aides, le dernier tiers est dépendant d’un fauteuil roulant pour se déplacer.

Le handicap moteur est toutefois variable selon l’origine géographique comme l’atteste la sévérité évolutive observée chez les sujets sud-africains, dont 50 % sont confinés au lit ou au fauteuil roulant après une durée moyenne d’évolution inférieure à 2 ans, tandis que seulement 8 % des patients brésiliens ont atteint ce statut après une durée moyenne de 7 ans.

Les facteurs individuels prédictifs d’un handicap moteur sévère ont été peu étudiés.

Un âge de début précoce et une contamination transfusionnelle augureraient d’une progression plus rapide et d’un handicap plus sévère.

En fait, deux études (japonaise et martiniquaise), en identifiant deux sous-groupes lentement progressif et rapidement progressif de TSP/HAM, ont conclu que ni le sexe, ni l’âge de début, ni les antécédents de transfusion sanguine ne sont des éléments discriminants pour le pronostic.

L’espoir de déterminer un facteur pronostique de la TSP/HAM reposerait donc essentiellement sur un paramètre biologique.

Les deux études sus-citées concordent sur l’intérêt des perturbations humorales non spécifiques, en mettant en évidence qu’un taux élevé d’immunoglobulines (Ig) A sériques, et une forte synthèse intrathécale d’IgG sont corrélés avec l’évolutivité de la TSP/HAM.

L’histoire naturelle de la TSP/HAM reste néanmoins encore à décrire, car la quasi-totalité des séries souffrent de faiblesses méthodologiques : caractère transversal et non longitudinal, biais de recrutement pouvant expliquer les disparités géographiques, faible nombre de patients, échelle de handicap non adaptée, biais de mémorisation concernant le début de l’affection.

D – Explorations complémentaires :

1- Sang et liquide céphalorachidien :

La numération formule sanguine ne montre pas d’anomalies.

La vitesse de sédimentation est normale ; accélérée, elle doit faire rechercher une maladie associée à la TSP/HAM.

Sur le frottis sanguin, un cytologiste averti peut trouver des lymphocytes atypiques à noyau indenté ou convoluté, qui peuvent représenter de 1 à 20% des lymphocytes circulants.

Enfin, 1 à 5 % des lymphocytes sont des cellules ATL-like à noyau en trèfle et au cytoplasme hyperbasophile.

Il est rare d’observer de telles cellules chez le sujet HTLV-1 positif asymptomatique.

La sérologie HTLV-1 est positive en enzyme linked immunosorbent assay (Elisa), mais ce test, très sensible, nécessite une confirmation enWestern Blot, qui est plus spécifique.

Ce dernier est considéré comme positif s’il visualise au moins les bandes p24, p19 et gp46.

Le titre des anticorps anti-HTLV-1 sériques, au cours de la TSP/HAM, est en général très élevé, nettement supérieur à celui des sujets séropositifs mais neurologiquement asymptomatiques.

La sérologie HTLV-1 est constamment positive au cours de la TSP/HAM.

Des cas avec sérologie négative et recherche positive de l’ADN proviral dans les lymphocytes circulants par la technique de polymerase chain reaction (PCR) ont été décrits épisodiquement, mais n’ont pas reçu de confirmation. L’étude du liquide céphalorachidien (LCR) est une étape clef dans le diagnostic de la TSP/HAM.

Dans le LCR, il existe souvent une pléiocytose modérée (< 50 cellules/mm3) à prédominance lymphocytaire.

Il est possible de trouver des lymphocytes atypiques similaires à ceux observés dans le sang périphérique, ainsi que des lymphocytes activés.

La protéinorachie est normale ou discrètement augmentée.

Des bandes oligoclonales d’IgG sont fréquemment présentes, à la fois dans le sang et le LCR, à la différence de ce qui est observé dans la SEP où elles ne sont présentes que dans le LCR.

Certaines de ces bandes contiennent des IgG dirigées contre HTLV-1.

La synthèse intrathécale d’IgG et la présence d’un haut titre d’anticorps anti- HTLV-1 dans le LCR sont quasiment constantes.

Elles ont des sensibilités respectives de 0,95 et 0,85 dans la TSP/HAM.

En revanche, chez l’individu séropositif asymptomatique, il est rare de mettre en évidence, dans le LCR, des anticorps anti-HTLV-1.

La réponse immunologique intrathécale est polyspécifique au cours de la TSP/HAM et dirigée entre autres contre la gp21, s’opposant à la réaction immunitaire globale contre les virus communs observée dans la SEP.

2- Électrophysiologie :

Les potentiels évoqués moteurs détectent un ralentissement de la conduction motrice centrale.

Ce ralentissement concerne les fibres pyramidales destinées aux membres supérieurs et inférieurs, mais suggère une atteinte préférentielle de la moelle thoracolombaire.

Les potentiels évoqués visuels sont anormaux dans 30 % des cas et les potentiels évoqués auditifs suggèrent une extension supraspinale des lésions dans 25 % des cas.

Les anomalies constatées lors de l’étude du réflexe trigéminofacial confortent cette hypothèse.

Les potentiels évoqués somesthésiques se sont rapidement révélés comme une exploration paraclinique de choix dans la TSP/HAM.

Le temps de conduction centrale (TCC), obtenu par stimulation du nerf sural, est augmenté dans approximativement 50 % des cas.

Cet allongement n’est pas corrélé avec la présence de troubles sensitifs objectifs, mais l’est fortement avec le handicap moteur du patient.

Le TCC semble refléter fidèlement les lésions médullaires dorsolombaires et constituer ainsi un outil utile dans l’évaluation de l’efficacité de futurs protocoles thérapeutiques au cours de la TSP/HAM.

Les potentiels évoqués somesthésiques des membres supérieurs sont altérés, surtout chez les patients originaires des Antilles, soulevant la question d’une atteinte plus importante de la moelle cervicale ou plutôt de la coexistence fréquente du canal cervical étroit dans cette population.

Les études urodynamiques montrent, dans environ 70 %des cas, l’association d’une hyperactivité vésicale, d’une dyssynergie vésicosphinctérienne et d’une baisse de la sensibilité vésicale.

Ce profil caractéristique est bien corrélé avec la topographie médullaire basse des lésions.

La pollakiurie est liée le plus souvent à l’hyperréflexie du détrusor, plus rarement à la baisse de capacité effective de la vessie en raison d’un important résidu postmictionnel, et la dysurie s’explique en règle par la dyssynergie vésicosphinctérienne et parfois par l’hyperactivité du détrusor lors de la phase de vidange vésicale.

3- Explorations neuroradiologiques :

Dans près de 80 % des cas, l’imagerie par résonance magnétique (IRM) de l’encéphale montre des lésions de haut signal dans la substance blanche périventriculaire ou profonde en séquences T2.

L’aspect observé peut être qualifié de « petite SEP », dans la mesure où la fréquence des lésions de petite taille de la substance blanche profonde et de topographie soustentorielle, ainsi que des lésions de grande taille périventriculaires est moindre dans la TSP/HAM que dans la SEP.

L’imagerie de la moelle épinière en IRM montre souvent une moelle dorsale atrophique.

Cet aspect est considéré par les auteurs japonais comme un critère diagnostique de poids de laTSP/HAM, mais il n’existe pas à ce jour d’étude semi-quantitative de ce paramètre dont l’éventuelle corrélation avec le handicap moteur est inconnue.

Plus rarement, l’IRM médullaire met en évidence un hypersignal dorsal diffus sur les séquences pondérées en T2, et de façon exceptionnelle une prise de contraste focale peut être observée.

E – Critères diagnostiques de la TSP/HAM :

Le diagnostic de TSP/HAM repose sur l’association d’un tableau clinique de myélopathie progressive et de la détection d’anticorps anti-HTLV-1 dans le sang et le LCR.

L’exclusion préalable des autres diagnostics possibles de myélopathie, en particulier d’une compression de la moelle épinière, est nécessaire.

Des auteurs japonais ont récemment proposé les critères suivants pour porter le diagnostic positif de TSP/HAM :

– Critères majeurs :

– paraparésie symétrique associée à un syndrome pyramidal des membres inférieurs incluant un signe de Babinski bilatéral ;

– absence ou caractère modéré des troubles sensitifs objectifs des membres inférieurs ;

– tableau d’installation progressive sans rémission ;

– absence de compression et d’augmentation de volume de la moelle épinière en IRM ;

– présence d’anticorps anti-HTLV-1 dans le LCR ;

– Critères mineurs :

– élévation franche des anticorps anti-HTLV-1 dans le sérum ;

– atrophie diffuse de la moelle épinière thoracique en IRM ;

– existence d’un taux élevé d’IgG dans le LCR.

Le diagnostic de TSP/HAM est retenu en présence des cinq critères majeurs et d’au moins deux des trois critères mineurs.

En pratique, la TSP/HAM peut en imposer pour une forme médullaire progressive de SEP, d’autant que les perturbations du LCR et l’IRM sont proches dans ces deux affections.

Cependant, ce problème diagnostique se pose rarement, la TSP/HAM étant habituellement très rare dans les zones de haute et moyenne prévalences de la SEP.AuxAntilles, le canal cervical étroit, qui a une prévalence très élevée, représente l’écueil diagnostique le plus délicat chez un sujet séropositif.

L’existence de troubles sensitifs profonds, et surtout d’une maladresse gestuelle jamais observée dans la TSP/HAM, ainsi que des troubles génitosphinctériens discrets, prend alors toute sa valeur, de même bien sûr que l’imagerie médullorachidienne.

Les formes d’installation rapidement progressive, en fait peu fréquentes, peuvent évoquer d’autres causes médicales de myélopathie inflammatoire, comme les myélites lupiques et les formes médullaires de neuromyélites optiques dont la répartition géographique se recoupe avec celle de la TSP/HAM aux Antilles, en Afrique centrale et au Japon.

Pathogénie de la TSP/HAM :

A – Anatomopathologie des lésions médullaires :

Les lésions médullaires de la TSP/HAM concernent la substance blanche et touchent principalement les cordons latéraux.

Pour une raison inconnue, elles prédominent toujours nettement dans la moelle dorsale basse, entre D7 et D12.

On retrouve cependant des lésions à un moindre degré sur toute l’étendue de la moelle, et également de façon parcellaire dans le tronc cérébral et les hémisphères.

Ces lésions consistent en une sévère démyélinisation, une réaction astrocytaire, une prolifération microgliale, une perte d’axones et des infiltrats mononucléés périvasculaires, leptoméningés et parenchymateux, composés de macrophages et de lymphocytes B et surtout T.

Ces infiltrats inflammatoires évoluent au cours du temps : abondants au début de l’affection, bien que parfois modestes à ce stade précoce, ils se raréfient progressivement pour parfois disparaître complètement dans des cas très évolués.

Au début, les lymphocytes CD 4 et CD 8 sont répartis également au sein des infiltrats, tandis que tardivement, les CD 8 prédominent largement.

B – Études viro-immunologiques de la moelle :

Le virus HTLV-1 semble être présent dans la moelle, mais sa recherche a abouti à des résultats contradictoires.

Plusieurs études en PCR in situ ont détecté la présence d’ADN proviral intégré dans le génome de nombreux lymphocytes infiltrants CD 4 qui pourraient donc représenter, tout comme dans le sang, le réservoir principal de virus.

D’autres auteurs ont cependant trouvé de l’ADN proviral dans des aires de la moelle dépourvues d’infiltrats, suggérant qu’il puisse également être présent dans le génome de cellules nerveuses.

L’existence éventuelle d’une réplication virale au sein des cellules qui hébergent le virus est, elle, très débattue.

Par une technique d’hybridation in situ (HIS), Lekhy et al ont détecté de l’ARN messagertax dans des cellules non lymphocytaires dont certaines étaient de nature astrocytaire.

Cependant, Moritoyo et al, avec la même technique, ont démontré une réplication virale uniquement dans des lymphocytes infiltrants CD4, tandis queTangy et al n’ont trouvé aucune trace de réplication virale dans la moelle de plusieurs cas, que ce soit par HIS ou par reverse transcriptase-PCR.

Cette expression virale, très faible ou nulle, contraste fortement avec les nombreuses observations démontrant une forte activation des lymphocytes infiltrants et des cellules gliales au sein des lésions.

Ainsi, l’expression du CMH de classes I et II est élevée dans tous ces types de cellules.

Une forte production de cytokines pro-inflammatoires dans le système nerveux central (SNC) a été attestée par la démonstration de taux élevés, dans le LCR de patients TSP/HAM, d’interféron-gamma (IFN-delta), de IL6, IL1-bêta, granulocyte macrophage colony stimulating factor (GM-CSF), et de TNF-alpha. L’expression de ces cytokines au sein des lésions médullaires diminue avec le temps et semble corrélée avec le ratioCD4/CD 8 dans les infiltrats.

Une expression de cytokines a également été trouvée dans les astrocytes et la microglie.

Plusieurs d’entre elles (TNF-alpha et IL1-bêta) sont potentiellement toxiques pour la myéline centrale.

Les lymphocytes des patients TSP/HAM sont plus adhérents à l’endothélium humain in vitro que ceux des séropositifs HTLV-1 neurologiquement asymptomatiques, spontanément ou sous l’effet de l’IFN-delta.

Les couples de molécules LAF-1/ICAM-1 et VLA 4/VCAM- 1 semblent jouer un rôle majeur dans respectivement l’adhérence puis la migration des lymphocytes dans le SNC.

Cette migration implique également l’action des métalloprotéinases, notamment la 9, qui dégrade la barrière hématoencéphalique.

C – Hypothèses physiopathologiques :

Toutes ces données immunovirologiques suggèrent fortement un rôle de premier plan des protéines pro-inflammatoires dans la genèse des lésions médullaires, alors même que le virus s’y exprime peu ou pas, et qu’il n’a pas à ce jour été identifié de mutations du génome viral qui lui conféreraient un neurotropisme.

La physiopathologie exacte de la TSP/HAM demeure cependant incertaine.

Trois hypothèses, qui ne s’excluent pas, ont été proposées.

1- Hypothèse cytotoxique :

Elle suggère une attaque spécifique de cellules résidentes du SNC infectées par des lymphocytes cytotoxiques (CTL) de type CD 8.

Ces cellules nerveuses seraient contaminées par des CD 4 infectés ayant migré dans le SNC.

L’attaque serait déclenchée par la présentation, à la surface de ces cellules nerveuses infectées, d’un complexe CMH classe I peptides viraux immunogènes de 8 à 10 aminoacides bêta-2 microglobuline complexe reconnu par des CD 8-CTL anti-HTLV-1 spécifiques.

Cette hypothèse s’est fondée sur la découverte d’une proportion élevée dans le sang et le LCR et même dans la moelle de patients TSP/HAM exprimant l’antigène HLAA2, de CD 8-CTL, spécifiques d’un épitope en position 11-19 de la protéine HTLV-1-tax. Ces CTL spécifiques, dont l’expansion est oligoclonale, représenteraient jusqu’à 13,87 % des CD 8 circulants, avec une proportion 2,5 fois supérieure dans le LCR comparée au sang.

Ils pourraient représenter la source des protéines pro-inflammatoires, et persistent même à un stade évolué de la maladie.

Par la suite, la possible démonstration d’une expression virale dans des cellules nerveuses, dont des astrocytes, et la capacité de ceux-ci, lorsqu’ils sont transfectés in vitro, d’activer l’expression du TNF-alpha sont venues renforcer l’hypothèse cytotoxique. Cependant, d’autres études semblent la contredire.

Ainsi, Daenke et al n’ont pas trouvé de différence quantitative de la réponse CD 8-CTL anti-HTLV-1 dans le sang entre patients TSP/HAM et neurologiquement asymptomatiques et, comme nous l’avons signalé, l’existence d’une réplication virale au sein de cellules nerveuses n’est pas confirmée par plusieurs autres auteurs.

Le paradoxe de cette hypothèse est la coexistence d’une charge provirale élevée, jusqu’à 10 % des lymphocytes circulants, et d’une fréquence toute aussi élevée de CD 8-CTL anti-HTLV-1 spécifiques chez les patients TSP/HAM : plutôt que délétères, ces CTL pourraient être utiles, bien qu’insuffisants, dans les processus visant à éliminer l’infection virale.

2- Hypothèse auto-immune :

Elle prévoit l’attaque des cellules du SNC par des CD 4 autoréactifs ou à l’origine d’une réaction croisée du fait d’épitopes communs à HTLV-1 et au SNC. Une homologie peptidique entre la protéine virale p19, l’épithélium thymique et un sous-groupe d’oligodendrocytes a ainsi été suggérée.

Nagai et al ont montré qu’un clone de lymphocytesTcirculants reconnaissait à la fois des épitopes d’HTLV-1 et des antigènes spinaux, et sécrétait des quantités considérables d’IFN-delta, de TNF-alpha et d’IL6.

Une réaction croisée est également suggérée par Levin et al, qui ont trouvé dans le sérum des patients TSP/HAM, et pas chez les séropositifs neurologiquement asymptomatiques, un anticorps de type IgG, dirigé contre la protéine tax et reconnaissant un antigène du SNC de 33 kDa.

D’un autre côté, Hara et al ont identifié dans les lésions médullaires des lymphocytes T comportant des motifs de surface V-bêta CD 3, également trouvés dans les lésions de SEP et d’encéphalomyélite allergique expérimentale.

Ces cellules T autoréactives pourraient être infectées au hasard, s’activer et se propager dans le SNC.

Un argument supplémentaire en faveur d’une auto-immunité est le fait que l’infection HTLV-1 annule la nécessaire présence des molécules de costimulation de la famille B7, exprimées par les tissus, pour qu’une autoréactivité soit effective.

Il reste cependant à démontrer que la présence de cellules autoréactives dans le SNC n’est pas un épiphénomène, et à confirmer et identifier précisément les antigènes spinaux croisés.

Leur éventuelle spécificité dans la région basse de la moelle dorsale représenterait un argument capital en faveur de leur responsabilité.

3- Hypothèse du « témoin innocent » :

Elle spécule l’existence d’une réaction immune au sein du SNC, mais dénuée de toute spécificité pour les cellules du SNC.

Dans cette hypothèse, la cible de la réaction immune, médiée par les CD 8, est représentée par les CD 4 infectés et ayant infiltré le SNC.

Au sein des infiltrats, le nombre de CD 8-CTL est en effet corrélé avec la quantité d’ADN proviral hébergé dans les CD 4.

La plupart des cellules en voie d’apoptose sont des lymphocytes de type CD 45RO, qui correspondent bien au tropisme cellulaire in vivo d’HTLV-1.

De plus, beaucoup de lymphocytes T infiltrants expriment fortement l’oncoprotéine bcl-2 de résistance à l’apoptose.

Arai et al ont montré que les lymphocytes infectés étaient résistants au processus de surveillance immune médié par fas.

Ces derniers faits pourraient rendre compte du caractère chronique du processus inflammatoire dans la moelle, l’élimination des CD 4 infiltrants infectés ne se faisant que très progressivement.

Les lésions de la moelle, dans cette hypothèse, résulteraient de l’action des cytokines myélinotoxiques : IL1-bêta sécrétée par les CD 8- CTL, et/ou TNF-alpha produit par les macrophages/cellules microgliales après activation par l’IFN-delta sécrété par les CD 4 infectés.

De plus, la protéine tax, relarguée par les CD 4 détruits, serait capable d’induire la production de cytokines par la microglie.

Cependant, l’hypothèse du « témoin innocent » requiert l’existence d’une expression virale par les CD 4 infectés, mais, comme nous l’avons vu, celle-ci ne fait pas l’unanimité, et paraît en tout état de cause très faible.

L’étude d’infiltrats médullaires à un stade très précoce de la maladie serait peut-être plus rentable, mais de tels prélèvements sont excessivement rares.

À la suite de certains auteurs, on peut proposer plusieurs phases dans la pathogénie de la TSP/HAM : l’afflux de CD4 infectés dans la moelle serait soit non spécifique, lié à l’importance de la charge provirale circulante, soit spécifiquement lié à une auto-immunité ou une immunité croisée.

L’autoimmunité serait amplifiée chez des sujets génétiquement prédisposés, et facilitée par la négation de la costimulation des molécules B 7.

Le terrain génétique semble en effet jouer un rôle, comme l’attestent d’une part l’identification de certains haplotypes HLA associés au développement de la TSP/HAM et à une forte réaction humorale sanguine et intrathécale, et d’autre part le fait que seule la souche de rat WKAH développe une paraplégie après injection de cellules infectées.

La réaction croisée serait, elle, liée à la production d’anticorps anti-tax reconnaissant des épitopes spinaux qui ne seraient produits que dans une faible proportion de sujets séropositifs pour HTLV-1.

Secondairement, la poursuite du processus serait sous la dépendance des CD8-CTL, à l’origine d’une forte production de cytokines délétères sur la myéline centrale et des métalloprotéinases 9 qui faciliterait l’afflux de cesCD8 dans la moelle.

La résistance desCD4 infectés à l’apoptose rendrait compte de l’élimination très lente de l’infection virale locale, et donc de la chronicité du processus qui conduit à une atrophie définitive de la moelle.

Traitements de la TSP/HAM :

Les différents traitements jusqu’à présent évalués dans la TSP/HAM sont basés sur la nature inflammatoire des lésions médullaires, au moins au début de la maladie.

La corticothérapie per os à 1 mg/kg/j a été la première thérapeutique proposée.

Les résultats initialement présentés chez des patients japonais faisaient état d’une spectaculaire amélioration clinique.

Cependant, il s’est avéré d’une part que l’effet bénéfique s’épuisait progressivement au cours des mois, et d’autre part que les sujets caraïbéens y étaient nettement moins sensibles.

Les effets secondaires fréquents en limitent également l’administration.

La corticothérapie par voie intrathécale ou en bolus de fortes doses intraveineuses n’apporte aucun bénéfice supplémentaire.

En fait, une amélioration significative et possiblement durable ne semble pouvoir être observée que dans les cas très récents, en particulier lorsque l’évolutivité du handicap est rapide.

D’autres traitements immunomodulateurs ont ensuite été essayés.

Les immunosuppresseurs tels qu’azathioprine ou cyclophosphamide ont entraîné une amélioration uniquement marginale, voire anecdotique.

Les échanges plasmatiques et surtout les Ig intraveineuses (IgIV) à fortes doses ont été évalués lors d’essais ouverts sur de petites séries de patients.

L’efficacité était observée dans dix cas sur 14 cas traités par IgIV à la dose de 400 mg/kg/j pendant 5 jours, et persistait au-delà de 3 semaines chez quatre patients sur dix.

Les paramètres corrélés avec l’efficacité étaient des taux élevés d’anticorps anti-HTLV-1 et d’IgG intrathécaux et des anomalies importantes à l’IRM cérébrale.

Cependant, l’effet éventuel d’une cure n’est que transitoire et on ignore si l’effet bénéfique se maintiendrait, voire se renforcerait lors de la répétition des cures d’IgIV.

Une amélioration portant surtout sur les troubles vésicosphinctériens a été rapportée avec le danazole, un androgène utilisé dans certains désordres auto-immuns.

La vitamine C à fortes doses a donné des résultats très spectaculaires sur une série de sept patients japonais, qui n’ont malheureusement pas été confirmés chez 16 patients martiniquais (en préparation) et dans une autre série japonaise.

L’IFN-alpha, à la dose quotidienne de 3 millions d’unités intramusculaires pendant 28 jours a amélioré dix patients sur 16.

L’effet était maintenu au quarantième jour chez la plupart des patients améliorés.

Dans une autre série, sept patients ont été traités par l’IFN-alpha à la dose quotidienne de 6 millions d’unités pendant 2 semaines, puis cette même dose trois fois par semaine pendant 22 semaines.

Une amélioration motrice fut observée chez cinq d’entre eux, un sixième s’améliora également mais dut stopper le traitement après 3 mois en raison d’un syndrome dépressif.

Chez les cinq répondeurs, l’amélioration se maintint jusqu’à 6 mois après la fin du traitement, et leur charge provirale dans les lymphocytes circulants diminua de façon significative pendant la période de traitement, tandis qu’elle était multipliée par 2,5 chez le patient non répondeur.

De plus, la prolifération spontanée des CD 4, induite par l’infection HTLV-1, était nettement réduite, même après la fin du traitement, les CD 8 DR + circulants et le taux sérique du récepteur soluble de l’IL2 augmentant significativement chez les sept patients.

Un autre travail a montré que l’ IFN-alpha diminuait in vitro l’activation d’HTLV-1.

Cependant, l’intérêt thérapeutique de cette molécule reste à confirmer : dans une revue de tous leurs essais cliniques, Nakagawa et al n’ont décrit une amélioration clinique significative que chez 10 parmi 43 patients traités par l’ IFN-alpha, par voie intramusculaire ou orale.

D’autres molécules à effet immunomodulateur ont été évaluées, toujours lors d’essais non contrôlés, incluant la salazosulfapyridine, la mizoribine, la fosfomycine, l’érythromycine, l’héparine, la thyrostimulin releasing hormone (TRH).

Les résultats avancés ne permettent pas de proposer l’utilisation de ces molécules comme traitement de la TSP/HAM.

Enfin, la zidovudine, à la dose de 1 g/j pendant 6 mois, a été très bien tolérée mais n’a entraîné aucune amélioration de la myélopathie ni de modification des paramètres immunovirologiques.

À côté de ces traitements immunomodulateurs et/ou antirétroviraux, dont aucun n’a fait la preuve de son efficacité reproductible et durable, il convient de ne pas négliger les mesures symptomatiques.

La rééducation motrice, les antispastiques oraux, les antalgiques, les traitements actifs sur le fonctionnement vésicosphinctérien tels que la rééducation, les anticholinergiques ou les a-bloquants, les sondages intermittents, voire à demeure, sont toujours de mise, et actuellement les seuls utilisables en routine.

Enfin, il faut souligner que les mesures de prévention de l’infection HTLV-1 mises en place depuis environ 10 ans dans de nombreux pays d’endémie vont certainement réduire à terme l’incidence de la TSP/HAM.

Il s’agit du dépistage systématique par sérologie chez les candidats au don de sang et les femmes enceintes.

Manifestations neuromusculaires liées au virus HTLV-1 :

A – Atteintes du muscle squelettique :

Des signes d’atteinte musculaire chez des sujets HTLV-1 positifs furent assez tôt décrits.

La responsabilité du virus HTLV-1 dans ces manifestations repose sur plusieurs types d’arguments.

Les souris transgéniques tax développent, entre autres, une atteinte musculaire progressive, qui ne comporte pas cependant d’infiltrats inflammatoires.

Des études épidémiologiques ont révélé une séroprévalence HTLV-1 significativement plus importante chez les sujets porteurs d’une polymyosite que dans la population générale.

En Martinique, où cette séroprévalence est d’environ 2 %, 50 % des patients présentant une atteinte inflammatoire du muscle étaient HTLV-1 positifs.

Il existe également des arguments cliniques convaincants.

La plupart des patients HTLV-1 positifs ayant une polymyosite, ou plus rarement une dermatomyosite, ont en effet également des signes de TSP/HAM et/ou d’atteinte du système nerveux périphérique (SNP), ce qui aboutit à un tableau clinique assez spécifique.

Il faut noter que ces signes associés sont en règle au second plan, les symptômes motivant la consultation initiale de cas patients étant de nature musculaire.

Ainsi, parmi les sept patients martiniquais rapportés, cinq avaient un syndrome pyramidal, cinq des troubles vésicosphinctériens, quatre une aréflexie achilléenne et/ou une amyotrophie distale des membres inférieurs, sans autre cause de neuropathie périphérique, un seul des paresthésies des pieds.

En revanche, aucun n’avait de troubles de déglutition, et une insuffisance respiratoire liée à une atteinte des muscles respiratoires ne fut observée que chez un seul.

L’augmentation des créatines phosphokinase (CPK), si elle est constante, est en général modérée, entre trois et sept fois la limite supérieure de la normale, de même que l’augmentation de la vitesse de sédimentation.

Les données de la biopsie musculaire comportent aussi d’éventuelles particularités, puisqu’il existe dans la moitié des cas une atrophie neurogène surajoutée à l’infiltrat musculaire interstitiel et à l’inconstante nécrose des fibres musculaires.

Les études immunovirologiques du muscle montrent que l’infiltrat est composé de cellules mononucléées où prédominent les CD 8.

La raréfaction progressive de cet infiltrat au cours de l’évolution, voire sa disparition, ont été notées.

Si les fibres musculaires expriment des molécules du CMH de classes I et II, elles ne semblent pas héberger de virus.

Celui-ci est retrouvé dans le génome des CD 4 infiltrants sous forme d’ADN proviral.

La recherche d’une expression virale dans le muscle a conduit, comme dans la TSP/HAM, à des résultats contradictoires.

Finalement, ces données sont très proches de celles décrites dans la TSP/HAM et laissent envisager une pathogénie commune.

Ce point est d’importance car l’atteinte musculaire offre naturellement des possibilités d’études fondamentales bien plus étendues que l’atteinte médullaire.

Enfin, la réponse au traitement confère une originalité supplémentaire à ces polymyosites et contribue à rapprocher celles-ci de la TSP/HAM sur le plan pathogénique.

En effet, la corticothérapie a souvent une efficacité initiale, mais qui n’est que rarement durable, d’où la constitution progressive d’un tableau clinique d’allure myopathique avec amyotrophie et parésie progressive des ceintures.

Les autres thérapeutiques (immunosuppresseurs, danazole, IgIV) n’ont pas été à ce jour évaluées.

L’expérience des auteurs ne laisse cependant pas présager de résultats satisfaisants avec ces produits.

La prévalence exacte de la polymyosite au cours de l’infection HTLV-1 est probablement faible (3 % environ en Martinique), ce qui explique que l’on a peu de chance de l’observer en dehors des zones d’endémie.

Cependant, une myosite a minima au cours de la TSP/HAM est probablement beaucoup plus fréquente, comme le suggèrent la constante prédominance proximale du déficit moteur des membres inférieurs, l’augmentation discrète mais fréquente des CPK et certaines études de biopsie systématique du muscle.

La myosite pourrait ainsi se rapprocher des manifestations inflammatoires systémiques de l’infection HTLV-1, particulièrement fréquentes chez les sujets porteurs d’une TSP/HAM, mais rarement symptomatiques, que sont l’alvéolite lymphocytaire, le syndrome sec et l’uvéite. D’autres types d’atteinte musculaire chez des sujets HTLV-1 positifs ont été plus rarement décrits.

Il peut s’agir de myosite à inclusion, d’une atteinte musculaire sans infiltrats inflammatoires, évoquant l’aspect observé chez les souris transgéniques tax.

B – Atteintes du système nerveux périphérique :

Des cas de TSP/HAM comportant des signes d’atteinte du SNP ont été rapportés à travers le monde mais surtout chez des sujets caraïbéens.

L’infection HTLV-1 ne semble pas cependant représenter une cause de neuropathie périphérique isolée, au moins en Afrique de l’Ouest.

Ces signes seraient présents dans une proportion variable de cas, jusqu’à environ 20 %.

Il s’agit d’une amyotrophie distale des membres inférieurs ou supérieurs, avec parfois quelques fasciculations et d’une abolition des réflexes achilléens.

L’électromyographie montre dans ces cas des signes de dénervation sans modification notable des vitesses de conduction nerveuse.

La biopsie neuromusculaire révèle une atrophie neurogène des fibres musculaires, parfois fasciculaire, avec, plus rarement, un aspect de vascularite nécrosante.

Un aspect globulaire des lésions de démyélinisation considéré comme assez propre à l’infection HTLV-1 a également été décrit.

L’attribution de signes d’atteinte du SNP à HTLV-1 est cependant souvent délicate, en raison de la grande fréquence d’autres causes possibles de neuropathie périphérique, en particulier alcoolisme chronique et diabète, et de l’étroitesse canalaire lombaire ou cervicale dans les populations concernées.

Ces signes, quand ils peuvent être attribués sans équivoque à HTLV-1, semblent être d’apparition très tardive.

Ils peuvent être dus soit à une atteinte directe des nerfs périphériques, soit à une extension des lésions médullaires à la corne antérieure de la moelle.

Enfin, des données épidémiologiques convaincantes ont authentifié le lien entre la paralysie faciale périphérique et l’infection HTLV-1 qui pourrait également être responsable d’une atteinte multiple des nerfs crâniens par le biais d’une pachyméningite hypertrophique.

Perspectives de recherche :

À l’heure où nous écrivons, il reste beaucoup à faire dans le domaine de la TSP/HAM.

Sur le plan clinique, l’échelle de handicap d’Osame doit être améliorée, pour les raisons évoquées plus haut.

De plus, elle ne tient nullement compte des troubles urinaires, qui sont à l’origine d’un handicap souvent majeur.

L’histoire naturelle de la maladie nécessite également d’être mieux étudiée.

Si l’on ne peut accréditer sans réserve l’observation d’auteurs brésiliens selon laquelle la maladie se stabilise dès la fin de la première année d’évolution, il est évident, comme nous l’avons signalé plus haut, que de très nombreux malades voient leur handicap atteindre un plateau stable après plusieurs années.

Ce plateau correspond probablement à l’épuisement du processus inflammatoire dans la moelle, et peut-être à l’élimination définitive de l’infection à ce niveau.

Seuls les patients n’ayant pas atteint ce plateau, donc en phase d’activité de la maladie, devraient être inclus dans des essais cliniques.

Au-delà, il paraît illusoire d’espérer un bénéfice avec des produits potentiellement actifs sur le processus physiopathologique.

La recherche de paramètres simples, corrélés avec une forte évolutivité qui laisse prévoir un handicap final lourd, est également requise.

Des thérapeutiques agressives devraient en effet être réservées aux patients possédant de tels indicateurs.

Les résultats décrits plus haut doivent être confirmés et complétés par d’autres études testant en particulier des paramètres viraux (charge provirale circulante) et radiologique (masse lésionnelle à l’IRM).

Sur le plan thérapeutique, la responsabilité des différents acteurs immunologiques nécessite des études supplémentaires, ceci dans le but de rechercher les meilleures cibles thérapeutiques.

Ainsi, si les CD 8-CTL infiltrants sont réellement délétères, il est théoriquement possible de les inhiber en utilisant des aminopeptides immunogènes modifiés.

Les protéines de l’inflammation impliquées peuvent être bloquées dans leur action par des inhibiteurs : cytokines pro-inflammatoires par le rolipram ou des cytokines anti-inflammatoires, métalloprotéinases par leurs inhibiteurs physiologiques, molécules d’adhésion par des anticorps monoclonaux.

Une inhibition moins spécifique peut également être envisagée, en particulier par l’ IFN-bêta, à l’instar des formes progressives de la SEP qui partage les mêmes anomalies immunologiques intrathécales.

Les nouveaux antirétroviraux développés dans le traitement de l’infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) pourraient également bénéficier aux patients porteurs d’une TSP/HAM, mais l’absence de preuve actuelle d’une réplication virale significative au sein du SNC ne permet pas d’encourager cette voie thérapeutique.

Enfin, chez des sujets très handicapés, l’intérêt du baclofène intrathécal ou de l’infiltration de toxine botulinique doit être évalué.

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